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Le rugby et l’armée de Terre : tactique et esprit guerrier

1/2 - BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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S’il est un sport collectif où la symbolique guerrière est régulièrement invoquée, c’est bien le rugby. Il n’est pas rare de retrouver la métaphore filée du combat au cours d’un match, dans le flot des commentaires médiatiques. Tel joueur sera comparé à un guerrier de l’ombre, on admirera la façon dont tel autre a fixé la défense adverse pour permettre à son camarade de prendre l’intervalle et de filer à l’essai. On louera encore la défense héroïque d’une équipe ayant déployé les barbelés, pour ne pas céder aux vagues offensives adverses.


Bref, les analogies ne manquent pas. Mais au-delà de ces allusions régulières, il est intéressant de se pencher plus précisément sur ce qui conduit le commun des mortels, ou les spécialistes de ce sport à faire régulièrement allusion à sa dimension combattante et de se demander si cette dernière se résume à une figure de style superficielle, ou si elle s’ancre profondément sur des facteurs communs au rugby et à l’armée de Terre.

Dans le rugby comme dans le cadre du combat interarmes, le succès s’obtient par une articulation judicieuse des effets : les joueurs dans le premier, les armes dans le second. Le rugby, comme l’armée de Terre, s’appuient sur un terreau de valeurs communes qui soudent les joueurs sur le terrain et les soldats au combat.

 

En remontant à ses origines et en analysant sa pratique (règles, tactiques, entraînements), mais aussi ses valeurs, il apparaît alors évident que les liens entre le rugby et l’armée de Terre ne reposent pas uniquement sur une simple comparaison à l’emporte-pièce, mais bien sur un ensemble de facteurs inhérents au jeu et au combat, ainsi qu’aux codes régissant les deux communautés humaines.

 

Le rugby : une symbolique guerrière présente dès les origines

La soule, jeu pratiqué historiquement en Picardie et en Normandie, est souvent évoquée comme ancêtre du rugby. En effet, deux équipes s’affrontent pour la possession d’un objet (boule de bois, vessie de porc remplie d’air ou de paille) à déposer dans un but. Le jeu est rude mais codifié, contrairement à l’image souvent véhiculée d’un sport ultraviolent. Il est comparable aux tournois des chevaliers dans les milieux populaires. Il est issu de plusieurs influences culturelles : romaine, franque et scandinave. La soule nécessite courage, vigueur physique mais aussi organisation tactique afin de vaincre l’adversaire. La vaillance n’est pas suffisante. Guillaume le Conquérant et ses Normands apportent le jeu en Angleterre après l’invasion de 1066[1].

 

Bien que comportant des règles, la violence inhérente au jeu conduit parfois le pouvoir royal à l’interdire. Jean Lacouture décrit la soule en ces termes :

« Le jeu de la soule était violent et passionné, essentiellement populaire, bien qu’à l’occasion des nobles y prissent part. Dans la majorité des cas, le jeu consistait pour un groupe de villageois conduits par un meneur, un champion, à conquérir la soule en pleine mêlée et à la rapporter dans son village »[2].

 

De nombreux termes, dans la description de l’auteur, renvoient à la guerre et au combat : la passion, le champion, le meneur, la conquête, la mêlée. En effet, à l’époque, les batailles s’apparentent bien souvent à une mêlée brutale mélangeant piétaille et chevaliers.

C’est dans la ville de Rugby en 1823 que naît le sport du même nom. S’il est évident qu’il revêt une violence peu présente dans les autres sports collectifs, la notion de maîtrise de cette dernière apparaît très vite. Elle n’est pas sans rappeler la nécessité pour l’armée de Terre de développer la combativité, l’agressivité, tout en faisant preuve, en permanence, d’une capacité de maîtrise de la violence, sans laquelle l’action armée peut s’avérer contreproductive. Ainsi, Thomas Arnold, le directeur de la Rugby School, voit dans le rugby une façon d’éduquer les jeunes hommes issus de la haute société, au travers d’un affrontement sportif rude, mais où la violence se doit d’être maîtrisée[3]. Pour lui, le rugby favorise la formation des chefs.

 

Au début du 20ème siècle, la guerre, comme le rugby ne cessent d’évoluer, leurs lois et règles respectives visant à juguler leur violence originelle. L’art de la guerre et le jeu se transforment aussi. En effet, le premier prend en compte l’impact de la puissance de feu sur la manoeuvre, le second est influencé par l’évolution du physique des joueurs, les avants devenant plus lourds et plus massifs, tandis que les joueurs de champ, appelés trois quarts, demeurent plus élancés.

 

Rugby et armée de Terre : une proche vision du combat

Le premier conflit mondial, dans lequel le rugby paie un lourd tribut, va paradoxalement aider à la structuration du jeu en France, car les alliés comptant de grands joueurs dans leurs rangs, suscitent un véritable engouement pour le ballon ovale au sein des armées et de la population française. L’armée de Terre promeut alors activement ce sport.

Il est intéressant d’étudier la comparaison effectuée entre le rugby et le combat interarmes dans un article de la Vie au grand air, magazine sportif paru le 21 février 1914, sous le titre « Le rugby dans l’armée ». Ce que l’on nomme encore football-rugby est évoqué comme un jeu où :

 

« L’amour d’un chacun ne cède pas à la cause de tous. Toutes les solutions tactiques des problèmes ne reposent-elles pas sur la liaison des armes ; celle-ci ne naîtra-t-elle pas dans l’esprit de dévouement et d’abnégation. Sur le terrain de football et sur le champ de bataille, ce sont les mêmes principes de soumission à l’intérêt général et de coopération de toutes les unités à l’idée d’ensemble. Si la défense est parfois une nécessité impérieuse au combat, néanmoins l’attaque, l’initiative et l’audace offensives sont les vraies qualités de toute action militaire. Cette idée, que développe au plus haut point le rugby, est celle qui a fait la gloire des armées françaises par-delà tous les continents. Notre caractère national se plaît à l’offensive, néanmoins cette attaque se doit d’être raisonnée, elle demande une conception nette de la tactique à suivre, elle réclame du coup d’oeil et du sang-froid. Parce qu’il est un sport dur, trempe un caractère spécial, il est bien pour l’individu dont il fortifie le corps, aguerrit le courage »[4].

 

Le rugby, de par la complexité de ses règles dont la clef de voûte est la passe en arrière, la différenciation très marquée du rôle des joueurs sur le terrain et sa dimension d’affrontement physique, se rapproche le plus du combat interarmes. Une équipe doit faire preuve d’une discipline collective et d’une organisation tactique rigoureuse, afin de coordonner au mieux ses avants (joueurs naturellement plus lourds et massifs, utilisés pour le jeu d’affrontement et dans la mêlée), sa charnière (constituée des deux meneurs de jeux, chefs et stratèges de l’équipe) et ses trois quarts (joueurs de champs plus rapides, destinés à prendre les intervalles du dispositif adverse).

 

Ainsi, le jeu d’avant, basé sur l’impact, le choc, incarne par essence la confrontation physique qui a pour but premier de constituer un point d’appui pour l’équipe attaquante, afin qu’elle puisse, après un ou deux points de fixation, lancer ses trois-quarts positionnés en profondeur, prêts à l’offensive. De même, la manoeuvre terrestre peut être articulée autour du choc « mouvement pour annihiler la volonté de l’adversaire », mais aussi du « débordement […] mouvement destiné à atteindre directement l’échelon arrière […] mouvement à privilégier »[5]. Le premier s’apparente clairement au jeu d’avant, le second au jeu des trois-quarts qui sera favorisé en priorité, afin de ne pas limiter l’affrontement rugbystique à une succession de collisions qui appauvrissent l’esthétique de ce jeu.

 

Cette fine coordination n’est pas sans rappeler les termes de mission couramment employés au sein de l’armée de Terre et la nécessité pour le tacticien au combat, de sans cesse rechercher l’utilisation optimale de ses armes afin d’en démultiplier les effets.

Le général Pierre Chavancy, dont le fils est joueur au Racing-Métro 92 et international français, conçoit ainsi le rugby comme « un sport stratégique par excellence », où comme au combat et malgré la différence évidente de violence dans l’affrontement, « le vainqueur est souvent le plus lucide et le plus intelligent dans les moments clés »[6].

 

Aussi, l’entraînement revêt-il un aspect fondamental dans le combat interarmes, comme dans le rugby. La valeur des hommes, aussi grand soit leur talent, ne suffit pas à remporter la décision. Plus une unité se sera entraînée à inlassablement répéter ses savoir-faire tactiques et plus elle sera efficiente au combat. Les anglo-saxons nomment « drill » ce processus d’entrainement visant à sans cesse reproduire les mêmes gestes et procédés, afin de tendre à la perfection. C’est ainsi que les « skills », ou travail intensif de passes effectué depuis le plus jeune âge et perpétué au plus haut niveau, confèrent aux joueurs néo-zélandais, une domination à travers les âges sur les autres nations.

L’ancien grand international et demi d’ouverture Pierre Albaladéjo confiait que,

dans les années 1960, les Anglais étaient parfois médusés par la facilité avec laquelle les joueurs de ligne français faisaient vivre la balle. À l’issue des rencontres, les joueurs anglais demandaient à leurs homologues d’où leur venait l’insolente aisance dont ils faisaient preuve en jouant. Si les Français se gardaient bien de leur répondre, prétextant des inspirations innées, leurs combinaisons faisaient bien l’objet de répétitions assidues à l’entraînement[7].

 

La pratique du rugby au sein des régiments de l’armée de Terre mérite ainsi d’être encouragée. Elle permet de développer un véritable sens de l’action collective. Sur le terrain de rugby, le soldat apprend à obéir aux stratèges et tacticiens de l’équipe : le demi de mêlée, chef des joueurs de devant et le demi d’ouverture, chefs des trois quarts ou joueurs de ligne. Il apprend à toujours penser son placement et son action par rapport au porteur de balle. Il comprend que l’usage du choc, de la force, n’a de sens que pour permettre l’exploitation d’un jeu plus enlevé. Aussi ne recourra-t-il à cette dernière que si cela s’avère nécessaire. Un joueur avant ne doit, par conséquent, pas systématiquement chercher le contact, s’il peut libérer son ballon dans les temps, à un joueur démarqué. Le rugby est donc une véritable école de maîtrise de la force dans un cadre collectif.

 

La ligne de défense, quant à elle, impose par excellence une discipline de fer, tant dans l’affrontement individuel (engagement du joueur à plaquer et ne pas céder du terrain), que dans l’organisation collective (capacité à se replacer sans cesse dans la ligne, pour ne pas faire céder le dispositif défensif et ce malgré l’usure et la fatigue qu’impose un tel effort).

                                                                   

 

[1] Christian Pociello, Sports et sciences sociales : histoire, sociologie et prospective, éditions Vigot, 1999

[2] Jean LACOUTURE, Du combat celte au jeu occitan, in l’Histoire, janvier 1979.

[3] Richard Escot, Jacques Rivière, Un siècle de rugby, éd. Calmann-Lévy, 1997

[4] Michel MERCKEL, 14-18, le sport sort des tranchées, un héritage inattendu de la Grande Guerre, Villematier, Le Pas d’Oiseau, 2013, p. 72-73.

[5] Centre de doctrine et d’emploi des forces, Tactique générale, FT-02, juillet 2008, p. 70.

[6] Yves BILLON, « Le général de Lyon et le soldat du Racing », Le Progrès, 31 janvier 2015.

[7] Fabien TARIS, Le Crunch, toute une histoire, documentaire, 2016.

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Titre : Le rugby et l’armée de Terre : tactique et esprit guerrier
Auteur(s) : le chef de bataillon Pierre-Charles de l’École de Guerre Terre
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