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Le retour de la haute intensité : comment redéfinir le concept et poser le problème de sa préparation ?

1/2 - BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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Le roman de Tom Clancy Tempête rouge (Red Storm Rising), suscite en-core un écho très particulier chez de nombreux lecteurs militaires entrés en service au cours des années 1980. Cette oeuvre de fiction parue en 1986, relate de manière très réaliste le déroulement d’un affrontement entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie sur le sol européen et dans l'Atlantique Nord.


Le temps a passé. La chute du mur de Berlin et les turbulences géopolitiques engendrées par la fin de la Guerre froide ont attiré l’attention des stratégistes et des praticiens de la guerre vers d’autres horizons que ceux de la trouée de Fulda, tandis que les forces occidentales se sont durablement engagées dans des opérations de stabilisation et de contre-insurrection. Le retour des logiques de puissance et de la compétition interétatique, constaté depuis une dizaine d’an-nées, semble de nouveau rendre possible, voire probable, une confrontation armée en Europe ou aux portes de l’Europe. La perspective d’un conflit dit « de haute intensité » suscite donc depuis quelques années d’importantes ré-flexions de nature aussi bien politico-militaires que capacitaires et doctrinales, notamment outre-Atlantique. Les auteurs de la Revue stratégique de 2017, rappellent ainsi que des ambi-tions politiques et des objectifs de souveraineté que se fixe la France doivent découler une stra-tégie, une doctrine d’emploi des forces armées, des capacités de combat à maintenir ou à déve-lopper. La détermination de niveaux et de processus de coordination et d'intégration néces-saires à l’engagement global de toutes les res-sources requises, pour la préparation et la conduite du type d’engagements les plus exigeants, qualifiés d’opérations de « haute intensité », constitue également dans ce cadre un impératif vital[1].

 

La réappropriation d’une capacité à raisonner la guerre « de haute intensité » se heurte toutefois à une certaine ambiguïté, tant conceptuelle que capacitaire. De façon littérale, l’intensité désigne un degré de tension, de force ou d'activité d'une chose, d'une qualité ou d'une puissance. On parle ainsi aussi bien de l’intensité du froid, d’une intensité sonore, magnétique ou électrique. Ce terme implique donc l'expression objective de la valeur numérique d'une grandeur. Or, la guerre et la violence se prêtent

difficilement à une telle quantification et donc à une typologie dont l’intensité peut constituer un paramètre discriminant.

L’objet de ce document est d’initier une réflexion destinée à nourrir des travaux actuellement conduits dans le domaine de la préparation de l’avenir. Il vise donc à clarifier des notions permettant de mieux cadrer ce qu’un « conflit de haute inten-sité » est ou n’est pas. Plutôt que la notion à la fois trop vague et trop restrictive « d’opération de haute intensité », il est proposé ici de retenir celle d’intervention majeure, plus structu-rante en termes d’emploi des forces et de capacités à détenir dans un tel cadre.

 

Ambiguïté et limites des concepts encadrant la notion d’intensité

La « haute intensité » est souvent abusivement associée à la notion de guerre totale absoluter Krieg »), conceptuali-sée par Clausewitz[2]. Ce terme qualifie un conflit armé qui ne se limite pas uniquement à l’atteinte d’objectifs militaires, mais implique une mobilisation de l'ensemble des ressources disponibles de l'État et de la société. Ce concept s’inscrit dans une logique de radicalisation du duel entre deux compétiteurs et conduit, en théorie, le politique à engager l'ensemble des forces dont il dispose, pour détruire la totalité des capacités d’un adversaire. Cette notion implique la destruction, ou au moins la neutralisation, d’objectifs civils autant que militaires. Elle impose une conduite de la guerre centralisée au plus haut niveau de l’Etat. Elle suppose enfin, un contrôle total des opinions publiques au moyen d’opérations d’influence poussées et ciblées, afin de s’assurer du soutien de tous les secteurs de la population. Il s’agit donc d’une notion mettant tout autant en exergue la mise en jeu des intérêts vitaux d’une nation, que des actions de coercition illimitées et appliquées dans tous les champs de la confrontation (militaire, économique, diplomatique et idéologique) pour tous les belligérants. Ainsi que le souligne le théoricien prussien, ce modèle de conflit reste tou-tefois théorique et se voit toujours limité en pratique, par des facteurs comme l'intervention d'autres États, l'évolution des situations conflictuelles et les calculs du politique, principalement liés aux conditions de la paix à venir. La guerre absolue constitue donc un cadre conceptuel intéressant, mais auquel aucun cas ne s’applique jamais intégralement.

 

La fin de la Guerre froide fait également apparaître les notions de symétrie, de dissymétrie et d’asymétrie, permettant de caractériser un adversaire. La paternité du concept de guerre asymétrique revient à Sun Tzu dans son Art de la guerre, au Ve siècle av. J.-C. Cette idée est reprise par le général Wesley Clark dans un article traitant de la seconde Intifada en 2000[3], avant d’être intégrée dans toutes les doctrines des armées occiden-tales. Les références en matière d’intensité sont donc parfois associées de façon abusive à la parité, ou la disparité, des capacités des belligérants, ainsi qu’à l’importance des enjeux politico-militaires d’un conflit. On associe ainsi parfois de fa-çon restrictive la « haute intensité » à la conjonction d’enjeux majeurs et d’un adversaire symétrique. A contrario, la « basse intensité » est souvent cantonnée à l’association d’enjeux limités et à un ennemi dissymétrique, ou asymétrique. Or, la guerre de Corée, le conflit des Malouines ou encore la guerre du Golfe en 1990-91 échappent à cette seule grille de lecture. La « haute intensité » ne peut donc pas simplement se caractériser par le niveau de parité des adversaires.

 

L’intervention récente de la Russie en Ukraine a consacré le concept de guerre hybride[4], apparu au milieu des années 2000 pour décrire la stratégie employée par le Hezbollah lors de la guerre du Liban de 2006. Bien qu’il n’existe pas à ce jour, ni au sein de l’OTAN, ni dans la doc-trine française, de définition convenue des termes relatifs à la guerre hy-bride, on comprend généralement ce type d’engagement comme étant un conflit mêlant l’emploi de modes d’action conventionnels et non conventionnels, d’adversaires réguliers et irréguliers, et d’affrontements étendus aux champs immatériels (cyber, opérations d’influence, de désinformation et de subversion). Hormis leur simple valeur analytique et descriptive, ce concept et ses corolaires (adversaire et menace hybride, guerre non-linéaire, etc.) ne révolutionnent pas fonda-mentalement la compréhension de la conflictualité.

 

La plupart des guerres, sinon toutes, dans l'histoire de l'humanité sont caractérisées par des menaces interconnectées et par le recours à des asymétries exploitant les faiblesses d'un adversaire dans toutes les dimensions de l’affrontement. L’illustration la plus explicite de ce que peut être un conflit hybride est sans doute celle de la Guerre de Cent Ans, dont l’issue est autant marquée par des affrontements très conventionnels tels que Crécy (1346), Azincourt (1415) ou Castillon (1453), que par la « petite guerre » menée par Bertrand du Guesclin à partir de 1354, ou encore avec l’instrumentalisation idéologique autour de la Pucelle d’Orléans à partir de 1429. La conflictualité, notamment lorsqu’elle est marquée par un déséquilibre dans les rapports de force, conduit ainsi toujours à des situations complexes impliquant de facto une forme d’hybridité. « Nous assistons aujourd’hui à un retour des Etats puissance. Il ne se traduit pas par le retour de la "grande guerre patriotique", caractérisée par l’importance de ses moyens et de ses effectifs. Il s’accompagne d’une extension des domaines de conflictualité, au-delà des milieux dits "classiques" ou "conventionnels"»[5]. Ce concept d’hybridité, même s’il reste utile à prendre en compte, ne constitue donc pas non plus un critère suffisant pour qualifier l’intensité d’un conflit.

 

La notion d’intensité est en réalité née avec l’émergence du concept de Low-Intensity conflicts, permettant à des stratégistes occidentaux de décrire, à partir des années 1960, certains types d'opérations spécifiques, telle que la contre-insurrection. Cette notion demeure néanmoins particulièrement ambigüe, voire hautement discutable, en fonction du niveau considéré. Ainsi, dans les conflits dits « de basse intensité », les engagements aux petits échelons tactiques peuvent être extrêmement intensifs en termes de violence, de pertes, de variété des moyens engagés, de consommations, de dommages, etc. De la même manière, il peut y avoir coexistence au cours d’une même campagne de séquences de « haute intensité » et de « basse intensité ». Il peut donc s’avérer utile de distinguer la haute intensité tactique (il y a des combats violents mais la bataille se limite à une addition plus ou moins artificielle d’engagements simultanés ou séquentiels) ; la haute intensité « opératique » (la campagne comprend des batailles, c’est-à-dire des engagements violents engageant toutes les forces et toute la gamme des moyens de la guerre, sur un théâtre dans un cadre espace-temps déterminé) ; et la haute intensité stratégique (du conflit majeur à la guerre totale).

 

Face à la multiplicité des contextes et des niveaux d’intensité susceptibles d’être rencontrés sur le champ de bataille, le besoin de développer et de conceptualiser une « polyvalence multi-intensités », s’affirme à la fin des années 1990. La notion de Three block war est ainsi énoncée pour la première fois par le général de l’USMC Charles Krulak[6] en 1997, pour décrire le large spectre de conditions dans lesquelles les forces occiden-tales pourraient être amenées à agir lors d’engagements fu-turs. Fondamentalement, il s’agit pour les forces terrestres d’être capables de mener simultanément des opérations de coercition de grande ampleur, de maintenir la paix et de fournir une aide humanitaire au sein de compartiments de terrain contigus. La principale conclusion de ce concept est que la formation au commandement des niveaux les plus bas doit être particulièrement poussée pour atteindre cette capacité. Ce point particulier amene Krulak à évoquer ce qu'il appelle des « caporaux stratégiques », des chefs d'entités tactiques de bas niveau, capables de prendre des décisions majeures de manière autonome. La doctrine française des forces terrestres a pour sa part pris le parti d’insister sur la notion de réversibilité. Celle-ci est cependant davantage à comprendre comme une « aptitude à changer rapidement le mode de l’action entreprise en fonction de l’attitude générale de l’adversaire, notamment pour maintenir au plus bas niveau d’intensité possible une opération ».

                                         

 

[1] Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017.

https://www.defense.gouv.fr/content/download/514684/8664656/file/2017-RS-def1018.pdf.

[2] Von Clausewitz, Carl, De la guerre, 1832, rééd. Tempus, 2014.

[3] Tennenbaum, Elie, Le piège de la guerre hybride, Focus stratégique n° 63, Institut français des relations internatio-nales, octobre 2015.

https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/fs63tenenbaum_1.pdf.

[4] Clark, Wesley, How to Fight an Asymmetric War, Time, 23 octobre 2000.

http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,998272,00.html.

[5] Krulak, Charles, The Strategic Corporal: Leadership in the Three Block War", Marines Magazine, janvier 1999.

http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/usmc/strategic_corporal.htm

[6] Armée de Terre, Tactique générale (FT02), 2e édition, Economica, 2014.

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Titre : Le retour de la haute intensité : comment redéfinir le concept et poser le problème de sa préparation ?
Auteur(s) : le colonel Clée, chef du pôle études et prospective du CDEC
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