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Le monde actuel en perspective macro-historique

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Les réflexions en cours dans le cadre du nouveau Livre blanc subissent visiblement l’influence de la philosophie dite post-moderne de refus des systèmes de pensée. Il s’ensuit une vision des choses sans appui sur le passé profond et à court terme. L’objet de cette fiche est donc, très modestement, de replacer les débats en cours dans le temps long et de faire appel à de grandes théories historiques et économiques (Toynbee, Kennedy, Kondratiev) pour apporter des éclairages originaux.


État universel chinois et puissances hégémoniques occidentales

Au XIVème siècle, l’Ancien monde est dominé par deux modèles: l’Empire chinois de la dynastie Song et l’Occident chrétien. Entre ces deux pôles, dont aucun ne dispose de la puissance critique suffisante pour s’imposer à l’autre, on trouve des puissances secondaires (Perse, royaumes indiens, Moscovie, Empire turc) et hors de ce système international des zones entières sont plus ou moins «hors de l’Histoire» (Afrique sub-saharienne, Amérique)[1]. Ces deux grands centres de puissance sont de natures très différentes qui permettent d’illustrer deux théories de l’évolution politique.

L’empire chinois est un «État universel» au sens de l’historien britannique Arnold Toynbee, c’est-à-dire qu’il a réussi à dépasser le stade de la compétition entre les «Royaumes combattants» pour unifier son espace culturel sous l’égide d’un pouvoir politique central[2]. La Chine impériale obtient ainsi la stabilité mais au prix de la perte d’un certain dynamisme par manque de compétition. Le corpus de pensée stratégique, philosophique ou politique est ainsi fixé avant l’unification du IIIème siècle avant JC et n’évolue ensuite que par affinement. La guerre perdure mais non pas selon un schéma «horizontal» entre États concurrents mais «vertical» entre un centre dominant et des provinces périphériques qu’il faut maintenir dans «l’ordre»[3]. En 1700, le PIB chinois représente 22% du PIB mondial.

Pendant ce temps, l’Europe reste au stade des «royaumes combattants» en compétition permanente pour l’hégémonie locale. Cette compétition, qui amène régulièrement le continent au bord de la ruine complète, est également un moteur puissant qui pousse les nations à rechercher de nouvelles ressources hors d’Europe, en Afrique, aux Indes et surtout aux Amériques. Ces grandes découvertes amènent d’abord la fortune et la primauté au Portugal et à l’Espagne, jusqu’à ce que, selon le processus décrit par Paul Kennedy, les nécessités stratégiques et le poids des dépenses militaires les ralentissent. Un challenger occidental plus dynamique passe alors au premier plan jusqu’à ce qu’il atteigne à son tour la «surexpansion stratégique» et décline (Pays-Bas, France, Royaume-Uni)[4].

D’une manière plus générale, le capital de richesse acquis aux Amériques permet aux principales nations européennes de «décoller» industriellement et, tout en poursuivant la compétition, de surpasser en puissance tous les autres États du monde, y compris l’Empire chinois[5]. Ce processus de compétition entre nations de plus en plus puissantes s’achève par l’«apocalypse européenne de 1914-1945[6]» et l’élargissement de la compétition «à l’occidentale» à l’ensemble du monde, avec les États-Unis comme puissance dominante et l’URSS puis, plus modestement, le Japon comme compétiteurs. Au milieu des années 1980, cette nouvelle grande puissance présente à son tour les symptômes d’essoufflement décrits par Kennedy puisque le budget militaire américain atteint 6,5% du PIB[7]. Les États-Unis, qui représentaient 50% du PIB mondial en 1945 n’en représentent alors plus que 25% et les déficits commerciaux et budgétaires sont énormes. Le déclin américain semble inéluctable.

 

Du déclin américain à l’«hyperpuissance»

Les États-Unis sont finalement sauvés en interne par la réforme de l’appareil de production, l’investissement massif dans la haute-technologie puis le début de la libéralisation des échanges financiers et à l’extérieur par deux «divines surprises»: la panne de l’économie japonaise et surtout l’implosion de l’URSS. Comme, au même moment, la Chine est en pleine phase de transition post-maoïste et que l’Union européenne n’a pas de cohérence politique, ils passent d’un seul coup et par défaut au statut d’«hyperpuissance», c’est-à-dire un «État universel» toynbien dont l’hégémonie peut s’étendre sur le monde entier.

En jouant du hard power (Golfe 1991, Bosnie 1995) et surtout du soft power (contrôle économique par le FMI, l’OMC ou la Banque mondiale, contrôle stratégique par l’OTAN, contrôle médiatique, moyens de surveillance, etc.), les États-Unis entreprennent alors le modelage (shaping) d’un «nouvel ordre mondial» selon leurs principes, valeurs et intérêts. Ils en occupent le «milieu», à la manière de la Chine classique, entourés de puissances secondes alliées et de «nouveaux barbares» à la périphérie.

Ce nouveau monde, comme celui de l’apogée de la compétition occidentale au début du XXème siècle, est ouvert et unifié par une série de flux commerciaux, médiatiques, humains et financiers qui provoquent très rapidement trois sortes de tensions qui se nourrissent mutuellement. Les premières sont politiques avec un processus de démocratisation qui place de nombreux États dans le stade intermédiaire où ils ont perdu la stabilité de l’autoritarisme sans avoir encore celle du jeu des pouvoirs et contre-pouvoirs des démocraties établies. Dans ce contexte fragilisé, le nouveau capitalisme se comporte comme une seule et gigantesque institution financière (puisque tous les comportements convergent) s’imposant à un appareil productif fragmenté, avec comme objectif unique l’enrichissement de 300 millions d’actionnaires (pour beaucoup américains). Il s’ensuit une grande volatilité des capitaux à la recherche de profits à court terme, source de crises violentes[8], et une forte pression sur les salaires, source de tensions sociales. Géographiquement, le processus favorise le système financier américain (qui attire les capitaux) et les pays périphériques qui fournissent l’appareil productif physique (et qui attirent les investissements)[9]. Socialement, ce nouveau capitalisme profite beaucoup plus à la classe des spéculateurs qu’à la classe des producteurs. La vision marxiste d’exploitation du travail par le capital tend ainsi à devenir une réalité au XXIème siècle[10]. La dernière source de tension provient enfin du décalage entre la vision «occidentalo-centrée» (et même américano-centrée) omniprésente dans les médias du monde entier et la vie réelle de la grande majorité de l’humanité.

Toutes ces tensions ont fini par créer un regain de nationalisme et la formation d’un «front du refus», notamment en Amérique du Sud ou en Russie. Elles ont créé aussi une multitude de «poches de colère»[11], bidonvilles géants, ghettos, banlieues pauvres, territoires occupés, zones tribales, où se regroupent les laissés pour compte de la mondialisation et les rebelles à leur État et/ou aux valeurs dominantes occidentales. Ces poches prolifèrent dans les régions périphériques comme dans les pays riches, jusqu’au centre même (le «prolétariat intérieur», souvent d’origine immigrée, dont parle Toynbee), formant un réseau relié par les flux de la mondialisation. Ces zones deviennent les métastases d’un cancer lorsqu’elles abritent des ONG rebelles, aux profils variés depuis les mafias jusqu’aux proto-états, qui agissent en prédation ou en réaction à ce qu’elles perçoivent comme des agressions.

 

Les guerres verticales américaines

Dans ce contexte, la phase de séduction de l’«État universel» américain a rapidement fait place à une phase de coercition qui, à l’instar de la Chine classique, s’assimile bien plus à du «maintien de l’ordre» mondial qu’à des affrontements interétatiques «horizontaux». De fait, à partir de 1999, le soft power défaillant fait de plus en plus place au hard power, avec, bien sûr, une accélération après le choc et l’instrumentalisation des attaques du 11 septembre 2001[12]. Le nombre de  conflits dans le monde qui tendait à diminuer au début des années 1990 repart à la hausse, de même que les dépenses militaires.

Dans cette accélération du cycle coercition-réaction, les Américains sont désormais en difficulté. La volonté de modelage du Moyen-Orient a sécrété des adversaires qui pratiquent localement une guerre totale et ont trouvé les failles d’un outil militaire américain directement hérité de la guerre froide et plus conçu pour les guerres horizontales clausewitziennes. Les États-Unis se découvrent ainsi largement impuissants face à des organisations comme les Talibans, l’Armée du Mahdi, ou le Conseil consultatif des Moudjahidin d’Irak, tandis qu’un de leurs principaux alliés, Israël, est mis en échec par le Hezbollah en juillet 2006.

Cet enlisement survient alors que le poids militaire américain (50% des dépenses mondiales) est désormais presque le double de son poids économique (27% du PIB mondial, chiffre à la baisse). Ces dépenses militaires (1.483 € par américain, dont 400 pour la guerre en Irak, contre 479 pour un Français), auxquelles il faut ajouter les coûts indirects de la guerre en Irak (plus de 2.000 milliards de dollars selon l’économiste Joseph Stiglitz), commencent à approcher le seuil d’essoufflement. 

 

Les nouveaux «royaumes combattants»

Ce début de «surexpansion stratégique» survient à un moment où les challengers à l’hégémonie recommencent à apparaître, par contrecoup des effets, positifs et négatifs, de la mondialisation américaine et grâce à un retournement de cycle Kondratiev[13] qui les favorise économiquement[14]. Comme à la fin du XIXème siècle, la mondialisation, plus conséquence que cause d’un affaiblissement des États, a eu pour effet de réveiller les nationalismes. On voit ainsi réapparaître les anciens empires, russe et chinois, mais aussi des puissances oubliées comme l’Inde et des nouveaux riches comme le Brésil. Leurs croissances très fortes s’accompagnent d’un accroissement parallèle des instruments de puissance. Les budgets militaires russes et chinois évoluent ainsi au rythme d’un doublement tous les cinq ans.

On voit aussi se dessiner de nouveaux blocs constitués d’un centre, d’un «étranger proche», au sens russe, et d’intérêts périphériques qui ne manqueront pas d’interférer et donc, surtout dans un contexte de ressources comptées et de problèmes écologiques aigus, de déboucher sur des affrontements. Comme chacun de ces blocs dispose d’un arsenal nucléaire, le scénario le plus probable est celui d’un retour à un système de «royaumes combattants» sous forme de «guerre froide multipolaire», avec la coexistence de confrontations horizontales non violentes (la course au pétrole dans le Grand Nord par exemple) et de guerres verticales pour le maintien de l’ordre et des intérêts (comme en Tchétchénie). Comme pendant la première guerre froide, ces deux axes se confondront souvent selon un jeu subtil[15].

L’attitude des États-Unis sera alors déterminante. Ils disposent encore d’un écart de puissance très favorable[16] mais celui-ci tend à se réduire. Pour le maintenir, ils se sont engagés dans un double effort militaire visant à maintenir une nette supériorité «horizontale» sur les rivaux potentiels (par le bouclier anti-missile par exemple) et «verticale» pour la protection de leurs intérêts et valeurs. Cet effort risquant de les faire basculer définitivement en situation de «surexpansion», ils seront sans doute amenés à revenir sur la stérilisation stratégique qu’ils ont imposée à leurs alliés pour les amener à contribuer plus activement à une défense commune de l’Occident.

 

Quelle place pour la France dans la nouvelle guerre froide?

Bon élève de la mondialisation des années 1990, l’Union européenne a combiné le libre-échangisme anglo-saxon et la neutralité nordique. Elle est désormais à contre-courant d’une Histoire qui loin d’être finie voit le retour de puissances dotées de politiques économiques et stratégiques nationales.

Ancienne superpuissance et moteur un temps de l’idée d’«Europe puissance» (à condition d’en prendre le leadership), la France est devenue une nation frustrée, engluée dans une Europe apolitique et sous protectorat. Elle ne représente plus que 1% de la population, 4,6% du PIB, 4,3% des dépenses de recherche et 3,6% des dépenses militaires du monde[17], chiffres en baisse car ses taux de croissance démographique et économique sont inférieurs au reste du monde. L’«insolente nation», capable de bâtir deux empires coloniaux et de défier à plusieurs reprises l’Europe entière est maintenant victime de l’«effet Gulliver», trop petite face au géant américain et trop grande et lourde face aux Lilliputiens en croissance rapide.

Ce contexte paralysant risque cependant de changer sous la pression des concurrents extra-occidentaux. Tout semble indiquer que le monde de 2030, qui correspond au début de retournement de cycle Kondratiev, sera très tendu. Le différentiel de puissance entre les États-Unis et les «challengers» sera alors au plus bas tandis que les problèmes écologiques et de répartition de ressources seront suraigus. S’ils veulent à nouveau agir sur un monde extérieur auquel ils sont reliés par de multiples flux vitaux, il faudra bien que les pays européens cessent d’être les seuls à désarmer. Ils y seront d’ailleurs sans doute incités par les Américains eux-mêmes au nom de la solidarité occidentale et comme à l’époque où la peur de l’URSS était le meilleur ciment de l’UE.

La France aura un rôle éminent à jouer dans ce retournement stratégique européen si elle est la première à proposer un nouveau modèle d’action militaire qui s’imposerait comme une norme. Ce n’est pas incompatible avec les conditions budgétaires actuelles, les exemples soviétiques et allemands des années 1920 témoignant que l’on peut imaginer des formes de guerre nouvelles avant de disposer des moyens correspondants. Cela suppose cependant un effort intellectuel considérable à l’instar des «Lumières militaires» du milieu du XVIIIème siècle ou du bouillonnement de la fin du siècle suivant, issus d’un doute profond et à l’origine des deux dernières grandes épopées où l’armée française a fait l’admiration du monde: l’Empire napoléonien et la victoire de 1918.

 

 

 

[1] Christian Grataloup, Géohistoire de la mondialisation, Armand Colin, 2007.

[2] Arnold Toynbee, L’Histoire, Payot, 1996.

[3] Bernard Wicht, Guerre et hégémonie, Georg, Genève, 2002.

[4] Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances: transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000, Payot, 1991.

[5] L'écart de revenu moyen par habitant du pays européen le plus riche et celui du pays le plus pauvre dans le monde passe ainsi de 1 à 5 en 1700 à un rapport de 1 à 400 aujourd’hui.

[6] Par analogie avec la thèse de René Girard dans Achever Clausewitz.

[7] Même ainsi, les États-Unis sont obligés de demander une aide financière à l’Allemagne et au Japon pour financer la première guerre du Golfe.

[8] Crises du SME, latino-américaine, russe, asiatique, éclatement de l’e-économie, subprimes.

[9] Entre ces deux «pompes», l’UE et le Japon sont à la peine. La croissance française est en moyenne est 1,88 % par an contre 3,45 % pour les États-Unis et bien plus pour la Chine, l’Inde ou, depuis peu, la Russie.

[10] La part des profits représente désormais 40% du revenu national français (contre 60% pour les salaires), contre 29% en 1982, soit un manque de 130 milliards d’euros pour la consommation des ménages et donc la perte de 1% de croissance par an. Michel Rocard, interview dans Le nouvel observateur, 13 décembre 2007.

[11] Arjun Appaduri, Géographie de la colère, Payot, 2007.

[12] Jacques Sapir, Le XXIème siècle fait peau neuve, Perspectives républicaines, juin 2007.

[13] Succession de «30 glorieuses» (cycle A) et de «30 piteuses») (cycle B).

[14] Les basculements de cycles Kondratiev sont des périodes de tensions et de crise (guerres 1865-1870; grande dépression 1893; 1ère Guerre mondiale; 2ème Guerre mondiale; période 1968-1973; début des années 2000).

[15] Avec par exemple, la livraison d’armes à des ONG armées. On a vu, par exemple, ce que pouvait donner la possession par le Hezbollah d’armes antichars russes modernes.

[16] Avec en particulier un effort de recherche et développement représentant 43% du total mondial.

[17] Au sommet de sa puissance relative, vers la fin du XVIIème siècle, la France représentait environ 4,5% de la population, 10% du PIB et 15% des dépenses militaires du monde.

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Titre : Le monde actuel en perspective macro-historique
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel GOYA
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