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Le commandement opérationnel et la complexité, de quoi parle-t-on aujourd’hui ? 2/4

Le processus de prise de décision au sein d’un état-major opérationnel aujourd’hui
Histoire & stratégie
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« La guerre m’a appris la nécessité, pour réussir, d’avoir un but, un plan, une méthode. Pour avoir un but, il faut savoir ce que l’on veut, pour faire un plan, il faut savoir ce que l’on peut. [...] Avoir un but est de règle générale, élémentaire dans la vie journalière, pour arriver à un résultat quelconque. Choisissez vous-en un. Faites-vous un plan. Établissez votre programme. Et avec cela, ayez de la suite dans les idées, concentrez vos efforts, ne dispersez pas votre attention. »12 - Ferdinand Foch


Dans la compréhension des stratégistes modernes, le concept de Command and Control correspond au volet théorique d’un ensemble de moyens et de processus permettant la gestion de grands systèmes complexes humains, conçus pour être engagés dans des opérations dont les objectifs se rapportent à des enjeux forts, voire vitaux. Le command recouvre l’expression créatrice de la volonté d’un chef, nécessaire à l’accomplissement d’une mission et fait appel à son intelligence et à son intuition. Le command relève de l’art du commandement, tandis que le control qui s’appuie sur des organisations, des structures, des méthodes et des techniques, relève de la science du commandement. Le control vise à la mise en œuvre des leviers d’action à engager pour atteindre des buts et gérer la contingence, c’est-à-dire les risques et les opportunités se présentant en cours d’action. Si cette distinction est concep­tuellement séduisante, la pratique montre que les deux notions ne sont toutefois pas toujours aussi clairement différenciées. La performance du C2, nous l’avons vu, est fondamentalement liée à la notion de prise de décision avant et en cours d’action. Elle repose sur une capacité permanente d’acquérir, puis synthétiser rapidement l’information strictement nécessaire, et jamais suffsante, permettant la conception (command) puis la conduite de l’action (control). La prise de décision à la guerre, davantage que dans le monde des entreprises, implique la prise en compte d’un adversaire manœuvrant. L’une des finalités de la prise de décision opérationnelle consiste donc à contrer la manœuvre de l’adver­saire pour le vaincre. Il est nécessaire pour cela de concevoir en amont la façon de saisir puis, en conduite, de conserver l’initiative, consubstantielle à la liberté d’action face à l’adversaire. La perfor­mance du C2 implique donc de facto une capacité de réaction et d’adaptation face à des risques ou des opportunités apparus en conduite. Cette performance impose enfin, une capacité de pro­duire, recevoir et transmettre plus rapidement que l’adversaire, informations et ordres, afin d’adapter la manœuvre en cours. La décision opérationnelle a donc pour objet de mettre en permanence en adéquation des buts avec des ressources détenues, dans un environnement incertain et évolutif, face à un ou des adversaires, eux aussi manœuvrant et réactifs. Cette mise en adé­quation suppose un engagement séquencé, efficient, souple et modulaire de ressources généralement comptées, dans l’espace physique et dans les champs immatériels. La performance repose ainsi sur des aptitudes humaines, une organisation et des capaci­tés techniques, permettant de produire une pensée opératoire et adaptative. Ces aptitudes et ces capacités correspondent à ce que l’on appelle un système de commandement.

On l’a vu précédemment, la prise de décision à la guerre vise à :

mettre en adéquation des ressources disponibles avec un but à atteindre fixé par un échelon supérieur, dans le temps et avec un rapport coût efficacité maximal et une prise de risque minimale ;

mais également à saisir toutes les opportunités permettant d’empêcher l’adversaire d’atteindre ses propres objectifs (destruction, neutralisation par pat, diversion) ;

contrer les actions de l’adversaire visant à nous empêcher d’atteindre nos objectifs ;

duire l’impact des imprévus de l’environnement opéra­tionnel sur notre action.

Ce sont donc ces finalités qui sous-tendent l’organisation d’un état-major opérationnel (ou poste de commandement) et son fonctionnement, afin de permettre des prises de décision autori­sant la plus grande souplesse et le plus de réactivité possible lors de l’élaboration, puis la conduite d’une manœuvre. Il existe trois niveaux de responsabilité au sein d’une telle structure. Le premier est celui de la décision (le chef) et de la direction (le chef d’état-major). Le deuxième niveau est celui de la synthèse, de la coordina­tion et des propositions (le chef de centre d’opérations et les chefs de cellules). Le troisième niveau se rapporte à celui de l’exécution et de la conduite (rédacteurs)13. Pour obtenir efficacité et réacti­vité, la coordination de l’ensemble de ces niveaux est bien entendu primordiale. Par ailleurs, la capacité de disposer en permanence de délais d’anticipation est essentielle pour permettre au chef de prendre des décisions, donner des directives à son état-major, afin de produire des ordres pouvant être exploités correctement par les unités subordonnées. Cette contrainte de délais, ainsi que le souci prioritaire d’optimiser et de rendre complémentaires les actions des vecteurs engagés, impliquent une circulation de l’in­formation permanente et itérative ; une organisation du centre d’opérations sans cloisonnement ; et une capacité pour le chef de prendre des décisions très rapidement. Il en résulte une néces­saire centralisation du travail des cellules, pour assurer une cohé­rence optimale lors de la conduite de l’action, tout en préservant une relative sérénité pour les cellules en charge de l’anticipation. La cohérence de l’ensemble de ces actions repose donc sur des méthodes (CPOE14, COPD, MEDOT), une répartition formalisée des tâches à accomplir (des procédures15) et des processus. Le terme processus vient du latin pro (au sens de « vers l’avant ») et de cessus, cedere (« aller, marcher ») ce qui signifie donc aller vers l’avant, avancer. Le Larousse retient trois acceptions à ce mot. Un processus peut désigner :

un enchaînement ordonné de faits ou de phénomènes, répondant à un certain schéma et aboutissant à quelque chose, le processus d’une crise par exemple;

une suite continue d’opérations, d’actions constituant la manière de faire, de fabriquer quelque chose, les processus de fabrication par exemple ;

la manière qu’un individu ou un groupe, a de se compor­ter en vue d’un résultat particulier répondant à un schéma précis.Depuis son retour au sein de la structure intégrée de l’Alliance, la France a adapté les modes de fonctionnement et les processus internes de ses états-majors, afin de garantir leur interopérabi­lité avec ceux de l’OTAN. Les principaux processus mis en œuvre au sein d’un état-major opérationnel sont donc aujourd’hui liés à l’acquisition de la connaissance (Knowledge development) ; à la planification (planning & refine) ; à la rédaction des ordres et leur contrôle (execute) ; selon les niveaux au ciblage (targeting), aux opérations d’information (Information operations) et à l’évalua­tion opérationnelle des effets obtenus (operational assessment). La coordination de ces processus relève de la responsabilité du chef d’état-major. Elle se traduit par une comitologie générale­ment cyclique et une synchronisation des travaux de l’état-major (battle rhythm), recouvrant toutes les réunions décisionnelles concourant à ces différents processus (Orientation, Scoping, Mis­sion analysis, Decision, etc.).

De façon très conceptuelle, il est possible de décrire succincte­ment comment ces processus, adossés aux phases du cycle OODA rythmant le fonctionnement d’un état-major opérationnel, per­mettent la prise de décision (figure ci-dessous). La première phase du cycle se situe en amont et pendant l’action. Elle se rapporte à ceque l’on nomme le Situation awareness dans la terminologie ota­nienne. Elle consiste à la fois à comprendre le cadre général de l’ac­tion et également à analyser, évaluer le potentiel de l’adversaire et essayer de comprendre ses intentions. Si cette phase se situe au cœur de la fonction « renseignement », dont elle est la raison d’être, elle ne se limite toutefois pas qu’à elle et englobe également tous les acteurs susceptibles de contribuer à la compréhension de l’environnement opérationnel, y compris des acteurs non-mili­taires. Outre la tenue de bases d’informations sur l’ensemble des facteurs susceptibles d’être utilement pris en compte pendant l’action, la fonction « renseignement » est également tenue de contribuer à l’appréciation des situations en cours d’action. La deuxième phase a pour objet de déterminer le mode opératoire le plus efficace, puis d’élaborer les plans d’opérations. Il s’agit de la planification opérationnelle. Cette phase de conception vise à tirer le meilleur parti des faiblesses de l’adversaire et à utiliser au mieux les ressources disponibles pour atteindre un état final recherché. La planification définit les modes d’action et les moyens à mettre en œuvre, et comporte deux volets. En premier lieu, le proces­sus conduit à l’élaboration d’un plan générique, destiné à être décliné en ordres de conduite. Il permet dans un second temps d’élaborer des plans de circonstance (branch, sequel, contingency plans), conçus pour faire face durant la conduite à des risques ou des opportunités inopinées. Alors que la planification doit être par essence extrêmement agile, l’expérience montre que le danger vient souvent d’un plan trop rigide et de l’incapacité culturelle des décideurs de s’en écarter.

Les modes d’action et les dispo­sitifs doivent ainsi être suffisamment souples pour être adaptés sans difficulté aux circonstances imprévues. Ainsi que l’affirmait l’Empereur, « ...le grand art, c’est de changer pendant la bataille. Malheur à celui qui arrive au combat avec un plan de bataille définitif »16. Plus prosaïquement, un combattant américain redou­table dira quelques années plus tard : « Everyone has a plan ‘till they get punched in the mouth »17. La troisième phase du cycle est celle de la conduite de l’action proprement dite. Elle consiste à décrire plus précisément les grandes lignes du plan, afin de les transformer en ordres attribuant les missions aux unités subor­données et définissant précisément les mesures de coordination. Elle se déroule ensuite selon un processus en boucle qui conduit à la rédaction et la diffusion d’ordres de conduite, puis l’observation et l’analyse des résultats, l’évaluation des capacités résiduelles de l’adversaire (battle damage assessment) et de ses réactions. Le cycle est ensuite repris en ajustant au besoin le mode d’action (refine), pour atteindre dans les meilleures conditions et si possible au moindre coût, le but poursuivi. La conduite des actions est l’af­faire du centre d’opérations, qui dispose des moyens de comman­dement et de suivi de la situation en temps réel. Au travers d’un processus d’évaluation opérationnelle (operational assessment), le rôle de la fonction « renseignement » est crucial pour permettre, en temps utile, de déterminer puis éventuellement d’adapter les effets à produire, les buts à atteindre pour guider l’action ; d’identifier chez l’adversaire et chez les forces amies leurs forces faiblesses, risques et opportunités (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats – SWOT). Une prise de décision se conjugue donc forcément avec la mise en place d’un système d’indicateurs permettant de juger de l’atteinte des objectifs que l’on s’est fixés (mesures d’efficacité18 et de performance19, tableau de bord, critères de succès, etc.), et dont la forme s’inspire très largement des systèmes de contrôle de la qualité des entreprises.

La relative simplicité de la figure ci-dessus masque toutefois un aspect fondamental du fonctionnement d’un PC en opérations : la linéarité et la logique séquentielle de ces processus ne sont en fait qu’apparentes. Les aléas, la friction et l’incertitude impliquent en réalité qu’une décision n’est jamais figée, mais en constante réévaluation/adaptation. La collecte permanente d’informations concourant à la prise de décision donne donc à ces processus une forme itérative, incrémentale et non-linéaire. Or, principalement du fait du système de certification OTAN auquel sont soumis nos états-majors depuis quelques années, on constate bien souvent une application stricte, mécanique et parfois sans intelligence de méthodes liées à des processus devenus complexes et trop rigides. La coordination nécessaire à la mise en œuvre de ces processus se traduit finalement par une comitologie à la synchronisation généralement lourde, complexe et chronophage (multiplication des groupes de travail, comités de pilotage, comités de direction, etc.), susceptible de nuire à l’efficacité générale de la structure. Par ailleurs, l’usage immodéré et trop souvent inadapté d’outils bureautiques (Powerpoint, Excel) et de techniques de représen­tation d’environnements complexes (Mind­mapping, schémas, cartes heuristiques, arbre des causes) fait apparaître un véritableproblème qui n’est pas propre aux organisations militaires, mais est également constaté dans le monde de l’entre­prise20. Les états-majors, civils et militaires, peinent en effet à trouver le juste équilibre entre la réduction conceptuelle de la complexité, indispensable à la prise de décision, mais laissant paraître une pensée dénuée de bon sens ; et une représentation trop granu­leuse de la réalité, d’où ne res­sort aucun esprit de synthèse et ne contribuant finalement qu’à une saturation infor­mationnelle du décideur. On prête ainsi au général James Mattis ce propos très pragma­tique : « Powerpoint makes us stupid »21.

 

12 Foch, Ferdinand, cité dans Bugnet, Charles, En écoutant le Maréchal Foch, Grasset, rééd. 2017.

13 Glossaire de l’armée de Terre (EMP 60.641, ex TTA 106), CDEC, édition 2018. Op. cit

14 La méthode de renseignement de l’OTAN, adoptée par l’armée française depuis 2012 est la Comprehensive preparation of the operational environment(CPOE).

15 Standard operating procédures (SOP).

16 Bonaparte, Napoléon, Maximes de guerre et pensées de Napoléon Ier, librairie militaire Jacques Dumaine, 1863, (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k864783), rééd. Hachette, 2012.

17 Mike Tyson à la veille de son fameux combat contre Evander Holyfield en juin 1997.

18 Measures of effectiveness (MoE).

19 Measures of performance (MoP).

20 Bumiller, Elisabeth, We Have Met the Enemy and He Is PowerPoint, New York Times, 26 avril 2010. https://www.nytimes.com/2010/04/27/world/27powerpoint.html

21 Citation apocryphe du général James Mattis, qu’il aurait prononcée à la suite d’un point de situation en Afghanistan.

 

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Titre : Le commandement opérationnel et la complexité, de quoi parle-t-on aujourd’hui ? 2/4
Auteur(s) : Colonel Fabrice CLÉE, chef du pôle études et prospective
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