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Le Qatar: entre ambitions et paradoxes

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 43
Histoire & stratégie
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Le Qatar et sa politique étrangère sont une source d’interrogations pour le monde occidental. Cet article dresse le portrait d’un État qui, fort de ressources économiques considérables, a su s’imposer en quinze ans comme un des acteurs principaux au Proche et au Moyen-Orient mais aussi sur la scène internationale, tout en peinant toutefois à atteindre et conserver un équilibre durable.


Entre ambitions et paradoxes

En vingt ans, le Qatar est passé du statut d’obscure monarchie gazière du Golfe à celui d’acteur à part entière des relations internationales. Un nouveau positionnement qui ne cesse de faire débat et interroge un Occident pris entre enjeux financiers et lignes diplomatiques contraires. Double jeu conscient du Qatar ou logique culturelle d’un pays arabe pris entre tradition, modernité et visée hégémonique, l’omniprésence de ce micro-État sur les cinq continents par le biais d’une politique d’investissement à large spectre inquiète et suscite bien des interrogations.

Bénéficiant d’une conjoncture économique marquée par la crise économique mondiale et du phénomène des «printemps arabes», le Qatar a su se saisir de ces opportunités pour s’affirmer comme une véritable puissance et non plus seulement comme un minuscule État immensément riche. Il occupe dorénavant le devant de la scène internationale, mais suscite nombre d’interrogations quant à ses prises de positions. Si ses ambitions d’affirmation face à ses voisins iraniens et saoudiens, comme sa volonté de diversifier ses investissements afin de limiter sa dépendance de ses ressources gazières sont claires, il sème en revanche le trouble du fait des soutiens qu’il porte aux mouvements de l’islam politique.

Comment le Qatar peut-il donc être l’allié des États-Unis, dont il héberge la plus grande base aérienne à Al-Udeid, s’il pratique, en parallèle, la politique du carnet de chèques avec les mouvements combattus par la première puissance mondiale notamment depuis le 11 septembre 2001 et la mise en place du Patriot Act américain?

À l’aube du XXIème siècle, c’est au cheik Hamad Bin Khalifa Al-Thani que le Qatar doit cette dynamique. En accédant au pouvoir en 1995 suite à un coup d’État qui destitue son père, il entame une politique extérieure qui démontre sa parfaite compréhension du nouvel ordre mondial post guerre froide, des enjeux de la mondialisation, et des possibilités offertes par les instruments de puissance non coercitifs que peuvent être l’économie ou les médias. En parallèle, le Qatar fait également le choix de se poser, comme l’Arabie saoudite, en défenseur du wahhabisme, de l’islam rigoriste et des courants fondamentalistes qui défrayent la chronique ces derniers mois, de l’Australie à la France.

Sur quels leviers le Qatar s’est-il appuyé pour parvenir à se hisser aux côtés des premières puissances mondiales non pas du fait de ses seules richesses, mais par ses prises de positions politiques? Comment se sont traduites ses orientations et quelle pérennité leur accorder à l’heure où le forgeron de l’ambition qatari a laissé place à son fils et que les puissances régionales rappellent à l’ordre l’enfant terrible du Golfe? Mais surtout, quelles sont les véritables buts poursuivis par cet État qui construit sa diplomatie sur une ambivalence peu propice à la confiance? Telles sont les questions soulevées par l’évolution de ce pays au cours des deux dernières décennies.

Afin de comprendre ses orientations diplomatiques, il est nécessaire de revenir à l’origine de la fulgurante ascension de ce minuscule État en recherche permanente de reconnaissance: un besoin viscéral qui porte un nom, «le complexe qatari». Un complexe qui s’est traduit par l’écriture d’un «livre blanc» portant le projet «Vision 2030» et qui définit, au travers d’un vaste programme d’investissement, les objectifs du futur Qatar: «un pays prospère, qui offre une justice économique et sociale pour tous en harmonie avec la nature». La conscience de ses forces mais aussi de ses faiblesses, la lisibilité de la situation interne de l’État mais aussi des enjeux mondiaux laissent à penser que rien n’est laissé au hasard dans la politique qu’il conduit contrairement à ce que pouvaient laisser présager ses premières années d’autonomie.

 

L’avènement du Qatar sur la scène internationale et les outils du soft-power qatari

 

Avec seulement 1,7 million d’habitants et seulement 220.000 ressortissants nationaux, l’émirat de onze mille mètres carrés a su démontrer que la taille ou la force armée ne sont plus des critères opérants pour s’affirmer sur la scène internationale.

Lorsque le Qatar accède à l’indépendance en 1971 et se libère de la tutelle britannique, l’émir Khalifa, issu de la tribu wahhabite des Al-Thani, au pouvoir depuis 1968, fait le choix de rester dans l’ombre des grandes puissances régionales. Une posture que l’émir ne va pas quitter jusqu’au coup d’État conduit par son fils, qui va le destituer en 1995. Même lorsque le conflit Iran-Irak gronde à ses portes, le Qatar est inexistant sur la scène internationale.

Dès son arrivée au pouvoir, le jeune émir affiche très clairement les ambitions qu’il nourrit pour son pays. Pour arriver à ses fins, il va mettre en place une politique audacieuse eu égard à celle des acteurs de la zone et développer des outils de puissance moderne. S’appuyant sur une conjoncture favorable liée au développement, dans les années 90, du gisement gazier de North Field découvert dans les années 70 et qui jouxte celui de South Pars détenu par l’Iran, le Qatar se hisse à la troisième place mondiale des producteurs de gaz après la Russie et l’Iran. Dans le même temps, le Qatar fait le choix de se mettre sous la protection des États-Unis en accueillant la base d’Al-Udeid. Depuis les années 80, les États-Unis ont fait du Golfe une zone d’intérêt vitale, et lorsque le Qatar accepte d’accueillir les forces armées américaines, il se place ainsi hors de portée des Saoudiens et des Iraniens.

Fort de ressources financières considérables avec un PIB annuel par habitant de 100.000 dollars et d’une liberté d’action, le Qatar dispose dès lors des moyens d’assouvir ses ambitions.

 

  • Le QIA: Qatar Investment Authority

Alors que l’Arabie saoudite utilise massivement les bénéfices de sa rente pétrolière pour acheter la paix sociale dans son pays, le Qatar fait le choix, dès 1995, de diversifier ses investissements afin de s’affranchir de sa dépendance des seules ressources gazières.

Des ressources qui, si elles restent considérées comme prioritaires, sont effectivement triplement menacées. Une menace liée à l’augmentation interne de la consommation en gaz naturel du pays qui devrait doubler d’ici 2020 la portant à 44 milliards de mètres cubes, à la concurrence liée à l’exploitation des gaz de schistes ou encore à la renégociation des contrats d’exploitation du GNL (gaz naturel liquéfié). Voulant rester en pointe, le Qatar mise sur la recherche pour conserver son leadership dans ce secteur d’activité grâce à un nouveau procédé: le GTL (gas to liquid), un dérivé du gaz qui permet de fabriquer du kérosène moins polluant ou du gasoil.

Dans ce contexte, la QIA reçoit la mission de réinjecter une part importante de ses revenus sur les marchés étrangers et acquiert, notamment, de nombreuses parts dans les grandes entreprises occidentales. Le fonds souverain qatari, qui gère près de 90 milliards de dollars, se lance alors dans une politique d’investissements qui semble au premier abord peu rationnelle et marquée par une sorte de frénésie compulsive. Une politique d’investissements dopée par la crise financière de 2008 et la récession qui frappe l’Europe à partir de 2010, mais qui très rapidement fait l’objet d’une réorganisation mettant en place des objectifs parachevés dans le cadre d’un plan intermédiaire de développement entre 2011 et 2016: le plan de «stratégie nationale du Qatar».

Ce plan s’est vu couronné de succès puisque la part du revenu des hydrocarbures dans le PIB n’a cessé de reculer. La croissance de 6% en 2013[1] est désormais tirée par les activités hors hydrocarbures.

Ces investissements semblent suivre deux axes de développement.

Le premier est celui des marchés où le Qatar accroît sa visibilité et sa notoriété. Le domaine de l’industrie du luxe et celui du sport sont deux cibles qui permettent au Qatar d’engranger des bénéfices et de rayonner. Après le prix de l’arc de Triomphe, la coupe du monde de hand-ball en 2015 et la coupe du monde de football de 2022, le Qatar est également entré en lice pour l’organisation des jeux olympiques de 2022.

Des investissements qui cachent d’autres positionnements dont les finalités sont moins lisibles. Si l’on peut s’interroger quant aux investissements du Qatar au Maghreb, dans le domaine de la pétrochimie en Algérie ou du tourisme au Maroc, ils ont au moins l’avantage de s’apparenter à de véritables projets financiers. En revanche, les investissements du Qatar dans la bande de Gaza sont, eux, plus sujets à caution et relèvent du soutien politique face à Israël. De même, comment percevoir la volonté du Qatar d’allouer à la France un montant de 50 millions d’euros au titre du développement de ses banlieues. Devant les réticences du gouvernement français et de l’opinion publique, ces millions ont trouvé une autre destination plus classique.

Si la France avait des doutes, la ligne éditorialiste d’Al-Jazeera aurait rapidement pu les lever dès sa fondation.

 

  • Al-Jazeera et le contrôle de la «rue arabe»

Au milieu des bouquets de chaînes satellites arabes contrôlés dans chaque État par des gouvernements autoritaires, Al-Jazzera s’est rapidement imposée comme une voie dissidente. Lancée en 1996, elle se démarque immédiatement par sa modernité et, en moins de quinze ans, s’impose comme la première chaîne d’information du monde arabe avec une audience atteignant certains jours plus de 50 millions de téléspectateurs. Se posant en tribune pour les opposants saoudiens ou syriens, la chaîne et le Qatar s’opposent clairement aux régimes issus des indépendances des années 50 en soutenant les courants islamistes qui ont incarné les seules forces d’opposition viables de ces États. Qu’il s’agisse des frères musulmans en Égypte ou du parti Ennahhda en Tunisie, tous ont trouvé dans cette chaîne un outil de propagande servant leurs desseins et ceux de l’islam sunnite rigoriste. Les messages de ces partis sont relayés par les télécoranistes et, au moment où éclatent les printemps arabes, le Qatar rayonne dans l’ensemble du monde arabe en relayant les images de la chute des régimes laïques et corrompus au profit de partis religieux en phase avec les buts de l’islam rigoriste.

En dépit de la concurrence jouée par la chaîne Al-Arabyiia, créée par les Saoudiens en mars 2003 pour contrecarrer l’écho du Qatar dans le monde arabe, Al-Jazzera reste maître du marché de l’information. Le Qatar, avec une ligne éditorialiste partisane, couvre le conflit israélo-palestinien et la seconde intifada ou encore les opérations israéliennes de 2006 au Liban de façon à fédérer le monde arabe à une cause commune.

 

Le Qatar et sa ligne diplomatique

 

À partir de 2000, le Qatar quitte son seul rôle d’acteur sur les marchés financiers mondiaux pour se positionner également en médiateur des grandes crises régionales et internationales. Le cheik Ahmad Bin Khalifa, assisté du cheik Jasim, son ministre des affaires étrangères puis vice premier ministre, va alors chercher à trouver des solutions là où les autres puissances mondiales ou régionales ont échoué. Le Liban, le Yémen, le Soudan et la Palestine deviennent les centres d’intérêts diplomatiques de l’émirat.

 

  • Le Qatar, un médiateur qui obtient des résultats diplomatiques

S’il reste un des principaux acteurs économiques, comme peut en attester son implication dans l’organisation en 2001 de la première conférence du «cycle de Doha» engagé par l’organisation mondiale du commerce, l’émirat quitte ce seul domaine en 2006 et accède au premier rang de la diplomatie internationale en devenant membre non permanent du conseil de sécurité de l’ONU. Nourrissant des relations privilégiées avec l’ensemble des acteurs de sa région d’appartenance, il s’impose comme un sésame pour la communauté internationale. Allié des États-Unis dont il abrite une base militaire, proche de l’Iran dont il partage les ressources gazières, il est également le frère de croyance des Saoudiens dont il défend la doctrine wahhabite. En 2008, le Qatar est l’instigateur des accords de Doha relatifs au règlement du différend entre les factions du Liban, dont le Hezbollah. Dans cette crise, l'Égypte et l'Arabie saoudite ne sont pas vraiment intervenues; ces deux États ont presque renoncé au profit du Qatar qui, plus proche de la Syrie et de l'Iran, était, selon toute vraisemblance, plus en mesure de favoriser un dénouement à cette situation.

Le Qatar intervient alors non seulement dans les conflits de grande envergure, mais également en qualité de médiateur pour des enjeux différents tels que la libération d’otages. Il obtient ainsi en 2006 celle d’un soldat franco-israélien détenu par le Hamas et, en 2007, conjointement avec la France, celle des infirmières bulgares détenues en Lybie[2].

Cependant, que se cache-t-il derrière ces succès diplomatiques? Une politique dite du carnet de chèques qui permet au Hamas de se réarmer face à Israël et au Qatar de jouir d’une reconnaissance renouvelée dans le monde arabe. Certainement, mais ces succès sont salués par la communauté internationale.

 

  • Le tournant des «printemps arabes»: un acteur des relations internationales

Alors que l’Arabie saoudite craint d’être déstabilisée du fait du décès de son prince héritier et de l’état de santé du roi Abdallah qui se dégrade, que l’Iran est en proie aux sanctions internationales et menacé par la crise syrienne, le Qatar jouit, lui, d’une stabilité économique et politique qui lui permet de se positionner non plus comme un médiateur mais comme un véritable acteur des relations internationales.

C’est avec les «printemps arabes» que le Qatar change de position en devenant le fervent défenseur de l’unité islamique. Une nouvelle fois, comme dans le domaine de l’économie, le Qatar se saisit de cette opportunité pour s’affirmer comme le nouveau leader du monde arabe. Fort d’une chaîne de télévision particulièrement suivie et tournée vers les mêmes ambitions que celles des partis issus de ces mouvements, le Qatar diffuse en boucle les informations dont se nourrissent les révolutions dans chaque pays et, en véritable agitateur de consciences, se fait le relais des revendications des populations contre les dirigeants autocrates du monde arabe.

Cependant, le rôle du Qatar ne va pas se limiter à ce seul événement. Profitant de cette occasion pour élargir sa sphère d’influence, il va, dans ce contexte, chercher à contrôler les mouvances islamistes. Le Qatar inaugure en 2011 la mosquée la plus importante de l’émirat et lui donne le nom de «Ibn Abdel Wahhab». Un symbole pour le monde musulman qui voit, en cette figure de l’islam rigoriste, l’emblème du traditionalisme, du retour à l’islam originel et de la stricte interprétation du Coran. Un soutien aux mouvances islamiques fondamentalistes qui va aller jusqu’à la création, en 2013, d’un bureau de représentation des talibans visant à trouver un modus vivendi après 2014 et la fin de la présence américaine en Afghanistan. 

Les prises de position du Qatar à partir de 2010 vont autant surprendre ses alliés occidentaux qu’irriter ses voisins du monde arabe. À l’heure de la succession et de l’accession au trône du prince héritier cheikh Tamim, le cheikh Hamad ben Khalifa al Thani annonçait que «le moment est venu pour une nouvelle génération de prendre le pouvoir». Le jeune monarque hérite d’une situation difficile qui le contraint à clarifier le positionnement de son pays vis-à-vis de ses alliés occidentaux, mais également à maintenir son rôle de médiateur au Proche et au Moyen-Orient.

 

La succession du Cheik Hamad et le prince Tamim

 

Le cheikh Tamin Bin Hamad al Thani a donc hérité en 2013 de la politique extérieure de son père, un échec plus qu’une réussite. Ce dernier a mené des années durant une politique étrangère visant à imposer son pays comme une puissance décisive et active dans le Golfe persique. La révolution égyptienne a été notamment l’une des erreurs du pays. Pensant soutenir les futurs dirigeants influents égyptiens, il a versé sept milliards de dollars aux frères musulmans[3].

Le Qatar a financé largement le parti égyptien des frères musulmans, mais aussi la rébellion syrienne à qui il fournit également des armes. Malgré son attirance pour les partis religieux qui pourraient le placer d’un côté plus conservateur, l’émir a cependant prouvé à plusieurs reprises son désir de s’associer aux États-Unis, notamment en extradant à plusieurs reprises des citoyens américains en dépit de l’absence d’accord entre les deux pays à ce sujet. 

Dans le dossier israélo-palestinien, il semblerait qu’il souhaite une résolution du conflit vers deux États distincts. Selon lui, que les pays arabes «s’entendent ou non avec Israël, toute la région doit négocier avec le pays» pour le bien du processus de paix. Il a joué le rôle de négociateur au Soudan pour parler de la situation au Darfour et a même dirigé une délégation diplomatique en Arabie saoudite en 2010. Ainsi, si les prises de positions du Qatar sont lisibles, leurs motivations profondes sont moins compréhensibles tant elles peuvent paraître contraires à une seule ligne diplomatique.

Cependant, bien que marquée par une certaine continuité, la politique du Qatar prend de nouvelles orientations du fait de préoccupations internes, mais aussi sous la pression de ses voisins. Des expressions comme «rééquilibrage», «discipline» et même «besoin de centralisation» se sont glissées dans le vocabulaire politique, marquant un changement de priorité aussi bien au Qatar qu’à l’étranger.

 

  • Le rappel à l’ordre des puissances régionales

Le 5 mars 2014, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et le Bahreïn rappellent leurs ambassadeurs en poste au Qatar sous prétexte que ce pays soutient des organisations et des individus qui «menacent la sécurité et la stabilité des États du Golfe» et pour hébergement d'un «media hostile» (Al-Jazeera). Plus précisément, Riyad reproche au Qatar de ne pas respecter un accord conclu en novembre 2013 qui demande à tous les États de la région de «s'abstenir de toute ingérence dans les affaires nationales des autres signataires». En fait, c'est Riyad qui a entraîné ses deux voisins dans la lutte ouverte qui l'oppose au Qatar depuis le déclenchement des révolutions arabes. Ce phénomène, relativement peu suivi par les médias occidentaux, est d'une importance fondamentale pour les équilibres politico-religieux des Proche et Moyen-Orient.

Rappelé à l’ordre par son puissant voisin saoudien, le Qatar comprend dès lors qu’il ne peut plus tenir sa position et fait le choix de s’effacer du devant de la scène internationale sans pour autant renoncer à ses ambitions.

Le Qatar fait marche arrière dans le dossier syrien. Ainsi, même si Doha fournit depuis mai 2011 un appui à l’opposition syrienne qui lui permet de se structurer et dont il accueille en mars 2013 la première représentation diplomatique, il est accusé également d’entretenir des liens avec le gouvernement de Bachar Al Assad pour le contrôle du champ gazier découvert en Méditerranée sur les côtes du Levant, un champ qui s’annonce comme le plus important au monde. Une position contraire à celle qu’il affiche depuis le début du conflit en défendant une action ferme de la communauté internationale et l’exclusion de Bachar Al Assad de toute solution politique.

Le 25 septembre 2014, alors qu’il a soutenu jusque-là les mouvances fondamentalistes, et surtout en Égypte où il affiche une position moins tranchée en faveur du «peuple égyptien plus qu’à un parti», il intervient avec la coalition internationale contre l’EI aux côtés des États-Unis et de la France avec quatre alliés arabes, la Jordanie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn.

Le Qatar donne le sentiment d’être rentré dans le rang, et les relations conflictuelles entre l’émirat et les autres états du Golfe semblent avoir été mises de côté temporairement pour constituer un front uni face à la menace de «l’État islamique».

Cependant, cette alliance n’est que de circonstance et avant tout guidée par des intérêts financiers. Les divergences de fond persistent et le Qatar ne semble pas avoir renoncé à ses ambitions.

 

  • La persistance de l’ambition qatarie

Dans son premier grand discours à la nation, l’émir Tamim a insisté sur la nécessité de se recentrer sur la politique intérieure, mais il a fait l’impasse totale sur la politique étrangère.

En apparence, le principal sujet de préoccupation du pays est la coupe mondiale de football qui doit se tenir au Qatar en 2022. Il est vital pour la fierté du pays que la coupe se déroule au Qatar. Mais, pour marquer la nouvelle modestie de l’émirat, elle est présentée comme une «manifestation arabe» et non purement qatarie.

Poursuivant sa politique d’investissement afin de sortir de sa dépendance des revenus pétro-gaziers, le Qatar l’a recentré sur l’Asie, et la Chine est devenue un de ses objectifs prioritaires. Un virage qui répond à des impératifs économiques et le place dans une position où ses investissements sont moins sujets à caution.

En parallèle, pour lutter contre la perte de vitesse de la chaîne Al-Jazeera, dont la crédibilité a été entamée suite au mouvement des «printemps arabes» et du fait de son soutien aux mouvances islamiques, le Qatar envisage de se doter d’un nouvel outil de communication. Une nouvelle chaîne de télévision à capitaux qataris dénommée Al-Arabi Al-Jadeed voit le jour en mars 2014. Selon le journal saoudien Elaph, «cette nouvelle chaîne incarne le désir du nouvel émir de s'affranchir graduellement du poids de son père et d'adoucir la véhémence du discours médiatique tenu par Al-Jazira, qui avait mis le Qatar en situation d'hostilité permanente avec ses voisins du Golfe».

Si le Qatar semble en apparence avoir changé sa politique étrangère, il a dans les faits su se faire plus discret, mais sans pour autant donner les gages de l’abandon du soutien aux mouvements islamistes.

Confronté par ailleurs, à des enjeux importants en matière de politique intérieure, il doit également réussir à intégrer la jeunesse qatarie à son dynamisme. L’avenir de l’émirat ne peut plus faire reposer sa réussite sur les seules aptitudes des expatriés originaires du Liban, d’Égypte, de Palestine de Turquie ou d’Europe de l’Ouest. Dans un pays où les ressortissants nationaux vivent confortablement des fruits d’une politique d’investissement efficace, il est difficile de motiver une population qui préfère laisser ses intérêts aux mains des étrangers sous le contrôle d’une élite qatarie.

L’émirat ayant misé sur une politique éducative, il risque néanmoins d’éveiller également les aspirations démocratiques d’un peuple qui, pour le moment, vit dans une certaine apathie. Une jeunesse éduquée et ouverte d’esprit peut, à terme, représenter une menace pour un régime pour qui la notion de démocratie est, comme au Koweït, source de déstabilisation et de danger.

 

[1] Source: site du ministère des Finances et des comptes publics – ministère de l’Économie, de l’industrie et du numérique http://www.tresor.economie.gouv.fr/pays/qatar

 

[2] Source: http://www.liberation.fr/monde/2007/08/01/le-fils-khadafi-revele-les-dessous-de-la-liberation-des-infirmieres-bulgares_10184

[3] Source: http://www.lepoint.fr/monde/comment-le-qatar-et-arabie-saoudite-s-affrontent-en-egypte-21-08-2013-1716008_24.php

 

Issu de l’École militaire interarmes, promotion «Capitaine Biancamaria», le Chef d’escadron Didier LUCAS a servi au 93ème régiment d’artillerie de montagne et au 511ème régiment du train. À la suite de sa réussite au diplôme technique en 2013, il suit actuellement une scolarité en arabe à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).

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Titre : Le Qatar: entre ambitions et paradoxes
Auteur(s) : le Chef d’escadron Didier LUCAS
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