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Le militaire et la société : une approche allemande

Dossier G2S n° 25
L’Armée de Terre dans la société
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La place du militaire dans la société allemande est singulière. Tolérées à leur origine par une société marquée par les ruines de de la guerre et la défaite de 1945, les forces armées allemandes ont été progressivement adoptées. Mais une certaine méfiance vis-à-vis du militaire subsiste dans un environnement plus soucieux de prospérité économique et de confort que d'action politique et militaire.

 

La place du soldat allemand dans la société est marquée par la réduction, autant que faire se peut, de toute singularité « militaire », l'adoption d'un profil lisse, et une perméabilité certaine aux influences extérieures, qui permet en retour une participation non négligeable des élites militaires aux orientations et décisions en matière de politique de défense, tandis qu'un faisceau d'associations influentes représentent les préoccupations et les intérêts des militaires et du monde de la défense au sein de la société.


 

 

Le poids de l'Histoire : des soldats « tolérés » après deux siècles de « militarisme »

 

Tradition prussienne et « État dans l'État »

 

Selon une réflexion attribuée à DIDEROT, les États possèdent des armées, alors que la Prusse de son temps était une armée possédant un État. Le trait est évidemment forcé, mais il reste que l'essor de la Prusse, l'unification allemande et la cohésion de l'Empire des Hohenzollern, doivent beaucoup à une armée totalement dévouée à son souverain et jouissant dans la société d'une situation privilégiée, à côté d'une bureaucratie tatillonne mais agissante, et à partir de la moitié du XIXe siècle, d'une puissance industrielle de premier ordre.

 

Cette situation a perduré en dépit des prescriptions du Traité de Versailles, et l'organisation comme la cohésion de la Reichswehr ont permis la spectaculaire montée en puissance de la Wehrmacht à partir de 1935, marquée certes par l'ambigüité de l'attitude de son encadrement vis-à-vis du national-socialisme, mais rendue globalement responsable de l'écrasante défaite de 1945.

 

 

Pacifisme, effacement, tolérance

 

L'Allemagne, en tant qu'État souverain a disparu en 1945, sa puissance industrielle a été partiellement démantelée, et la création, en 1949, des deux États allemands, à souveraineté limitée, à partir des zones d'occupation respectives est la conséquence de la rivalité des vainqueurs.

 

Ces deux États sont pour plusieurs années (jusqu'en 1955) sous le régime d'occupation, et il n'est pas, à ce stade, question de forces armées allemandes. Les anciens cadres militaires se tournent vers des activités privées dans un espace en pleine reconstruction, et bientôt, dans la partie Ouest, en forte croissance. La tentative du chancelier ADENAUER de mettre sur pied un contingent allemand dans le cadre d'une défense européenne est repoussée par le Bundestag lors de son débat inaugural de politique étrangère les 24 et 25 novembre 1949.

 

Le besoin croissant de sécurité sur la frontière orientale de la République fédérale conduit, en 1951, à la création d'une police fédérale des frontières (BGS), organisée militairement et encasernée, mais relevant du ministère fédéral de l'Intérieur. Sa réplique en RDA, la police populaire encasernée (WP), créée en 1952, est dédiée quant à elle au maintien de l'ordre. L'une et l'autre constitueront le noyau des forces armées recrées plus tard, la Bundeswehr en 1955, la NVA43 en 1956.

 

La reconstitution des forces armées, conséquence, à l'Ouest, de l'échec de la CED44, intervient après dix ans « d’absence militaire » et six ans après la formation des deux États. À l'Est, la NVA est une armée clairement politique, recrutée dans les couches populaires de la population et fortement encadrée par le Parti communiste et les « officiers politiques » présents au sein des unités. Elle est, à son origine, une armée professionnelle, la conscription n'y est introduite qu'en 1962.

 

La Bundeswehr est, en revanche, conçue d'emblée comme une armée de conscription, exclusivement destinée à occuper en nombre un créneau de la défense de l'avant. Les premiers conscrits sont incorporés en 1958, la mise à disposition de l'OTAN des douze divisions de son armée de terre doit être effective en 1959, suivie par celle de la Luftwaffe et de la Bundesmarine en 1960. Les débuts sont difficiles, en raison d'une opinion publique réticente, et de difficultés de recrutement dans une période de forte croissance économique. Il faudra attendre 1962 pour la mise à disposition de la dernière division assignée à l'OTAN. C'est la même année que la Bundeswehr gagnera sa légitimité aux yeux de l'opinion en intervenant, aux côtés des Britanniques et des Américains, dans les opérations de secours lors du raz-de-marée de Hambourg en février 1962 (340 morts).

 

 

Allemagne, champ de bataille de la guerre froide, et « saturation » militaire

 

Le territoire allemand est alors l'enjeu et le champ de bataille potentiel d’une conflagration européenne. C'est surtout la zone de déploiement bien réelle de 26 divisions de l'OTAN et de 30 divisions du Pacte de Varsovie de part et d'autre de la frontière interallemande. Durant presque quatre décennies, l'activité militaire y est intense et les exercices Sy succèdent, générant des nuisances certes réelles, mais surtout bien exploitées, à l'Ouest, par les mouvements pacifistes et antimilitaristes. Sans doute la présence de nombreuses garnisons a-t-elle profité à l'économie locale, mais l'image des militaires, dont ceux de la Bundeswehr, s’en est ressentie. L'implantation des garnisons n'a pas, non plus, facilité les contacts entre la population et ses soldats. La plupart des installations militaires existantes étant utilisées par les forces d'occupation, puis alliées, la Bundeswehr a dû s'établir dans de nouveaux casernements, localisés en fonction des impératifs nés de la frontière artificielle créée par la guerre froide. L'une des conséquences de ces implantations nouvelles, souvent à l'écart des villes, est le développement d'une vie en vase clos et de « ghettos militaires », d'autant que l'évolution de la société, et en particulier le travail des conjoints, a rapidement contribué au développement du célibat géographique, peu propice à l'intégration locale de la communauté militaire.

 

 

Changement de donne et nouveaux défis de l'Allemagne réunifiée

 

La fin de la menace soviétique et de la division du pays a, naturellement, changé la donne, la justification originelle et principale de la Bundeswehr ayant disparu. Le volume théorique des forces allemandes, de 495 000 militaires de la Bundeswehr et 170 000 de la NVA, en 1989, a été brutalement réduit à 370 000 par le traité 4+2, puis a régulièrement décru jusqu'à un minimum de 185 000 en 2016, la Bundeswehr s'étant entretemps (2011) professionnalisée. Parallèlement, l'Allemagne a recouvré en 1990 sa pleine souveraineté et s'est dotée, non sans difficultés de politique intérieure, d'un commandement national et d'une capacité de planification stratégique. La volonté allemande, récente mais affirmée, de jouer un rôle stratégique accru et l'analyse des risques liés à l'instabilité de l'Europe orientale ont inversé la tendance à la baisse des effectifs et conduit à une certaine remontée en puissance de ses forces, l'objectif étant de 192 500 militaires en 2023. Il s'agit là d'un objectif budgétaire, les effectifs réels étant légèrement en deçà. Le problème de l'attractivité des carrières est, en effet, une constante dans l'histoire de la Bundeswehr qui recrute d'ailleurs davantage dans les nouveaux Lânder, ceux de l'Est, que dans les anciens, où le marché de l'emploi est plus florissant.

 

 

Primat du Politique et dilution du militaire dans la société

 

Innere Führung, et Citoyen en uniforme

 

Soucieux d'éviter toute dérive « militariste » et tout rapprochement avec les forces armées du passé, les « pères fondateurs » de la Bundeswehr se sont efforcés de façonner un type de soldat moderne, dont la manière de penser et d'agir ne se singularise en rien de celle de la société civile. Le soldat défendra d'autant mieux la société à laquelle il appartient qu'il sera en parfaite symbiose avec elle, partageant ses valeurs démocratiques et morales. Le principe de l'Innere Führung, et de toute l'organisation qui en découle, vise à l'adhésion volontaire, « de l'intérieur » de l'individu à la cause qu'il défend, et à l'adoption du comportement approprié. C'est un combat permanent, à grand renfort de stages, séminaires et autres activités s'échelonnant dans la formation des militaires comme dans la vie des unités.

 

Tout militaire dispose par ailleurs d'un droit de représentation, tradition remontant aux "Freikorps" de 1918, par l'intermédiaire « d'hommes de confiance » au sein des unités, ayant l'oreille du commandement, et auxquels chacun peut s'adresser sans intermédiaire.

 

Le contrôle parlementaire s'exerce étroitement, et veille au maintien de la ligne politique de la Bundeswehr. Il 'exerce à différents niveaux, à commencer par le stratégique. L'engagement des forces, sauf dispositions d'urgence, étant décidé par le Bundestag qui consent un effectif « plafond » pour chaque opération et pour une durée déterminée. Il se traduit par ailleurs par des visites régulières des unités par les membres de la commission de défense du Bundestag et par l'existence du Wehrbeauftragter, délégué parlementaire à la défense, issu des rangs des députés et qui peut être saisi par tout militaire ou civil de la défense ayant une réclamation à formuler. Ce député produit un rapport annuel sur l'état de la Bundeswehr.

 

Ces dispositions posent naturellement la question des rapports hiérarchiques et de l'exercice des droits et libertés individuels, le soldat étant, par principe, tout autant citoyen que son chef. L'exercice du commandement n'en est pas facilité, mais s'accommode de cet état de chose, aidé sans doute par le sens de la discipline et de l'efficacité qui caractérise nos amis Allemands.

 

 

Participation et engagement des militaires dans la vie politique

 

Le principe du « citoyen sous l'uniforme » inclut la participation des militaires à la vie politique, Le statut des militaires (Soldatengesetz) prévoit que les militaires peuvent exercer tous les droits politiques dont jouissent les autres citoyens, pourvu que leur activité politique ne nuise pas à la « camaraderie », en fait à la cohésion des unités. Ainsi, la participation de militaires à des réunions politiques est autorisée, le port de l'uniforme en ces occasions étant interdit, de même que les activités de propagande à l'intérieur des enceintes militaires.

 

Un militaire peut exercer des fonctions électives, mais ces fonctions ne peuvent être opposées au bien du service, par exemple une désignation pour une opération extérieure. Le statut militaire ne s'oppose pas à l'appartenance à une organisation ou un parti politique, et un profil « politique » n'est pas forcément nuisible à une carrière. Un cas extrême est celui de l'ancien CEMA, le général Harald KUJAT, ancien commandant d'un bataillon d'instruction de la Luftwaffe, dont la carrière s'est partagée entre les états-majors de l'OTAN et l'EMA, dans l'ombre de personnalités du SPD, en particulier les ministres LEBER, APEL, et SCHARPING, dont il a commandé l'état-major de planification avant d'exercer les fonctions de Generalinspekteur de 2000 à 2002.

 

 

Stratégie, politique et connivences

 

Participation des militaires aux décisions stratégiques

 

Sous l'autorité du ministre de la Défense, chef des armées en temps de paix, le CEMA (Generalinspekteur) et l'EMA (FüS) ont progressivement pris une place prépondérante au sein du ministère.

 

Depuis 2012 (décret de Dresde), le CEMA est responsable de la planification générale, de la préparation opérationnelle et de la conduite des engagements. Il a ainsi la haute main sur l'ensemble de la planification, y compris les équipements, et l'EMA constitue un département ministériel, au sein duquel 1 125 militaires et 1 566 civils (au 30 septembre 2019) se partagent les responsabilités.

 

La longévité des différents CEMA dans leurs fonctions, souvent plus de cinq ans, et l'homogénéité de leur cursus, la plupart étant issus de l'artillerie et de l'arme blindée de l'armée de Terre, semblent en cohérence avec la nécessaire visibilité en matière de planification et le poids économique de l'industrie de défense.

 

 

« Lobbying » et poids économique

 

Les prérogatives de l'EMA en matière de planification de défense lui donnent une position singulière vis-à-vis d’une industrie de défense d'autant plus liée aux commandes nationales qu'elle est limitée par un strict contrôle des exportations.

 

Plusieurs cercles ou groupes d'influence réunissent ainsi militaires, politiques et industriels, dont émergent des personnalités telles que Ewald Heinrich von KLEIST (1922-2013), rescapé de la conjuration du 20 juillet 1944, membre fondateur de la « société pour la politique de sécurité » (GSP), actuellement forte de 7 300 membres, et initiateur de la conférence annuelle de Munich longtemps désignée et connue sous le nom de Wehrkunde, ou « Davos de la sécurité ».

 

 

Le poids des réservistes : l'association des réservistes de la Bundeswehr [VdRBwJ

 

Le système de recrutement des cadres militaires, et notamment des officiers, comme contractuels, avant d'accéder, pour environ d'entre eux, au statut de militaires de carrière, a pour effet de multiplier le nombre de cadres réservistes, retournant à la vie civile après une douzaine d'années sous l'uniforme.

 

L'association des réservistes de la Bundeswehr (Verband der Reservisten der Deutschen Bundeswehr), fondée en 1960, est l'interlocuteur agréé par le Bundestag pour toutes les questions relatives aux réserves.

 

Forte de 113 500 adhérents (fin 2018), regroupés en 3 000 sections territoriales, dont 21 musiques militaires, elle publie le mensuel "Loyal", tirant à 128 000 exemplaires et se charge, entre autres, de l'organisation des activités propres à la réserve. Outre la cotisation annuelle de ses membres (30 É), le Reservistenverband est financé par le budget de la défense à hauteur de 17,3 M€, destinés à couvrir ses frais de personnel (225 permanents) et d'administration (100 permanences sur le territoire).

 

Depuis 1960, dix-sept présidents se sont succédé à sa tête, dont deux officiers généraux, et des officiers supérieurs du grade de commandant à colonel. Neuf d'entre eux étaient membres du Bundestag, dont la totalité depuis 1991.

 

 

Un lien pour la communauté de défense : l'association de la Bundeswehr (Deutscher Bundeswehrverband, [DBwV])

 

L'association de la Bundeswehr est une association professionnelle fondée en 1956 et ouverte aux militaires et civils de la Bundeswehr en activité, aux retraités et aux familles. Elle compte environ 200 000 membres. Environ 65% des militaires en activités sont membres du DBwV.

 

Le Bundestag et le gouvernement fédéral sollicitent sa participation, au titre d'organisation représentative des militaires, lorsqu'ils légifèrent dans les domaines touchant aux intérêts des militaires et de leurs familles. L'association s'efforce quant à elle d'influer sur les débats parlementaires et les décisions gouvernementales. Ainsi le DBwV est-il intervenu dans toutes les questions relatives au statut des militaires, s'est trouvé à l'origine de certaines mesures, comme la création du corps des officiers techniciens, s’est prononcé à propos de l'égalité hommes-femmes dans la Bundeswehr, a milité pour l'égalité des soldes entre les anciens et nouveaux Lânder, et a participé aux discussions sur le financement des opérations extérieures, en obtenant l'amélioration des prestations au profit des blessés et de leurs ayants-droits.

 

Le DBwV publie, à l'attention de ses membres, le mensuel "Die Bundeswehr", diffusé à 155 000 exemplaires, dont l'influence dépasse largement le cercle des adhérents, et a créé un certain nombre d'organismes et de fondations, consacrés à l'entraide des militaires en difficultés, à la formation politique, l'éducation à la citoyenneté, l'approfondissement de l'Innere Führung. Il a également développé des activités à caractère social, économique et commercial (prêts à taux préférentiels, centrale d'achats).

 

Soucieux de représenter le monde de la défense, le DBwV s'est ouvert, en son temps, aux anciens soldats de la NVA dont environ 10 000 ont rejoint ses rangs sur les quelque 40 000 que comptait, à sa disparition en 1990, l'éphémère association professionnelle des militaires est-allemands. Son président, élu, est un officier supérieur en activité, ce qui ne l'empêche pas de compter parmi ses membres plusieurs officiers généraux, en activité ou non.

 

Le montant significatif de la cotisation mensuelle (12 € pour le personnel en activité, tarif réduit pour certaines catégories), qui inclut une protection juridique et une assurance responsabilité civile obligatoire, donne à l'association les moyens d'une certaine indépendance et ceux de rayonner au-delà du monde militaire.

 

 

Un type d'intégration singulier

 

Après le traumatisme des deux guerres mondiales, nées dans la douleur et davantage tolérées qu'acceptées par une population plus soucieuse de paix et de confort que d'aventures militaires, les forces allemandes ont longtemps été l'objet d'un conflit de légitimité au sein d'une société divisée, et vivant mal sa séparation entre deux États antagonistes.

 

Aussi, le statut du soldat de la Bundeswehr, citoyen en uniforme, résulte-t-il d'un compromis entre une volonté politique soucieuse de bannir tout retour au « militarisme » et les impératifs opérationnels supposant discipline et cohésion des unités.

 

La fin de la guerre froide, la réunification et le recouvrement de la pleine souveraineté allemande ont changé la donne et la Bundeswehr, initialement contingent intégré à une alliance défensive, est devenue l'instrument régalien d'un État aux ambitions stratégiques nouvelles et progressivement affirmées.

 

La situation des militaires allemands reste toutefois marquée par la volonté politique d'atténuer tout particularisme du soldat par rapport à la société, une forte perméabilité des armées aux influences extérieures, le strict contrôle parlementaire et l'autocontrôle que constitue l'Innere Führung.

 

Mais cette perméabilité permet en retour aux militaires d'exercer, dans leurs fonctions, tant sur le plan de la stratégie et la planification de défense que sur celui des équipements, une influence non négligeable, tandis que le monde militaire au sens large, active, réserve, familles, retraités, employés civils, peut compter sur un tissu d'associations qui contribuent efficacement à défendre ses préoccupations et promouvoir ses intérêts.

 

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[43] Nationale Volksarmee (armée populaire nationale), fut de 1956 à 1990 1'armée de la République Démocratique Allemande.

[44] Communauté Européenne de Défense.

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Titre : Le militaire et la société : une approche allemande
Auteur(s) : Le général (2S) Olivier de BECDELIÈVRE
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