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Mélopée militaire

cahier de la pensée mili-Terre
Relations internationales
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Avec sa liberté de ton habituelle à laquelle les lecteurs des Cahiers sont désormais habitués, Françoise Thibaut nous livre sans concessions sa vision de l’évolution des capacités militaires françaises. Optimiste malgré tout, elle voit dans l’Europe de la défense une réponse possible aux crises auxquelles nous avons à faire face, en particulier en Afrique.


Dans les livres ou les films d’aventures, il y a toujours un moment où le héros se trouve coincé au-dessus d’une crevasse dont les flancs s’ouvrent de plus en plus largement, l’obligeant à un grand écart fatal qui le projettera au fond du trou. Fort heureusement, un plésiosaure ou un drone, ou bien encore une divinité sortie de cieux magiques le tire de ce mauvais pas et, à la fin, il épouse la princesse….

L’Armée française est dans la position de ce malheureux, mais pour elle, hélas, aucun drone (dont elle s’est fait piquer la technologie théorique par on ne sait plus qui…) ne viendra la sauver. Et sa sourde mélopée n’est entendue de personne.

 

Depuis 30 ans, de budget en budget, de gouvernement en gouvernement quel qu’il soit, l’armée française fond à vue d’œil, telle une omelette norvégienne abandonnée sur un buffet après la fête. Et même si l’on n’est pas spécialement militariste, on ne peut que le déplorer.

Ecartèlement fatal, étrange, entre rêves d’efficience perpétuée et vécu possible, lequel dénote au surplus l’archaïsme de la pensée politique. Imprévision, aveuglement face aux situations interne, européenne, intercontinentale et mondiale, un gouffre entre le discours annoncé et les réalités. Mais de cela, on finit par en avoir l’habitude et les états-majors font ce qu’ils peuvent.

 

Faisant court, on peut signaler:

 

  • Après recensement sur deux ans, annonce en 2012, d’un effectif de défense de 296.493 personnes dont près de 68.000 civils et 15% de femmes, l’armée de Terre représentant plus du tiers. Le budget global était pour 2011 de près de 22 milliards hors pensions, lesquelles «plombent» énormément les crédits alloués aux militaires.

Tout ce monde est à la fois «trop» et «pas assez» distribué de manière parfois chaotique. Il a été enjoint aux militaires de «fermer» des unités, des locaux comme on fermerait un bistrot, de se débarrasser de ce qui pouvait paraître désormais «inutile» et dispendieux. Vision courte et démagogie antimilitariste. Une méfiance toute républicaine envers les képis et les bâchis leur alloue un (ou une) ministre civil, lequel n’a désormais que rarement «servi» et peut parfois s’empêtrer d’a priori dévastateurs.

 

Un bon point: les militaires savent «combien ils sont», alors que l’éducation nationale est incapable de compter ses ouailles…Question: le récent et énième «livre blanc» sera-t-il mieux considéré?

 

  • L’abandon (plus exactement la suspension) de la conscription par la loi Richard d’octobre 1997, sans avoir suffisamment réfléchi à ses conséquences sociales, a été une erreur. On en voit les résultats aujourd’hui, 17 années après: certes, le «service militaire» tel quel, était obsolète, trop coûteux, entaché de souvenirs coloniaux et post coloniaux mal perçus. Caprice présidentiel pour se faire bien voir de l’opinion, cette réforme fut bâclée, peu raisonnable. Il eût fallu l’accompagner en lui substituant immédiatement un «service civil» ouvert aux filles comme aux garçons, à la nordique, destiné à une jeunesse qui était déjà en perte de civisme, de repères et d’un minimum de discipline collective. Sans parachever son éducation par une touche de collectivisme utile à la nation, le pouvoir politique a coupé le lien qui l’unissait à la part d’avenir constructif qui fait l’espoir d’un pays fonctionnant bien. On s’apitoie désormais sur tous ces 15-25 ans qui préfèrent l’assistance au travail, le deal ou le terrorisme dans les cités à une insertion normale dans l’équilibre sociétal. Sans en être sottement idolâtre, il est bon de remarquer que le «service» avait une indéniable fonction de métissage social offrant, même si beaucoup pensaient y perdre leur temps, une pause et une possibilité de réorienter une jeune vie parfois mal commencée. Il n’y a pas qu’Hemingway pour parler de générations perdues.

 

  • Les discours sont rassurants. Le chef de l’État veut toujours que son pays – via son armée – soit le sauveur des cas désespérés. Au Mali, ce fut relativement facile car la structure reposait sur le flou. Mais le temps qui passe et les dures réalités de l’Afrique centrale font finalement comprendre a posteriori qu’il aurait peut être été plus sage de procéder autrement: Serval fut un «joli coup», mais quelle suite envisager? Sangaris s’avère un ingérable guêpier. Vouloir se mêler de Syrie relevait du pur fantasme: en y regardant de près, cet État – quel qu’il soit – demeure riche et puissant, armé jusqu’aux dents. Faute de moyens d’action et de protection véritables, nous nous faisons piquer nos brevets les plus remarquables par les Américains, les Russes, les Chinois et qui d’autre encore? La Corée du Nord peut être? Notre capacité d’intervention est limitée par le manque de moyens, de maintenance d’un matériel à bout de souffle : nos 250 chars Leclerc, le Rafale splendide mais invendable, nos quatre petits sous-marins nucléaires, notre unique porte-avion sont bien peu de choses pour figurer vraiment dans les adversaires sérieux sur le long terme. Dans ce miroir sans concessions, on voit que la France est une «puissance moyenne», peut-être encore représentative du «savoir combattre» européen, mais tout de même amoindri. Les terroristes disséminés du désert n’ont pas peur de l’armée française…

 

  • Certes, il y a ce message fort: ce splendide 14 Juillet des Champs-Élysées, vitrine illusoire d’une mini-armada à bout de rêve et d’illusions, dissimulant un désarroi institutionnel profond. La plus grande partie du peuple français «adore» le défilé de la fête nationale: ce matin-là, tous les antagonismes sont gommés. La France sait former de remarquables militaires, excellents sur le terrain, bons stratèges et réfléchis. Quel long passé de nation «guerrière», et ce depuis les valeureux Clovis, Charlemagne, Turenne, Carnot, Bonaparte, Leclerc…et tant d’autres: la liste est immense. Nous avons aussi une longue tradition coloniale, depuis les croisades et les Lusignan[1], les guerres de course maritime, les comptoirs des Indes, L’Orient extrême, le Tonkin, la reine Ranavalo[2], l’Oubangui Chari[3], la Haute-Volta[4] et ses timbres splendides, orgueil des philatélistes. Il n’y a pas à en avoir honte et se flageller: ce fut l’histoire, celle des peuples et des décideurs, des flux de pauvretés et de richesses, des incompréhensions et incompatibilités, des abus et des manques. Histoire éternelle des conquérants et des soumis: après Rome, ce furent d’abord les Hispano-Lusitaniens, puis les Bataves et, pour finir, les Britanniques et les Français, affamés et rivaux au sein d’empires aussi éphémères que voraces. Apprenons l’histoire à nos enfants, et pas seulement par le petit bout d’une lorgnette punitive.

 

  • L’idée d’une «Force européenne» pour gérer les incertitudes africaines (et d’autres sans doute) est excellente: la «croupion armée française» ne peut, avec ses petits moyens – même si les hommes sont excellents – neutraliser les démons d’espaces aussi vastes que la moitié de l’Europe dans des conditions de violence inouïe. Ce n’est pas avec 600 spécialistes que le problème de l’Afrique centrale sera endigué. Certes, il n’est pas question d’envoyer un million d’hommes reconquérir le terrain et les âmes, mais cette mutualisation européenne des moyens et des actions, envisagée depuis des décennies, est peut-être sur le point d’être réalisée, par une subite prise de conscience des désastres imminents que provoquerait une Afrique sub-saharienne en charpie.

Attendons la suite sans trop traîner…et reprenons donc l’exemple des crises africaines actuelles et d’une réponse militaire européenne adaptée et surtout pérenne.

 

Ne débordons pas d'optimisme. Pour rendre opérationnel ce processus, on peut voir trois phases:

  • D'abord, les Européens doivent se mettre d'accord entre eux. Qui s'engagera? En quel nombre et quelles unités, avec quels moyens? Selon quels budgets? La bonne question est de savoir qui est intéressé et prêt à sacrifier hommes et moyens pour une Afrique qui est souvent inconnue ou indifférente;
  • Une fois cela acquis – selon les tergiversations habituelles – il faudra trouver avec qui s'appuyer en Afrique. Quels gouvernements? Quelles forces «officielles»? Selon quel protocole? Là bas, dans la savane, la forêt ou le désert, tout est incroyablement instable, mouvant, guidé par des conflits interethniques ou claniques, des règlements de comptes qui n'ont rien à voir avec les codes de guerre européens. Avec les pénibles «imbroglios» des Rwanda et autres, on devrait commencer à le comprendre...
  • Enfin, une fois tout ce joli monde trié sur le volet, il faudra le mettre en place, lui assurer des installations et des moyens durables, stables, des capacités de réaction assez constantes pour rendre crédible cet effort internationalisé. Ne parlons pas des renouvellements en hommes et matériels sur le long terme, au gré des options politiques ou électorales de tous les partenaires... Cette mise en place peut facilement prendre cinq, dix années, et après? Le temps qui passe change tout, «tout le temps».

 

À l’évidence, nous allons vers de nombreux désordres locaux, partout dans le monde, dus au surnombre, au manque de travail, à l’intolérable pauvreté, à la galopante connaissance de «mieux être» inatteignables, à des affrontements idéologiques ou confessionnels immémoriaux peut-être, mais qui resurgissent dans une forme moderne, à la fois technologique et humaine, avec une rare violence. Massacres, tueries, peut-être même génocides risquent de se déployer sans retenue. L’ONU qui n’arrive pas à se réformer temporise avec des moyens pachydermiques, donc les Européens – une fois de plus – ont l’occasion d’être inventifs. Une sorte de «police» inter européenne, appuyée sur des forces locales peut avoir des effets à la fois sécurisants, éducatifs et pacificateurs. Il serait peut être bon de faire un peu confiance aux militaires? Eux, au moins, savent «arrêter le feu»….

 

 

[1] La maison de Lusignan est une dynastie noble poitevine originaire du Limousin qui a donné des rois de Jérusalem puis de Chypre et d’Arménie.

[2] Reine de Madagascar

[3] Ancien nom de la République centrafricaine

[4] Ancien nom du Burkina Faso

 

Docteur en droit et en sciences politiques, Madame Françoise THIBAUT est professeur émérite des universités, membre correspondant de l'Académie des sciences morales et politiques. Elle a enseigné aux Écoles de Saint-tCyr Cöetquidan le droit et la procédure internationale ainsi qu'à l'École supérieure de la gendarmerie de Melun. Elle écrit aussi des thrillers pour se distraire, tout en continuant de collaborer à plusieurs revues et universités étrangères. Elle est notamment l'auteur de «Métier militaire et enrôlement du Citoyen», une analyse du passage récent de la conscription à l'armée de métier.

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Titre : Mélopée militaire
Auteur(s) : Madame le Professeur Françoise THIBAUT
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