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Les leçons russes de la première guerre d’Afghanistan

BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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La décision de Moscou de se retirer d’Afghanistan s’explique par sa perception du conflit, par  ses  problèmes internes, pas des considérations globales de politique internationale.  Défaite stratégique, la guerre menée  par  les  Soviétiques en Afghanistan de 1979 à 1989 n’est pas un échec sur le plan militaire. Par l’innovation,  la décentralisation du commandement, la  prise en  compte de la population, l’armée Rouge maintient à distance les Moudjahidin, que seuls les Stingers américains sauvent de l’anéantissement.

 


Quelques mois après l’attentat du « 11 septem­bre », lorsque l’Amérique déclare la guerre à Al Qaeda et déclenche l’opération « Liberté Immu­able » (« Enduring Freedom ») contre les Talibans au pouvoir en Afghanistan, de discrets émissaires de la Russie du jeune président Poutine (il a été élu le 7 mai) font savoir à l’administration Bush qu’ils sont prêts à leur livrer quelques « recettes » utiles pour livrer bataille au Royaume de l’Insolence. Douze ans après la fin de sa guerre d’Afghanistan (1979­-1989), Moscou panse encore les stigmates de son engagement militaire dans ce pays grand comme la France, la Belgique, les Pays­Bas et le Danemark réunis, à la géographie tourmentée – il est barré en son centre par le massif montagneux de l’Hindu Kush culminant à 7 000 m d’altitude –, peuplé d’une véritable mosaïque ethnique. Déclenchée pour sauver le régime communiste, son intervention s’inscrit dans le dessein historique de l’empire russe de se ménager un accès aux mers chaudes. Le bilan est lourd : 26 000 tués et 53 000 blessés parmi les 620 000 jeunes russes, pour la plupart conscrits, qui combattirent à tour de rôle au pays des seigneurs de guerre, des trafiquants d’opium et de hashich, du Bouzkachi et des cerfs­volants. Les pertes matérielles sont du même acabit :

118 avions de combat, 333 hélicoptères, 147 chars, 1314 blindés de transport, 11369 camions… En se télescopant bientôt avec la course aux armements déclenchée à  dessein par  les  États­-Unis de Ronald Reagan, la guerre d’Afghanistan contribue significativement à accélérer la déliquescence et la chute du régime soviétique. Cette guerre fut « une blessure sanglante », dira Mikhaïl Gorbatchev, le père de la « Perestroïka », qui négocia avec les Américains le retrait d’Afghanistan.

Pourtant, quand les 450 véhicules et 1 400 hommes de la dernière colonne de l’Armée rouge repassent le pont de l’Amitié qui enjambe l’Amou Daria, le fleuve matérialisant alors la frontière entre l’URSS et l’Afghanistan, c’est une troupe invaincue qui bat en retraite : en neuf ans de guerre, elle a su échapper au terrible piège de l’enlisement et a réussi à consolider le gouvernement légal en place à Kaboul. En combinant l’emploi de méthodes brutales et d’innovations dictées par les circonstances et le pragmatisme de chefs militaires ayant pris l’ascendant sur des commissaires politiques gardiens de la doctrine, la 40e armée réussit à imposer un semblant d’ordre et de discipline à ce pays clé de voûte du continent asiatique, zone pivot stratégique entre le Moyen­-Orient et l’Asie, qui s’est toujours montré intrinsèquement hostile à d’autres formes de règles que les coutumes tribales et les préceptes de la Charia.

 

La guerre démarre le jour de Noël 1979, lorsque Leonid Brejnev lance la phase principale de l’opération « Prague ». Les cinq divisions assemblées dans le sud­est de l’URSS pour constituer la 40e armée soviétique se ruent en Afghanistan. Elles sont commandées par le général Borissov, l’homme qui a jeté un véritable pont aérien sur l’Éthiopie en 1977 pour briser l’offensive somalienne et sauver un régime satellite. Un autre spécialiste des coups force est déjà à Kaboul : il s’agit du général Pavlovksi. Après avoir orchestré l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968, à la suite du printemps de Prague, il est devenu le numéro deux du ministère de la défense. Sur place, il coordonne la mission des 1500 «conseillers»: verrouiller le contrôle des principales garnisons afghanes. Il supervise aussi le travail des hommes de la brigade parachutiste qui a investi la grande base militaire de Bagram, au Nord de Kaboul, où atterrit bientôt une noria d’Antonov. Dans la nuit du 20 décembre, les parachutistes s’emparent du tunnel de Salang, principal verrou routier d’accès à la capitale. Le 27, les spetznaz s’emparent du palais présidentiel où s’est barricadé le chef de l’État, Hafizulah Amin. Le 1er janvier 1980, les cinq divisions de la 40e armée campent au Royaume de l’Insolence. Au plus fort de son engagement, quatre ans plus tard, le contingent d’occupation aligne 100 000 hommes.

 

C’est un pays plongé dans le chaos qu’envahit l’armée Rouge. Depuis le coup d’État formenté par le PC afghan, la situation intérieure de ce satellite de Moscou s’est détériorée à toute vitesse. Les  communistes se  sont  attaqués aux  structures traditionnelles de la société. Ils ont provoqué une désorganisation générale et, plus grave, un soulèvement des puissantes tribus qui  se  partagent l’Afghanistan utile. La  crise  est  aggravée par une répression aveugle : 15 000 arrestations arbitraires, 300 000 exécutions. L’armée nationale Afghane, affaiblie par les purges, est en partie neutralisée. Seuls les grands axes du pays sont encore sous le contrôle du gouvernement de Kaboul, qui s’est résolu à faire appel à son protecteur. Après une période de tergiversation, la victoire des Mollah chiites à Téhéran et le départ des Américains de la région en janvier 1979 conduisent Moscou à passer à l’action.

 

« Que peuvent ces paysans afghans à pantalons bouffants contre une telle force ? », déclare la veille de l’invasion à propos de la rébellion afghane, le général Sokolov, qui a supervisé la montée en puissance du corps expéditionnaire soviétique. Le choc avec la réalité du terrain est cependant douloureux pour les lourdes colonnes blindées frappées de l’étoile rouge, dès qu’elles s’éloignent de leurs bases et quittent les axes majeurs. Elles avaient été formées pour faire face à un éventuel affrontement avec les blindés afghans ou une « task force » américaine, en aucun cas pour se mesurer à une guérilla, évoluer sur un terrain peu propice au combat motorisé, où l’écrasante supériorité du rapport de forces en leur faveur devient leur handicap. Les pertes matérielles et humaines enregistrées à chaque coup de sonde convainquent vite les chefs de ne pas insister. Quelques semaines après l’invasion, les divisions soviétiques se replient sur les 20 % du territoire constituant l’Afghanistan utile. Elles se bornent à contrôler les grands axes, les villes et zones économiques vitales depuis leurs camps isolés dressés souvent ex nihilo à la sortie des villes de garnison, où elles se bunkérisent. Elles ne s’aventurent hors de ce périmètre que pour tenir à distance les rebelles, et permettre au KGB de déployer ses spécialistes de la guerre d’influence. Objectif : façonner un peuple afghan nouveau. L’utopie cède bientôt le pas au réel.

 

Dès le printemps 1980, les combats s’intensifient entre les unités soviétiques et les rebelles. Les premières font usage de toute la puissance de feu de leurs armes dans l’intention d’anéantir les seconds, qui se dérobent. Le jour, le soldat soviétique impose sa force. La nuit, le Moudjahid reprend l’ascendant. De sorte que dès la fin de l’année, les stratèges soviétiques se rendent à l’évidence : il leur faudrait entre 500 000 et 1 million d’hommes pour verrouiller la frontière avec le Pakistan, où trouve refuge l’ennemi, et écraser tous les groupes qui persisteraient à leur tenir tête. Ils tirent ces chiffres de l’étude de la guerre du Vietnam, où les Américains ont engagé trois fois plus d’hommes qu’eux en Afghanistan pour tenter de contrôler un territoire deux fois plus petit. Comme le Kremlin oppose une fin de non-­recevoir à ses « maréchaux », ces derniers se retournent vers leurs états-­majors. C’est le début d’une révolution interne. Les opérationnels la conduisent en faisant appel aux conseils de généraux vietnamiens vétérans des guerres menées contre les Français, puis les Américains dans la péninsule indochinoise.

 

Jusque-­là hypercentralisée, l’Armée rouge découvre les vertus de l’initiative. La guerre devient celle des jeunes officiers. À défaut d’obtenir un avantage décisif sur un adversaire faible et dispersé, les Russes choisissent de s’engager dans un conflit de faible intensité mais de plus longue durée. Ils parient sur l’épuisement progressif de l’insurrection. Une partie de leurs forces occupe les zones vitales, l’autre traque les rebelles sur leur terrain. Elle travaille désormais systématiquement avec les forces afghanes qui connaissent le terrain. Dans les vallées récalcitrantes, les Soviétiques frappent délibérément avec une extrême brutalité. Ils pratiquent la tactique de la terre brûlée. Bombardement d’altitude, destruction des cultures, des cheptels et des villages, empoisonnement des sources : ils ne reculent devant rien pour couper la rébellion de ses soutiens dans la population. Dès 1984, ils comprennent que négliger le facteur humain est une grave erreur et ils s’efforcent de rectifier le tir. Partout où cela leur apparaît possible et utile, ils négocient et organisent le ralliement des tribus et des villages, incitent et appuient le retour – l’installation – des représentants de l’État.

 

Plus souple, l’hélicoptère supplante vite le char. Les fantassins apprennent à combattre comme des commandos. Décisives lors de l’invasion, les forces spéciales et les unités parachutistes deviennent le  pivot de  cette guerre, tant pour les  actions ciblées que pour les opérations d’influence. Les états­majors abandonnent l’engagement classique par bataillons entiers pour privilégier des opérations à deux ou trois compagnies. Maîtres mots: initiative, autonomie de décision, liberté d’action. L’adaptation ne se fait pas sans mal. Fin avril 1985, les forces spéciales russes subissent un humiliant revers dans le défilé de Marawar (province du Kounar). Un bataillon entier (400 hommes) est pris dans une nasse : une trentaine de commandos sont massacrés. Tous les blessés sont achevés, les morts dépouillés, leurs corps mutilés. Il n’y aura que deux survivants.

 

Le succès est pourtant au rendez­vous au tournant de l’année 1985. Divisée en de nombreux clans et factions rivales, jouet des partis politiques et des intérêts étrangers, acculée dans les montagnes, de plus en plus mal approvisionnée  en vivres, munitions et médicaments, la rébellion afghane (de 60 000 à 150 000 hommes, selon les sources) marque le pas. Si l’aide internationale n’avait pas été décuplée à ce moment précis, les Soviétiques et le régime de Kaboul auraient marginalisé dura­blement la rébellion, et imposé leur joug. Ce sont en particulier les Stingers introduits par la CIA qui sauvent les «Combattant de  la  Liberté  »  de  l’anéantissement. Bien  servis  par  des Moudjhahidins formés à leur maniement de l’autre côté de la frontière, les missiles sol­air à visée optique et guidage infra­ rouge percutent les avions et les hélicoptères en vol jusqu’à 5000 mètres de distance. Près de 900 sont tirés de la fin de l’année 1986 à octobre 1988. Terreur des pilotes soviétiques, ces armes réduisent notamment la pression exercée par le couple hélicoptères­forces spéciales sur les caravanes logistiques de la rébellion en provenance du Pakistan. Les 14000 kilomètres de frontières n’ont jamais été hermétiques. En 1983, près de 400 itinéraires d’infiltration sont  recensés dans  les  seules provinces du Nangahar et du Kounar (est de Kaboul). Les deux bataillons russes (800 hommes) engagés dans cette bataille n’interceptent que 15 % des caravanes logistiques de la résistance. Les spetsnaz font mieux. De 1984 à 1989, ils ne pèsent que 5 % des effectifs (3900 hommes) mais réalisent 60 % des résultats. L’effet que produisent les Stingers sur la situation tactique globale est toutefois assez relatif, car les Soviétiques ne sont pas adeptes du tout-­aérien, comme l’ont été les Américains au Viêtnam.

 

De 1981 à 1988, la situation militaire des Russes ne change pas fondamentalement. Ils maîtrisent l’insurrection et aucun élément n’indique une défaite possible. Certes, la population paie cette pax sovietica au prix fort : un million de morts, 700 000 mutilés et handicapés, 1,5 million de déplacés, 5 millions de réfugiés entre le Pakistan et l’Iran, d’immenses destructions matérielles. La décision du retrait s’explique d’abord par la perception du conflit au Kremlin (lendemains incertains et gain stratégique nul), par les problèmes internes de l’URSS (essoufflement du régime, panne de l’économie, perestroïka), par des problèmes internationaux plus globaux. Les Russes réussissent en moins de dix mois cette délicate opération, ce qui confirme leur bonne maîtrise du terrain. Entre l’été 1988 et février 1989, l’état­major rapatrie sans encombre 110 000 hommes, 4000 blindés, 2000 pièces d’artillerie et 16000 camions. Avec la phase d’invasion de 1979, c’est l’une des trois opérations (sur les 220 menées par eux) que les Soviétiques considèrent comme totalement réussies. Ils laissent même derrière eux un régime ami qui saura résister aux coups de boutoir de la résistance jusqu’au début 1992, après l’effondrement de l’URSS.



 

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Titre : Les leçons russes de la première guerre d’Afghanistan
Auteur(s) : le lieutenant-colonel (R) Mériadec RAFFRAY, du pôle études et prospective du CDEC
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