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Le vert et le kaki, de nouvelles technologies environnementales au service de l’armée de Terre

cahier de la pensée mili-Terre
L’Armée de Terre dans la société
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Dans cet article[1] très argumenté, l’auteur nous démontre que la dimension environnementale est non seulement désormais incontournable dans les armées et dans l’armée de Terre en particulier, mais aussi qu’elle peut amener une réelle valeur ajoutée dans les opérations modernes.

 

[1] Les propos, commentaires et réflexions contenus dans cet article n’engagent que leur auteur à titre personnel et ne sauraient correspondre à aucune position officielle.


Pour le ministère français de la Défense, la dimension environnementale s’est longtemps imposée aux seules questions des infrastructures physiques et des sites, qu’il s’agisse de protection des espaces naturels inclus dans les bases et camps militaires ou de mise aux normes énergétiques des bâtiments dépendant du ministère. Or, du fait de la multiplication des opérations extérieures (OPEX), depuis l’Afghanistan jusqu’au Mali, et de la prise en compte croissante dans les réflexions stratégiques globales des questions de sécurité environnementale, comme l’impact futur des réfugiés climatiques sur les communautés françaises d’outre-mer du Pacifique ou l’avancée du désert en zone sahélienne et ses conséquences sur la stabilité des pays de cette région, la question environnementale s’est fort logiquement intégrée dans les programmes d’armement et les besoins capacitaires, au point d’en faire une problématique clef de toute réflexion sur l’équipement futur des forces.

De fait, depuis décembre 2007 et la mise en place par Hervé Morin, ministre de la Défense, du Plan d’action environnement du ministère, cette question du lien entre sécurité environnementale et besoins capacitaires s’est imposée au point d’en faire un élément de la réussite opérationnelle de nos forces. Dans le même temps, les principes du développement durable ont affecté les règles d’engagement sur les théâtres d’opérations et ont conduit à prohiber l’utilisation de certaines armes (bactériologique, chimique, mines antipersonnel, etc.).

Cette intégration des problématiques environnementales aux questions militaires et capacitaires s’est également renforcée de la nécessité de répondre aux réductions des moyens budgétaires des forces armées depuis une vingtaine d’années. La réduction de la consommation d’énergie est ainsi devenue au fil des ans un enjeu important pour nos forces. En effet, dans le domaine de l’énergie, le ministère de la Défense présente un profil atypique et déséquilibré par rapport à tous les autres ministères, du fait de la place très particulière des carburants opérationnels qui représentent 70% de la consommation en tonne équivalent pétrole (tep) des dépenses du ministère français de la Défense, contre environ 30% pour toutes les autres formes d’énergie. Du fait de cette importante consommation de carburant aviation à des fins opérationnelles, le ministère de la Défense, qui reste encore aujourd’hui en tête des grands consommateurs de l’État, doit contenir ses dépenses globales d’énergie autour d’un milliard d’euros par an en moyenne. Une stratégie de performance énergétique a donc été élaborée depuis mars 2012 pour mettre un place une véritable chasse au gaspi et un usage énergétique plus raisonné des équipements.

Mais plus que d’enjeux budgétaires ou de problématiques de pollution, la question environnementale s’est imposée dans le débat capacitaire par l’intermédiaire des technologies «vertes», souvent civiles ou duales. Elles ont intégré le PP30 au travers de l’éco-conception des équipements opérationnels et elles sont devenues un moyen de:

  • réduire la signature environnementale de nos forces
  • développer des technologies capables de limiter les coûts énergétiques des forces en opérations
  • utiliser des technologies «vertes» qui permettent d’être plus autonomes sur le terrain des chaînes logistiques d’approvisionnement en énergie sur des théâtres d’opération hostiles
  • intégrer des technologies «vertes» aux équipements terrestres qui permettent de disposer d’un avantage opérationnel sur l’adversaire.

L’armée de Terre est bien évidemment la première concernée par ces quatre différentes questions, alors que la composante «verte» compatible avec ses besoins n’est pas une évidence.

 

Réduire la signature environnementale de nos forces terrestres: est-ce souhaitable d’un point de vue opérationnel?

Le souci de limiter la dégradation de l’environnement a aujourd’hui d’autant plus d’importance qu’elle va de pair avec d’autres phénomènes touchant à la prospérité globale de nos sociétés à plus long terme, qu’il s’agisse de déforestation (18 millions d'hectares disparaissent chaque année dans le monde), de désertification qui touche 1/6 de la population mondiale, de réduction de la biodiversité ou de tensions sur l’accès aux ressources naturelles, de réduction des produits de la pêche ou de limitation de la quantité d’eau potable disponible.

Or, la fabrication d’armements pour l’armée de Terre est obligée de tenir compte de ce contexte, car l’acceptabilité des opinions publiques pour une opération militaire intègre aussi cette dimension, alors que, simple exemple, la maintenance des véhicules au titre de l’environnement est de plus en plus coûteuse pour les forces, qui doivent éviter d’importants rejets de peinture anticorrosion forcément polluante.

Cette prise de conscience est née des guerres en Irak de 1991, où les Américains ont tiré des obus PGU-14/B API de 30 mm à l’uranium appauvri du canon GAU-8 Avenger dotant les avions d’attaque A-10 Thunderbolt, et du Kosovo en 1999. Différentes études ont porté sur les conséquences visibles d’une non-prise en compte de l’environnement dans l’usage des munitions, avec une pollution durable des sols et la présence de déchets munitionnaires appelés à polluer l’eau et les sols utilisés par les populations civiles dans un contexte de reconstruction et de restauration de la paix.

Limiter l’usage des munitions polluantes est une vraie contrainte pour les forces terrestres car, d’ores et déjà, ces contraintes de protection de l’environnement limitent les entraînements au combat en conditions réelles sur le territoire national et l’usage des munitions. L’idée n’est donc pas de faire un armement «vert» en tant que tel, mais d’éviter que l’armement ait des conséquences environnementales durables et insupportables pour les générations futures, surtout dans des régions où nos forces terrestres peuvent être amenées à être engagées dans des opérations de maintien ou de restauration de la paix à long terme. C’est un défi auquel doit faire face Nexter lors de la fabrication d’obus pour l’artillerie française et les blindés, par exemple l’obus BONUS anti-char à détection de cible du canon CAESAR.

Cette politique «durable» n’est cependant pas sans risques pour nos matériels terrestres. Le respect des contraintes environnementales peut conduire à réduire les performances des matériels avec une capacité de pénétration des obus moindre du fait de l’abandon de l’utilisation de métaux lourds, et à diminuer l’efficacité des explosifs rendus plus stables mais moins puissants. Les principes et les contraintes du développement durable peuvent donc affecter négativement les règles d’engagement sur les théâtres d’opérations, en conduisant à prohiber l’utilisation de certaines armes; ce qui n’est pas l’objectif recherché pour nos forces.

 

Développer des technologies capables de limiter les coûts énergétiques des forces terrestres

En 2007, le ministère de la Défense a lancé le programme «Défense 3D» (développement durable défense), où la norme ISO 50001 «management de l’énergie» est de plus en plus présente. Les équipements comme les bases sont concernés[1]. À titre d’exemple, en décembre 2015, au camp militaire de la Valbonne, où stationne le 68ème régiment d’artillerie d’Afrique, la norme ISO 50001 est devenue le standard. Un contrat d’une valeur de douze millions d’euros permet désormais d’atteindre un haut niveau de performance énergétique pour cette base de 3.000 personnes, et la centrale au charbon a été remplacée par une infrastructure durable construite et gérée par ENGIE Cofely, en charge du projet, avec un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 60%.

En dehors du cas spécifique des fournitures en énergie des bases de l’armée de Terre, trois axes d’effort ont été engagés pour les matériels: développer de nouveaux carburants, améliorer les rendements des moteurs thermiques et alléger le poids des véhicules. C’est sur ce dernier point que l’effort a été porté ces dernières années dans les armements terrestres car c’est le facteur qui influe de manière déterminante sur la consommation de carburant. Ainsi, le véhicule blindé TITUS[2], développé et conçu par Nexter en 2012 sur la base d’un camion tchèque Tatra, pèse dix-sept tonnes (il peut aller jusqu’à vingt-sept tonnes) et peut transporter quatorze hommes en étant réellement tout terrain. Cette logique d’optimisation de la masse des équipements a été adoptée et étendue dans le cadre du programme SCORPION. Elle est intégrée pour les futurs 319 véhicules blindés multi rôles GRIFFON et pour les 20 engins blindés de reconnaissance et de combat JAGUAR (tous les deux font 25 tonnes) dont la commande a été notifiée à Nexter, Renault Trucks Défense et Thales par la DGA en avril 2017, et qui remplaceront respectivement les VAB et les AMX10RC.

 

Utiliser des technologies «vertes» qui permettent d’être plus autonomes sur le terrain des chaînes logistiques d’approvisionnement en énergie sur des théâtres d’opération hostiles

Le programme de combattant du futur FELIN (fantassin à équipements et liaisons intégrés) piloté par Sagem Defence and Security, entité du groupe Safran, s’est engagé dans la voie des économies d’énergie. En novembre 2013, dans une interview donnée au site Army technology[3], le directeur des coopérations industrielles et des offsets du groupe Sagem, Renaud d’Hautefeuille, a bien précisé que l’un des objectifs majeurs de ce programme était de rendre le combattant plus autonome par rapport aux approvisionnements énergétiques classiques. Dans ce but, le groupe Sagem a développé une batterie Lithium-ion unique, de masse réduite, et gérant de manière optimisée l’énergie disponible pour le fantassin, à la fois pour sa radio, ses différents moyens de communications et ses équipements tiers.

De même, autre exemple de l’intérêt manifesté pour ces technologies vertes, l’un des contrats du programme FELIN est lié à l’entreprise limousine de fabrication de panneaux solaires DisaSolar. Ce contrat a été signé le 12 juillet 2012 avec le ministère de la Défense pour le développement de panneaux solaires flexibles et mimétiques, avec le CEA/INES et le CNRS/XLIM, capables d’adopter les formes et les couleurs de l’environnement dans lequel il est déployé, pour fournir en toute discrétion au combattant en opération de l’énergie tirée du soleil destinée à accroître son autonomie et à recharger les batteries qui l’équipent aujourd’hui.

 

L’intégration de technologies «vertes» aux équipements militaires terrestres peut-elle permettre de disposer d’un avantage opérationnel sur l’adversaire?

Cet enjeu est d’abord perçu comme un moyen de limiter l’exposition aux risques, par exemple en limitant les besoins en énergie pour des raisons opérationnelles. L’Afghanistan a montré que l’approvisionnement en énergie restait une vulnérabilité dans un contexte où les transports de carburants sont attaqués, avec une perte de 300 véhicules citernes et plus de 1.000 véhicules endommagés entre 2001 et 2016.

Aujourd’hui, de nombreuses technologies vertes s’intègrent donc aux équipements terrestres, mais il ne s’agit pas toujours de besoins opérationnels. À titre d’exemple, les équipes du département matériaux de la DGA ont travaillé sur de nouvelles peintures pour remplacer celles avec solvant par des systèmes de peintures plus respectueux de l’environnement, en conservant les propriétés fonctionnelles comme la discrétion infrarouge. Mais tout cela ne donne pas un avantage capacitaire et ne répond pas à un besoin opérationnel.

La vraie question est bien de déterminer ce qui, dans les technologies dites vertes, permettrait de faire une différence opérationnelle et ce qui pourrait relever d’une politique de puissance au travers de l’usage des technologies vertes[4]. Or, dans les domaines concernés (cleantechs, génie écologique, gazéification de biomasse, éco-informatique, capture de carbone et réduction d’émissions de CO², énergie solaire et éoliennes principalement), l’impact sur les équipements est réel, mais ce n’est pas ce qui fait la différence au combat. Pour l’armée de Terre comme pour toutes les autres forces, la technologie de rupture qui lui donnera une très forte autonomie énergétique peut être décisive pour les combats du futur. C’est évidemment dans cette direction qu’il faut s’orienter[5].

En conclusion, les liens entre l’univers des technologies vertes et celui du monde «kaki» sont de plus en plus croissants. Parmi les différentes applications possibles pour les armements terrestres, des technologies vertes viendront certainement de futurs polymères[6] tirés du vivant, proches des technologies de bio-mimétisme, qui permettront de créer de nouvelles machines, avec des formes complexes et des propriétés qui pourront être adaptées en fonction de la demande et des besoins des forces militaires. Les technologies vertes sont donc bien un enjeu majeur de sécurité pour les forces terrestres du XXIème siècle.

 

 

[1] Voir l’étude prospective de la FRS sur ces questions: https://www.frstrategie.org/publications/defense-et-industries/optimiser-l-energie-en-operations-exterieures-1-5

[2] Voir le site de Nexter: http://www.nexter-group.fr/fr/presse-et-evenements/605-nexte-systems-devoile-son-nouveau-vehicule-blinde-6x6-titusr-lors-du-salon-dsei-2013

[3] Voir: http://www.army-technology.com/features/feature-defining-green-defence-cross-border-approach/

[4] Voir sur cette question le projet TARANIS présenté en mars 2016 et financé par le CSFRS: https://www.csfrs.fr/recherche/projets-en-cours/TARANIS

[5] Voir les travaux de l’ONERA pour l’horizon 2050 sur les technologies aéronautiques: http://www.onera.fr/sites/default/files/Departements-scientifiques/DPRA/brochure-ats2050.pdf

[6] À titre d’exemple, l’entreprise autrichienne Glock produit des pistolets dont le premier modèle, sorti en 1980, fut le Glock 17. C'est un des premiers pistolets industriels intégrant des polymères. Grâce à ces matériaux, l’arme est plus légère et moins sensible à la corrosion. La souplesse des matériaux rend son recul moins brutal qu’avec la carcasse rigide d’une arme de poids équivalent.

 

 

Monsieur Christophe-Alexandre PAILLARD est administrateur civil hors classe, chef du département «intelligence économique et protection de l’information» du service de défense, de sécurité et d'intelligence économique (S.D.S.I.E.) du ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer (MEEM) et du ministère du Logement et de l’habitat durable (MLHD). Il est par ailleurs maître de conférence à Sciences Po Paris, à l’IEP de Rennes et à l’Institut catholique de Paris, et chercheur associé de l’université Bernardo O’Higgins, Santiago du Chili.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Titre : Le vert et le kaki, de nouvelles technologies environnementales au service de l’armée de Terre
Auteur(s) : l’Administrateur civil hors classe Christophe-Alexandre PAILLARD
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