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La densification de l’action terrestre

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Histoire & stratégie
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Synthèse et approche critique des « Perspectives tactiques » du Général Guy Hubin


LA DENSIFICATION DE L’ACTION TERRESTRE

Les forces terrestres se préparent, aujourd’hui, à une transformation capacitaire majeure. Dénommée SCORPION, elle se traduit par un programme fédérateur d’équipements conçus sur une plateforme commune[1] : nouveaux véhicules blindés[2], rénovation d’équipements[3], système d’information[4] et système de préparation opérationnelle[5]. Son défi est, à titre principal, d’exploiter l’infovalorisation[6]. Le programme est précédé d’une série d’expériences techniques[7] qui, si elles ont permis d’approfondir les possibilités offertes par la technologie, n’ont pas provoqué de réelles inflexions doctrinales[8]. L’originalité de SCOR-PION réside, à cet égard, dans l’élaboration d’une doctrine exploratoire, alors que certaines caractéristiques techniques de plusieurs matériels sont encore inconnues[9]. Un effort de réflexion considérable est par ailleurs engagé. Il se traduit notamment par la production du document de référence Action Terrestre Future (ATF), ou le travail de refonte des documents doctrinaux Forces Terrestres (FT) 01 à 05. Il s’agit pour partie de décliner les facteurs de supériorité opérationnelle (FSO) dégagés par ATF en termes d’aptitudes[10]. Or, l’un d’eux se révèle singulièrement problématique : la masse.

 

ATF la définit comme « la capacité à générer et entretenir les volumes de forces suffisants pour produire des effets de décision stratégique (…) »[11]. Fixées à 77 000 hommes, les forces terrestres sont dimensionnées au plus juste. Dans un cadre budgétaire contraint, le déclenchement soudain de l’opération Sentinelle et la multiplication des opérations extérieures (OPEX) entraînent une tension certaine sur les effectifs et les compétences. Elle pèse en particulier sur certaines fonctions, telles que les structures de commandement, les systèmes d’information et de communication et la logistique. Dans l’environnement contemporain (expansion démographique sur le flanc sud de l’Europe, multiplication et extension des zones urbaines), la technologie seule ne peut compenser l’infériorité numérique. Or, la masse ne peut être générée ou renforcée que partiellement[12]. C’est là qu’intervient l’idée de densification de l’action terrestre. Si la masse correspond à un nombre, la densité renvoie au rapport entre la masse, d’une part, et une unité de distance, d’autre part[13]. Densifier l’action terrestre revient donc, pour une masse définie, dans le cadre de la manœuvre globale et sur un espace donné, à multiplier les opérations visant à obtenir un effet, direct ou indirect. Loin d’exprimer des certitudes, il s’agit, uniquement, de poser quelques questions. Cet article se propose, ainsi, de synthétiser et mettre en perspective les réflexions développées par le général Guy Hubin[14] dans son livre, Perspectives tactiques.

 

La guerre revêt des formes d’expressions aussi diverses et changeantes que les époques ou les sociétés qui la pratiquent. Ainsi, si la phalange hoplitique et la chevalerie médiévale ne peuvent se comprendre en dehors de la cité grecque et de la société féodale, « de la même manière, la conception de la guerre qui prévaut aujourd‘hui, dans notre société globalisée, renvoie à la complexité contemporaine »[15]. Or, cette dernière est profondément marquée par un fait décisif : l’ordinateur et sa puissance de calcul. L’informatique, le traitement automatisé d’informations par des machines, est présente partout, en permanence. Nos smartphones, véritables ordinateurs miniatures aux multiples capteurs, en sont, peut-être, l’expression la plus visible. La guerre ne présente, à cet égard, aucune exception. Ces manifestations sont omniprésentes, moyens de communication, systèmes d’information, conduite de tir, munitions, contre-mesures, brouilleurs, à tous les niveaux.

 

Dans son livre, le général Guy Hubin se livre à une analyse tactique qui repose sur une étude prospective des conditions de combat. Selon lui, depuis les années 1970, ces matériels s’agrègent dans nos systèmes de combat sans, fondamentalement, les remettre en cause[16]. Il identifie, ainsi, six évolutions techniques majeures : les performances de navigation, le tir en mouvement, la précision des tirs indirects, la logistique, l’identification et les systèmes de communication[17]. Elles influent fortement, d’après lui, sur plusieurs paramètres. La concentration devient difficilement réalisable, sous peine de destruction. En Ukraine, lors de la bataille de Debalstevo du 24 au 30 août 2014, deux régiments ont été détruits à 70% en l’espace de six minutes par des lance-roquettes multiples[18] . On retient également, pendant la guerre du Golfe, les images de l’« autoroute de la mort » et des centaines de véhicules irakiens détruits par l’aviation de la coalition les 27 et 28 février 1991.

Le champ de bataille est dépolarisé et la sûreté y prend un caractère interne très marqué, notamment dans les champs immatériels. La lisibilité s’y accroît considérablement, notamment, via la 3ème dimension (3D). Une difficulté surgit avec le classement et la gestion d’une masse considérable d’informations. La multiplication des capteurs sur le champ de bataille modifie la nature de la surprise. Ne pouvant que beaucoup moins compter sur la dissimulation des moyens, elle doit jouer, comme aux échecs, sur celle des intentions[19]. Deux exemples illustrent, chacun différemment, ce procédé. L’absence d’identification des troupes russes en Crimée, pourtant rapidement identifiées[20], devient une mesure de sûreté, jouant sur l’ambiguïté juridique, politique et opérationnelle de la manœuvre[21]. En Afghanistan, peu de concentrations de troupes peuvent être masquées aux talibans. Des officiers français utilisent, à plusieurs reprises, le stratagème suivant :

 

des hélicoptères CH-47 Chinook transportent des troupes, tandis que d’autres décollent vides. Les uns comme les autres se posent sur de multiples points différents, abrités par des masques, sans systématiquement déposer les troupes. Si les différents posés n’échappent pas aux talibans, il leur est plus difficile de déterminer l’objectif réel de la manœuvre[22] . Si ces procédés n’ont rien de nouveau historiquement, la parenthèse de la supériorité technologique occidentale a pu contribuer à les reléguer au second plan.

Le traitement de l’information perd de son caractère vertical. L’implication physique du chef devient moins nécessaire, alors qu’il lui revient d’assurer la diffusion de l’information en fonction de ses implications opérationnelles. Les conclusions qu’il en tire pour l’organisation, au vu des propositions de la doctrine exploratoire SCORPION, demeurent d’un grand intérêt. Elles couvrent trois paramètres majeurs, abordés ici successivement : l’organisation des forces au prisme des systèmes de communication, une esquisse de la manœuvre future et la convergence avec le modèle asymétrique.

 

L’ORGANISATION DES FORCES AU PRISME DES SYSTÈMES DE COMMUNICATION

L’hypothèse du général Hubin est la suivante : l’organisation des systèmes de forces est toujours la conséquence directe des méthodes de communication utilisables. Or, il estime que si les secondes changent de nature, les premières doivent suivre. Les moyens actuels semblent nous autoriser à modifier en permanence nos structures opérationnelles en fonction des besoins (volume de force et espace) de la manœuvre[23]. De même, des cellules C2[24] plus réduites, sous réserve de disponibilité des réseaux nécessaires, peuvent plus facilement bénéficier de reachback[25]. Il devient, en outre, possible de s’appuyer, au niveau tactique, sur des capacités de niveau stratégique (imagerie satellitaire par exemple)[26].

 

Ainsi, les échelons de responsabilité correspondent, schématiquement, à trois niveaux : la conception, la conduite et l’exécution. L’ampleur du volume d’information à exploiter à chaque niveau rendrait impossible de pouvoir en assurer plusieurs en même temps. Partant du principe que toute concentration de force supérieure à la compagnie prend le risque, étant donné la précision nouvelle des feux, d’être détruite avant d’être engagée, l’auteur esquisse l’organisation suivante :

 

Niveau conception : ce niveau exploite la totalité du renseignement. Il fixe les objectifs, assure la coordination des feux indirects et la gestion des moyens aéromobiles[27].

Niveau conduite : équivalent au GTIA/S-GTIA[28], il assure la cohérence de l’action des cellules d’exécution. Il coordonne des actions ponctuelles, assure la gestion de l’espace et la transmission de l’information.

Niveau exécution : l’attention de cet échelon est tout entière accaparée par le service de systèmes d’armes très complexes et l’utilisation du terrain. Du niveau section/peloton, son chef manipule sa propre cellule de deux ou trois véhicules, plus deux ou trois autres cellules.

Dans cet ordre d’idée, seul le pion élémentaire d’exécution (section/groupe) a une structure prédéfinie. Son rôle s’assimile à celui d’une patrouille aérienne, tandis que celui du niveau conduite s’apparente au contrôle. Des changements de subordination interviennent donc, suivant les mouvements du niveau exécution, du niveau conduite, ou de l’aire de responsabilité de ce dernier. En bref, sous la responsabilité du niveau conception, plusieurs cellules de conduite, en charge d’une zone géographique donnée et aux limites provisoires, assurent la gestion d’un volume de moyens transitant et combattant dans cette zone, pour atteindre les objectifs de l’échelon conception.

 

Un tel fonctionnement n’est pas sans conséquence sur le lien unissant les unités et les individus les uns aux autres. Pour le général Hubin, la capacité à adapter en permanence le volume et la nature des moyens implique que le chef en soit, lui-même, déconnecté. Il souligne, de plus, que les supports de ce lien (les systèmes de communication) peuvent désormais être attaqués ou dégradés sans atteinte physiques aux unités (brouillage, intrusion, etc.). La guerre du Golfe est, pour lui, l’exemple de l’effondrement d’un ensemble cohérent causé par la rupture massive de ce lien. Il importe donc, dans son idée, d’accepter la perte de substance du lien personnel, au bénéfice de références globales (doctrines, traditions, force morale, confiance dans l’entraînement) permettant la cohérence, même en cas de rupture, d’actions individuelles. Le risque serait, en conservant des structures traditionnelles, d’accentuer le gigantisme d’organes de commandement incapables de contrôler l’agitation du combat[29]. Or, l’agilité[30], identifiée comme FSO, doit énormément à l’organisation des forces[31]. Il est désormais bien établi que, loin de réduire la complexité des opérations, les structures de commandement peuvent contribuer à les accroître[32]. Sans oublier que des centres C2 trop volumineux deviennent, immanquablement, des cibles évidentes. Au Donbass, les postes Ukrainiens auraient été puissamment frappés dans un délai de quinze minutes après leur détection par des compagnies de guerre électronique équipées de stations mobiles RP-377/LA[33]. Ce nécessaire contrôle de l’empreinte doit, par ailleurs, être aussi physique qu’électromagnétique[34].

 

Considérant la structure régimentaire comme n’étant plus adaptée à l’emploi, le général Hubin propose de revenir aux exigences de l’instruction. Il est également difficile, selon lui, de la faire coïncider avec la cellule d’emploi, celle-ci mettant en œuvre un nombre trop élevé de spécialités[35]. Le cadre qu’il recommande est celui des différentes écoles, le rapprochant, dans la logique, des campagnes de tirs conduites au sein de centres spécialisés[36]. De fait, aujourd’hui, l’évaluation opérationnelle intervient fréquemment au Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) et au Centre d’entrainement au combat (CENTAC). Il reste à résoudre le problème de la conception, de la stabilité et de l’analyse critique de systèmes de simulation représentatifs des engagements contemporains (déploiements sur de grands espaces et dans la durée[37], différenciation entre les unités numérisées et infovalorisées). Si l’usage de la simulation est d’ores et déjà parfaitement inclus dans la préparation des forces, elle permet, désormais, de nourrir les réflexions sur les outils d’aide à la décision. Des expérimentations d’espaces d’instruction collective en appui aux opérations sont en cours, depuis 2016, pour les opérations Daman (GTIA) et Barkhane (au sein du groupement de soutien opérationnel (GSO) à N’Djamena)[38].

                                            

 

[1] « Doctrine exploratoire Scorpion », Centre de Doctrine et d’Enseignement du Commandement (CDEC), Division doctrine (DDo), p.13.

[2] Transport de troupes Griffon, blindé Jaguar, blindé léger Serval.

[3] Char Leclerc.

[4] Système d’information du combat scorpion (SICS).

[5] Notamment, via l’emploi de la simulation : CERBERE, SOULT, SPARTE, SPARTE ALAT, SERKET (non exhaustif). Ces outils ont permis, depuis 2014, de conduire les expérimentations du combat scorpion (SCORPION I à SCORPION VI).

[6] « L’exploitation de la valeur ajoutée des ressources informationnelles permises par les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour améliorer l’efficacité opérationnelle. », Doctrine exploratoire Scorpion.

[7] Système d’information régimentaire (SIR), Fantassin à équipement et liaisons intégrées (FELIN), véhicule de combat d’infanterie (VBCI).

[8] Colonel Sébastien de Peyret, « peut-on innover en matière de doctrine ? », Revue de doctrine des forces terrestres, 01/2019, CDEC, p.16.

[9] Colonel Sébastien de Peyret, « La place centrale de l’expérimentation dans le processus d’exploration doctrinale », Revue de doctrine des forces terrestres, 01/2019, CDEC, p.23.

[10] « Dispositions particulières pour remplir une mission fixée en termes généraux. Elles s’expriment en termes de compétences, sans référence à un volume précis de moyens. » Action Terrestre Future, État-Major de l’armée de Terre, Paris, septembre 2016, p.22.

[11] Op. Cit., p.37.

[12] Partenariat militaire opérationnel (PMO), opérateurs privés, coalitions, réserves, Idem, p.39.

[13] « Glossaire de l’armée de Terre », EMP 60.641, CDEC, 2013.

[14] Officier d’active issu de l’arme blindée, Guy Hubin a passé l’essentiel de sa vie militaire au sein des troupes aéroportées. Il a, notamment, commandé le 1er Régiment de Hussards parachutistes (RHP), servi au 13ème Régiment de Dragons parachutistes (RDP), au Commandement des opérations spéciales (COS) et à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

[15] Tenebaum Élie, « La manœuvre hybride dans l’art opératif », Stratégique 2016/1 (N° 111), 2016, p. 43-61, p. 43.

[16] Hubin Guy, Perspectives tactiques, Economica, 2003, p. 2.

[17] Op.cit, p.15, 17, 21, 25, 31, 37, 63.

[18] Sénat, « Audition du général pascal Facon, commandant le centre de doctrine et d’enseignement du commandement », Commission de la défense et des forces armées, mardi 25 septembre 2018.

[19] Ibid, p.43, 50.

[20] En moins de « vingt minutes » par les chancelleries occidentales selon Joseph Henrotin, rédacteur en chef cde la revue Défense et Sécurité internationale, chercheur au CAPRI, entretien avec l’auteur, mai 2018.

[21] Ce procédé envoie à la notion de « plausible niabilité », voir Tenebaum Élie, Art. Cit., p.53.

[22] Sergent N. A., rapportant son expérience au sein du 16ème Bataillon de chasseurs à pied (BCP), entretien avec l’auteur, août 2017.

[23] Hubin, Ibid, p.57, 63, 66, 68.

[24] Commandement et conduite des opérations : Autorités, responsabilités et activités des commandants militaires pour la direction et la coordination des forces et pour la mise en oeuvre des ordres relatifs à l’exécution des opérations. « Glossaire de l’armée de Terre », EMP 60.641, CDEC, 2013, p.152

[25] Capacité pour une unité de bénéficier de capacités d’autres unités non déployées ou plus en arrière du dispositif, centres d'opération, territoire national.

[26] « Comprendre les facteurs de supériorité opérationnelle », Centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC), pôle études et prospective (PEP), p.9.

[27] Hubin, Ibid, p.71, 73, 76.

[28] Groupement tactique interarmes/sous-groupement tactique interarmes.

[29] Hubin, Ibid, p.75, 76, 77, 78, 79, 87, 92, 93.

[30] Elle se définit comme « la capacité permanente des forces à répondre à l’évolution d’un environnement caractérisé par la variété, la turbulence et l’incertitude. (…) possibilité de faire face à la surprise, à réagir au changement, voire de le provoquer, pour se rendre imprévisible, grâce à d’importantes capacités d’adaptation, d’innovation et d’apprentissage. ». ATF, p. 33.

[31] CDEC, Op. Cit., p.37.

[32] Général Pascal Facon, « Éditorial », La prise de décision opérationnelle dans l’armée de Terre, Revue militaire générale, 53/2019, p.6.

[33] Hubin, Ibid, p.90.

[34] Chef d’escadron Stéphane Jay, « les systèmes de commandement en réseau dans la guerre de demain », La prise de décision opérationnelle dans l’armée de Terre, Revue militaire générale, 53/2019, p.46.

[35] Cellule de 20 à 30 individus, comprenant une dizaine de spécialités, servant deux ou trois types de véhicules et trois à quatre catégories d’armes. Hubin, Ibid, p.139.

[36] Ibid, p°140.

[37] Chef d’escadron Stéphane Jay, Art. Cit., p.53.

[38] « Réflexion doctrinale sur l’emploi de la simulation pour l’expérimentation de la doctrine », RFT 7.7.2, Centre de Doctrine et d’Enseignement du Commandement, Division doctrine, 2018.

 

 

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Titre : La densification de l’action terrestre
Auteur(s) : Monsieur Hugo-Alexandre QUEIJO, chercheur associé du pôle études et prospective du CDEC
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