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Le recrutement, la formation et l’emploi des troupes locales comme vecteur stratégique de succès chez Lyautey 2/4

La doctrine Lyautey sur le recrutement, la formation et l’emploi des forces locales
Histoire & stratégie
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Fier de ses expériences en Algérie, en Indochine et à Madagas­car, Lyautey, lorsqu’il est désigné pour pacifier le Maroc à partir de l’Algérie et du réduit de Casablanca, va développer pendant quinze ans un état d’esprit auprès des cadres militaires et civils, valoriser les troupes indigènes5 et restructurer l’armée d’Afrique.Tout d’abord, il s’évertue à protéger les autorités et les populations locales en réclamant «empathie et générosité» chez les cadres militaires et civils.


De même que les officiers des affaires indigènes sont là pour protéger les populations contre les demandes croissantes des colons, l’officier d’encadrement des troupes indigènes doit faire preuve d’humanité et d’exemplarité à l’égard de ses soldats avec lesquels il doit vivre, s’entraîner et combattre en permanence, notamment lorsque les unités sont déployées en campagne. Pas de séparation au bivouac entre cadres français et gradés ou soldats marocains. Cette recherche de brassage est particulièrement vraie dans les unités particulières (goums ou méharis) où l’officier vit en permanence avec ses hommes, tissant des liens d’amitié forts. Cette forme de paternalisme est directement issue de ses précédents écrits, notamment du « Rôle social de l’officier ».

L’autre pilier de cette doctrine Lyautey est la valorisation des Marocains eux-mêmes au sein de l’encadrement administratif ou militaire. Le Résident général a bien compris que la logique de corps expéditionnaire était fragile puisqu’elle reposait sur un retrait ou une diminution significative à terme des troupes envoyées en campagne. Dès son arrivée, il décuple l’initiative de création des premiers escadrons, compagnies et goums. Il estime que les spahis et tirailleurs algériens employés par le corps de débarquement du général d’Amade doivent être remplacés par des unités marocaines constituées au début d’Arabes issus de la Chaouïa (le Maroc des plaines et des collines dans le triangle Casablanca-Fès-Marrakech), puis de Berbères lors de la phase de pacification de l’Atlas. Il veille au mélange tribal des unités pour éviter l’esprit de clans. Il sait qu’il ne pourra compter que temporairement sur les unités européennes (légionnaires, zouaves, chasseurs d’Afrique), qui d’ailleurs par la suite seront en grande partie rappelées sur le front dès 1914. Les premières unités sont constituées à partir des tabors (bataillons) du Sultan. Seule la Garde noire (unité de protection du Sultan) est préservée. Très vite, il souhaite que des officiers et des sous-officiers marocains, en fonction de leurs potentiels, soient intégrés dans l’encadrement des unités indigènes. Ainsi, des officiers issus des «grandes tentes» (familles nobles du royaume chérifien) sont promus dans les unités régulières, notamment de cavalerie.

Lyautey va également modifier le profil et l’emploi de l’armée d’Afrique déployée au Maroc. Dès son arrivée et au lendemain de la Première Guerre mondiale, il demande à l’état­major des officiers « haut du panier ». Il recherche notamment un type de profil particulier pour les officiers des affaires indigènes6 et pour ceux dédiés à l’encadrement des goums, du fait des compétences multiples demandées et de l’autonomie laissée aux intéressés sur des régions immenses. Contrairement aux officiers des bureaux arabes créés en Algérie lors de la conquête, il souhaite que les OAI marocains appartiennent à un corps centralisé, géré à part, avec une formation très complète d’un an dispensée d’abord à l’université d’Alger puis, dans un centre de perfectionnement à Meknès, enfin à partir de 1920 au tout nouvel Institut des Hautes Études Marocaines à Rabat. C’est ce que demandait déjà le général Yusuf dans son livre « De la guerre en Afrique », mais qu’il n’obtiendra jamais. Il va également changer la façon dont l’armée d’Afrique fait la guerre. Au concept de colonnes mobiles d’intervention, utilisées en Algérie, chargées de pacifier une région immense par des opérations « coup de poing », constituées de cavaliers et de fantassins français, étrangers ou de tribus ralliées de longue date, il pratique la politique du ralliement et de l’intégration de combattants rebelles et le contrôle systématique de tous les territoires incertains par les OAI et les goums. L’armée doit éviter d’user des « colonnes répressives », mais implanter la troupe d’origine locale sur le terrain, et respecter les traditions autochtones. La présence est ainsi permanente et l’objectif des combats n’est plus la destruction d’un adversaire à châtier, mais bien son ralliement à la cause du Sultan et à l’union du Maroc.

À son départ en 1925, l’armée d’Afrique accueille dans ses rangs les meilleurs officiers qui choisissent de servir dans les unités régulières, au sein des OAI ou des goums. Durant la Seconde Guerre mondiale, le Maroc sera tenu par des unités indigènes, notamment les goums, avec en partie des cadres marocains. On doit en grande partie à Lyautey cet accroissement qualitatif et cette indigénisation de l’armée d’Afrique. Le général Andréa chargé de pacifier la Syrie en 1925-1926, après la répression féroce mais vaine menée par le général Sarrail sur la montagne druze, emploiera la même méthode : « En remplacement du corps expéditionnaire, le recrutement de nos forces doit être local parce que les partisans connaissent le pays, la langue et sont un puissant moyen de rapprochement avec la population qui fait le vide devant nos colonnes ». Dans un souci de responsabilisation des autorités et de la population locale, ce principe sera repris par le maréchal de Lattre, dans son application de la « vietnamisation » du conflit indochinois à partir de 1952, avec en plus la volonté affichée de créer une armée nationale Lyautey a également veillé comme Résident général à disposer d’une véritable liberté d’action vis-à-vis de Paris et à une unité de commandement sur le théâtre (services de renseignement, unités régulières et particulières). Il ne supportait pas que tel ou tel service de métropole interfère en soutenant clandestinement ou officiellement des tribus ou des factions, en infraction avec les alliances franches qu’il avait lui­même décidées. En cela, il s’affranchissait des interventions régulières des états-majors centraux et du pouvoir politique sur la constitution des forces et la coordination des opérations de conquête puis de pacification, comme ce fut le cas en Algérie. Les relations avec les tribus ralliées ou rebelles, l’engagement de troupes régulières ou particulières, toute décision d’opération dépendait de lui, de son état-major ou de ses subordonnés.

De même, alors qu’en Algérie les opérations étaient menées selon une logique régionale (par région militaire), Lyautey veillait à la cohérence d’ensemble. Aucune opération n’était lancée dans une région de l’Atlas sans que le rapport de forces, les possibilités de bascule d’un territoire vers un autre et la disponibilité d’engagement des troupes ne soient mesurés dans la Chaouïa (centre Maroc), le littoral ou le Rif. Cette concentration-unicité du commandement a évité de nombreuses déconvenues, même lors de la révolte sévère menée par Abdelkrim en 1925 dans le Rif, où la situation a été contrôlée jusqu’à l’arrivée des renforts dont a profité le maréchal Pétain dans sa reprise en main vigoureuse, avec des troupes venues de France équipées de matériels modernes.Enfin, concernant le recrutement, la formation et l’emploi des troupes locales, Lyautey s’inscrivait pleinement dans une logique de stratégie intégrale et indirecte, loin des concepts prussiens en Europe, ou même anglais pour leurs colonies, de guerre totale à outrance et de stratégie directe où il s’agissait d’exterminer l’adversaire, qu’il soit européen ou indigène (on pense aux théories de Clausewitz ou de Ludendorff pour les guerres européennes, à celles du Président américain Andrew Jackson vis­à­vis des Indiens d’Amérique et d’Horatio Herbert Kitchener dans les conflits contre les Mahdistes, puis les Boers). Lyautey faisait de la stratégie sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Ces troupes locales menées par des officiers des armes ou des OAI devenaient les vecteurs d’une stratégie intégrale faite de manœuvres militaires de contournement, de développement économique (notamment par l’installation de souks florissants ou la construction de voies de communication) et de diffusion culturelle et religieuse de l’autorité sacrée et centralisée du Sultan. Cette stratégie intégrale était accompagnée d’une stratégie indirecte de ralliement ou de contre-guérilla souple où il s’agissait non pas d’exterminer l’adversaire et de déporter les populations, mais de montrer sa force pour l’amener à déposer les armes7.

Lorsque Lyautey a été relevé de ses fonctions de Résident général en 1925 face aux difficultés à contenir la révolte du Rif8 menée par Abdelkrim, le choix a été fait par le maréchal Pétain de revenir à une stratégie totale punitive de répression des populations, de destruction du système économique régional (bétails, cultures, marchés) et d’écrasement de l’adversaire par la force mécanique, décision qui laissera des cicatrices chez les Marocains (création de partis indépendantistes dès les années 30 ; massacres d’Européens dans les années 50, dont celui particulièrement sanglant de Oued-Zem, mode d’action terroriste qui n’est pas dans la culture marocaine.)

Le recrutement, la formation, la vie courante et l’emploi des troupes particulières9: l’exemple des goums

Le parcours de ces troupes atypiques dépendantes du makhzenchérifien (gouvernement du Sultan), aux ordres d’officiers des Affaires indigènes, doit être connu.

À l’origine, les premiers goums sont créés lors de la conquête de l’Algérie. Le principe n’est pas nouveau. Dans un souci de recueil du renseignement et d’économie des forces, chaque conquérant a toujours eu recours aux supplétifs, employés en infanterie ou cavalerie légère, souvent en découverte en avant des armées, en coups de main sur les arrières ou en troupe d’appoint pendant les batailles. Ainsi les goumiers algériens participeront, à partir de 1907, à la reprise sous contrôle du Maroc, entre Casablanca et Fès. Alors que les premiers goums recrutés durant la conquête de l’Algérie sont des troupes incertaines, sans encadrement français, dont la loyauté est parfois ambiguë (Yusuf se plaint dans ses écrits de leur collusion avec les tribus rebelles), ceux du début du XXe siècle sont devenus des auxiliaires indigènes dévoués à leurs chefs, aptes aux escarmouches et aux razzias, commandés par des officiers des Affaires indigènes d’Algérie.

En 1908, le général d’Amade commandant le corps de débarquement de Casablanca crée les six premiers goums10, comprenant chacun 150 goumiers à pied et 50 à cheval, recrutés parmi les tribus de la Chaouïa, qui seront intégrés comme «forces supplétives» à partir de 1912. Ils seront cinquante et un en 1934 (soit 10 000 goumiers) à la fin de la Pacification et une centaine en 1939. Ils seront répartis sur l’ensemble du pays, de l’Atlantique à l’Algérie, du Rif au Sahara.

Leur recrutement se fait après autorisation du Sultan (à l’époque de Lyautey, les sultans Mouley Youssef et Mohamed V). Les premiers goums sont recrutés parmi les tribus arabes fraîchement ralliées du centre du pays, dans les douars, sous le contrôle des chefs locaux, les caïds et les pachas. Par la suite, lors de la conquête des montagnes, les goumiers seront recrutés dans les populations berbères du bled siba, la partie du pays en défiance contre le pouvoir central du Makhzen. Lyautey insiste dès 1912 pour renforcer l’encadrement français qui, peu à peu, est désormais issu de la métropole, et non des unités servant en Algérie, et qui profite de la toute nouvelle formation civilo-militaire dispensée à Meknès puis à Rabat. Chaque goum est constitué d’un capitaine, trois lieutenants, un officier interprète, un médecin, un sous-officier comptable, sept sous-officiers d’encadrement, tous français. L’habillement est rudimentaire (avec la djellaba couleur d’écorce, la rezza, coiffure de laine typique, et les nahallas, sandales de cuir). L’encadrement local, à base de sous-officiers jusqu’au grade d’adjudant, de brigadiers-chefs et brigadiers, se densifie dès 1912. Les sous-officiers sont notamment la pièce maîtresse du goum. Originaires de toutes les armes, ils sont soudés autour du capitaine et sont animés du même état d’esprit que lui.Sommaire au départ, la formation des goumiers va se structurer avec leur équipement en armement moderne. Tout en conser­vant leur légèreté et leur rusticité (uniforme, paquetage, monture), chaque goum va recevoir très tôt des fusils modèle 1886, puis quatre fusils-mitrailleurs et deux mitrailleuses. L’instruction se fait sur le lieu du bivouac d’hiver, le kechla, à la discrétion du commandant du goum, une fois par semaine ou chaque jour. Exercices de tir, manœuvres tactiques renforcent la cohésion du goum qui sans cesse accueille de nouvelles recrues issues de tribus parfois rivales. L’unité se fait également autour du capitaine et du lieutenant, figure charismatique pour lequel chaque goumier est son sahab, son homme lige, qui le suivra au baroud jusqu’à la mort.Les goumiers ne sont pas encasernés. Ils vivent en hiver autour d’un poste, en saison chaude en opérations. Le goumier vit en famille. Un emplacement du kechla est donné aux célibataires. En déplacement, chaque goumier devra emporter quatre jours de vivres. Le commandant du goum est seul responsable de la gestion et des finances du goum, le sous-officier comptable tenant le registre d’engagement et celui de la paye.Leur emploi va également évoluer. Initialement le Goum était destiné à prouver aux Marocains que la France respecte l’Islam et que des relations de confiance existent avec des populations musulmanes arabes puis berbères, mais aussi pour recueillir un maximum de renseignements utiles à la connaissance du pays et à la poursuite des opérations.

Ainsi, les Goums sont immédiatement implantés sur des points névralgiques, leur mission principale étant de renseigner le commandement en combattant sans excès, mais sans faiblesse, un ennemi mordant, souvent fanatisé par la Guerre sainte et bien armé. Ils doivent être en mesure d’appuyer les mouvements et les colonnes des troupes régulières en opérations, par des actions de découverte, de protection des arrières ou des flancs. Peu à peu, aguerris par d’incessants combats, les goums ont acquis la cohésion qui leur permet de mener des opérations en autonome, de tenir seuls des postes au contact de la dissidence. En 1939, après 31 ans d’existence, c’est la centaine de goums qui quadrillera le pays pacifié, assurant sa sécurité et sa fidélité au Sultan et à la France et protégera les principaux axes de communication.

En se révélant d’une grande souplesse d’emploi, déployés au milieu des populations arabes puis berbères, ils auront constitué la troupe la plus économique qu’il soit et la plus conforme aux besoins du commandement, à savoir la lutte contre la guérilla et le quadrillage du bled. Leur exemple fera des émules pendant les luttes contre-révolutionnaires des années 50-60, avec la formation des groupes de montagnards thaïs, méos et nungs en Indochine, ou pendant la guerre d’Algérie avec les commandos de chasse et les harkas, avec malheureusement parfois les excès que l’on connaît. Car sous l’impulsion de l’état d’esprit voulu par Lyautey, jamais des troupes supplétives n’ont été aussi proches des populations qu’elles servaient et qu’elles respectaient, sous le contrôle des OAI et de leurs officiers.À noter enfin que contrairement au drame des montagnards indochinois ou des harkis, les goumiers furent parfaitement intégrés à l’armée marocaine et le roi Hassan II salua plusieurs années plus tard leur engagement et celui de leurs cadres français au service du royaume et de sa population.

 

5 C’est une évolution dans sa personnalité puisqu’il vante davantage les qualités des troupes européennes que celles des troupes locales, tirailleurs tonkinois ou soldats hovas, au sortir de ses campagnes d’Indochine et de Madagascar.

6 L’idée de création du corps des officiers des affaires indigènes remonte à la fin du XIXe siècle en Algérie. Contrairement aux officiers des bureaux arabes qui constituaient un corps d’officiers indépendants de tout commandement, les OAI avaient autorité sur les forces armées dans leur secteur.

7« La base même de toute ma doctrine de guerre coloniale est la négation de l’action de force préalable et violente ; il s’agit d’envoyer en éclaireur des troupes locales et des officiers de renseignement formés aux coutumes musulmanes. C’est cette façon d’agir qui économise au maximum l’effort et les risques et les vies humaines, celle qui laisse après elle le moins de dommages, dès qu’il s’agit de construire, ce qui est le but, et le but ultime, de toute guerre coloniale. »

8 L’armée française au Maroc constituée de 65 000 hommes est alors partagée entre deux fronts : celui de Taza à l’est de Fès et celui du Rif au Nord. Après des diminutions d’effectifs, Lyautey n’obtiendra jamais les renforts qu’il demande pour réinvestir le Rif.

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Titre : Le recrutement, la formation et l’emploi des troupes locales comme vecteur stratégique de succès chez Lyautey 2/4
Auteur(s) : le colonel Arnaud de LA GRAND’RIVE
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