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La participation de la France à la mise sur pied des forces terrestres étrangères depuis la décolonisation

Cahiers de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Les modifications récentes du dispositif des forces prépositionnées, principalement en Afrique, et les évolutions de la menace, appellent à s’interroger sur les évolutions et l’adéquation - ou non - de la participation française à la mise sur pied des forces terrestres de ce continent. Malgré une réduction de format et une concurrence accrue, internationale comme privée, la France demeure structurellement un partenaire privilégié de ce type d’actions grâce à une légitimité reconnue et une adaptation permanente de sa posture aux enjeux sub-continentaux.


1960: la République centrafricaine accède à l’indépendance sous l’impulsion de l’abbé Barthélémy Boganda. Plus d’un demi-siècle plus tard, après de nombreux coups d’État et malgré une présence militaire française quasi permanente , les forces armées locales sont incapables, en 2013, d’enrayer les affrontements entre Seleka et anti-balakas. A contrario, la stabilité durable d’un État comme le Sénégal, s’appuyant sur un modèle relativement démocratique, semble globalement être une réussite notamment parce qu’elle s’appuie sur une véritable armée nationale crédible et efficace.

 

La période de décolonisation a été marquée par un accès généralisé à une indépendance institutionnelle. L’une des conditions du passage de cet état «de jure» à celui d’une indépendance «de facto» est la mise sur pied d’une armée nationale, illustration et incarnation de l’État et de ses prérogatives régaliennes. La participation de la France à ce processus de mise sur pied des forces armées, essentiellement terrestres, fut permanente, toujours sensible, mais aux résultats inégaux. Il convient dès lors de s’interroger sur la nature et le bilan de l’action de la France au sein de ses anciennes colonies, dans cette participation à la création des outils de défense terrestres ou couramment appelée assistance militaire opérationnelle . Le rôle de la France, essentiellement dévolu à la mise en œuvre d’une action de coopération structurelle et/ou conjoncturelle, revêt des aspects extrêmement divers (matériels ou formation par exemple) qui seront intégrés à l’analyse.

 

Nos travaux se concentreront sur le continent africain, zone historique d’effort français depuis la décolonisation, et excluront des actions spécifiques comme les OMLT en Afghanistan, pour ne citer qu’elles.


Il s’avère que la participation de la France à la mise sur pied des forces terrestres étrangères est un succès en demi-teinte qui pourrait être plus complet sous réserve d’une stratégie globale et adaptée. Le démontrer, c’est remettre les réussites et échecs dans une perspective historique, en décliner les causes internes et externes avant de proposer quelques pistes pour relancer une formation efficiente des forces terrestres du «continent perdu ».

Cinq décennies après la proclamation de leur indépendance, les progrès accomplis par les forces armées soutenues par la France apparaissent comme un succès d’ampleur limitée au regard des efforts consentis.

 

L’impression initiale qu’inspirent les forces armées aidées par la France est parfois mauvaise car focalisée sur un certain nombre d’échecs comme l’est l’instabilité prégnante qui touche une grande partie des anciennes colonies françaises. Cette situation d’échec est régulièrement exploitée (au niveau politique plus qu’au niveau militaire d’ailleurs) en vue d’étayer un discours négatif sur la politique étrangère de la France en Afrique ou «Françafrique». Les nombreuses successions de coups d’État, tels qu’ils ont été vécus en Afrique de l’ouest, comme ceux fomentés par le Général Guéi en République de Côte d’Ivoire à la fin des années 90 et au début des années 2000, illustrent cette idée.

 

En outre, l’aide apportée par la France a également pu être détournée de sa destination initiale et servir des intérêts allant à l’encontre des projets au profit des forces locales.
Les années Foccart, la confusion récurrente entre intérêt général et intérêt particulier, ont pu constituer un biais à dessein. Plus fortuit mais non moins intéressant est le cas d’Ange Félix Patassé . Ce dernier profita de l’aide française non pour augmenter la capacité opérationnelle générale de ses forces mais pour accroître le volume de sa garde présidentielle et ainsi asseoir son pouvoir sur une force dévouée à sa personne plus qu’à sa nation.

 

Enfin une certaine absence de réalisme vient renforcer l’idée selon laquelle les échecs pourraient supplanter les réussites. Alors qu’une présence sur le temps long avait pour objectif d’anticiper, de limiter, voire d’éviter les conflits, ce ne fût dans l’ensemble pas le cas et l’aide apportée par la France n’en a pas pour autant été supprimée ni revue. Le cas du Tchad est à ce titre éclairant puisque ce pays a vu, malgré un fort appui à la mise sur pied de ses forces terrestres, des interventions régulières «en urgence» via différentes opérations extérieures . Au plus haut niveau également, la réponse apportée à ces échecs s’est voulue surtout politique et, depuis le discours de la Baule (1990), certains États ont pu choisir de se dispenser de l’aide française opposant au «conditions based» français, un pragmatisme plus efficace .

 

Ce constat pourrait être alarmiste, mais ne peut masquer de belles réussites tant parce que la stabilité politique est une réalité dans certaines régions que parce que les forces terrestres font montre d’une efficacité certaine.
La mise en place de pôles régionaux de coopération (POC ) semble présenter de nombreux facteurs de succès. La connaissance et les échanges entre différents acteurs régionaux des forces terrestres accroît les synergies et participe activement à la stabilité régionale. Le Sénégal et le Gabon sont ainsi les révélateurs d’une participation réussie de la France à la mise sur pied des forces terrestres.

 

Par ailleurs, l’outil militaire reste une constante de l’affirmation du pouvoir régalien. Toute participation de la France à la constitution de cet outil implique donc de facto, l’assurance de l’existence a minima d’un embryon d’État, au moins du point de vue occidental . La volonté permanente des chefs d’État de se doter d’unités d’élite reste ainsi un attribut de puissance et la France reste un référent en termes d’offres de création et de formation de ce type d’unités.

 

La France a aussi prouvé son pouvoir fédérateur et inscrit son action sur les forces terrestres dans un ensemble plus global dont, certes, seuls les prémices sont visibles, mais n’en constituent pas moins des signes encourageants pour l’avenir. Il en va ainsi de la création de l’architecture de paix et de sécurité africaine ou encore des troupes dédiées au déploiement sous l’égide de l’Union africaine.

 

La critique portée à l’action française souffre souvent d’un manque de mise en perspective dans l’espace, mais surtout d’un prisme trop réducteur dans le temps. Ainsi, la période d’étude ne peut négliger la phase de gel due à la guerre froide : les mouvements tiers-mondistes, menés par Modibo Keïta en 1960 ou le choix du Congo de rejoindre le camp communiste plutôt que de se maintenir dans le «giron» français ont nui à l’action française de long terme . En outre, la mise sur pied de forces terrestres jouissant d’un minimum d’efficacité s’inscrit nécessairement dans la durée et l’action française n’a pas été monolithique, mais n’a eu de cesse d’évoluer en combinant actions structurelles et conjoncturelles. Elle s’appuie également sur des dispositifs de soutien indirects . Ce travail de long terme est aussi favorisé par un sentiment, certes paradoxal, d’attraction-répulsion, mais qui laisse encore aujourd’hui une place prépondérante à l’action française.

 

Au-delà de la perspective historique, ce succès en demi-teinte trouve sa source tant dans une politique française de coopération fluctuante que dans un certain manque de réceptivité sur place et une concurrence internationale de plus en plus marquée, empiétant sur le pré carré français.


La coopération militaire en Afrique suit, depuis cinquante ans, une double tendance qui pourrait être exprimée de la manière suivante: réduction du dispositif et des moyens, changement de nature. Sur le premier point, les effectifs dévolus à la coopération connaissent un déclin régulier depuis l’accès aux indépendances tout comme le budget dévolu à cette mission .

 

Le second point concerne les évolutions organisationnelles et le placement au niveau politique qui conduisent la coopération à perdre en visibilité . Au-delà du volume, une étude qualitative de la coopération démontre le passage progressif d’une politique de substitution, consommatrice en moyens et targuée d’assistanat, à une politique promouvant le partenariat et l’appropriation de leur formation par les Africains, ou «autonomisation». Ces différents facteurs ont pu concourir à une perte de crédit de l’ancien pays colonisateur, mais ne peuvent omettre des causes endogènes aux pays receveurs.

 

Comme évoqué supra, les armées africaines démontrent parfois une incapacité structurelle à mettre en œuvre les apports de la France. Les raisons en sont aussi multiples que les exemples, mais la cause première demeure l’ethnicisation/tribalisation quasi systématique des armées. Ce fut ainsi le cas de la République centrafricaine sous l’ère Patassé (1993-2002) . Plus largement, on assiste à une forme de crise de vocation «républicaine» des armées faisant l’objet d’une aide de la France : le militarisme latent de certains pays constitue ainsi souvent une entrave majeure à l’implantation d’une coopération franche. Ces armées sont aussi, au final, généralement d’un niveau relativement faible , et certains États africains peinent à anticiper et exprimer clairement leurs besoins, comme ce fut le cas du BATAMISOM armé par Djibouti.

 

Au-delà de cet aspect purement militaire, une «incompatibilité culturelle» avec le principe de conditionnalité évoqué plus haut a pu être un élément déclencheur : non seulement parce qu’elle a ouvert une décennie de chaos (années 1990), mais aussi parce que, de nombreux États n’ayant que faire de répondre aux exigences démocratiques, elle a élargi la voie à la concurrence et à la montée en puissance de nouveaux acteurs.

 

Une nébuleuse d’acteurs étatiques ou privés agit désormais en Afrique sans réelle coordination, mais vient empiéter sur des «parts de marché» traditionnellement françaises. Ce recours à des tiers est accentué par une compétition géostratégique toujours plus forte. Ainsi, au-delà de la concurrence chinoise souvent évoquée en matière économique, des pays dits «avancés» du continent ont joué leur va-tout.

 

Ce fût le cas de l’Algérie, du Soudan ou de l’Afrique du Sud, dont de nombreux natifs ont pu constituer et constituent encore l’épine dorsale des gardes présidentielles des pays les plus vulnérables. Des acteurs non africains se multiplient également comme les Pays-Bas, Israël ou encore la superpuissance américaine (AFRICOM ), et savent répondre à la demande en s’adaptant aux nouvelles menaces (lutte contre le terrorisme et les trafics) . Plus récemment, les Américains ont participé à la formation de bataillons d’intervention rapide en République démocratique du Congo ou au Cameroun, dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Ce dispositif pourrait encore s’élargir avec la mise en place d’un point d’appui en Afrique occidentale, à Dakar.

Il apparaît donc que la France, au-delà de la réorganisation interne de sa coopération, a principalement fait face à la rigidité des structures africaines (traditionnelles et étatiques) comme à une concurrence internationale accrue. Au sein d’une Afrique hyper sollicitée par une offre internationale manquant de coordination, la France dispose toutefois de perspectives favorables à exploiter.

 

Malgré la remise en cause de ses actions, la France demeure le seul acteur de long terme et réalise encore des réussites à moindre coût, ce qui est d’ores et déjà le cas avec certains programmes incluant la concurrence. Une stratégie globale doit toutefois valider ce nouveau rôle de centralisation/coordination des actions.

La France présente toujours de nombreux succès en matière de coopération. Tout d’abord en matière de coûts : la coopération dans la bande sahélienne représente ainsi 70 personnes pour un coût de 20 millions d’euros. Il serait intéressant de mettre en parallèle le rapport coût/efficacité avec celui de l’opération Barkhane.

 

Dans cette même région, l’action de la France se renouvelle avec la mise en place du projet ACTS qui constitue une nouvelle façon de concevoir la coopération. Ce projet pilote a pour principe de lier sécurité et développement (dans une approche globale), de partir des besoins du terrain et enfin de proposer à d’autres pays de s’associer au programme. Les écoles nationales à vocation régionale (ENVR) constituent enfin une excellente réussite. Ces dernières sont en effet adaptées aux besoins locaux avec une scolarité qui s’appuie sur la réalité du terrain africain .

 

Le modèle actuel, basé sur le concept éprouvé de RECAMP, peine toutefois à agir sur toute la largeur du spectre d’une menace devenue plus violente, hybride et transnationale. La contribution française est devenue inadaptée tant quantitativement (moyens réduits) que qualitativement (besoins en formation évoluant vers des domaines jusqu’alors inexploités) .


Dans ce cadre, les sociétés militaires privées – sur le modèle d’ACOTA – deviennent une solution à laquelle la France ne s’interdit pas le recours, en tout cas pour certains domaines onéreux ou non réalisables (3D, santé, logistique lourde). Ainsi, les ESSD , longtemps dévolues à la protection des entreprises internationales, se retrouvent régulièrement en pointe dans la formation d’armées étrangères désireuses de s’affranchir des puissances occidentales . Si la France considère que la formation doit demeurer majoritairement une fonction régalienne, un «partage du fardeau» est a minima envisageable , sous réserve qu’il soit maîtrisé.

 

Face à cette profusion d’acteurs, étatiques ou non, la France peut espérer jouer un rôle de coordination/centralisation, rendu possible par sa crédibilité, son dispositif et sa légitimité. Ceci à une condition toutefois: que cette coopération passe au-dessus de la distorsion ressentie – y compris du point de vue des Africains – entre sa partie structurelle (DCSD) et sa partie opérationnelle (MINDEF) . Le Quai d’Orsay ne semble ainsi pas offrir d’orientation stratégique claire alors que le CEMA fait clairement de l’Afrique un enjeu stratégique via une directive précise et régulièrement mise à jour.

 

La finalité de la formation des forces terrestres demeurant leur engagement opérationnel, il y a donc une nécessaire continuité entre coopérations structurelle et opérationnelle . Or, ni les stratégies, ni les projets, ni l’organisation budgétaire ne laissent présager d’une telle action d’ensemble. Il semble donc urgent de faire converger les projets de chacun tout en s’appuyant et responsabilisant plus avant les échelons opératifs et régionaux. C’est désormais le dialogue avec les niveaux décisionnels et de conception qui semble à privilégier, à savoir par exemple la contribution à l’architecture de paix et de sécurité en Afrique.


Forte de nombreux succès par le passé, la France a vu son primat dans la formation des forces terrestres africaines remis en cause par des moyens alloués contraints, une menace fluctuante et une concurrence, étatique ou privée, accrue. Elle demeure toutefois le seul acteur global dont le dispositif pré-positionné et la présence de long terme lui garantissent crédibilité et légitimité dans cette action qui doit être renouvelée, tout en restant dans l’esprit du concept RECAMP éprouvé.


Un terreau fertile et source d’émulation, pour l’Afrique et pour les pays qui la soutiennent, pourrait être la lutte contre le terrorisme qui permettrait de basculer d’une situation d’attentisme à la reprise de l’initiative.

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- Saint-cyrien de la promotion «Général Béthouart», le Chef de bataillon MOROT choisit de servir au sein des troupes de marine. Il effectue sa première partie de carrière au 1er RIMa comme chef de peloton, puis commandant d’unité, période pendant laquelle il est projeté à quatre reprises. Il a par ailleurs servi au régiment du service militaire adapté de la Martinique de 2007 à 2009. Affecté à l’EMSOME entre 2012 et 2015, il sert en qualité de chef de cellule DOM-COM et instructeur Antilles. Il est, depuis le 7 mars 2016, stagiaire au CSIA.
- Saint-cyrien de la promotion «Général Béthouart», le Chef de bataillon PUPPO choisit de servir au sein des troupes de marine. Il effectue sa première partie de carrière au 21ème RIMa comme chef de section, puis commandant d’unité, période pendant laquelle il est projeté à quatre reprises. Il a par ailleurs servi au régiment d’infanterie de marine du Pacifique-Polynésie de 2006 à 2008. Affecté à l’EMSOME entre 2012 et 2015, il sert en qualité de chef de cellule Afrique centrale et océan Pacifique. Il est, depuis le 7 mars 2016, stagiaire au CSIA.

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Bibliographie
- «L’Afrique noire est mal partie», René Dumont éditions du Seuil, 2012;
- «Le syndrome Foccart. La politique française en Afrique de 1959 à nos jours», Jean Pierre Bat, Gallimard, 2012 ;
- «Histoire de la décolonisation au 20ème siècle», Bernard Droz, éditions du Seuil, 2006 ;
- «Les évolutions récentes de la coopération militaire française en Afrique», Tibault Stéphène Possio, éditions Publibook, 2006 ;
- «La coopération franco-africaine en matière de Défense», Abderrahmane M’Zali, L’Harmattan 2012 ;
- «La politique de sécurité de la France en Afrique», sous la direction de Pierre Pascallon, L’Harmattan 2006;
- Rapport n°87/DEF/IGAA/DR – 27/DEF/IGAT/DR du 29 février 2016 sur la cartographie de la coopération militaire en Afrique.

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Titre : La participation de la France à la mise sur pied des forces terrestres étrangères depuis la décolonisation
Auteur(s) : chefs de bataillon MOROT et PUPPO
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