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L'étude des méthodes de Lyautey au Maroc. Quels enseignements pour l'AMO en 2018? 4/4

Revue militaire générale n°54
Histoire & stratégie
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« L’aptitude à fédérer les capacités opérationnelles de partenaires en vue d’une meilleure synergie est essentielle au succès. Sur le plan stratégique, elle permet d’inscrire l’action terrestre dans une approche globale […] tout en préparant la sortie de crise. Sur le plan tactique, elle contribue à la réalisation d’effets de masse nécessaires à la conquête locale d’un rapport de forces favorable. » - Action terrestre future.


L’AMO dans les engagements de l’armée de Terre « Au Contact »

 

L’AMO apparaît aujourd’hui plus que jamais, comme une capacité véritablement essentielle des unités de l’armée de Terre engagées en opérations dans la mesure où il s’impose comme un véritable outil de puissance adapté aux petites comme aux grandes guerres actuelles et futures.

 

Un outil à large spectre

Tout d’abord, la tendance – encore vivace – à réduire l’AMO à une mission de formation sans finalité opérationnelle directe apparaît trop restrictive : d’une part, les effets bénéfiques d’une formation prennent nécessairement du temps avant de se faire sentir ce qui se révèle souvent problématique lorsque l’autorité politique attend avec impatience de pouvoir présenter des résultats visibles. De l’autre, il est particulièrement difficile, pour un mentor, non seulement d’évaluer correctement les capacités et les besoins du partenaire, mais aussi de bâtir une forme de crédibilité à ses yeux sans jamais l’accompagner en opérations. Or, cette connaissance et cette crédibilité se révèlent souvent essentielles à l’efficacité de la formation, ce qui pourrait notamment expliquer la fragilité des bilans des missions EPIDOTE en Afghanistan ou EUTM au Mali.

 

De plus, plusieurs opérations récentes ont mis en évidence l’intérêt de missions consistant à apporter temporairement des capacités-clés à un partenaire, sans intention de les lui transmettre. À titre d’exemple, en 2016, l’opération Odyssey Lightning, c’est-à-dire la reprise de Syrte par des milices libyennes appuyées par les États-Unis, a pu s’apparenter à une mission d’AMO : elle a ainsi consisté à apporter des capacités de frappe aérienne, notamment grâce à des hélicoptères d’attaque déployés sur un Landing Platform Dock croisant à proximité, à un partenaire disposant de compétences singulièrement limitées en matière de tactique. De même, l’appui-feu indirect fourni à l’armée irakienne par les canons Caesar de la Task Force Wagram s’est rapidement affirmé comme une capacité décisive dont les effets tactiques ont été rapidement ressentis.

Et de fait, formation et appui au contact apparaissent comme deux composantes complémentaires d’une mission d’AMO visant l’efficacité opérationnelle. En effet, l’appui au contact permet non seulement d’obtenir rapidement des résultats tactiques concrets et de mieux saisir les spécificités du contexte opérationnel, mais aussi de renforcer à la fois le moral du partenaire et la crédibilité des mentors. D’autre part, la formation permet de développer les contacts avec le partenaire, de s’assurer de sa fiabilité et de l’amener à une forme d’autonomie jusqu’à autoriser in fine le désengagement des mentors en vue de leur réengagement au profit d’autres unités. Dès lors, veiller à établir ab initio un équilibre entre ces deux composantes, puis à le faire évoluer en fonction de la situation tactique locale, apparaît comme un enjeu véritablement central de toute mission d’AMO.

Ainsi, outil stratégique complémentaire de la « diplomatie militaire », l’AMO offre également de réelles opportunités dans le domaine tactico-opératif, qui plus est avec un rapport coût-efficacité particulièrement intéressant.

 

Une mission adaptée à l’ensemble de la FOT

L’étude des capacités pouvant être apportées au partenaire ne doit pas être limitée à celles détenues par les unités de forces spéciales auxquelles la mission d’appui au contact se voit souvent dévolue1. En effet, la violence des récents affrontements menés contre Daech en Irak et en Syrie a mis en évidence l’intérêt de disposer – même de manière échantillonnaire – de moyens « lourds » conventionnels, technologiquement très avancés et capables d’offrir  protection et allonge aux mentors tout en présentant une réelle plus-value aux yeux de partenaires, souvent dotés eux-mêmes de blindés. Par ailleurs, les capacités avancées de guerre électronique se sont rapidement imposées comme de redoutables « multiplicateurs de force » particulièrement prisés par le partenaire, ce qui leur vaut d’être actuellement employées de manière poussée en Irak.

Pour autant, transposer tels quels les modes d’action d’AMO des forces spéciales à des unités conventionnelles peut présenter des risques : ainsi, la possibilité d’une débandade du partenaire impose de disposer de pions tactiques « insubmersibles », c’est-à-dire suffisamment robustes pour pouvoir assurer leur sauvegarde de manière durable et autonome  ; de plus, détacher des petites équipes de cadres dans des formations partenaires – à l’instar du dispositif OMLT en Afghanistan – revient à désorganiser les unités projetées et à leur interdire toute capacité d’intervention en propre2. Dès lors, il semble indispensable de définir une véritable doctrine d’appui au contact conventionnel qui garantisse notamment aux unités concernées la capacité à intervenir sous court préavis de manière autonome3 en cas de besoin.

Dans ce cadre, un objectif doctrinal réaliste pourrait consister pour un SGTIA français4, à former et appuyer au combat le volume d’un à trois bataillons – selon leur effectif exact – en adoptant un dispositif à géométrie variable en fonction de la fiabilité du partenaire et des opérations envisagées. Ainsi, avec une troupe jugée peu digne de confiance engagée en environnement très hostile5, le SGTIA resterait organique, nettement en retrait, pour appuyer la manœuvre6  de l’unité locale grâce par exemple à l’emploi d’une combinaison de drones et d’appuis indirects. À l’inverse, auprès d’unités considérées comme plus fiables ou dans des conditions plus permissives, le commandant d’unité français pourrait détacher certaines de ses sections au sein d’unités locales, s’intégrant de manière poussée à la manœuvre en conservant une réserve de niveau section à sa main.

 

Incidemment, cela signifie que chaque chef français de niveau tactique « n » ferait office de « visiteur du soir » au profit de son interlocuteur local de niveau « n+1 »7 dans le cadre de la préparation des opérations conjointes. Cette approche peut sembler aller à l’encontre de la doctrine actuelle de l’armée de Terre en matière d’AMO8 qui n’admet que le mentoring à niveau de responsabilité équivalent afin de ne pas froisser la susceptibilité du partenaire. Pourtant, le parti de cette étude est de proposer une forme de mentoring plus indirect, où le conseiller français se pose sans ambiguïté en subordonné du chef local et le laisse concevoir puis conduire son opération en influant sur celle-ci uniquement par l’intermédiaire de ses conseils, en particulier en matière de coordination avec les appuis apportés par son détachement9.

En somme, il apparaît possible, en visant la mixité des unités, de faire d’un dispositif d’AMO un démultiplicateur efficient et rapide des capacités tactiques d’une unité partenaire, sous réserve de s’appuyer de manière équilibrée sur les deux piliers indissociables que constituent la formation et l’appui en opérations.

 

Un pilier des petites comme des grandes guerres contemporaines

En premier lieu, un retour à la méthode de la tache d’huile s’appuyant sur l’AMO apparaît comme une solution potentielle au défi actuel des opérations de contre-rébellion. De fait, la doctrine du continuum intervention-stabilisation-normalisation à l’échelle d’un théâtre telle que la décrit FT01, semble avoir souvent entraîné les forces occidentales dans l’impasse : en effet, une fois ses adversaires défaits grâce à une manœuvre opérative foudroyante, la force d’intervention se retrouve in fine contrainte à assumer la stabilisation de zones immenses avec des effectifs largement insuffisants. À l’inverse, s’inspirer de Lyautey consisterait à ne conquérir que ce que l’on se sait capable de reconstruire et d’administrer, et surtout à attendre d’avoir été relevé par des forces locales appuyées par un dispositif d’AMO avant de relancer de nouvelles offensives.

Mais au-delà, l’approche indirecte en matière de partenariat constitue peut-être le seul paradigme efficace en matière de « state building ». De fait, l’échec du regime change en Irak a mis en évidence le danger qu’il pouvait y avoir à se livrer à des expériences d’ingénierie politico-militaire dans des régions présentant des différences culturelles marquées avec l’Occident. A contrario, tirer parti de l’existant en appuyant, sous réserve de contreparties politiques, des acteurs locaux ayant fait la preuve de leur efficacité – même s’ils n’utilisent pas pour cela les méthodes occidentales – apparaît préférable à la création de structures hors-sol sans aucune légitimité locale soutenues à grands frais10. Ainsi, comme Raymond Aron le soulignait déjà « nous devons être des jardiniers et non des mécaniciens dans notre manière d’aborder les affaires mondiales »11.

 

Enfin, si l’AMO constitue un atout indéniable dans les conflits asymétriques, la question de sa pertinence dans le cadre de conflits hybrides mérite d’être posée. En effet, il est intéressant de constater que l’armée russe a en partie adopté lors du conflit ukrainien, un mode d’action s’apparentant à l’AMO au profit des milices du Donbass. Dès lors en réponse, une partie de la contribution française à la défense des frontières orientales de l’Europe pourrait prendre la forme d’un robuste dispositif d’AMO adapté au contexte et visant à démultiplier l’efficacité des armées de conscription locales en leur apportant des capacités à haute valeur ajoutée. L’objectif serait ainsi de recréer un véritable effet de masse sans pour autant avoir à engager et à soutenir durablement d’importants contingents de troupes françaises à plus de 2 000 kilomètres du territoire national.

 

Pour conclure, si l’œuvre de Lyautey au Maroc reste pleinement inscrite dans un contexte historique spécifique et éminemment complexe, elle n’en demeure pas moins à la fois révolutionnaire et visionnaire dans bon nombre de ses aspects. Force est néanmoins de constater que les méthodes de Lyautey ne pourraient être reproduites à l’identique aujourd’hui du fait des différences significatives de contexte opposant le début du XXe siècle et notre époque. Pourtant, dans le cadre de l’AMO actuel, l’approche de Lyautey demeure pertinente face aux défis posés par les conflits de demain, dans la mesure où elle consiste à appuyer un État partenaire en veillant à conserver une posture en retrait afin que ce dernier soit in fine reconnu comme le légitime vainqueur de ses ennemis et non comme la marionnette d’une puissance étrangère.

On pourrait du reste se demander dans quelle mesure d’autres chefs militaires de cette époque ont également contribué, à leur propre façon, au développement de ce mode de pensée comme semble l’indiquer la fameuse citation de Twenty-seven articles de T.E. Lawrence  : « Do not try to do too much with your own hands. Better the Arabs do it tolerably than that you do it perfectly. It is their war, and you are to help them, not to win it for them. Actually, also, under the very odd conditions of Arabia, your practical work will not be as good as, perhaps, you think it is ».

 

1 À l’image des Green Berets américains, dont l’AMO constitue la véritable raison d’être.

2 Cela interdit notamment de disposer d’une QRF à la fiabilité véritablement éprouvée, ce qui apparaît problématique dans le cadre d’opérations menées par les forces conventionnelles.

3  À ce titre, le dispositif AGILIS de l’opération Barkhane apparaît comme une piste intéressante.

4 Qu’il soit à dominante combat embarqué, combat débarqué ou même aérocombat.

5 Notamment un milieu urbain fortement pollué et piégé par l’adversaire.

6 À ce titre, le fait de disposer de balises radio ou satellite permettant d’intégrer dans SICS un blue force tracking des unités partenaires apparaît particulièrement intéressant.

7 Il reste toutefois possible d’envisager en supplément, et si nécessaire, la présence d’un conseiller de niveau « n+1 ».

8 Soit la DFT 3.45.1, Contribution des forces terrestres à l’AMO.

9 Par ailleurs, les effets bénéfiques à long terme de cette approche sur les « mentors » français eux-mêmes se révèleraient sans doute significatifs, en leur imposant de raisonner systématiquement au niveau « n+1 ».

10 Ainsi la garde présidentielle libyenne, créée ex nihilo par la communauté internationale en vue de protéger le gouvernement d’entente nationale à Tripoli, demeure-t-elle éminemment fragile.

11 Raymond Aron : Paix et guerre entre les nation

 

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Titre : L'étude des méthodes de Lyautey au Maroc. Quels enseignements pour l'AMO en 2018? 4/4
Auteur(s) : les chefs de bataillon BURTIN, de LASTOURS et THELLIER
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