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Le général Beaufre, "Einstein" de la stratégie.

Histoire & stratégie
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Ecrivant dans ses mémoires de guerre -"En économie, non plus qu'en politique ou en stratégie, il n'existe, à mon sens, de vérité absolue."- le général de Gaulle mettait en exergue l'extrême complexité inérente à certaines disciplines d'étude. La stratégie, art majeure de la pensée, n'échappe pas à cette réalité et rares sont ceux qui surent se poser en vulgarisateurs éclairés. Le général André Beaufre en fut et a livré à la postérité une formule par trop méconnue qui pourtant, comme le E=mc2 d'Einstein, ouvre grandes les portes de la compréhension au plus grand nombre.  


 

Toutes les écoles de guerre citent à l’envie les grands stratégistes historiques que sont Clausewitz, Sun-Tzu, Mahan, Jomini et consorts. Ces penseurs de la guerre dont les  réflexions constituent un socle culturel dont il n’est pas envisageable de faire fi. Pour autant, l’apprentissage de la grande théorie de la stratégie cède rapidement la place à une transposition réaliste aux conflits actuels, empreints d’affrontement asymétrique, de lutte anti-terroriste internationalisée, d’analyse systémique complexe, de comprehensive approach. Tant et si bien que d’autres grands indétrônables s’imposent : Trinquier, Galula, Petraeus, Lyautey. Vient ensuite la litanie des courants de pensée : historique, constructiviste, réaliste… Pour qu’au final n’apparaisse au béotien que la terrible conclusion du fait que la stratégie est une science-art d’une telle complexité qu’il est quasiment impossible d’en fournir un modèle.

 

Or dans cet enchevêtrement de concepts, de théories, de références historiques, tous pertinents mais si difficiles à embrasser dans leur globalité et plus encore à appliquer au monde mouvant qui est le nôtre, il semble que les travaux du général Beaufre soient passés presque inaperçus. On les cite bien sûr dès lors qu’il est question de dissuasion nucléaire ou de guérilla. Mais in fine, on ne rend que rarement hommage au génie de celui qui a laissé au monde une définition de la stratégie sous la forme d’une équation dont la simplicité et la fulgurance ne sont pas sans rappeler le E= Mc2 d’Einstein.

 

S = K x F x Ψ x T

 

(Stratégie d’un Etat = Facteurs spécifiques de l’Etat X Forces matérielles X Forces immatérielles X Temps)

 

La force de cette équation s’exprime principalement sur trois niveaux :

 

- En premier lieu, elle sonne la fin de l’antique affrontement conceptuel et idéologique entre les wardeniens acharnés ne pensant la stratégie d’un Etat qu’au travers des facteurs de puissance et les défenseurs d’une approche fondée sur le champ de la perception. Les forces matérielles (bombes, chars, appareil de production…) et les forces immatérielles d’une Nation (moral, résilience, capacité d’influence…) ne représentent plus l’alpha et l’oméga de la Stratégie. Quiconque veut approcher la Stratégie se doit, depuis Beaufre, de sortir de son aveuglement idéologique afin d’embrasser avec le même sérieux et la même acuité ces deux approches, devenues des piliers et non plus l’édifice lui-même.

 

- Plus encore, en accordant à cette équation un coefficient de pondération K[1] (« facteur spécifique »), il réconcilie l’ensemble des grands familles de stratégistes engagées il y a encore peu dans une lutte de pouvoir fratricide et quelque peu surannée. Ce fameux facteur K que les mauvais esprits pourraient  définir comme une espèce de « fourre-tout » indéfini, offre bien au contraire à qui veut comprendre le monde, la possibilité de s’appuyer sur les résultats les plus pertinents de chaque modèle d’analyse stratégique, sans en rejeter aucun par biais idéologique. Plus qu’il n’offre cette possibilité, il en impose l’impérieuse nécessité afin d’approcher la vérité. Ainsi, voulant comprendre la stratégie d’un pays comme l’Egypte, l’approche géographique insisterait sur plus de 4 000 ansd’une organisation socio-politique intégralement basée sur le rapport économique et affectif au Nil. L’approche historique nous porterait à prendre en compte l’extrême intrication entre l’exercice du pouvoir et l’armée dont la période mamelouke est la représentation connue d’un fait ancestral remontant aux origines pharaoniques (le général Horemheb a succédé à Toutankhamon près de 1300 ans avant JC). L’approche sociologique nous pousserait ……Autant d’angles de vue dont la pertinence est indéniable et dont il n’est pas envisageable de faire l’économie afin de tirer des conclusions sur la stratégie d’un pays. C’est bien ce regroupement des analyses en un seul et même tout cohérent et signifiant que permet le facteur K.et afin que de répondre définitivement aux détracteurs de cette notion, nous répondrons qu’elle n’est de nos jours ni plus ni moins que le laboratoire au sein duquel s’effectuent les analyses systémiques que toutes les armées modernes réalisent afin d’élaborer leur comprehensive approach.

 

- Enfin, le général Beaufre a donné ses lettres de noblesses à une notion quasi systématiquement oublié des analystes, stratégistes, géopolitologues : le temps.  Un facteur primordial pour comprendre pleinement la stratégie de l’autre. C’est exactement l’erreur commise par les soviétiques lors du conflit afghan. Là où la pression populaire imposait au gouvernement de Moscou d’obtenir des résultats rapides, le chef moudjahidin Amin Wardak combattait avec comme philosophie « je savais qu’on gagnerait. Peut-être pas moi, mais mon fils ou mon petit-fils »[2]. Ne pas prendre en compte le facteur temps, mais également la manière dont l’autre approche ce facteur cléconstitue une faute majeure. D’autant que l’époque présente, post révolution d’internet, se définit par une contraction drastique du temps, qui se compte en nanosecondes dans les transactions boursières jusqu’à quelques heures dès lors qu’il s’agit de l’opinion publique devenue particulièrement versatile. Tout Etat se doit de composer avec le temps dans l’élaboration de sa stratégieafin de détecter les futures faiblesses internes ainsi que les asynchronismes avec son environnement, tout autant qu’il doit saisir comment son rival (fusse-t-il économique) envisage son propre rapport au temps (Chine). Toute pensée stratégique qui omettrait ce facteur clé prendrait la teinte d’un exercice intellectuel hors sol dont la conséquence incontournable est l’inefficacité, dans le meilleur des cas. C’est de cet écueil dont l’équation de Beaufre nous prémunit.

 

In fine, le général Beaufre a su, aplanir les divergences conceptuelles, offrir un domaine d’expression à l’analyse systémique et réintroduire la fondamentale notion de temps. Et ce en érigeant comme piliers incontournables de la pensée stratégique 4 facteurs d’égale importance alors que de nature diverse. Ce faisant, il livre ainsi à ce que Platon appelait le plus grand nombre, comme aux spécialistes les plus avertis un outil dont la redoutable simplicité d’utilisation permet d’analyser le monde en alliant exhaustivité et honnêteté intellectuelle.

 

Cette équation de vérité, à porter au crédit de cet esprit brillant que fut le général Beaufre, comme le fut Einstein en son temps, mérite nous semble-t-il, d’être érigée au rang dans grandes réalisations intellectuelles du vingtième siècle. Ne fait pas mentir Aldous Huxley qui veut :

 

« Si élégante et ami de la mémoire qu’elle soit, la concision ne peut jamais, dans la nature des choses, rendre compte de tous les faits concernant une situation complexe ».

 

                                                         Préface de « Retour au meilleur des mondes,

 

Aldous Huxley, 1958.

 

[1] « k un coefficient propre au cas particulier résultant de la conjoncture locale et générale. »

Beaufre, André. Stratégie de l'action (French Edition) (p. 142).

[2] Cahier de la Recherche doctrinale, « les soviétiques en Afghanistan » , p76

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Titre : Le général Beaufre, "Einstein" de la stratégie.
Auteur(s) : ces.Sébastien.Giordano
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