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La conception de la masse chez Napoléon

Lettre de la Prospective
Histoire & stratégie

Photo : La bataille d'Eylau, le 8 février 1807 à Preußisch Eylau (de nos jours Bagrationovsk)
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Cet encart évoque la notion de masse sous le prisme de la conception pratique que s’en faisait Napoléon Ier. S'il convient, de discerner ce qui conserve un sens pérenne, cette étude rétro prospective contribue à identifier une partie des défis auxquels sont confrontés les architectes  des forces terrestres.


Au XVIIIe siècle, la guerre doit nécessairement aboutir à la conquête de territoires, et la meilleure façon d’y parvenir n’est pas de détruire l’adversaire, mais plutôt de le convaincre que des négociations sont préférables à la continuation de la lutte 13. On parle alors de stratégies géographiques, ou d’usure, qui sont mises en œuvre par Frédéric II et ses contemporains. Napoléon Ier révolutionnel’art militaire en privilégiant des stratégies d’anéantissement. Le souverain des Français se range au rang des stratèges recherchant, avant tout, la bataille décisive afin de détruire les forces ennemies. Il est adepte du mouvement et de la masse .


La Révolution de 1789 va lui donner les moyens de mener à bien la manœuvre qu’il mûrit. En effet, la création des bataillons de volontaires nationaux (15 juin 1791), suivie de la levée de 300 000 hommes (23 août 1792) et de la conscription des citoyens de 20 à 25 ans (5 février 1798), permettent de réunir un réservoir humain de près de 750 000 hommes 14.

Une lettre du Comité de salut public du 8 octobre 1792, dicte la politique militaire : « il est temps de frapper des coups décisifs et pour cela, il faut agir en masse 15 ». De cette tactique des masses, rapide, audacieuse, impétueuse, tous les hommes de la Révolution sont pénétrés, et il faut que les chefs, même ceux qui ont longtemps pratiqué d’autres méthodes s’en pénètrent. Bonaparte est de ceux-là.


En 1796, il prend la tête de l’armée d’Italie (38 000 hommes). Cette dernière n’est pas dans  une situation brillante. Depuis deux ans, elle piétine au pied des Alpes en livrant des combats inutiles. Face au général français se dressent 63 000 Autrichiens et Piémontais. Bonaparte regroupe d’abord une cavalerie disséminée, qu’il organise en deux divisions. Il met en application un de ses préceptes  selon lequel : « les plus grands moyens éparpillés ne produisent aucun résultat 16 ». Son but est  de séparer l’armée autrichienne de l’armée piémontaise, afin de les attaquer séparément. Sa tactique est la suivante : « l’art de la guerre consiste avec une armée inférieure à avoir toujours plus de forces  que son ennemi sur le point que l’on attaque ou sur le point qui est attaqué. Cet art ne s’apprend, ni dans les livres, ni par habitude ; c’est un tact de conduite, qui proprement constitue le génie de la guerre ». Ainsi, il compense son infériorité numérique et trompe l’ennemi : « on doit toujours faire croire à l’ennemi qu’on a des forces immenses ». En deux semaines, il remporte six batailles et brise les reins de l’armée piémontaise assaillie de toutes parts. Il fait ensuite mouvement vers les Autrichiens.


Devenu Empereur, Napoléon dépasse le stade des armées de 35 000 hommes à 60 000 hommes avec lesquelles il fait des prodiges en 1796 et en 1800. Contrairement à la pratique sous la Révolution, il n’organise pas plusieurs armées pour opérer sur des théâtres différents. Il constitue une armée unique de 200 000 hommes , qu’il conduit lui-même, guidé par la situation politique, sur le théâtre qu’il considère comme principal 17. 200 000 hommes lui semblent être un effectif suffisant pour écraser d’un coup n’importe quel adversaire.

 

C’est l’effectif de la Grande armée type 1805-1806. Il est alors convaincu que pour vaincre, il n’est pas nécessaire de triompher sur tout le développement du front. Le moyen le plus sûr et le moins coûteux d’emporter la victoire, est de produire chez l’adversaire, grâce à un vigoureux coup de bélier, une désorganisation locale suffisamment puissante. Ce coup de force, c’est l’attaque décisive. Il s’agit de déclencher un ouragan de fer et de feu en un point, provoquant  une trouée, dans laquelle on peut alors s’engouffrer. Ainsi donc, naît la nécessité de constituer une masse de rupture . Il explique à Sainte-Hélène : « ce qui m’a fait gagner tant de batailles, c’est que la veille, au lieu de donner ordre de diverger, je faisais converger toutes mes forces sur le point que je voulais forcer et les y massais. Je renversais ce que j’avais devant moi car, naturellement, c’était un point faible ».


 À la manœuvre proprement dite, qui lui permet d’obtenir la masse , comme en Italie, Napoléon associe l’organisation de ses pions de manœuvre, dont certains  concentrent une masse d’artilleurs, de cavaliers ou de fantassins. En effet, Napoléon assure : « le canon comme toutes les autres armes doit être réuni en masse si l’on veut obtenir un résultat important 18 ». Il précise sa pensée en expliquant : « dans  une bataille… celui qui a l’adresse de faire arriver inopinément et à l’insu de l’ennemi, sur un de ces points, une masse d’artillerie , est sûr de l’emporter ». Ainsi, lorsque l’attaque principale se produit, Napoléon se met toujours en mesure de réunir, grâce à l’artillerie de sa Garde, de quelques autres corps de réserve et de batteries empruntées aux divisions voisines du point d’attaque, 80, 100, 150 pièces d’artillerie, pour faire une brèche dans le front ennemi (Wagram, Hanau). Il procède de même avec la cavalerie 19. Une partie de cette dernière, la cavalerie lourde, ou grosse cavalerie (essentiellement des cuirassiers), est formée en « réserve ». C’est une sorte de « mitraille vivante » - de l’acier taillant, frappant, pointant - destinée, elle aussi, à créer une trouée et un déséquilibre dans le rang de l’adversaire (Austerlitz, Iéna Eylau).

 

Enfin, au cours d’une bataille, il constitue une réserve d’infanterie avec l’infanterie de la Garde et les grenadiers réunis 20. Il dispose donc, en permanence, de trois masses distinctes dont il fait usage en fonction des besoins. Afin de développer la fulgurance de ses masses, le souverain des Français s’emploie à leur donner plus de mobilité. Ainsi, il développe l’artillerie à cheval, en même temps qu’il militarise les attelages de toute l’artillerie. Non seulement, désormais, le canon peut se rendre au galop au point décisif, mais il est susceptible d’accompagner la cavalerie dans la poursuite de l’ennemi défait.
 De même, il pense à accroître la mobilité de son infanterie. En 1805, il fait transporter en poste, d’Espagne sur le Rhin, 4 000 hommes de la Garde et 13 000 chevaux en huit jours. Une opération analogue est réalisée en 1809. La Garde effectue le trajet de Bayonne à Ulm (Bavière) en charrettes 21 (25 lieues par jour 22).


Ces différentes masses constituent une force morale d’une grande puissance pour toutes les troupes françaises engagées, qui se sentent soutenues devant un adversaire qui serait formidable, et jouent en même temps un rôle non négligeable de sape dans les forces morales des adversaires. 

 

Mais, si en 1805 la Grande armée est organisée en sept corps d’armée (les sept torrents), auxquels s’ajoutent la Garde et la réserve de cavalerie, bientôt les prétentions hégémoniques du souverain des Français créent un vertige du nombre. En 1812, l’armée française compte dix-sept corps d’armée 23.  La masse laisse alors apparaître un certain nombre de faiblesses.


En augmentant les effectifs par l’apport de contingents étrangers , l’Empereur diminue la qualité intrinsèque de la Grande armée . Beaucoup de pays renâclent et les hommes fournis ne sont pas tous de qualité.

Dès 1808, par exemple, les Suisses font défection à la bataille de Baylen (Espagne). Étant donné l’étendue de l’espace géographique, Napoléon est à la merci de ses subordonnés, de leurs jalousies, de leurs susceptibilités, de leur force morale, de leur capacité d’anticipation. Déjà à Wagram (1809), l’Empereur, écrasé de fatigue, ne donne aucun ordre de poursuite. Ses lieutenants n’en prendront pas l’initiative.


 Pendant la campagne de 1812, ce sont les princes Jérôme et Eugène, tous deux plutôt médiocres, qui flanquent les gros de l’armée. En 1813, en Saxe, plusieurs batailles sont perdues de façon incompréhensible : Oudinot à Grossbeeren, le 23 août, Macdonald sur la Katzbach, les 26 et 27 août, Vandamme à Kulm le 30 août. En 1814, les maréchaux abandonnent la ligne du Rhin et ne cessent de reculer, négligeant de s’accrocher aux obstacles naturels : chaînes de montagnes  (cols des Vosges) et les cours d’eau (la Sarre, la Moselle) et que penser de l’attitude d’Augereau ? Par ailleurs, la possession de la masse assoupit l’esprit du chef ; elle assure un confort qui devient un frein à l’économie des moyens.


 En octobre 1806, Napoléon écrit à Soult : « avec cette immense supériorité de forces réunies… je suis dans la volonté de ne rien hasarder, d’attaquer l’ennemi partout où il voudra, avec des forces doubles… ».
 
La masse s’use. En 1812, Murat placé à l’avant-garde de l’armée, exige des cavaliers des marches forcées et fatigue bien inutilement sa cavalerie dès les premiers jours de la campagne. Les cavaliers restent parfois trente heures sans débrider leurs montures. Le roi de Naples ne semble pas s’en soucier et persiste à demander de nouveaux efforts. Toute reconnaissance est exécutée par un groupe de 1 500 cavaliers ! La cavalerie fond à vue d’œil. À l’arrivée dans la capitale russe, Grouchy déplore « la destruction totale de la cavalerie réduite à rien 24 ». Un autre problème guette : la mésestime de la puissance de son adversaire. On néglige le feu (bataille d’Eylau, bataille de la Moskowa).


 « Méprisant le danger, les Français serrent leurs rangs à mesure que la mitraille les enlève… et continuent à s’avancer d’un pas ferme, l’arme au bras, avec une impassibilité remarquable » observe le général Bagration 25.  En conséquence, les dépôts se vident pour combler les effectifs. L’instruction n’est plus assurée.


 Dès 1808, Grouchy qualifie la cavalerie de piteuse. À la bataille d’Essling (1809), les formations sont incapables de se ployer et de se déporter sous le feu avec ordre. Pour vaincre ces masses, les coalisés mobilisent les leurs. À la bataille de Leipzig (1813), sur 7 à 8 km, sont concentrés 450 000 hommes. Toute manœuvre devient alors impossible. D’ailleurs, l’absence d’instruction des soldats entraîne le commandement à privilégier l’attaque frontale, en masse, donc plus meurtrière 26.


Au Premier Empire, il est démontré que la masse couplée à l’agilité, produit la victoire tactique, voire stratégique, tandis qu’elle procure une force morale incontestable à celui qui la détient, au détriment de celui qui la subit. Mais, dans la durée, les problèmes de logistique, de doctrine d’emploi et de commandement ont eu raison des aigles impériales, submergées par ... des masses plus importantes encore.

 

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13 Consulter sur ce propos, Eugène Chalvardjan - impact de l’art de la guerre napoléonienne dans la seconde moitié du XIXe siècle -   Paris, 2014.

14  Georges  Lefebvre - La Révolution française - PUF, 1951/1957.

15  La Convention au général de division d’Avaines (corps Jourdan - armé du Nord).

16 Toutes les citations qui suivent sont extraites de l’ouvrage du lieutenant-colonel Picard - préceptes et jugements de Napoléon recueillis et classés - Berger-Levrault, Paris, Nancy, 1913.

17 Consulter sur ce propos, Eugène Chalvardjan - impact de l’art de la guerre napoléonienne dans la seconde moitié du XIXe siècle -
  Paris, 2014. *

18  Georges  Lefebvre - La Révolution française - PUF, 1951/1957.

19  La Convention au général de division d’Avaines (corps Jourdan - armé du Nord).

20 Toutes les citations qui suivent sont extraites de l’ouvrage du lieutenant-colonel Picard - préceptes et jugements de Napoléon recueillis et classés - Berger-Levrault, Paris, Nancy, 1913.

21 Sur les théâtres secondaires, il ne laisse que des corps d’effectifs restreints et composés de troupes médiocres.

22 Correspondance de Napoléon à Eugène de Beauharnais, Schönbrunn, 16 juin 1809.

23 Sous la Révolution, la division rassemble, entre autres, cavalerie et infanterie. Napoléon sépare nettement les deux armes.

24 Louis Madelin - la catastrophe de Russie - Paris, Hachette, tome XII, 1949.

25 On parle beaucoup des taxis de la Marne…

26 Ce qui correspond à 100 kilomètres.

 

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Titre : La conception de la masse chez Napoléon
Auteur(s) : Pôle Etudes et Prospective (CDEC/PEP)
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