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Le manque d’agilité de l’armée française

3/3 - Revue militaire n°55
Histoire & stratégie
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Le sol de la péninsule est inhabituel à celui foulé ordinairement par les aigles impériales et particulièrement favorable à la guerre d’embuscade.


« …Abruptes montagnes à sentiers de chèvres, des fondrières, des rochers, des défilés, des rivières sans ponts, des précipices. Pas de guide. Le pire c’était la pauvreté. De quoi vivaient-ils dans ce pays ? Pas plus de bétail que de beurre. Nous dévorions des distances nues en traversant des villages vides. Tout le monde filait vers les montagnes. Les enfants nous crachaient au visage… » rapporte un soldat. Le terrain n’a rien à voir avec le sol de l’Italie, la vallée du Danube, les plaines de Pologne. Les généraux engagés en Espagne étaient habitués à « de l’étendue », « de l’horizon » et à « de l’adversaire ».

 

En Espagne, ces trois notions font défaut. Partout, les vallées sont étroites et l’horizon se termine par des montagnes. Sur un tel terrain, la « guerre éclair » n’existe pas. L’enveloppement, qui est le fond de la tactique impériale, est impraticable. L’espace de manoeuvre est restreint. Il en résulte des manoeuvres par échelon, fatigantes et sans résultat. L’ennemi peut alors se replier et n’offre que son arrière-garde. Avec la mer, il devient insaisissable. Telles sont les retraites de John Moore en janvier 1809 et de Wellington à plusieurs reprises. De la mer, les Anglais interviennent à l’aide de leurs batteries. Ainsi, une escadre anglaise soutient les troupes assiégées de Tarragone (4 mai-28 juin 1811). D’autre part, comme l’écrit Napoléon, l’art de la guerre consiste à se disperser pour vivre et à se rassembler pour combattre. Mais pour se disperser et vivre, il faut des routes, des villes riches, des campagnes approvisionnées. C’est ce que l’on trouve dans les plaines d’Allemagne. En Espagne, les montagnes qui obligent à la dispersion, sont un obstacle pour la concentration. Ainsi, dans la péninsule ibérique, Napoléon ne trouve pas son échiquier ordinaire. Lui sait s’adapter et il le prouve lorsqu’il intervient en personne. Le problème est qu’il laisse à ses lieutenants le soin de faire la guerre. Or, ces derniers ne connaissent que celle à laquelle il les a habitués. À la limite, on peut considérer que le pays est défendu plus par la nature que par ses habitants.

 

Napoléon s’entête à vouloir résoudre le problème espagnol par la force militaire. Marbot écrit dans ses mémoires : « Napoléon méprisa trop longtemps les nations de la péninsule et crut qu’il suffisait de montrer des troupes françaises pour obtenir d’elles tout ce qu’on voudrait. Ce fut une grande erreur14 ». Il serait faux de croire que devant cette guerre interminable, des officiers ne se sont pas interrogés sur la manière la plus adaptée de la mener : fallait-il user de la rigueur à l’encontre de la population pour la convaincre de ne pas aider les guérilleros, ou tenter de se la concilier par des mesures de clémence ? À cette question, Clermont- Tonnerre, l’un des meilleurs chroniqueurs de cette guerre, répond que la clémence est une erreur, il faut se faire craindre, mais il ajoute : « ...il faut joindre à la sécurité une justice exacte, une probité sévère et le maintien de la discipline dans les troupes ». C’est ainsi que la Manche et Grenade jouissent, sous le général Sébastiani d’une grande stabilité. Il en est de même des royaumes de Cordoue et de Jaen, sous le général Dessolle « doué d’une grande douceur naturelle, mais qui sait être sévère par humanité même ». Desboeufs nommé Commandant de Fuentès en 1812, rend visite aux notables, joue avec eux à la manille, va à la messe tous les dimanches, agit en faveur des pauvres.

 

Il parvient ainsi à se concilier les bonnes grâces de la population et obtient des renseignements sur les voleurs qui infestent la ville et qu’il fait arrêter. Girard, commandant la place de Bentazos entretient de si bonnes relations avec la population qu’elle le prévient d’une attaque qui se prépare. Cette conduite habile et humaine de certains officiers est malheureusement annihilée par les exactions de la plupart des maréchaux et généraux15.

 

Des corps spéciaux voient le jour. Un décret du 6 août 1808 créé trente-quatre compagnies de « miquelets » ou « chasseurs de montagne ». Leur mission : protéger la frontière pyrénéenne. Les jeunes gens sont recrutés dans les départements de l’Ariège, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées- Orientales, des Basses-Pyrénées et de la Haute-Garonne16. Au début de l’année 1809, on compte environ 3 000 chasseurs. Malheureusement et contrairement aux promesses, les bataillons sont dirigés sur l’intérieur de l’Espagne et sont engagés dans le sud du haut Aragon, prenant même part au siège de Saragosse. Cette infraction flagrante aux engagements pris par le gouvernement a pour conséquence une efficacité relative contre la guérilla en raison d’un taux de désertion massif (50 à 75 %). Les opérations de harcèlement contre les soldats français par une population hostile, confèrent à la gendarmerie un rôle particulièrement important.

 

Par un décret du 24 novembre 1809, l’Empereur met sur pied une vingtaine d’escadrons de gendarmes, tout spécialement affectés à la péninsule. Ils sont destinés à tenir le pays au nord de l’Ebre et franchissent les Pyrénées au printemps 1810. L’ensemble présente un peu plus de 4 000 sabres et mousquetons. Leur rôle est à la fois préventif et répressif, du moins au début de leur intervention. Malheureusement, au gré des événements, les gendarmes sont presque exclusivement employés en substitution, plutôt qu’en complément des troupes, sans qu’il soit tenu compte de leur spécialisation. Leur action se montre payante vis-à-vis des chefs rebelles, dont nombre sont arrêtés. Mais l’aspect pacification reste au point mort. Au mois de décembre 1812, les escadrons sont réunis en légions, dissoutes au mois de novembre 1813. On assiste aussi à un usage massif des dragons17, cette infanterie à cheval équipée d’un mousqueton dont les membres, s’ils combattent à cheval, sont également capables de se battre comme des fantassins. À la Corogne (16 janvier 1809), ils mettent pied-à-terre et utilisent leurs armes à feu dans un terrain inadapté aux mouvements de la cavalerie. Durant la guerre d’Espagne, ils sont essentiels à l’armée française dans les opérations d’anti-guérilla, étant utilisés en colonne mobile. Malheureusement, eux aussi finissent par être employés dans des combats de ligne et font défaut à la lutte contre la guérilla.

 

En conclusion, « les affaires d’Espagne » font mal car leur retentissement est énorme. Pour le peuple français, bien éloigné des considérations stratégiques, rien n’impose cette guerre sinon l’ambition dynastique de l’Empereur de « placer sa famille ». L’insurrection du peuple espagnol en mai 1808 n’est pas sans émouvoir les anciens révolutionnaires français de 1792. Pour les Français, il n’y a pas de légitimité d’action dans cette guerre qui ne relève pas de l’héritage révolutionnaire. Une fracture se dessine entre le pouvoir et la nation, tandis qu’en Europe, une vague de nationalisme se dessine contre la France18. La perte de prestige est par ailleurs considérable. Sur les trente-huit batailles majeures qui se déroulent en Espagne, les armées impériales n’en gagnent que vingt, score dérisoire si on le compare à celui de Napoléon commandant-en-chef qui n’en concède que trois sur la soixantaine importante qu’il a livrée. Enfin, la guerre d’Espagne ouvre une école à l’infanterie anglaise où elle va acquérir de nouvelles compétences guerrières et sauve l’Angleterre de la crise économique en creusant une brèche dans le blocus continental.

                                  

 

14 On dirait aujourd’hui qu’il y a eu une absence d’approche globale.

15 Dans son ouvrage « La guerre d’Espagne », Lucas-Dubreton rapporte : « que de ciboires, calices, statues transformés en lingots pour être échangés contre des hôtels à Paris ». Partout, ce ne sont que profanations effectuées dans les églises, notamment à Cuenca et à Cordoue en 1808, à Saragosse en 1809, à Murcie, Grenade et Séville en 1810.

16 Le recrutement est assez singulier puisqu’il s’adresse clairement aux conscrits réfrac­taires qui, une fois inscrits sur les contrôles, voient les poursuites engagées contre eux et contre leurs parents, suspendues.

17 Sur les 30 régiments que compte l’armée française, 25 y sont employés. Statistiques tirées de l’ouvrage de Martinien « Tableaux par corps et par batailles des officiers tués et blessés pendant les guerres de l’Empire (1805-1815) », op. cit.

18 Jean Tulard : « Le Grand Empire », Albin-Michel, 1982.

 

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Titre : Le manque d’agilité de l’armée française
Auteur(s) : le lieutenant-colonel Georges HOUSSET
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Armée