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Les principes de Foch à l’épreuve de la Grande Guerre

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Le Maréchal Foch, commandant en chef des armées alliées en 1918, est souventconsidéré comme l’incontestable vainqueur de la Grande Guerre, un titre qui apparaît comme la consécration de la pensée militaire brillante de l’auteur des «Principes de la Guerre».

De fait, la victoire de 1918 est le résultat de l’application judicieuse des principes attribués à Foch et retenus par l’armée de Terre: une économie des forces bien menée, qui a procuré la liberté d’action nécessaire à une concentration des efforts efficace, avec un point d’application variant sans cesse, privant ainsi l’ennemi de sa liberté d’action tout en augmentant celle des Alliés, et l’acculant ainsi à l’armistice. C’est en revanche pour ne pas avoir respecté ces principes que les armées françaises ont échoué aux frontières, puis se sont enlisées dans des attaques aussi vaines et coûteuses que décousues jusqu’à ce que le choix soit effectué, peu après la mi-mai 1917, de renoncer à l’offensive décisive tant que les moyens nécessaires feraient défaut. Le Général Foch venait alors d’être promu chef d’état-major général3 et le Général Pétain commandant en chef.


 

La manière dont ont été menées les opérations au cours de la difficile période allant de la fin 1914 à la fin 1916 est cependant en grande partie imputable au penchant offensif de Foch4, qui a exercé d’importants commandements pendant cette période. Quant à sa contribution à la victoire, en 1917-1918, en qualité de chef d’état-major général, puis de commandant en chef des armées alliées5, elle ne l’a paradoxalement pas empêché de rejeter, des mois durant, la stratégie d’attente et les offensives partielles, que préconisait le général Pétain en préalable à l’offensive décisive6, avant d’opérer un indiscutable revirement pendant l’été 1918.

 

La façon dont Foch pensait l’action ne fut donc pas exempte de tâtonnements et d’erreurs; mais il importe de ne pas oublier que son attirance pour «la bataille: attaque décisive»7 était encore partagée par beaucoup au début de l’année 1918, et qu’il n’était plus en prise directe avec les opérations depuis décembre 1916.

 

De ce qui précède, il ressort néanmoins qu’il n’y a pas nécessairement équivalence entre les principes habituellement attribués à Foch et ceux qu’il avait réellement identifiés. Il s’avère en outre que ses principes ne semblent pas toujours avoir été applicables et qu’ils ont évolué pendant le conflit. Leur formulation n’est d’ailleurs pas anodine: elle diffère de celle des principes retenus par l’armée de Terre et dénote un certain flou conceptuel avec l’«économie des forces; […] la liberté d'action; […] la libre disposition des forces; […] la sûreté» et le fameux «etc.»8, ainsi qu’une concentration des efforts qui n’est pas qualifiée de principe par Foch, en dépit de la grande importance qui lui est accordée.

 

Il importe donc de s’interroger sur la manière dont Foch concevait les principes de la guerre et sur la façon dont il les a mis en œuvre, en se demandant comment ils ont évolué et quelle place ils ont occupé dans la conduite des opérations en 1914-1918. Autrement dit, «les principes fixes, tirés de l’histoire» 9 de Foch ont-ils répondu au «cas particulier» de la Grande Guerre, avec le blocage de la tactique qui l’a caractérisée, ou leur universalité n’était-elle pas insuffisante pour qu’ils en subissent l’épreuve avec succès, avec un passage réussi de la théorie à la pratique?

 

Pour répondre à cette question, on s’interrogera d’abord sur la part de Foch et de ses principes dans les difficultés survenues de 1914 à 1916 puis sur leur rôle effectif dans les progrès accomplis en 1917-1918, qui ont abouti à la victoire.

 

 

La part de responsabilité de Foch dans l’application défectueuse des principes de 1914 à 1916

 

La manière dont Foch comprend et applique les principes de la guerre a sa part dans les échecs de 1914-1916. Pendant toute cette période, il persiste en effet dans l’idée que la victoire passe nécessairement par une offensive décisive, seul moyen d’après lui de prendre l’ascendant sur l’ennemi et de lui imposer sa volonté. En plaçant ainsi la solution à un problème opératif dans la tactique, il peine à appréhender les principes de concentration des efforts et de liberté d’action, et à bien appliquer celui d’économie des forces.

 

Ainsi, en dépit des erreurs qu’il a constatées dans la manière dont le GQG de Joffre concevait et conduisait les opérations, il ne fait tout d’abord guère mieux qu’eux. Plus tard, à la fin 1915, après avoir pris conscience de l’importance du facteur matériel, qu’il négligeait jusqu’alors, il n’arrive pas à en tirer toutes les conséquences.

 

L’opposition plus apparente que réelle de Foch à l’initiative érigée en absolu Alors que le Général Foch commande l’École de guerre, il se montre sceptique vis-à-vis des partisans de l’offensive à outrance pour lesquels la sûreté, qui fait partie des principes qu’il a identifiés, importe peu. Pour ces officiers, inspirés par les théories du Colonel de Grandmaison, il s’agit de «sauter à la gorge» de l’ennemi sans lui laisser le temps de réaliser ce qui lui arrive. Dans de telles conditions, les avant-gardes et autres détachements de sûreté, chers à Foch, sont un obstacle à la vitesse dont dépend la surprise.

 

En juillet 1911, après la nomination de Joffre à la tête des armées, Foch charge le Capitaine Gamelin, chef de cabinet du futur généralissime, de prévenir ce dernier des risques qu’un dispositif d’attaque trop ramassé, conforme aux nouvelles théories, pourrait entraîner: «Vous, qu'il écoute, et qui allez avoir à vous occuper des grandes questions, n'oubliez jamais: Les Allemands auront contre nous 35 corps d'armée, la droite à la mer»10. Et Foch prédit le mouvement enveloppant des armées allemandes par la plaine belge, qui a effectivement eu lieu.

 

Cependant, sa démarche reste sans effet. Dans leur désir de ravir à l’ennemi l’initiative des opérations, les concepteurs du plan XVII ont tassé les armées en avant, rendant ainsi quasi impossible tout redéploiement alors que les risques d’un débordement allemand de grande amplitude sont avérés. Un tel dispositif, avec des armées aux tâches fixées d’avance, entre en pleine contradiction avec l’économie des forces et la liberté d’action telles que les conçoit Foch. La répartition des armées et l’organisation des transports doivent en effet les faire «communiquer [entre elles] pour les déverser dans une même direction, celle du résultat poursuivi à l’instant donné»11.

 

C’est bien un plan correspondant à cette manière de voir que préconisait Foch en 1911, avec «quatre armées en première ligne, deux au sud de la ligne Verdun-Paris, deux au nord. Les débarquements de la cinquième étant essentiellement varientables suivant la situation»12.

 

Pour ne pas avoir écouté Foch, ainsi que d’autres chefs de haut rang, Joffre et son GQG entraînent les armées françaises dans des opérations désastreuses, où Foch a d’ailleurs sa part de responsabilité13. Leur issue aurait été fatale sans la liberté d’action retrouvée grâce à la retraite de l’ensemble des armées14, le rétablissement de la 2ème armée ayant en outre permis la libération d’importantes forces pour la bataille de la Marne.

 

A la suite de sa participation à cette bataille, Foch devient pour un an l’adjoint de Joffre et prend en même temps la tête du groupe d’armées du nord (GAN). Il joue ainsi un rôle majeur dans les offensives qui ont lieu jusqu’à la fin 1916. En dépit de la pertinence de sa critique du plan XVII, il ne fait cependant guère mieux que ses prédécesseurs.

 

Convaincu que «les résultats tactiques sont tout»15 et que la stratégie qui «n’existe pas par elle-même […] ne vaut que par la tactique»16, Foch fait un absolu de la bataille décisive, ainsi que de l’initiative à saisir et à conserver à tout prix qui mène à celle-ci. Il en résulte une conception réductrice du principe de liberté d’action, qu’il fait étroitement dépendre de l’initiative ainsi comprise et du principe de concentration des efforts qu’il subordonne entièrement à la bataille décisive.

 

Cette manière de voir le conduit à négliger les données matérielles, dont la prise en compte rendrait «toute attaque radicalement impossible»17, qu’il s’agisse des «pour-cents obtenus dans les tirs à la cible»18 ou des «effets des feux d'artillerie dans ses polygones»19. Il ne se préoccupe pas davantage du «perfectionnement apporté dans les armes» qui fait croire que «c'est à la défensive qu'il faut revenir»20. Son commentaire de 191021 sur l’aviation naissante témoigne de ce désintérêt pour le progrès: «Tout ça […] c'est du sport, mais pour l'armée l'avion c'est zéro»22.

 

Il n’est donc pas étonnant que Foch sous-estime les Allemands après l’échec de leurs offensives dans les Flandres et leur passage à la défensive. Leur renonciation à l’initiative l’amène à croire qu’ils sont finis: «Le tigre est dans sa cage» et «il ne reste plus qu'à passer l'épieu à travers les barreaux pour lui donner le coup de grâce»23. Foch se convainc qu’il le fera en livrant «à Fleurus la bataille décisive de la guerre»24. Mais dans les faits ses offensives échouent à cause du décalage survenu entre les feux bien protégés d’une défense tirant parti de la mobilité stratégique du chemin de fer, et les feux offensifs, vulnérables, car tributaires d’une mobilité tactique insuffisante25. La situation est d’autant plus critique que l’attaque frontale, privilégiée par Foch pour parvenir plus sûrement à la décision, nécessite des capacités variées (armes de tous calibres, à tir tendu, courbe et plongeant) qu’il ne possède pas. Manquant de liberté d’action, les unités doivent alors effectuer localement des manœuvres complexes et coûteuses pour faire tomber les résistances allemandes, comme en Artois, au nord d’Arras, en mai-juin 1915, puis en septembre-octobre. L’augmentation des moyens n’y change rien, les défenses se renforçant et s’échelonnant dans une profondeur croissante.

 

En fait, la manière même dont Foch conçoit la concentration des efforts empêche l’obtention des résultats positifs qu’il pourrait atteindre en visant des objectifs plus modestes. Le rendement de la phase initiale des offensives est en effet satisfaisant quand elle est bien préparée, et il pourrait l’être davantage si elles se réduisaient à cette phase, comme Pétain le suggère dès l’été 1915. Ainsi conçues, elles permettraient finalement l’application du principe d’économie de Foch, avec passage rapide de la dispersion à la concentration pour faire effort sur un point puis sur un autre.

 

Mais la subordination du principe de concentration à des résultats décisifs prive les armées de liberté d’action et rend un tel jeu impossible entre les différentes unités. Le volume croissant des moyens engagés excède en effet les capacités des réseaux ferroviaire et routier26, si bien que les préparatifs nécessitent des délais importants. Les Allemands les éventent alors, d’autant plus facilement que les préparations d’artillerie durent bientôt plusieurs jours.

 

Les offensives de rupture de Foch échouent donc et aboutissent au résultat inverse de celui qui est recherché du fait de l’usure et de la perte de liberté d’action dont elles sont la cause. «Tapé par son échec d'Arras»27, Foch réalise que la bonne application des principes ne peut se faire sans tenir compte du facteur matériel.

 

 

Les effets du rôle de l’initiative tempérés par la prise en compte des réalités matérielles

 

Désormais conscient de l’impossibilité de percer au moyen d’une offensive d’un seul élan, Foch reproche à Joffre et au GQG de continuer à sous-estimer les difficultés imposées par la guerre de matériel et, pour avoir négligé son importance, d’user les forces amies davantage que celles de l’ennemi. Pour les surmonter, il préconise l’équipement de l’armée française avec des moyens comparables à ceux des Allemands. Ce n’est qu’une fois ce programme réalisé, au printemps 1916, que l’on pourra reprendre l’offensive. Celle-ci aura lieu sous la forme d’une «marche pas à pas comme dans la guerre de siège»28. En cours d’action, l’infanterie exécutera des attaques n’excédant pas la portée de l’artillerie chargée de l’appuyer, et elles ne seront renouvelées qu’une fois les batteries poussées en avant et une nouvelle préparation effectuée. Aucune exploitation ne pourra donc être tentée entre-temps, toute avance hors de portée des appuis risquant d’échouer et de permettre à l’ennemi de ressaisir l’initiative.

 

Il résulte de cette manière de faire une bataille méthodique, d’une rigidité comparable à celle des offensives d’un seul élan, antinomique avec la liberté d’action des exécutants que Foch appelle pourtant de ses vœux, et, par conséquent, avec la bonne application du principe de concentration.

 

C’est cependant la persistance de Foch à vouloir atteindre des résultats décisifs avec la nouvelle méthode qui constitue l’atteinte la plus grave à ce principe. Les attaques successives sur une même direction, qui restreignent la liberté d’action et épuisent l’effet de surprise, ne peuvent aboutir à l’usure rapide de l’ennemi, nécessaire à la percée. Le terrain ravagé, de plus en plus étendu, que les renforts et le ravitaillement devront parcourir retardera en effet, immanquablement, la préparation des nouvelles attaques face à un ennemi lui-même rapidement renforcé grâce au chemin de fer. Comme le remarque le Général de Castelnau, la guerre de siège préconisée par Foch n’aurait d’intérêt que contre «une place forte qui ne peut se ravitailler».29

 

Appliquée à l’occasion de l’offensive de la Somme, qui débute le 1er juillet 1916 et qui est interrompue en novembre, la nouvelle méthode a néanmoins un meilleur rendement que celui des offensives d’un seul élan de 1915, en dépit d’un coût élevé pour des résultats décevants. Les progrès effectués résultent cependant largement de l’évolution du rapport des forces en faveur des Alliés, qui découle de l’engagement massif de l’armée britannique sur le continent et de l’effort de guerre russe. Il n’en demeure pas moins que la supériorité alliée pourrait amener d’importants résultats dans le cadre d’une offensive relancée en février 1917, comme le craint alors Ludendorff.

 

Cependant, l’opinion parlementaire est lassée par la lenteur de la méthode de la Somme. Elle lui oppose la réussite des attaques d’un seul élan de Nivelle et Mangin à Verdun30, si bien que Foch doit quitter son commandement. Le retour à une forme d’offensive à outrance, application «en grand» de la méthode de Verdun par le 2ème GQG, conduit alors à l’échec retentissant du Chemin des Dames (avril-mai 1917), qui amène Pétain à la tête des armées et Foch aux fonctions de chef d’état-major général, avec une nouvelle manière d’envisager les opérations.

 

 

Le rôle de Foch dans les progrès effectués en 1917-1918

 

Les évolutions qui se sont produites chez Foch en 1917-1918 sont loin de suffire à expliquer une victoire à laquelle Pétain et le 3ème GQG ont apporté une contribution majeure. S’il finit entre autres par renoncer à l’offensive décisive, et donc à placer la solution au problème des opérations dans la tactique, Foch n’abandonne pas pour autant l’idée qu’il faut «pousser sans cesse à fond» pour prendre l’initiative sur l’ennemi et la garder. Pour lui, celle-ci reste un absolu. Peu respectueuse du rapport des forces et du cadre espace-temps, cette manière de voir continue à l’empêcher d’appréhender pleinement le principe de concentration des efforts et de bien l’appliquer.

 

Ainsi, après avoir soutenu Pétain pendant les premiers mois du 3ème GQG, il s’oppose d’octobre à juin 1918 aux orientations défensives- offensives décidées par ce dernier. S’il prend finalement à son compte la méthode du commandant en chef, il ne parvient cependant pas à l’utiliser à son meilleur rendement.

 

 

Un soutien passager à Pétain, remis en cause du fait de sa stratégie d’attente

 

Le tournant pris par Pétain en matière d’opérations, en mai 1917, reçoit tout d’abord l’approbation de Foch, car il concorde avec la manière dont ce dernier conçoit l’économie des forces et avec l’importance qu’il accorde désormais au matériel.

 

Considérant que la guerre durera encore plusieurs années31, Pétain peut prendre les mesures à long terme que Foch préconise, et que les 1er et 2ème GQG, englués dans la recherche de la victoire à court terme, ont négligées. Renonçant aux offensives de grande envergure, Pétain se concentre sur les préparatifs qui lui procureront la liberté d’action nécessaire à une conduite des opérations respectueuse du principe d’économie des forces. Il fournit ainsi d’importants moyens aux armées et fait procéder à l’équipement du front, jusqu’alors sans cesse différé, afin de permettre les transferts rapides d’unités d’un secteur à l’autre. Pour les faciliter et dégager les réserves nécessaires, il fait échelonner dans la profondeur le dispositif français, la première ligne étant tenue par un effectif minimum32. Il sera ainsi à la fois possible de faire face aux offensives ennemies et de déclencher par surprise des attaques successives sur toute l’étendue du front. Interrompues dès que leur rendement cessera de croître, elles permettront d’user l’ennemi; et une fois cette usure suffisante, il sera possible d’envisager une opération décisive.

 

Pétain tient par ailleurs compte de l’évolution des circonstances: avec la menace d’un effondrement russe, il préconise une stratégie d’attente consistant à laisser les Allemands attaquer, pour les user, avant de passer à la contre-offensive33

 

Cette dernière orientation est cependant contraire aux vues de Foch en matière d’initiative des opérations; mais, avant même qu’elle ne soit prise, il s’irrite de l’inaction des armées françaises, jugeant insuffisantes les quelques offensives limitées effectuées ou en préparation. Résolument hostile à la «guerre sans solution décisive, but restreint»34, il réclame une «attaque de grande envergure sur le front le plus étendu permis par les moyens disponibles […], poursuivie jusqu'à la limite de ses moyens» avec «des attaques se succédant à intervalles rapprochés»35. À «l’usure en surface» de Pétain, il oppose donc une bataille d’«usure en profondeur»36 qui correspond en fait à «la formule de la Somme»37, à laquelle il en est resté. Face à un ennemi dont la capacité défensive s’est renforcée, une telle offensive dilapiderait les réserves françaises. Pétain s’y oppose et il est suivi par le pouvoir politique. Les réserves étant intactes au moment de l’offensive allemande du 21 mars 1918, le 3ème GQG peut les faire intervenir avec succès. Ainsi, le 26 mars, «quand le Général Pétain passa  sous  les  ordres  du  Général  Foch  […],  il  avait  réussi  sinon  à  assurer complètement et effectivement la liaison intime entre les deux armées anglaise et française, du moins à arrêter l'attaque allemande»38. Cela n’empêche cependant pas Foch, devenu commandant en chef des armées alliées, de persévérer dans ses projets de contre-attaques et d’immobiliser ainsi les réserves du GQG dans le nord, alors que de graves menaces pèsent ailleurs.

 

La situation est d’autant plus critique que Foch néglige la défensive et que sa conception des principes de concentration et de liberté d’action n’ayant pas évolué, pour l’essentiel, elle lui interdit de bien l’appliquer dans le cadre de ce mode d’action. Foch pense en effet la défensive de manière aussi rigide que l’offensive. À défaut de pouvoir prendre l’initiative et d’accroître ainsi sa liberté d’action, il lui faut à tout prix empêcher l’ennemi de le faire, en combattant sans «esprit de recul». Cette manière de faire est justifiée sur des positions «de fin de combat», face à un ennemi lui-même mal installé, auquel il suffit de «coller» quelques «pain[s] à cacheter» pour qu’il s’arrête39. Elle ne l’est pas face à des fronts bien équipés d’où l’ennemi peut déboucher en force. La tactique défensive préconisée par Pétain a précisément été conçue pour parer une telle menace: elle consiste à abandonner la première position à l’insu de l’ennemi afin d’y laisser culminer son effort avant qu’il ne se heurte à la position suivante solidement tenue40. Mais Foch estime qu’elle fait courir des risques injustifiés aux défenseurs et il soutient le Général Duchêne (6 ème armée) dans son refus de l’appliquer sur le Chemin des Dames. En conséquence, ce dernier maintient le gros de ses unités au nord de l’Aisne, à portée de l’artillerie de campagne allemande et des Minenwerfer, tandis qu’au sud, la deuxième position est presque vide.

 

Une grave défaite s’en suit, le 27 mai 1918, si bien que les Allemands atteignent bientôt la Marne et menacent un instant Paris. Foch, auquel l’idée d’abandonner du terrain répugne toujours, demande alors une défensive uniformément échelonnée dans la profondeur41. Découlant de l’idée que l’on ne peut pas renoncer à l’initiative, cette manière erronée de concentrer les efforts défensifs empêche l’application du principe d’économie tel qu’il est compris par Foch, les armées françaises n’ayant pas les moyens de mettre en place un tel dispositif.

 

Pétain doit donc surmonter d’importantes difficultés avant que sa tactique défensive ne soit mise en œuvre le 15 juillet 1918, et aboutisse à une «défaite de l’ennemi» qui «fut le moment culminant de la campagne et la source de tous nos succès ultérieurs»42.

 

 

La difficile acceptation par Foch des limitations au principe d’initiative à tout prix

 

De même que Foch met du temps à saisir le bien-fondé de la bataille défensive, il comprend tardivement l’intérêt d’attaques partielles successives, déclenchées sur toute la largeur du front. Ainsi, lors de la contre-offensive victorieuse du 18 juillet 1918, il raisonne toujours en termes d’action décisive. Estimant que «ça ne marche pas assez vite», et qu’«il faut bourrer, enfoncer l'ennemi, etc.»43 alors que les troupes sont épuisées, il rédige une instruction dans laquelle il précise que «la bataille engagée doit viser la destruction des forces de l’ennemi au sud de l’Aisne et de la Vesle»44. L’offensive se mettant alors à piétiner, il prend conscience de la nécessité d’opérer différemment45. Ainsi, le 24 juillet, il annonce la mise en œuvre, à l’échelle de l’ensemble du théâtre, de la méthode des offensives partielles que préconisait Pétain46 à la bataille du Soissonnais (18-22 juillet) succède celle de Montdidier, menée simultanément avec l’offensive britannique d’Amiens à partir du 8 août. Le 18 août, l’offensive est relancée; et dès le 20, elle est étendue à l’est de l’Oise, dans la région de Noyon, tandis que les Britanniques attaquent à Bapaume. Quelques jours plus tard, c’est contre le saillant de Saint-Mihiel, avec les Américains, que l’effort est reporté. À partir du 26 septembre, les armées alliées s’élancent les unes après les autres contre la ligne Hindenburg, qui est rompue. Aucune de ces batailles ne permet d’aboutir à l’action décisive dont Foch faisait un principe, mais toutes causent à l’ennemi, chaque fois surpris, de lourdes pertes, et réduisent ainsi sa liberté d’action.

 

Cependant, le caractère résolument offensif de Foch lui rend pénible la limitation des opérations en cours et les lenteurs qu’imposent les mesures de coordination entre les différentes armes. La complexité des armées alliées, en pleine mutation, est en effet telle qu’elles doivent marquer des temps d’arrêt pour que les unités désorganisées se regroupent et se réarticulent avant d’aborder un nouvel obstacle.

 

Mais Foch, qui a toujours dédaigné les détails et qui est fasciné par les performances allemandes47 , résultant précisément d’un travail minutieux, est «d'avis que les actions sont toujours à pousser à fond»48. Aussi, le 25 septembre, il remet en cause les lignes d’objectifs fixées par Pétain aux armées américaines, alors qu’elles s’apprêtent à attaquer dans l’Argonne. Pour lui, il «ne saurait être question de fixer pour ces deux armées des fronts à ne pas dépasser sans nouvel ordre, une telle indication restrictive étant de nature à les empêcher d'exploiter à fond les circonstances favorables et à briser l'élan qui doit être maintenu avant tout»49.

 

La progression initialement rapide des Américains paraît lui donner raison, mais un immense désordre se produit bientôt et cause l’arrêt de l’offensive, laissant aux renforts allemands le temps d’affluer.

 

Se désintéressant de l’Argonne, Foch décide alors de confier l’effort principal aux Britanniques, en Picardie, et de le faire appuyer par une offensive frontale du groupe d’armées du centre (GAC) en Champagne. Cette dernière mesure prive le GQG français des forces dont il a besoin pour «venir frapper en Lorraine sur le pivot autour duquel tourne – ou essaie de tourner – le front boche en ce moment» 50 . Depuis la fin août, Pétain envisage en effet une attaque dans cette région où il sait que les Allemands, usés, seront bientôt particulièrement mal reliés à leurs arrières d’où ravitaillement et renforts ne parviennent plus qu’au compte-gouttes. Pour que cette opération ne soit pas différée, le Général Buat, major général du GQG, propose en vain au 3ème bureau de Foch des actions d’aile qui n’hypothéqueraient pas les forces nécessaires. Mais il se heurte à un refus. En conséquence, l’offensive de Lorraine est reportée au 14 novembre. L’armistice étant conclue le 11, les opérations prennent fin sans que les armées françaises livrent la bataille décisive dont Foch avait longtemps rêvé.

 

 

Conclusion

 

Différents des actuels principes de la guerre, les principes de Foch ont en fait évolué tout au long du conflit. Après avoir contribué aux difficultés des premières années, ils ont finalement concouru à la victoire. Cependant, cette évolution ne s’est pas faite sans peine et elle s’est arrêtée en chemin, si bien que les principes «revus et corrigés» sont loin de suffire à expliquer la victoire.

 

L’importance accordée par Foch à la prise et à la conservation de l’ascendant sur l’ennemi a ainsi longtemps été un obstacle à toute évolution. Après avoir reconnu le rôle du facteur matériel, il a en effet été très difficile à Foch d’admettre que l’on puisse renoncer, ne serait-ce qu’un instant, à l’initiative des opérations, et que l’on abandonne l’ennemi du terrain pour mieux le contre-attaquer, malgré l’intérêt présenté par un tel procédé pour ressaisir l’initiative. Il a eu tout autant de mal à renoncer à l’offensive décisive, d’un seul élan ou par attaques successives, et à admettre que l’application des principes pouvait passer par des offensives partielles déclenchées sur toute la largeur du front et subordonnées à une manœuvre stratégique d’ensemble.

 

Dans le cadre même de ces offensives, il n’a en revanche jamais renoncé à pousser l’action à fond, avec l’idée que c’était le seul moyen de garder l’initiative une fois celle-ci saisie. De ce fait, pour Foch, dont Fayolle se plaignait qu’«attaquez, attaquez, c’est toute sa doctrine»51, la concentration des efforts a toujours été une ruée, un déversement de forces accumulées grâce à l’économie des moyens. Finalement plus proche de Blücher que de Moltke ou Napoléon52, attiré par «le désordre de l’attaque, […] assoiffé d’action, de mouvement»53 et dédaignant la manœuvre, «de flanc ou sur les derrières de l’ennemi»54, Foch n’a jamais vraiment compris que la concentration était une convergence d’effets nécessitant de tenir soigneusement compte du rapport des forces et du cadre espace-temps pour pouvoir culminer au bon moment, c'est-à-dire avant ou après que l’ennemi l’a lui-même fait55. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’a vu dans ce principe qu’un «développement de l’économie des forces»56. La manière, souvent peu conforme aux principes dont Foch a opéré, tient finalement à ce qu’il a demandé «nos modèles et les faits sur lesquels nous assoirons une théorie» à «certaines pages de l'histoire; à cette époque de la Révolution où la Nation tout entière s'arme pour la défense de ses intérêts les plus chers»57. Il l’a fait en écartant d’autres époques, comme celle de «cette guerre sans solution décisive, à but restreint, guerre de manœuvres sans combat»58, où l’application des principes n’allait pas de soi et était de ce fait même digne d’intérêt59.

 

 

 

  1. Les Cahiers publient ici la réaction du Lieutenant-colonel Gué au dossier consacré au Maréchal Foch dans leur n° 50 du 1er trimestre 2018.
  2. L’auteur tient à remercier le Colonel Coste et le Chef d’escadrons Boulic pour leur contribution à l’élaboration de cet article à travers les échanges nombreux et fructueux dont il a été l’occasion.
  3. Conseiller technique du gouvernement.
  4. D’ailleurs modéré par rapport à celui des partisans de l’attaque à outrance.
  5. Chargé de coordonner l’action des armées alliées le 26 mars 1918, il en devient le commandant en chef le 14 avril.
  6. Foch fut en effet tout d’abord partisan d’une offensive décisive immédiate dont les conséquences auraient été funestes si elle avait eu lieu.
  7. Pour reprendre le titre du chapitre X de son ouvrage «Des Principes de la Guerre», Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1903.
  8. Foch, cit, p. 9.
  9. Foch, , p 11.
  10. Général Gamelin, «Manœuvre et victoire de la Marne», Paris, Grasset, 1954, p. 42.
  11. Foch, cit., p. 282.
  12. Gamelin, cit., p. 47.
  13. C’est notamment le cas le 20 août à Morhange, où le XXème corps d’armée de Foch, qui attaque en dépit d’ordres contraires, subit une défaite qui place la 2ème armée dans une situation critique.
  14. Rendue possible grâce aux initiatives des Généraux Lanrezac et Castelnau.
  15. Foch, cit., p. 41.
  16. Ibid.
  17. Ibid., p. 30.
  18. Ibid, p. 30.
  19. Ibid., p. 27.
  20. Ibid, 30.
  21. Effectué à l’issue à l’issue du Circuit de l’est de 1910.
  22. Basil H. Liddel Hart, «Réputations», Paris, Payot, 1931, p. 136.
  23. Commandant de Bary, Mémoires, p. 13, SHD GR-1 K 795
  24. Ibid, p. 546.
  25. Les combattants progressent à pied, les appuis et le soutien étant surtout tributaires de la traction hippomobile.
  26. Que l’on ne se préoccupe guère d’améliorer du fait des espoirs de victoire placés dans la prochaine offensive décisive.
  27. Colonel Jacquand, Notes de guerre, journée du 12/08/1915, SHD, GR 1 K 795.
  28. Ibid.
  29. Jacquand, , 12/08/1915.
  30. Qui obtiennent des succès faciles du fait de l’épuisement des forces allemandes.
  31. n°1, commandant en chef du 19/05/1917.
  32. Ces dispositions visent également à limiter l’usure des troupes et à favoriser leur entraînement aussi bien que leur repos. Cf. dir. n°3 du 04/07/1917.
  33. n° 4 du 22/12/1917.
  34. Foch, cit., p. 25.
  35. Maréchal Joffre, Journal de marche (1916-1919), présenté par Guy Pedroncini, Vincennes, SHAT-FEDN, 1990, p. 229.
  36. Guy Pedroncini, «Pétain général en chef», Paris PUF, 1973, p. 239.
  37. Joffre, , p. 229.
  38. Général Mordacq, «Le ministère Clémenceau, journal d’un témoin, t. 1», p. 235.
  39. Foch à Loucheur, le 24/03/1918, d’après E. Mayer, cit., p. 65.
  40. n° 4.
  41. GQGA, EM, n° 1466, 16/06/1918, AFGG, 62, n° 1583.
  42. Général Buat, «Journal, 1914-1923», Paris, Min. Défense-Perrin, 2016, p. 688.
  43. Général Buat, cit., p. 627.
  44. IPS pour cdt des armées du NNE, n° 2206, 15/07/1918, AFGG 71, n°157.
  45. Il y est également aidé par l’échec des grandes offensives allemandes.
  46. mémoire lu à la réunion des commandants d’armées, n°2375, 24/07/1918, AFGG 71, n° 276
  47. Qui sont le fait d’une armée différente dans ses moyens et son organisation.
  48. Commandant Laure, «Au 3ème bureau du 3ème GQG», Paris, Plon, 1921, p. 205.
  49. , 206.
  50. Buat, cit., p. 669.
  51. Maréchal Fayolle, «Carnets secrets de la Grande Guerre», Paris, Plon, 1964, p. 185. Voir également p. 189.
  52. Mayer, cit. pp. 76-85.
  53. Ibid., p. 76.
  54. Foch, cit., p. 32.
  55. Ainsi, Foch «ne veut point subordonner notre ligne de conduite à ce que fera ou ne fera pas l'ennemi» au moment où les armées se préparent à faire face à l’offensive allemande de la mi-juillet 1918. Laure, cit., p. 165.
  56. Foch, cit., p. 282.
  57. 24.
  58. Foch, cit., p. 25.
  59. Foch attribue les guerres limitées du XVIIIème siècle aux choix effectués par les contemporains en oubliant qu’elles résultent également d’un blocage tactique, lié à des problèmes techniques, qui présente des analogies avec celui de 1914-1918.

 

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Titre : Les principes de Foch à l’épreuve de la Grande Guerre
Auteur(s) : Lieutenant-colonel Christophe GUÉ
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