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Les robots militaires sont là… et maintenant ?

cahier de la pensée mili-Terre
Sciences & technologies
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L’auteur nous présente de manière argumentée et critique les enjeux et les perspectives opérationnelles de la robotisation et de l’automatisation du champ de bataille dans les conflits modernes, en particulier pour les armées françaises.


Enjeux de la robotisation et de l’automatisation du champ de bataille

 

En 2007, de retour d’Irak, un général américain déclarait: «Si j’avais eu à ma disposition plus de robots, j’aurais épargné la vie de nombreux soldats». En 2008, sous la présidence Obama, les frappes de drones à la frontière afghano-pakistanaise atteignent un pic jamais dépassé alors, avec plus de 128 opérations dans l’année. D’un côté, il est clair que le robot permet la protection du soldat en lui évitant des tâches difficiles voire dangereuses mais, de l’autre, le drone permet à l’administration américaine de mener une guerre à distance en s’affranchissant de la souveraineté des pays. Cette «guerre par procuration», à la limite de la légalité, est menée sous couvert de la lutte contre le terrorisme. Au-delà de l’utilisation des drones armés par les Américains, la robotisation et l’automatisation des opérations militaires posent de vraies questions morales, éthiques, juridiques, et risquent de modifier profondément l’art de faire la guerre et de conduire les opérations militaires s’il n’y a pas une réelle prise en compte du sujet.

Aujourd’hui, la tentation est grande, il n’y a qu’un pas: l’«art de la guerre» pourrait muter et devenir plus une «science de la guerre».

La robotisation est un véritable enjeu pour les armées modernes. La France, comme d’autres armées occidentales, a décidé de disposer d’un concept exploratoire de la robotique militaire et de se pencher sérieusement sur la question. Quelle place donner aux robots dans nos armées? Quels sont les risques afférents à la conduite des opérations militaires de plus en plus complexes et quelles sont les limites à ne pas dépasser? Quel rôle doit occuper l’homme dans le processus opérationnel et décisionnel?

La robotisation[1] et l’automatisation[2] des opérations militaires sont des enjeux majeurs qui ouvrent de grandes perspectives opérationnelles aux armées du XXIème siècle. La France a choisi la voie de la prudence pour relever ces nouveaux défis éthiques et techniques et pour ne pas modifier profondément «l’art de la guerre». En effet, la ligne française impose deux impératifs: que l’homme reste au cœur de l’action guerrière et que les principes du droit de la guerre ne soient évidemment pas remis en cause.

 

La robotisation de l’espace de bataille: une chance à saisir pour les armées

 

Cette évolution est toute naturelle en ces temps contraints par les crises financières et du fait de la «transformation de la guerre»[3], d’une guerre qui se passe maintenant sur l’ensemble du spectre. La guerre peut être globale, civile, technologique, majeure, interétatique, éclair, urbaine... L’avènement de la robotique pour répondre à ces différentes évolutions répond au principe d’économie des forces et permet le développement de nouvelles capacités opérationnelles et industrielles.

  • Économie des forces et des moyens

En ces temps de crise financière, de forte réduction du format et de manque de moyens, la robotisation et l’automatisation de l’espace de bataille présentent une excellente opportunité pour les armées. Malgré un coût très élevé de développement initial des machines ou des robots potentiels, les armées ne doivent pas laisser passer cette chance. Les Américains restent d’ailleurs en pointe dans le domaine. En 2010, par exemple, l’armée américaine a formé plus de pilotes de drones que de chasse. L’enjeu pour les forces terrestres n’en est pas moins prégnant: amélioration de la sécurité du combattant (robots démineurs comme le robot Packbot et de lutte contre les EEI[4], robots de reconnaissance NRBC[5]) et de ses capacités (exosquelette HERCULE, robots d’allègement de fret ou de transport de blessés…).

 

  • De nouvelles capacités opérationnelles

De nouvelles opportunités dans les domaines du renseignement et de l’acquisition des objectifs apparaissent également. La France a d’ailleurs franchi un cap en 2013 en achetant ses premiers drones MQ-9 REAPER non armés aux Américains, destinés à remplacer le système SIDM[6]/Harphang, à bout de souffle. La recherche dans le domaine de la robotique militaire est prise en compte et fortement développée par la DGA[7], mais doit être encore stimulée. À ce titre, de nouvelles missions seront bientôt possibles grâce à la miniaturisation et aux nanotechnologies, qui vont nettement améliorer la furtivité ou la vulnérabilité des systèmes, permettre des missions de longue durée ou des missions sans retour. Selon le quotidien israélien Yedioth Ahronoth, le robot volant développé par Israël, connu sous le nom de «bionic hornet» ou frelon bionique, serait a priori capable de se frayer un chemin dans de tous petits endroits afin de pouvoir réaliser de véritables opérations de frappes chirurgicales avec, par exemple, la neutralisation d'ennemis auparavant difficilement atteignables.

 

  • Une chance pour l’industrie de défense

Enfin, l’industrie de défense française et les consortiums européens pourraient se saisir de cette chance. Au niveau économique, des marchés émergents seront immédiatement disponibles et cela pourrait inciter les Européens à développer de nouveaux projets technologiques communs à haute valeur ajoutée. Dassault aviation a rapidement suivi le mouvement en lançant le développement et les essais de son drone NEURON qui a effectué son premier vol en 2012 sur la base aérienne d’Istres.

 

Maîtriser cette révolution culturelle et éthique

En effet, l’homme soldat, tout comme le chef militaire et le décideur politique, doit rester au centre de la guerre, «au contact» des actes qui fondent le combat. Cette révolution stratégique ne se passera pas sans une prise de conscience générale des réalités de la robotisation et de l’automatisation du champ de bataille, sans une réflexion sur la place de l’homme et sans une prise en compte maîtrisée des implications éthiques, politiques et juridiques.

 

  • Limiter le désengagement humain…

En premier lieu, les armées occidentales et la France en particulier devront veiller à limiter le désengagement humain car le danger existe bel et bien. En effet, le combat et la guerre se gagnent au sol, par et avec l’homme. Les armées US ont d’ailleurs appris à leurs dépens les conséquences de la déshumanisation du combat en Irak ou en Afghanistan dans les années 2000. Joseph Henrotin décrit très bien les risques afférents à la «bulle de technologisation» devenant «bulle virtuelle» qui coupe le soldat moderne des réalités, du contact direct avec la population voire avec l’ennemi, et l’incite à mélanger réel et virtuel. Cela peut même le pousser inconsciemment à commettre des actes humiliants, dégradants voire inhumains envers des prisonniers, des blessés ou des dépouilles ennemis. Des dérives éthiques peuvent découler de ce syndrome de surpuissance et un fossé s’installe durablement entre l’homme et son environnement. Des questions éthiques sont aujourd’hui posées avec le développement effectif des RLA[8]. L’armée américaine teste, depuis peu, le drone de combat X-47B, complètement autonome dans sa navigation et sa décision de tir. Les chefs militaires, tout comme les chefs politiques, ne peuvent raisonnablement accepter de s’en remettre au bon vouloir d’une machine, d’un drone ou d’un robot, aussi grande soit son intelligence artificielle! En effet, chaque prise de décision a un impact médiatique, politique immédiat dans notre société qui vit dans l’action et la décision immédiate. Les militaires, et les décideurs en général, doivent donc privilégier l’aide à la décision plutôt que l’automatisation de la décision. Ce désengagement humain apparaît plus pernicieusement aussi dans les systèmes et structures de commandement numérisés et automatisés. L’utilisation de la NEB[9] et l’automatisation des opérations à outrance provoquent un écrasement des couches de commandement: le niveau stratégique en arrive parfois à se substituer aux niveaux opératifs et tactiques, l’autonomie des chefs s’en trouvant de facto amoindrie.

 

  • Et donc le désengagement politique

De plus, les robots ne doivent pas devenir une sorte d’armée de mercenaires programmés, combattant pour un État désengageant ainsi ses hommes de la guerre. Cette réalité pourrait inciter des décideurs et des responsables politiques à s’engager dans des guerres «par procuration» et, de fait, à se désengager de leurs responsabilités de chef. Quand une nation engage ses fils dans la guerre ou dans un conflit, il y a une certaine responsabilité assumée du décideur politique, foncièrement différente dans le cas de robots ou de machines.

 

  • Prendre en compte les limites juridiques ou sociologiques

La guerre est de plus en plus réglementée juridiquement et encadrée par des conventions internationales! Des limites juridiques pourraient très vite être atteintes avec une robotisation et une automatisation des opérations non maîtrisées. Quelle responsabilité serait engagée en cas de tir fratricide ou de dommage collatéral? Celle du chef militaire ou celle du programmeur? Comment proportionner et graduer les ripostes dans des conflits que l’on cherche, à juste titre, à traiter suivant «l’approche globale». La légalité des systèmes par rapport aux conventions internationales sur la limitation et la maîtrise des armements devra être examinée finement, car demain ces nouveaux systèmes prolifèreront probablement. Enfin, des limites sociologiques pourraient être franchies. La notion de «guerre du lâche» qui a déjà fait son apparition, notamment dans les conflits asymétriques, donnerait une nouvelle physionomie à la guerre, établissant un fossé entre ami et ennemi. La confrontation entre robots et humains produirait peut-être, à terme, l’ultime «choc des civilisations».

 

Un défi à relever pour la France: une position prudente mais volontariste

La France doit concilier la prise en compte de la robotique militaire, pour ne pas se laisser distancer technologiquement et militairement sur la scène internationale, et le style avec lequel elle mène ses opérations militaires. Le robot trouve donc sa place en appui de la manœuvre terrestre et du soldat.

 

  • Pertinence du concept et utilité pour la France

La France se doit de conserver sa capacité d’appréciation autonome de situation qui passe par la prise en compte des avantages de la robotique militaire. Le Livre blanc de la défense et la sécurité nationale de 2013 a bien sûr sanctuarisé la fonction stratégique connaissance et anticipation. De plus, l’homme n’étant pas présent dans toutes les dimensions de l’espace, l’intérêt de la machine est bien sûr pertinent. La France se doit de développer des outils automatisés et accepter cette réalité de façon novatrice mais contrôlée. Le cyberespace comme quatrième dimension est, par exemple, un enjeu de ce début de siècle. Le virtuel et la machine étant bien au cœur de cet espace, les conséquences n’en sont pas moins réelles.

 

  • Moratoire sur les RLA

La France avance de manière prudente mais décidée avec la rédaction d’un concept exploratoire sur la robotique militaire. Le développement de ce concept dans la deuxième étape du programme SCORPION est d’ores et déjà pris en compte à l’horizon 2020, mais la France n’a pas encore développé le concept des armes robotisées offensives alors que certains Anglo-Saxons demandent déjà un moratoire dans les pays qui ont déjà franchi le pas dans le domaine des RLA. La prudence française est sans doute vertueuse… Cependant, cette prudence ne doit pas se révéler contre-productive en ce qui concerne la recherche dans les domaines de la robotique générale et bien sûr militaire. Un nombre significatif de projets pourraient être ainsi développés sous forme d’études exploratoires. Ainsi, la France ne se retrouverait pas au pied du mur lorsqu’elle s’apprête à perdre une capacité et garderait une marge de manœuvre nécessaire et suffisante à la préparation et à la mise en œuvre du programme d’armement suivant. Le cas du développement des drones en France est symptomatique.

 

  • L’homme au cœur de la guerre

Les armées françaises sont soucieuses de conserver l’homme au cœur du système car c’est l’esprit de l’art de la guerre à la française. Le contact humain – point fort des Français en opérations – place le soldat au centre de la guerre «au sein des populations»[10], ce que ne pourra jamais faire le robot. Le robot n’a aucune capacité d’analyse fine malgré le développement actuel et les avancées en matière d’intelligence artificielle. Le robot vient en appui de la manœuvre aéroterrestre et n’est pas indispensable à la réussite de la mission et à la réalisation de l’effet majeur des chefs. En l’état actuel des concepts et de la doctrine, la France ne peut accepter de se faire déborder par le robot ou la machine. En matière de robotique militaire, la France affirme vouloir maintenir l’homme dans la décision de ciblage et d’ouverture du feu.

La «révolution robotique» est donc en marche, y compris en France. Il reste maintenant à la conduire de manière prudente sous l’angle de la pensée militaire et à la traduire au niveau doctrinal en préservant très clairement la place de l’homme.

 

 

[1] Réalisation de missions initialement confiées à l’homme par des machines sur le champ de bataille. Les robots peuvent agir dans l’espace terrestre, maritime ou aérien et sont téléopérés, programmés ou autonomes.

[2] Conséquence de la robotisation du champ de bataille, ensemble des procédés qui rendent l’exécution d’une tâche opérationnelle automatique, sans l’intervention de l’homme.

[3] Tiré d’un ouvrage de Thérèse Delpech : La guerre parfaite.

[4] Engin explosif improvisé.

[5] Nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique.

[6] Système intérimaire de drone male.

[7] Direction générale de l’armement.

[8] Robots létaux autonomes.

[9] Numérisation de l’espace de bataille.

[10] Dans «L’utilité de la Force».de Sir Ruppert Smith.

 

Saint-cyrien de la promotion «Général Béthouart» (2000-2003), le Chef d’escadron Tristan ZELLER est artilleur et a servi au 35ème régiment d’artillerie parachutiste pendant sept ans, où il a occupé les fonctions de chef de section puis de commandant de batterie. Il a ensuite été affecté à l’état-major des armées comme officier traitant, au sein du centre de planification et de conduite des opérations.

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Titre : Les robots militaires sont là… et maintenant ?
Auteur(s) : Lieutenant-Colonel Tristan ZELLER
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