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Les heurs et malheurs de l’Irakisation (2003-2008)

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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La guerre au milieu des populations peut difficilement trouver une issue victorieuse sans la prise en compte du combat par les troupes de l’État souverain. Encore faut-il savoir quelle forme doit prendre cette force combattante entre le respect de la culture militaire locale, au risque de la contradiction avec les forces et les objectifs alliés, et le mimétisme, au risque de l’inadaptation au milieu et donc de l’inefficacité.

Le cas de l’Irak est un bon exemple des difficultés de cet arbitrage.


L’armée Potemkine

Dans le «nouvel Irak» tel qu’il est rêvé en 2003 par l’administration Bush, il n’y a que peu de place pour une armée nationale, hormis celle du Kurdistan allié. Les forces américaines sont bien suffisantes pour faire face à toutes les menaces et l’armée irakienne, coupable de sept coups d’État en 80 ans, apparaît surtout comme un facteur de déstabilisation. Tout au plus, après avoir supprimé d’un trait de plume l’armée de Saddam Hussein, l’ambassadeur Paul Bremer accepte-t-il de reformer une petite force de 30.000 hommes dépourvue de matériel lourd. La conscription est exclue mais aussi le recrutement sur des bases ethniques ou tribales, violant ainsi les principes de fonctionnement traditionnels irakiens.

Dans la logique néo-libérale du moment, la formation et l’équipement de cette petite armée sont confiés à des sociétés privées américaines. Pour plus de 300 millions de dollars, la société «Nour USA» s’engage à fournir des véhicules et de l’équipement individuel, mais un an plus tard, le contrat, non rempli, est annulé. Quant aux instructeurs de «Vinnel Corporation», bien peu parlent l’arabe et aucun ne vit ailleurs qu’à l’hôtel, en tous cas pas auprès de recrues locales payées 70 dollars par mois. Les bataillons irakiens n’ont aucune cohésion et le taux d’absentéisme y dépasse fréquemment le tiers des effectifs, sans parler des désertions. Mais cette armée échappant au commandement militaire de la Coalition, cela n’alerte personne.

Devant l’apparition d’un mouvement de rébellion de grande ampleur, la Coalition se rend pourtant compte rapidement que ses unités sont trop peu nombreuses et trop inadaptées au milieu pour y faire face seules. Le département d’État refusant toujours d’engager les bataillons irakiens dans les affaires intérieures, le Pentagone crée donc lui-même sa propre armée sous forme de garde nationale et de force de protection des points sensibles, pour s’apercevoir au bout de quelques mois que ces nouvelles structures se révèlent finalement plus aptes à servir de réservoir de ressources aux rebelles qu’à les combattre. Au printemps 2004, la Coalition obtient enfin l’autorisation d’utiliser l’armée régulière.

La crise d’avril 2004 (révolte mahdiste dans le Sud, résistance de Falloujah) fait alors voler en éclat le village Potemkine. Le premier bataillon irakien engagé contre des rebelles se débande à quelques kilomètres de Falloujah tandis que sur l’ensemble de l’Irak, un tiers des gardes nationaux et la moitié des policiers désertent. En désespoir de cause, les Américains tentent pour la première fois de jouer la carte ethnique en formant une brigade ad hoc d’anciens combattants sunnites pour prendre en compte la sécurité de Falloujah, mais il suffit de quelques semaines pour que cette nouvelle brigade prenne fait et cause pour les rebelles. Seules les cellules clandestines utilisées par la CIA dans la traque des anciens dignitaires puis des dirigeants rebelles (les «commandos Shahwani») ont une certaine efficacité.

 
L’option Salvador

Devant ce désastre, les Américains comprennent qu’ils ne parviendront jamais à éradiquer les différents mouvements de guérilla et que la seule stratégie pour durer sans subir trop de pertes consiste à faire prendre en compte le combat par les Irakiens eux-mêmes. De source de déstabilisation, l’armée irakienne devient alors la solution à tous les problèmes américains. Cette fois, c’est le Pentagone qui prend en compte la formation de ce nouvel avatar d’armée nationale et forme pour cela un commandement spécifique confié au Général Petraeus avec un budget d’environ sept milliards de dollars par an.

Le problème est qu’il faut des années pour former une armée et qu’en 2004 la situation est critique à quelques mois des élections présidentielles américaines et législatives irakiennes. Dans l’urgence, deux autres formes d’irakisation du conflit prennent alors spontanément une ampleur considérable. Les sociétés militaires privées d’abord, dont les effectifs explosent jusqu’à dépasser le contingent américain en 2007, emploient massivement des gardes armés (25.000 en 2006, le double actuellement) dont évidemment beaucoup d’Irakiens. En offrant des salaires supérieurs à l’armée nationale, les SMP attirent ainsi une bonne partie de la ressource humaine disponible.

Surtout, le gouvernement provisoire d’Illyad Allaoui, mis en place en juin 2004, décide de créer ses propres troupes sous couvert du ministère de l’intérieur. La première d’entre elles est la Force spéciale de la police, confiée à l’oncle du ministre. Contrairement aux bataillons de l’armée nationale, cette unité recrutée selon des liens tribaux et claniques parmi les anciens militaires sunnites est disciplinée et efficace. Petraeus est placé devant le fait accompli mais il décide «d’essayer ce cheval» et de l’aider. La Force spéciale (10.000 hommes en 2005) est alors de tous les combats de reconquête, agissant en deuxième rideau des troupes américaines pour «nettoyer» les zones réoccupées de toutes les cellules rebelles qui y subsistent.

Dans l’immédiat, cette solution ne paraît comporter que des avantages et la Force spéciale fait des émules. Les unités irrégulières se multiplient jusqu’à mériter le surnom de «pop-up» (champignons). Constituées sur des bases ethniques et sous le commandement d’un chef sûr, elles ont une forte cohésion et une efficacité certaine. Pour autant, certains commencent à exprimer des craintes sur cette «option Salvador», en référence à l’emploi des groupes paramilitaires dans ce pays. Ces unités, comme les SMP, entretiennent l’incertitude et la confusion dans un conflit déjà complexe. De plus, en accaparant la majeure partie des ressources du ministère de l’intérieur, elles laissent la police urbaine dans un état déplorable propice à l’infiltration par les organisations chiites, l’armée du Mahdi en premier lieu.

 
La boîte de Pandore

L’arrivée au pouvoir des Chiites, à l’occasion des élections de 2005, ouvre alors la boîte de Pandore. Pour commencer, le nouveau gouvernement procède à une nouvelle débaasification en remplaçant les unités spéciales sunnites par ses propres brigades, dont la redoutable «Dhib» (Loup), et en les plaçant sous le contrôle de l’organisation Badr, bras armé de l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak, le principal parti chiite. Ces forces spéciales de police, qui disposent de leurs propres prisons et ont une forte tendance à ne pas distinguer entre rebelle et opposant au régime, prennent alors des teintes de plus en plus marquées d’escadrons de la mort. Simultanément, la police des rues, en particulier à Bagdad, passe sous l’emprise mahdiste et dispute à Badr le contrôle des quartiers.

Le changement de pouvoir accélère aussi la radicalisation de la mouvance djihadiste sunnite qui, sous l’impulsion d’Al-Qaïda en Irak (AQI), multiplie les massacres de chiites et les assassinats de personnalités sunnites accusées de vouloir réintégrer le jeu politique. À la fin de 2005, cette politique du pire entraîne ainsi une nouvelle cassure, au sein du front sunnite cette fois, les tribus et les nationalistes étant exaspérés par les agissements d’AQI. On se trouve ainsi avec cinq fédérations combattantes (Kurdes, Sunnites nationalistes, djihadistes, armée du Mahdi, Badr) qui s’affrontent sur des lignes de fracture inter et intra-ethniques et dans une capitale qui tend à devenir un trou noir de violence susceptible d’entraîner le reste du pays.

 
L’armée de sable

À ce moment là, l’armée nationale irakienne vient à peine d’atteindre la maturité au prix de 20 milliards de dollars et de l’engagement de centaines d’équipes de conseillers américains. Sur le papier, l’ensemble est impressionnant avec plus de 115.000 hommes et 85 bataillons ; mais en réalité, cette armée, qui a pratiquement doublé de volume tous les ans (160 bataillons actuellement), est surtout une grenouille devenue bœuf. Une brigade irakienne engage rarement plus de soldats sur le terrain qu’un bataillon américain et avec moins d’équipements. Hormis à la 9ème division mécanisée, les bataillons sont en fait à peine mieux armés que les rebelles qu’ils combattent. Le soutien logistique dépend presque entièrement des Américains et le pillage est général (plus d’un milliard de dollars d’équipement auraient été détournés). De fait, la plupart des bataillons se désagrègent rapidement dans les zones de combat.

De plus, cette armée continue à susciter la méfiance à la fois des Sunnites, car elle a été d’abord créée pour lutter contre eux, mais aussi du gouvernement Maliki qui voit en elle la chose des Américains et l’instrument possible de sa chute. Aussi, comme Saddam Hussein, ce dernier préfère-t-il s’appuyer sur ses propres milices.

Placés en retrait  aux côtés de forces américaines qui se sont elles-mêmes largement repliées sur de grandes bases, les militaires irakiens assistent impuissants au développement de la guerre civile en particulier à Bagdad, où plus personne ne faisant confiance à personne, les milices d’autodéfense se sont multipliées sous le contrôle des extrémistes de tous bords. La ville est alors le théâtre d’une guerre mi-criminelle mi-idéologique où gangs mahdistes et salafistes s’affrontent à coups de rackets, enlèvements, assassinats et attentats. Face au gouffre, le gouvernement Maliki est obligé de faire appel aux forces américaines et à l’armée irakienne pour rétablir la situation. Il faut alors plus d’un an et l’envoi de 28 brigades (18 irakiennes et 10 américaines), sans parler des milices diverses, pour extirper les réseaux djihadistes et refouler les Mahdistes, dont le chef décrète prudemment une trêve.

 
Gulliver ligoté

Au printemps 2007, cette mobilisation du «Surge», mais aussi l’assassinat de plusieurs personnalités sunnites importantes par AQI, finissent par convaincre les tribus et les principaux mouvements nationalistes sunnites de rejoindre le mouvement dit de l’«éveil» (Sahwa), fondé par le cheikh de la tribu des Rishawi contre les djihadistes mais avec le soutien américain. La situation dans l’Anbar évolue ainsi spectaculairement en faveur des Américains contre qui les attaques diminuent de 10% chaque mois. L’expérience du Sahwa est alors étendue à d’autres provinces. À rebours de toute la politique d’absorption des milices dans les forces gouvernementales, les Américains acceptent de financer plus de 300 groupes locaux regroupant 100.000 «fils de l’Irak».

Ce retournement d’alliance a, avec la trêve des Mahdistes, largement contribué au bon bilan du Général Petraeus mais il est sans doute aussi synonyme d’une libanisation rampante. Outre le malaise qu’éprouvent de nombreux Américains à combattre aux côtés d’anciens adversaires, beaucoup s’interrogent sur cette politique d’armement d’une nouvelle armée ethnique (82 % des «fils de l’Irak» sont sunnites) presque aussi nombreuse que l’armée régulière. Plusieurs groupes Sahwa s’opposent violemment aux Kurdes à Kirkuk et Mossoul mais aussi désormais aux forces de sécurité gouvernementales dans certaines provinces.

Coincés entre toutes ces forces contradictoires qu’ils ont contribué à libérer sans les maîtriser, lâchés par une «Coalition des volontés» de moins en moins volontaire, les Américains apparaissent désormais comme un Gulliver ligoté par les Lilliputiens. Ils se croyaient manipulateurs dans la région, ils sont devenus manipulés comme, selon le vieil adage arabe, lorsque la magie s’empare du magicien. Ils ont néanmoins un atout non négligeable : remplaçant Saddam Hussein dans ce rôle, ils sont devenus la clef de voûte d’une nation qui se délite mais qui sans eux basculerait complètement dans le chaos. Ils peuvent jouer de cette position d’arbitre entre des communautés qui, à l’inverse de leurs discours, cherchent toutes l’alliance ou la neutralité américaine, pour, au mieux, espérer une sortie honorable.

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Titre : Les heurs et malheurs de l’Irakisation (2003-2008)
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel Michel GOYA
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