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Le commandement opérationnel et la complexité, de quoi parle-t-on aujourd’hui ? 3/4

La complexité : que trouve-t-on finalement derrière les concepts ?
Histoire & stratégie
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Les systèmes de commandement modernes sont donc entravés dans les opérations, par une très grande complexité qui n’est pas uniquement liée à celle de l’environnement, mais également bien souvent aux systèmes et à l’organisation du commandement eux-mêmes. Cette complexité, variable selon les contextes toujours singuliers des différents engagements, peut être caractérisée soit par une porosité, soit par un cloisonnement entre niveaux déci­sionnels, entre milieux, entre contributeurs à la résolution des crises, entre effets cinétiques et actions informationnelles, et entre chaînes fonctionnelles au sein d’un même état-major.


Cet état defait est en outre amplifié par une complexification croissante de la mise en œuvre des outils d’aide au commandement (systèmes d’information et procédures) ; un accroissement des besoins en expertises requises pour acquérir, traiter les informations esti­mées nécessaires à la prise de décision, générant lui­-même une inflation des données ; à une dissociation croissante entre les tempos opérationnels, médiatiques et politiques ; et enfin à la prise en compte accrue des implications juridiques et média­tiques des opérations. Encore une fois, ces constats peuvent être variables d’un engagement à un autre. L’exercice est donc toujours délicat lorsqu’il s’agit de discerner des tendances marquantes, au travers des comptes rendus et des retours d’expérience des états-majors engagés en opérations ces deux dernières décen­nies. Il convient donc de rester prudent et mesuré quant aux conclusions immédiates susceptibles d’en être tirées. Sans avoir la prétention de tous les couvrir, cette partie vise donc à décrire les facteurs de complexité avérés, caractérisant les structures de commandement opérationnel actuelles en France.

Intéressons-nous dans un premier temps à la problématique des niveaux décisionnels. La distinction classique depuis le milieu du XXe siècle, et intellectuellement très confortable, de trois niveaux distincts (stratégique, opératif et tactique), permet en principe d’établir les responsabilités et de clarifier les champs d’action de l’ensemble des acteurs impliqués dans la conception et la conduite des opérations. Cette différenciation permet ainsi d’organiser la prise de décision, en fonction généralement d’une logique de théâtres d’opérations, des prérogatives de chacun et des enjeux en cours. Pourtant, dans certaines circonstances, le niveau tac­tique peut temporairement échapper au contrôle du stratégique et de l’opératif, en raison de l’urgence d’un déploiement initial, comme ce fut le cas lors du déclenchement de l’opération Serval au Mali, début 2013. Ainsi, en raison d’élongations, de problèmes de communications, ou simplement de la rapidité du mouve­ment, notamment dans les phases dynamiques d’une manœuvre, les niveaux décisionnels classiques peuvent être mécanique­ment cloisonnés. Néanmoins, les engagements français récents montrent qu’en réalité, ces niveaux peuvent plus généralement être imbriqués à des degrés très divers et fluctuants, au point que même en les différenciant géographiquement, ou en les identifiant à des entités particulières dans la chaîne décisionnelle (CPCO22 – PC de théâtre – composantes – unités tactiques), leurs interactions peuvent être marquées par une grande porosité. De fait, les effets produits au niveau tactique sont susceptibles d’avoir des répercussions aux niveaux supérieurs (caporal stratégique23), ce qui peut naturellement générer une tentation d’entrisme du niveau supérieur dans la conduite des opérations par des niveaux subordonnés. La nature variable de cet entrisme est généralement liée à l’importance des enjeux recouverts et peut aboutir à un véri­table micro­management. C’est ce que l’on qualifie d’écrasement des niveaux, lorsqu’un niveau supérieur accapare certaines des missions de ses subordonnés. Cette tentation de remise en ques­tion de la notion de subsidiarité est variable selon la personnalité des responsables situés à chaque niveau, mais est permanente et de plus en plus facilitée par les progrès technologiques. Cette porosité entre niveaux est en outre encore plus évidente dans le domaine des appuis et du soutien interarmées, en particulier pour ce qui relève de l’appui et du soutien aérien, du renseigne­ment, des SIC, de la logistique et du soutien. Elle est généralement liée à la rareté des ressources et des vecteurs engagés, parfois simultanément dans plusieurs opérations. Cette rareté implique généralement une gestion centralisée et rarement intégralement déléguée aux niveaux tactiques.

Ainsi, les niveaux opératif ou stra­tégique sont amenés à coordonner, synchroniser et réguler l’oc­troi de ces ressources comptées, au profit d’acteurs tactiques qui se voient dès lors, privés de la souplesse et de la liberté d’action nécessaires à la réalisation de leur mission. Cet état de fait génère bien souvent des frictions entre bénéficiaires potentiels, impose de facto une planification lourde, des mesures de coordination rigides et parfois d’importantes réarticulations, qui ne sont pas toujours comprises par les échelons subordonnés. Les logiques doctrinales « menant/concourant » ou « soutenant/soutenu » et une approche par les effets à obtenir, sont bien souvent insuffi­santes en planification, comme en conduite, pour éviter des cris­pations au sein de la Force, lorsqu’il s’agit de prioriser l’attribution de vecteurs comptés. Réimposer des niveaux de décision clairs et affirmés, apparaît souvent comme une solution séduisante, mais s’accommode mal de la souplesse nécessaire, imposée par les réa­lités propres à l’environnement géographique, et surtout politi­co-stratégique, de chaque opération. Le concept américain de la bataille multi-domaines prônant des décloisonnements natifs des niveaux décisionnels, apporte à ce titre des perspectives intéres­santes à étudier, si tant est qu’elles soient transposables aux sys­tèmes de commandement français. Réduire la complexité passe donc nécessairement par une clarification des rôles de chacun et ne peut faire l’économie d’un regain de subsidiarité accordé à chaque niveau subordonné, pour le moment bien souvent mise à mal. Si ATF24 insiste de façon explicite sur l’impératif d’une préser­vation de cette subsidiarité dans la performance du commande­ment, on peut néanmoins légitimement s’interroger sur l’aspect incantatoire de cette assertion. La rareté des moyens consentis en opérations et les capacités croissantes de communication, apportées par les nouvelles technologies étant deux tendances qui ne devraient en principe pas fondamentalement évoluer dans le futur.

Un deuxième facteur de complexité lié à nos architectures de commandement actuelles, relève d’une certaine confusion sémantique contribuant au manque de lisibilité des différents niveaux décisionnels25, en particulier lorsqu’il s’agit d’engage­ments dans un cadre multinational. La superposition des chaînes C2 nationales et celles de l’alliance concernée (coalition ad hoc,OTAN ou ONU), génère bien souvent une complexité que ne résout pas forcément l’adoption des standards otaniens. Des compréhen­sions différentes et des applications différenciées de la terminolo­gie OTAN, pourtant agréée par toutes les nations contributrices, est souvent à l’origine de frictions, parfois même entre et au sein des composantes d’un même contingent national. Qu’en est-il précisément ? La nécessité d’adopter le principe de modularité dès la fin des années 1990 et le retour dans la structure intégrée de l’Alliance ont amené la doctrine française à intégrer pour des raisons d’interopérabilité, un certain nombre de concepts ota­niens et leur terminologie, s’appliquant désormais également au commandement des opérations nationales. Selon la doctrine26, le commandement peut ainsi s’exercer de trois manières. Il peut être qualifié d’intégral, d’opérationnel et de tactique. Le commande­ment intégral est « le pouvoir militaire et la responsabilité dont un commandant est investi pour donner des ordres à des subordonnés. Il couvre tous les aspects des opérations et de l’adminis­tration militaires et n’existe que dans les armées nationales ». Il s’applique à tous les niveaux depuis le CEMA en France jusqu’aux commandants d’unité. Le commandement opérationnel (OPCOM) est « le pouvoir conféré à un chef d’assigner des missions ou des tâches à des commandants subordonnés, de déployer des unités, de réattribuer des forces et de conserver ou déléguer le contrôle opérationnel (OPCON), le commandement tactique (TACOM) ou le contrôle tactique (TACON) si nécessaire ». Ce pouvoir ne com­prend pas de responsabilités administratives. L’OPCOM permet à un commandant d’utiliser séparément les composantes des uni­tés affectées, mais il ne l’autorise pas à modifier l’organisation de base d’une unité au point où celle­ci ne puisse pas se voir assigner une nouvelle tâche ou être redéployée. Un commandant exer­cera généralement l’OPCOM par l’intermédiaire de commandants de composantes subordonnées d’une force opérationnelle. Le TACOM est l’« autorité déléguée à un commandant pour attribuer des tâches aux forces placées sous son commandement, en vue de l’accomplissement de la mission ordonnée par l’autorité supé­rieure ». TACOM a une portée moins grande que l’OPCOM, mais il comprend le pouvoir de déléguer ou de conserver le TACOM/TACON. Le contrôle peut être exercé aux niveaux opérationnel, tactique ou admi­nistratif. L’OPCON est le « pouvoir délégué à un commandant de diriger les forces attribuées de manière à pouvoir accom­plir des missions ou des tâches particu­lières habituellement limitées de par leur nature, quant au lieu ou dans le temps ; de déployer lesdites unités et de conser­ver ou déléguer le contrôle tactique de ces unités ». Les commandants peuvent déléguer à leur tour l’OPCON et le TACON des forces affectées. L’OPCON permet aux commandants de bénéficier de l’emploi immédiat des forces affectées sans avoir à obtenir l’assentiment d’une autorité supérieure. Le TACON est la « direction et contrôle détaillés des mouvements ou manœuvres nécessaires pour exécuter les missions ou les tâches assignées ».

En général, le TACON n’est délégué que dans les cas où deux ou plu­sieurs unités, qui ne sont pas placées sous le même OPCON, sont réunies en une unité tactique cohésive pour une période particu­lière. Le contrôle administratif (ADCON) est la « direction ou auto­rité exercée sur des formations subordonnées ou autres en ce qui concerne les questions administratives telles que l’administration du personnel, les ravitaillements, les services et autres problèmes ne faisant pas partie des missions opérationnelles de ces forma­tions subordonnées ou autres ». Avouons que le besoin d’intero­pérabilité à l’origine de ces distinctions sémantiques ne contribue pas forcément à la lisibilité et à une compréhension innée de cette terminologie. Dans les faits par ailleurs, cette normalisation a indûment contribué à attribuer à chaque échelon hiérarchique l’exclusivité d’un niveau d’autorité particulier générant, là encore, des tensions entre les différents niveaux de responsabilité opéra­tionnelle, et une complexification de l’organisation du comman­dement en découlant. Cette situation est parfois rendue encore plus complexe avec la superposition de plusieurs chaînes différen­ciées, dans une même zone d’opération. C’est ainsi le cas avec la chaîne de commandement des forces spéciales et celle de la com­munication opérationnelle, toutes deux dépendant directement du niveau stratégique. Ainsi, la liberté d’action d’un chef tactique dans sa propre zone de responsabilité, peut se voir sérieusement entravée par des opérations décidées par l’EMA et pour lesquelles il sera fréquemment amené à prendre, au minimum, des mesures de « déconfliction» et dans les cas les plus contraignants, à fournir des appuis ou un soutien, remettant parfois en question le dérou­lement de sa propre manœuvre.Le troisième facteur majeur de complexification des processus de prise de décision est lié au cloisonnement persistant entre milieux des opérations, et en particulier entre le milieu aérien et le milieu terrestre. Théorisé par l’italien Douhet, décliné en modes opératoires par les américains Mitchell, puis Marshall, l’emploi décisif de la puissance aérienne a émergé, d’abord avec la guerre d’Espagne puis, lors de la Seconde Guerre mondiale avec le Blitzkrieg allemand. L’emploi intensif de l’aviation, soit de manière autonome et au niveau stratégique (bombardements straté­giques), soit en appui des forces terrestres où leur contribution fut souvent déterminante (franchissement de la Meuse en mai 1940, opération Cobra en juillet 1944, arrêt de l’offensive allemande dans les Ardennes en janvier 1945) a permis d’établir le besoin, dès l’après-guerre de formaliser une coordination air-sol que les grands penseurs de l’arme aérienne n’avaient pas initialement envisagée. La notion de combat aéroterrestre s’est ainsi confir­mée lors des conflits israélo-arabes, puis définitivement inscrite dans le paysage doctrinal avec l’avènement de la doctrine amé­ricaine Air-land Battle dans les années 1980, puis sa consécration lors des opérations dans le Golfe persique en 1991. Popularisé par Guynemer, Clostermann, Tanguy et Laverdure et les productions hollywoodiennes, le combat aérien fait une large place dans l’ima­ginaire collectif aux affrontements tournoyants et aux missions de chasse.

Pourtant, les engagements des forces aériennes occiden­tales des trois dernières décennies ont en réalité été principale­ment caractérisés par la généralisation de frappes aériennes au sol très rapprochées et très précises. La médiatisation omniprésente des opérations implique en effet désormais, de réduire au maxi­mum les dommages collatéraux et les risques de tirs fratricides. Ainsi, hormis des missions de ciblage stratégique, la grande majo­rité des actions aériennes de combat conduites en Irak, en Afghanistan, en Afrique subsaharienne ou en Libye, a consisté à appuyer les troupes au sol, ou frapper des objectifs terrestres dans la pro­fondeur pour préparer l’action des troupes amies. Pour autant et dans les faits, la mise en œuvre de cette coordination air-sol indis­pensable ne s’effectue pas sans frictions, notamment en France. Ainsi que le souligne en 2010 le général de corps d’armée aérienne Gaviard27, « ...les opérations aériennes ont, depuis la fin de la pre­mière guerre mondiale, été principalement conçues et contrôléesd’une manière centralisée et exécutée d’une manière décentralisée. Pour des rai­sons liées principalement à leurs caracté­ristiques propres et aux cibles qui leur sont allouées par le commandant de théâtre, les opérations aériennes sont planifiées aujourd’hui d’une façon très centrali­sée. La polyvalence des vecteurs aériens modernes renforce encore cette centra­lisation.

Toutefois cette hypercentralisa­tion peut se révéler nettement insuffi­sante quand il s’agit de missions d’appui direct aux forces terrestres. Ces missions sont actuellement planifiées en «série » par les responsables terre d’abord, puis air ensuite et non d’une manière inté­grée ».Cette hypercentralisation justi­fiée par la rareté des vecteurs aériens et par la complexité de la coordination des intervenants dans la troisième dimension (aéronefs pilotés, drones, artillerie), débouche mécaniquement sur un cloisonnement des processus de planification propres à chaque milieu et dont les tempos diffèrent notablement. De fait, les forces opérant directement dans le milieu terrestre souffrent parfois en conduite, d’un manque de souplesse et de réactivité tactique, pour obtenir des effets dont ils ne contrôlent pas les vec­teurs nécessaires à leur réalisation.

Dans ce champ à nouveau, le concept des opérations multi-domaines américain28 prend acte de ce cloisonnement des milieux et l’étend aux autres dimensions du champ de bataille (cyber, espace, maritime), en établissant des propositions concrètes, visant à décloisonner ces milieux. L’armée de Terre française pour sa part, propose avec ATF et au travers des expérimentations conduites pour élaborer la future doctrine Scor­pion, de consolider des capacités intégratrices déjà existantes, pour agréger au plus bas niveau tactique des capacités de com­mand & control inter­milieux.

 

 

22 Centre de planification et de conduite des opérations.

23 Le « caporal stratégique » est une notion développée par le général Charles C. Krulak, dans un article du Marine Corps Gazette traitant du concept de Three Blocks War en 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/usmc/strategic_corporal.htm

24 Action Terrestre Future : demain se gagne aujourd’hui, op. cit.

25 L es lecteurs intéressés pourront utilement se référer à un article très éclairant du colonel Christophe de Lajudie, proposant une vision tranchée et per­sonnelle de ces notions devenues complexes. OPCON, TACON... comme la lune ? Les transferts et délégations d’autorité : confusion et contradictions. https://www.penseemiliterre.fr/plugins/cdec/pdf/to_pdf.php?entry=268

26 Glossaire interarmées de terminologie opérationnelle, CICDE, édition 2013. Op. cit

27 Gaviard, Jean-Patrick, La problématique du C2 : contexte et enjeux, Actes des Ateliers du CESA du 8 mars 2010 : Commander les opérations aériennes : vers un nouveau C2 ?, Penser les ailes françaises,2011.https://aa-ihednmidi-pyrenees.org/IMG/pdf/Presentation_Beauvois_sur_l_espace_en_2011.pdf28C lée, Fabrice, Le concept Multi-Domain Battle. Que peut-on déduire des études de l’US Army et l’US Marine Corps sur l’évolution du combat interarmes au XXIe siècle ? Lettre de la doctrine n° 11, CDEC, 2018. https://www.penseemiliterre.fr/ressources/30091/01/lettre-11.pdf

28C lée, Fabrice, Le concept Multi-Domain Battle. Que peut-on déduire des études de l’US Army et l’US Marine Corps sur l’évolution du combat interarmes au XXIe siècle ? Lettre de la doctrine n° 11, CDEC, 2018. https://www.penseemiliterre.fr/ressources/30091/01/lettre-11.pdf

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Titre : Le commandement opérationnel et la complexité, de quoi parle-t-on aujourd’hui ? 3/4
Auteur(s) : Colonel Fabrice CLÉE, chef du pôle études et prospective
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