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La guerre à distance(s), une réalité qui s’impose

Gagner au contact
Engagement opérationnel
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Faisant suite au colloque de 20181, le troisième colloque annuel de pensée militaire portant sur la thématique : « Guerre à distance(s), gagner au contact » s’est tenu le 31 janvier 2019 à l’École militaire, en présence du député Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale, du major général des armées, l’amiral Jean Casabianca,  et du chef d’état-major  de l’armée de Terre (CEMAT), le général d’armée Jean-Pierre Bosser.

Il s’inscrit dans le mouvement de renouveau de la pensée militaire au sein de l’armée de Terre voulu par le CEMAT et insufflé par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement  (CDEC).


Les conflits récents permettent de mieux cerner et approfondir ce qu’est la réalité de la guerre à distance(s), les nombreuses questions qu’elle pose et enfin l’importance de réduire la distance jusqu’au « contact », seul capable d’éviter une totale déshumanisation de la guerre et ultérieurement de parvenir à une paix durable.

Les deux tables rondes rassemblant des intervenants d’origines diverses ont permis de cerner ces problématiques sous plusieurs angles : tactique, stratégique, philosophique, psychologique, éthique, scientifique, dans un contexte opérationnel où le rapport entre la guerre et la notion de distance revêt une acuité particulière pour l’armée de Terre, et au moment où les progrès futurs et prévisibles des armements, de la technologie, de l’intelligence artificielle sont susceptibles d’entraîner des transformations majeures dans l’environnement opérationnel.

La distance est presque consubstantielle à l’état de soldat. Apprécier la (bonne) distance est une nécessité permanente et vitale (une question de survie) pour le soldat, afin de lui permettre de mener à bien la mission qui lui est confiée : maîtriser et contrôler à la fois un territoire, un adversaire, une population.

 

1°) L’éloignement des frontières de la guerre grâce à la technologie

Dans la conception occidentale, la guerre procède d’une confrontation de volontés opposées mais aussi de forces qui se mesurent quantitativement et qui s’affrontent dans une bataille que chacun des belligérants souhaite décisive.

Dès lors, la première distance à prendre en considération est la distance physique qui sépare les combattants. Face à des adversaires qui montent en gamme et se durcissent, les modèles d’armée et les stratégies occidentales visent à augmenter cette distance en se fondant notamment sur un accroissement des capacités techniques du haut du spectre et sur les technologies de supériorité. De plus, ainsi que l’explique l’amiral Casabianca, lors d’une action en coalition (qui devient la norme dans la résolution des conflits), l’objectif poursuivi est de privilégier des options limitant l’exposition des partenaires pour maintenir leur cohésion.

Monsieur Bridey souligne que notre politique de défense et notre loi de programmation militaire « Ambition 2030 » favorisent la conduite de programmes d’armement complexes, technologiques, reposants sur des excellences d’innovation, repoussant les frontières des champs de conflictualité : « quelle que soit l’échelle, il s’agit de repousser la frontière de la guerre toujours plus loin de nos frontières, de nos équipements et de nos soldats ».

 

2°) En opposition aux stratégies occidentales, la distance tend à diminuer voire à disparaître

La notion de distance par rapport aux combats et à l’ennemi tend à se réduire voire à disparaître.  Ce constat est partagé par le général Jean-Claude Gallet qui estime que « la notion de distance n’existe plus ». Ce raccourcissement se déduit de la combinaison de plusieurs facteurs. En premier lieu, c’est l’omniprésence des images et des informations véhiculées par les médias et les médias sociaux qui raccourcissent l’espace-temps.

Madame Monique Castillo témoigne de ce que la réalité est entièrement transformée en information. L’image, qu’elle soit positive ou négative, prend une importance démesurée. Elle permet le contact avec la réalité des conflits en ce qu’elle rend présent un lieu et des événements éloignés. Monsieur Étienne Klein évoque une « téléportation de la présence ». Mais la puissance de l’image fait aussi courir le risque que le jugement du téléspectateur soit faussé ou altéré par l’émotion qu’elle suscite, « toutes les autres distances qui devraient intervenir dans le jugement sont masquées par le choc de la présence ».

En second lieu, ce raccourcissement de la distance est dû aux procédés qu’adopte l’ennemi. Face à la supériorité technologique, il met traditionnellement en place une stratégie d’évitement, d’éparpillement, d’imbrication tactique mais aussi d’exportation du combat sur le territoire de la force. Évoquant la menace terroriste sur le territoire national et les attentats dramatiques de novembre 2015 à Paris, le général Gallet explique que « si l’on ne parvient pas à contenir la capacité d’organisation et de conduite d’actions d’envergure de groupes djihadistes à l’étranger, cela se traduit, sur le territoire national, par des événements tels que ceux du 13 novembre 2015, ou par des actions de harcèlement par mimétisme ».

La protection du territoire national et de sa population apparaît alors d’autant plus essentielle que les guerres actuelles ne se font plus entre États mais contre des sociétés. Madame Dana Purcarescu estime que « ce sont notre société, notre mode de vie et notre vision du monde qui sont attaqués ».

Le général François-Xavier de Woillemont déclare que les unités de combat et de manœuvre ne sont pas les seuls à être au contact : « tout le monde est au contact ». Il revient donc aux politiques, mais aussi aux militaires, de rappeler qu’il existe un lien fort entre les batailles de l’avant et la sécurité intérieure des Français.

 

3°) Trois nouveaux espaces de combat

Aux espaces traditionnels de conflictualité que sont la terre, l’air et la mer, s’ajoutent désormais en ce début du XXI e siècle, trois nouveaux espaces : l’espace exo-atmosphérique, le cyberespace et celui de la bataille informationnelle.

Ces trois espaces ne seront plus dominés par un seul acteur et pourront devenir l’objet de nouvelles conflictualités. Une stratégie de contrôle du milieu pourrait prendre la forme d’une attaque à distance de l’espace cyber. L’évolution prévisible doit amener l’armée de Terre à adopter les mesures de protection nécessaires à la sécurisation des réseaux et de ses flux comme à sa capacité de manœuvre.

La distance à l’ennemi n’est pas que la distance physique mais aussi la distance perçue. L’amiral Casabianca témoigne à cet égard que la manœuvre de déception prend une place croissante dans les approches hybrides, et que la désinformation est intégrée dans les stratégies des puissances autoritaires : « la transparence… pratiquée dans nos démocraties, démultiplie la perception des menaces et génère une distance à la réalité favorable à nos adversaires ».

 

4°) Une amélioration de la connaissance des situations

La guerre est un acte éminemment politique, mais dont les conséquences sociales, sociologiques et ethnographiques sont de plus en plus importantes.

L’histoire et le passé militaire français ont façonné le soldat français. Sa formation, sa sensibilité culturelle et son sens politique font sa singularité et bien souvent son succès. Il sait que connaître l’autre est crucial. Cet impératif est rappelé dans le document de prospective Action Terrestre Future, qui distingue parmi les huit facteurs de supériorité opérationnelle la « compréhension » de l’autre. La collecte de renseignements à distance permet souvent de savoir comment se rapprocher et de comprendre l’autre.

La connaissance  culturelle d’un pays et la nécessité de conserver le contact avec celui-ci se fait aussi au travers des représentations diplomatiques de la France. Madame Purcarescu souligne le rôle essentiel des diplomates à cet égard : « si vous n’avez plus personne sur le terrain, pour comprendre dans quelle direction s’orientent les sociétés, qui sont les acteurs d’influence, nous n’arriverons pas à grand-chose ». Elle explique que les diplomates s’efforcent de ne pas cesser de réfléchir aux pays avec lesquels les relations diplomatiques peuvent être suspendues. Il en est ainsi de l’exemple syrien où la France a veillé, le plus possible, à la poursuite de l’enseignement du français et des projets de stabilisation humanitaire. C’est le rôle du diplomate que de ne pas cesser de penser au pays comme à un partenaire potentiel. Nous devons toujours veiller à ne pas fabriquer nos ennemis du futur.

Le général Pascal Facon précise que c’est dans ce souci de prise en compte des dimensions sociales, sociologiques et ethnographiques de la guerre au milieu des peuples, que le CDEC a mis en place un partenariat avec l’Institut national des Langues et Civilisations orientales.

 

5°) De nouvelles façons de commander ?

Les capacités satellitaires  et numériques permettent aujourd’hui de gommer la notion de distance. Elles offrent la possibilité au chef d’être à la fois très près et très distant. Elles rendent encore plus efficace ce qui constitue l’un des atouts et l’une des spécificités françaises, à savoir cette chaîne opérationnelle verticale qui relie le président de la République, le chef d’état-major des armées, le commandant de la force sur le terrain, le colonel qui commande son bataillon jusqu’au capitaine qui commande sa compagnie. Les décisions stratégiques  peuvent nécessiter une mise à jour fréquente des décisions du président et une transmission rapide de celles-ci jusqu’au bas de la chaîne. Le général de Woillemont explique que cette chaîne fonctionne extrêmement bien. Il n’hésite pas à l’appeler « un trésor pour les opérations militaires ». Mais à l’inverse, et dans l’hypothèse où les éléments de cette chaîne ne seraient pas parfaitement alignés, cela pourrait donner lieu « à des catastrophes, sur le terrain, sur le plan politique ou encore en termes d’image».

Dans un espace aussi vaste que le Sahel, une partie du commandement de Barkhane se fait à distance, que ce soit du fait du général qui commande des soldats se trouvant à N’Djamena ou à Bamako ou depuis le Mont Verdun pour certaines opérations aériennes.

Mais si la technologie permet effectivement de commander à distance, c’est toujours à l’homme qu’il revient de faire des choix et de prendre les décisions qu’impose l’évolution de la situation sur le terrain et de la manœuvre. L’amiral Franck Baduel explique que lors de l’opération Serval, il n’hésitait pas ainsi à s’appuyer sur l’analyse des membres de la cellule de crise du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) pour prendre ses décisions. Cela impose aussi que tous les chefs soient imprégnés de l’esprit de la mission. À l’autre bout de la chaîne, c’est aussi à l’homme qu’il revient d’obéir à distance.

Pour le général Bosser, commander à distance, « cela revient à tenter de réduire, en permanence, la distance. C’est connaître tous ses subordonnés, comprendre, à leur voix, à la radio s’ils sont stressés ou non. C’est connaître les données de son environnement et maîtriser les procédures d’état-major.  C’est décider de la guerre et dans la guerre ».

Ce raccourcissement   porte également sur l’échelon interministériel et politique. Cela oblige à prêter une attention particulière à la coordination et à la synchronisation. « Travailler à un échelon interministériel,  avec des doctrines et des chefs différents, sous la pression quasi instantanée des médias et des responsables politiques, ne facilite guère la coordination ni la synchronisation » constate le général Gallet.

Le général Bosser s’interroge  sur ce que va changer (indépendamment de la doctrine et des capacités) cette distance qui s’installe dans les engagements opérationnels : « cette distance va-t-elle changer le profil du chef de demain ? ».

 

6°) Les robots et les armes autonomes

S’il y a bien un domaine où la guerre à distance prend tout son sens, c’est celui des robots et des armes autonomes. On distingue les robots assistés (télé-opérés) des robots autonomes : les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA). Ils sont conçus pour éliminer les adversaires tout en économisant des vies.

Si on peut penser que dans un avenir prévisible, il y aura des combats avec des robots télé-opérés, le général Charles Beaudouin affirme que l’armée de Terre française n’entend pas pour des questions de droit et d’éthique se doter de robots autonomes. S’il advenait que l’armée de Terre doive faire face à de tels robots, elle les combattrait et les détruirait par ses moyens conventionnels.

Pour le général Bosser, si le sujet des robots est d’actualité, il considère que l’armée de Terre en est encore relativement loin en termes d’équipements, mais qu’elle doit les intégrer dans sa réflexion. Il déclare que l’armée de Terre est opposée au mythe de la « guerre propre ». C’est l’esprit guerrier et l’honneur militaire qui légitime le droit exorbitant de tuer l’adversaire : « cet honneur, symbole de la France, est fondé sur l’acceptation, par le combattant, du risque suprême, pour les autres mais aussi pour lui-même ».

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Titre : La guerre à distance(s), une réalité qui s’impose
Auteur(s) : Colonel (r) François MIRIKELAM
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