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Le concept de guerre asymétrique: une réalité stratégique?

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Les guerres irrégulières ne sont pas nouvelles. Quatre siècles avant notre ère, Sun Zi les avaient déjà théorisées dans ses Treize articles sur l’art de la guerre. Au Xème siècle, l’empereur byzantin Nicéphore Phokas leur avait consacré un traité. En 1808, la guérilla des Espagnols contre Napoléon rappela leurs possibilités. En pleine Guerre froide, le commandant G.Brossolet[1] en avait même suggéré l’emploi contre les vagues d’assaut communistes sur l’Europe de l’Ouest.

Depuis la guerre du Vietnam, les stratèges américains utilisent cependant un nouveau mot pour les désigner: asymétrie. Les évènements stimulant les réflexions, l’expression a, depuis, abouti à la définition d’un nouveau concept. En 1995, le Pentagone l’a intégré dans sa doctrine interarmées[2]. Aujourd’hui, il caractérise grossièrement une guerre du «faible au fort»[3].

 

[1] «Essai sur la non-bataille», commandant G. Brossolet, 1975

[2] Dans le cadre du programme «Army after Next»

[3] «La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur», J. Baud, 2003


À la première analyse, ce concept peut paraître prétentieux, au point de vouloir réinventer la guerre. Il n’en est rien. Les stratèges américains l’ont pensé pour préparer et adapter leur pays à un nouveau contexte d’engagement. En soulignant une mutation importante du visage de la guerre, leur réflexion a initié une évolution importante du modèle stratégique occidental.

 

Genèse, définitions et limites du modèle

Aux États-Unis, l’asymétrie définit tout ce qui entrave le rendement maximal de l'appareil militaire classique. Lorsque le terme apparaît officiellement, son sens est initialement très limité: il caractérise l’opposition entre forces de milieux différents (force aérienne contre force terrestre par exemple). En 1999, la «Joint Strategy Review» infléchit cependant la définition. Elle stipule que l’asymétrie «contourne ou sape les points forts tout en exploitant les faiblesses institutionnelles par l’emploi de méthodes qui diffèrent significativement de celles escomptées. Ses actions visent généralement à obtenir un impact psychologique majeur qui affecte la volonté, la capacité d’initiative ou la liberté d’action de l’adversaire». Cette définition sera globalement reprise, en 2001, par les analystes Steven Metz et Douglas V. Johnson II[1] dans «Asymmetry and U.S. Military Strategy: Definition, Background and Strategic Concepts».

Le vocabulaire utilisé par les Américains engendre cependant des confusions: toute guerre entraîne de facto la recherche de l’asymétrie. «La guerre passée, présente et future est un duel»[2]. Même dans un conflit dit «symétrique», il est illusoire de penser que nos adversaires vont agir comme nous. Possédant leur propre capacité de réflexion, de déduction et d’adaptation, ils vont contourner nos points forts et exploiter nos lignes de «moindre résistance»[3]. À l’instar des archers anglais durant la bataille de Crécy, ils vont se placer sur des champs de lutte que nous refuserons ou n’attendrons pas.

Le concept de guerre asymétrique est également trop englobant. Ses menaces s’étendent du terrorisme à la subversion, en passant par le crime organisé, la guerre de l’information ou encore la prolifération d’armes de toutes sortes. Ce faisant, il mélange allègrement les notions et suggère une représentation unifiée des acteurs, de leurs motivations et de leurs modes d’action. Or, un insurgé irakien ne se combat pas comme un fanatique d’Al Qaïda, un communiste vietnamien, un pirate somalien ou un membre de la Camorra. Contrairement aux Talibans, les trafiquants de drogue n’ont pas intérêt à déclencher des hostilités. Ben Laden n’échange pas ses otages contre des rançons. Le concept des conflits asymétriques ressemble dès lors à un véritable fourre-tout. Il en devient parfois pernicieux.

 

Par sa seule existence, le concept de conflit asymétrique a cependant le mérite de souligner les changements majeurs du contexte stratégique.

«Le contexte, encore le contexte, toujours le contexte!»

Colin S. Gray, 2005

 

En premier lieu, le concept de conflit asymétrique confirme l’évolution récente du visage de la guerre. La mondialisation et le transfert des nouvelles technologies favorisent dorénavant les stratégies irrégulières. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les acteurs asymétriques se sont profondément métamorphosés. Grâce à l’idéologie, leur posture autrefois«tellurique et défensive»[5] est devenue «mobile et offensive». La mondialisation des économies leur a aussi ouvert de nouveaux espaces. Mélangeant habilement éléments anciens et nouveaux, ils jouissent désormais de réseaux nébuleux s’étirant à travers tous les continents. Ceux-ci leur garantissent protection, liberté de mouvement et audience médiatique internationale. Ils leur permettent également de prospérer rapidement par l’exploitation de trafics en tout genre (drogue, pierres précieuses, etc...). Le Faible bénéficie aussi de la diffusion des savoirs. Cette situation décuple sa puissance de feu et sa brutalité. L’exemple du Hezbollah est emblématique: armé avec des systèmes normalement dévolus à des puissances étatiques (drones, missiles filoguidés, etc…), il a mis en échec Tsahal. Cet «insurgé innovant»[6] ne cesse en outre de changer ses modes opératoires, sa communication et sa gestion du sens. L’ensemble lui confère une exceptionnelle force.

Dans le même temps, le relatif désarmement de nos sociétés s’accroît. Le renforcement récent des contraintes juridiques et médiatiques limite sensiblement la liberté d’action du Fort. Lors de l’insurrection malaise de 1953, le général britannique Templer avait rasé des villages entiers pour asseoir sa conquête des «cœurs et des esprits». Cet exemple n’est plus reproductible. En témoignent les mises en accusation d’officiers français lors de l’affaire «Poncet», ainsi que la dernière diffusion de 15.000 documents classifiés de l’armée américaine par Wikileaks… Les sociétés occidentales deviennent, en outre, tellement démilitarisées qu’elles n’arrivent plus à combattre des populations dont le rapport à la mort est si différent du leur. Perdant le sens de la raison, elles déclenchent des guerres qu’elles sont incapables de mener à terme[7]. Dans le même temps, elles recherchent tous les moyens pour les conduire par substitution (robots, sociétés militaires privées, etc...). Cette schizophrénie les place dans des situations inextricables. L’Afghanistan en constitue un exemple.

Dans ce nouvel environnement, les enseignements de l’Histoire ne sont enfin plus transposables. La géographie humaine a en effet profondément changé. Les principes d’auteurs comme D. Galula[8] ou R. Trinquier[9] en deviennent difficilement applicables. En 1954, Alger comptait ainsi 500.000 habitants. Bagdad en regroupe aujourd’hui plus de 4 millions; Kaboul plus de 2,5 millions. Contrairement aux 15% de pieds-noirs de la «Ville blanche», aucune des deux ne compte de citoyen américain. Comment peut-on contrôler de telles villes? Cette remarque vaut également pour l’étude des opérations menées par les Soviétiques en Afghanistan: depuis 1979, la population afghane a plus que doublé.

Face à de telles évolutions du contexte stratégique, les chaînes décisionnelles occidentales sont en crise. «Peinant à distinguer et à appréhender les menaces»[10], elles rencontrent les plus grandes difficultés à trouver la bonne adéquation des fins et des moyens[11]. Piétinant dans des conflits sans fin, toutes sont à la recherche de solutions et adaptent «sous le feu» leur outil de défense. Le concept de conflit asymétrique trouve ici toute sa pertinence.

 

Le concept de guerre asymétrique dépoussière surtout nos modèles stratégiques et initie leur évolution.

«Une des conséquences fortes de cette mutation est l’élargissement du spectre des missions».

Général Desportes, «La guerre probable», 2007

 

Le concept de conflit asymétrique rappelle tout d’abord que la supériorité absolue est une vulnérabilité. Aujourd’hui, plus aucun État n’a ni le poids ni la taille voulus pour défier les Américains. En raison des budgets consacrés, ceux-ci vont en outre conserver leur avance militaire pendant longtemps. Selon B. Courmont[12], «c’est ce décalage qui est à l’origine de la résurgence de l’asymétrie»: face à une telle domination, toute tentative d’affrontement est vouée à l’échec. Il devient donc logique de recourir aux stratégies indirectes pour trouver un autre champ de lutte. Par leur concept, les Américains suggèrent ainsi que l’hégémonie peut aussi représenter une faiblesse. Pragmatiques et réalistes, ils préparent conceptuellement leur opinion publique au terrorisme.

En ouvrant le spectre des conflits vers des espaces jusque-là volontairement limités ou oubliés, le concept de guerre asymétrique permet aussi de mieux appréhender les stratégies «hors limites»[13]. Il rappelle que l’ennemi combat sans nos règles et dans des espaces que nous n’imaginons pas: la guerre ne vise pas à détruire des chars, mais bien une volonté. Les politiques sont de facto les premiers concernés par les conséquences des conflits asymétriques. Responsables de la «stratégie totale»[14], ils doivent constamment jongler avec l’ensemble des effets[15] à produire, dans des proportions imprévues et sans cesse variables. Contraints d’adapter rapidement le modèle de forces, l’économie et la société à ce «nouvel art de la guerre»[16], leur prise de conscience a engendré de profondes mutations au sein des forces armées américaines. Dans le domaine de l’équipement, la logique de guerre froide et ses programmes de long terme ont été relativisés. Le type d’armement a aussi été modifié[17]. En parallèle, le Pentagone a instauré des procédures d’acquisition accélérées. À l’aune des théories du lieutenant-colonel J. Nagl[18], le retour d’expérience a été amélioré. L’apparition et la diffusion de la COIN[19] témoigne d’une réelle volonté d’infléchir une culture institutionnelle trop marquée par l’affrontement des blocs.

Le concept de conflit asymétrique contribue enfin à soutenir les efforts de défense. En saturant les modèles d’armées classiques, les «guerres hybrides»[20] rappellent qu’aucune spécialisation de notre outil de défense n’est possible. Contraintes de couvrir tout le spectre des menaces, les armées occidentales ne peuvent plus échanger de l'effectif contre de la technologie. Stoppés dans leur idéologie des «dividendes de la paix», les politiques sont invités à revoir leurs stratégies et rééquilibrer les efforts de défense. Après les attentats du 11 septembre 2001, les Américains ont ainsi massivement relancé leurs efforts de guerre (leurs budgets militaires étaient en baisse constante depuis la chute du mur de Berlin).

«Il ne faut pas ignorer la guerre asymétrique ou irrégulière: elle demeurera encore longtemps dans le champ de la guerre, parce qu’elle est complexe, et qu’elle correspond bien à un monde épais»[21]. Malgré ses approximations et confusions, le concept de conflit asymétrique a donc bel et bien un sens pour nos sociétés: en les plaçant face aux guerres probables, il les contraint à penser en dehors de leurs guerres passées ou rêvées. Vecteur d’adaptation et de renforcement, il leur rappelle que la guerre n’est pas «morte»[22].

Il faut néanmoins veiller à ce que ce concept ne simplifie pas trop la complexité de la guerre. Cette dernière est en effet non-linéaire. Elle a sa propre vie. «Elle est loin d’obéir aux seules lois de la rationalité»[23]. Les guerres irrégulières ne revêtent donc pas de caractère absolu. «Seule notre capacité à conduire la guerre classique en diminue l’occurrence»[24]. La surprise stratégique a toujours existé et existera toujours. La théorie de la guerre révolutionnaire de Mao Zedong nous invite d’ailleurs à y réfléchir: sa dernière phase ne se termine-t-elle pas par un affrontement conventionnel?

 

[1] «Asymmetry and U.S. military Strategy: Definition, background and Strategic Concepts», Steven Metz et Douglas V. Johnson II, 2001

[2] «La guerre au XXIémesiècle: un nouveau siècle de feu et de sang», Colin S. Gray, 2005

[3] «Stratégie», L. Hart, 1941

[4] «La guerre au XXIémesiècle: un nouveau siècle de feu et de sang», Colin S. Gray, 2005

[5] «Théorie du partisan», Carl Schmidt, 1963

[6] «Les guerres bâtardes», A. de la Grange et J.M. Balencie, 2008

[7] Ce constat est valable en termes politiques, financiers et sociologiques.

[8] «Contre-insurrection: théorie et pratique», D. Galula, 1963

[9] «La guerre moderne», R. Trinquier, 1961

[10] «Le nouvel art de la guerre», G. Chaliand, 2008

[11] Les États-Unis continuent à avoir une vision plus militaire que politique dans leur conduite de la guerre. À l’inverse, les Européens reconnaissent les menaces globales mais diminuent leurs capacités de défense.

[12] «Les guerres asymétriques: conflits d'hier et d'aujourd'hui, terrorisme et nouvelles menaces», B. Courmont, 2002

[13] «La guerre hors limite», Qiao Lang et Wang Xiangsui, 2003

[14] «Introduction à la stratégie», général Beaufre, 1963

[15] Politiques, militaires, diplomatiques, économiques, médiatiques, psychologiques et culturels…

[16] Par référence à «La guerre hors limites» de Qiao Lang et Wang Xiangsui

[17] Le programme FCV a été abandonné; la commande de F22 réduite. En revanche, les Américains se sont équipés de drones. Ils ont aussi encouragé le développement de moyens de surveillance et de contrôle de foule.

[18] «Learning to eat soup with a knife», J. Nagl, 2002

[19] Counter-insurection

[20] «Conflict in the 21st Century: the rise of hybrid wars», F. Hoffman, 2007

[21] «L’épaisseur du monde», F. Heisbourg, 2007

[22] Pour reprendre l’expression du Général Le Borgne.

[23] «La guerre probable», Général Desportes, 2007

[24] Ibid

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Titre : Le concept de guerre asymétrique: une réalité stratégique?
Auteur(s) : le Chef de bataillon Cédric FAYEAUX
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