Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

La Guerre du Golfe : quelques réflexions sur l’imprévisibilité et l’influence

Soldats de France numéro spécial Guerre du Golfe
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

Il est tentant, facile et fréquent de regarder le passé avec les yeux du présent, en toute connaissance de ce qui s’est finalement passé. C’est un péché mortel pour les historiens qui ont une expression pour le condamner : l’ « approche téléologique »1. Et l’histoire de la guerre s’y prête bien, notamment parce qu’on ne voit souvent que deux issues possibles au combat : la victoire ou la défaite. Ne resterait alors plus qu’à décrire les « faits » qui, mis bout à bout, conduiraient à l’une ou à ’autre. Ce penchant est encore plus fort lorsque la guerre met aux prises des armées occidentales sur-équipées, modernes, et des armées non-occidentales, ici irakienne, qui le sont moins. La guerre du Golfe en est un bon exemple.

 

 


Nous savons qui l'a théoriquement gagnée : les États-Unis à la tête d'une large coalition de 34 nations, dont la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale en Irak, ainsi que la France, qui a depuis longtemps des intérêts au Proche et au Moyen-Orient. Mais était-ce si évident ?

 

Enfilons désormais les habits de l'historien. Celui-ci sait que les événements sont en partie faits de hasards, de bifurcations : ce qui ne s'est pas passé est tout aussi intéressant que ce qui s’est réalisé... Quand on connaît les conditions et l'atmosphère qui ont enveloppé cette guerre du Golfe, entre août 1990 et février 1991, on voit bien que l'imprévisibilité est une réalité omniprésente tant du côté des coalisés que des Irakiens. Cette imprévisibilité a été soit subie, soit préparée en vue d'objectifs politiques, stratégiques et tactiques. 

 

Crainte de la « guerre sale » et mémoires de la « sale guerre »

 

Peu de temps avant le déclenchement du conflit, Saddam Hussein, à la tête de l'Irak depuis 1979, ne se doute pas que son projet d'invasion du Koweït, qu'il justifie au moyen d'arguments économiques et historiques, pourrait entraîner une condamnation des États-Unis. En effet, le gouvernement américain a soutenu Bagdad lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988), non sans avoir ajouté le pays de Saddam sur la liste des États soutenant le terro-risme ! Imprévisibilité, ensuite, liée à l'évaluation des forces de l'adversaire irakien. Très rapidement, les médias occidentaux, à commencer par CNN, martèlent que l'armée irakienne est la quatrième du monde. La prétendue information tourne en boucle au rythme de l'information en continu. Les opinions publiques occidentales s'attendent donc à un conflit rugueux, de type classique, faisant notamment intervenir avions, blindés, artillerie et troupes au sol. Pour les États-Unis et la France, il s'agit de penser la première intervention de cette ampleur et de cette nature depuis la guerre du Vietnam (1963-1975) pour les uns et la guerre d'Algérie (1954-1962) pour l'autre. Ces deux événements traumatiques, parce qu'ils ont remis en cause bien des certitudes, hantent encore les esprits et nourrissent peur et doutes quant à l'issue du conflit à venir. Ces sentiments sont renforcés par la crainte de voir Saddam mener une guerre sale. Et il y a de quoi. Son cousin, aussi connu sous le nom d' « Ali le chimique », s'y est essayé contre des civils lors du conflit avec l'Iran2. C'est donc tout l'imaginaire de la Première Guerre mondiale et du fameux « gaz moutarde », qui ressurgit3. 

 

Où sont les alliés ?

 

Cette imprévisibilité est aussi liée à un ordre international bousculé par l'affaiblissement et l'émiettement de l'URSS et de son « bloc », sans compter sur l'évolution des rapports de force au Proche-Orient. Ce contexte rend très incertains les alliances et le positionnement entre les principales puissances dans la région. Exemple typique, la grande question pour la Coalition est de savoir si elle peut compter sur le soutien de l'Arabie saoudite et jusqu'à quel point. Question d'autant plus stratégique que ce pays du Golfe est alors considéré comme le principal pivot de la mise sur pied de la plus importante force coalisée depuis la Seconde Guerre mondiale. Qu'à cela ne tienne ! Les États-Unis lancent aussitôt une campagne d'intoxication faisant croire à la menace imminente d'une offensive irakienne contre l'Arabie saoudite. L'opération « Desert Shield » (« Bouclier du Désert »), qui s'est déroulée du 2 août 1990 au 17 janvier 1991, vise ainsi à « protéger » l'allié saoudien. Officiellement du moins, puisqu'elle est en réalité le prétexte au regroupement de moyens destinés à attaquer l'Irak. Du côté irakien, la question est de savoir quelle pourrait être l'attitude d'Israël, dont les forces militaires sont redoutées. À sa surprise, il n'intervient pas directement. Il semble en effet que les États-Unis aient fait pression en ce sens afin de ne pas dégrader leurs relations avec les nations arabes dont une partie a tout bonnement rejoint la Coalition quand une autre s'est refusée à soutenir le dictateur irakien.

 

Reste une nouvelle question ouverte – et non des moindres – qui est celle du seuil d'acceptabilité des opinions publiques, dans des régimes démocratiques, vis-à-vis de la violence et du bien-fondé d'une guerre contre un État souverain qui ne les menace pas directement. Pour Washington – comme pour Londres ou Paris – il est nécessaire de légitimer sur le plan intérieur une phase plus agressive. Du 17 janvier au 28 février 1991, elle prend la forme de l'opération Desert StormTempête du Désert »), dont la France est l'un des acteurs dans le cadre de l'opération Daguet. Une nouvelle fois, une campagne d'intoxication est savamment orchestrée par Washington, mais cette fois-ci en direction de sa propre opinion publique. C'est ainsi que le 14 octobre 1990, une certaine Nayirah témoigne à l'écran des atrocités dont elle aurait été témoin à Koweït-City : des couveuses, dans lesquelles se seraient trouvés des bébés à la santé fragile, auraient été débranchées par des soldats irakiens. En réalité, l'histoire est montée de toutes pièces. Nayirah est la fille de l'ambassadeur du Koweït aux États-Unis !

 

Une partie gagnée à l’avance ?

 

Sur le plan strictement militaire, la partie ne semble pas davantage être jouée d'avance. Sûrs de leur supériorité sur les mers, au sol, dans l'air et dans l'espace, il reste aux Américains et à leurs alliés à s'assurer de la maîtrise du temps après avoir vaincu les distances. En effet, les moyens irakiens auraient pu être suffisants pour ralentir le mouvement conduit par le général Norman Schwarzkopf4, chef du Central Command US, et ainsi permettre aux Irakiens de défendre leur sol en profondeur. Si cela était arrivé, le conflit se serait potentiellement enlisé. La mémoire du cauchemar de la guerre du Vietnam encore vive, cette situation aurait été difficile à assumer politiquement. Pour parer cette menace, des milliers de Marines américains sont positionnés afin de laisser planer une menace constante d'un débarquement amphibie dans la partie sud-est du territoire irakien. En réalité, le bluff fonctionne car l’effort est porté à partir de sa frontière sud-ouest. Il permet ainsi de fixer une partie non négligeable des forces armées irakiennes loin du lieu où tout se joue. C'est ainsi que les forces coalisées ont pu mener un vaste et bref mouvement offensif de 42 jours, puis imposer un cessez-le-feu à l'Irak. Finalement, les pertes ont été très faibles par rapport à ce qui pouvait être raisonnablement anticipé au début des opérations.

Mais que se serait-il passé si toutes ces supercheries avaient été dévoilées ? Si des armes sales, dont la force d'évocation est puissante, avaient été employées ? Si la ligne de défense irakienne s'était étirée dans la profondeur ? Si les relations entre les États-Unis et leurs alliés s'étaient tendues avec l'Arabie saoudite ? Si les opinions publiques s'étaient massivement opposées à une intervention militaire dont la finalité économique (la mainmise sur les ressources pétrolières) ne faisait guère de doute ? Autant de questions sur lesquelles on peut encore méditer avec profit aujourd'hui. 

 

 

----------------------------------------------------------

 
1 - Telos, en grec, signifie à distance. Logos signifie discours. Il s'agit donc d'un discours ou raisonnement tenu à distance, bien après les événements. Ce discours est aussi confortable que le fait de regarder une épreuve de sport depuis son canapé. Le plus dur pour l'historien, c'est de se mettre dans la peau et la tête de personnes qui ne savaient pas ce qui allait se passer, et pour lesquelles l'imprévisibilité était vécue comme telle.

2 - Des gaz ont été employés à la fois contre l'Iran, mais également contre des populations civiles, notamment les Kurdes d'Halabja, tuant 5 000 personnes en 1988.

3 - Voir article Événement : « L’appréhension des soldats de Daguet face à l’imprévisibilité des armes chimiques irakiennes », Ornella Junet, page 19.

4 - Voir article Chef militaire : « Général Norman Schwarzkopf, figure de la guerre du golfe et francophile ambivalent », Hawa-Léa Sougouna, pages 38.

 

Séparateur
Titre : La Guerre du Golfe : quelques réflexions sur l’imprévisibilité et l’influence
Auteur(s) : Benoit Beucher
Séparateur


Saut de ligne
Saut de ligne
Radio-tireur du 2e REI lors d'une tempête de sable. Cet événement demeure un facteur déterminant de l'imprévisibilité (incapacité à observer, difficultés à communiquer...) © Fritsch Christian/ECPAD/Défense.
Armée