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OPCON, TACON… COMME LA LUNE ?

Les transferts et délégations d’autorité : confusion et contradictions
Expériences alliées

Crédit photo ECPAD
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Sous prétexte d’interopérabilité, on a peu à peu imposé dans les organisations nationales françaises une version absurde des notions de commandement et de contrôle opérationnels ou tactiques, fondée sur des contre-sens.


 Cette tendance s’est aggravée avec l’attribution exclusive d’un niveau d’autorité à chaque échelon du commandement, en contradiction évidente avec l’esprit et la lettre des définitions. La doctrine exprimée dans les documents interarmées de référence, évident cachesexe d’une « guerre des boutons » aussi féroce que contre-productive,  est  contraire à la réalité et source d’une intense confusion.  Sans conséquence tant qu’aucun incident ne survient, elle nous conduira immanquablement au désastre dès qu’il faudra affronter un ennemi véritable.

 

Au commencement étaient les rudes nécessités de la souplesse tactique et de la liberté d’action souveraine du chef au combat. Jusqu’au tournant du millénaire, dans l’armée française, on articulait, on attachait et on détachait des unités et éléments, sans accorder de grande importance à des distinctions florentines qui paraissaient d’ordre théorique. 

 

Puis s’imposèrent jusque dans les organisations purement nationales les usages sémantiques venus de l’OTAN. On cessa d’attacher et de détacher pour ne plus parler que de « thé-oh-ah » et de « niveaux d’autorité ». Devant la difficulté de percer la signification concrète de définitions sibyllines, on tenta plus ou moins habilement de les résumer pour le commun des mortels par des tableaux ou des croquis qu’on accompagna de commentaires qui tous finirent par contredire la lettre des définitions, puis on crut simplifier  en attribuant à chaque échelon hiérarchique l’exclusivité d’un « niveau d’autorité » particulier. 

 

Sources de conversations aussi inépuisables qu’animées autour des machines-à-café, comme de gloses interminables dans les stages d’état-major, des notions destinées à simplifier et clarifier l’exercice du commandement en multinational achevèrent d’embrumer les esprits pour ce qui concernait les organisations opérationnelles nationales.  


Le commandement au combat, marqué par l’adversité et l’incertitude, exige quatre conditions fondamentales : la liberté d’action et de décision du chef, laquelle signifie que celui-ci puisse faire ce qu’il veut des forces qui lui sont attribuées ; la souplesse, qui implique que le chef puisse notamment articuler ses moyens comme bon lui semble ; la confiance entre chefs et subordonnés, incluant la certitude d’être obéi ; enfin la compréhension mutuelle, laquelle implique, entre autres, que les mots aient à peu près le même sens pour tout le monde. 

 

Pour réaliser ces conditions, les armées modernes mirent sur pied progressivement les commandements dits « organiques », c’est-à-dire s’exerçant sur une unité grande ou petite, interarmes ou non, à la composition théorique normée et aux capacités à peu près constantes. Formées et entraînées dès le temps de paix, employées à la guerre dans la même organisation et sous les chefs qui les avaient formées, composées de sous-ensembles organiques ayant chacun également leur composition et leurs capacités types ainsi que leur commandement, ces commandements pouvaient agencer avec une grande souplesse leurs moyens grâce à des combinaisons de circonstance dites « articulations » consistant à diminuer certaines unités en en « détachant » des éléments, à en renforcer d’autres en leur en « attachant ».  


L’expérience des guerres mondiales menées en coalition mit en lumière la difficulté à coordonner efficacement des opérations de plus en plus complexes dès lors que le chef ne sait pas exactement quelle obéissance il peut attendre de subalternes étrangers même lorsqu’ils lui sont officiellement subordonnés. Soucieux de ne pas réitérer dans un nouveau conflit européen leurs déboires de Tunisie, d’Italie, ou de Normandie, les forces alliées s’attachèrent dès le début de la Guerre Froide à définir avec précision les prérogatives associées aux transferts et délégations d’autorité entre forces alliées.

 

En comparaison avec le full command, qui exprime le commandement dans son acception classique, intégral et national, la doctrine alliée définit ainsi quatre degrés d’autorité qu’un commandement national peut transférer ou déléguer à un chef d’une autre nation ou à un chef interallié : l’operational command, concédant au chef qui le reçoit une pleine autorité sur les forces qui lui sont ainsi confiées mais en le débarrassant de l’administration et du soutien ; l’operational control, qui ne confère qu’une autorité limitée, bridant la liberté d’action du chef, lui interdisant notamment de changer la mission de l’unité ou de donner des ordres à des éléments séparés  ; le tactical command, universellement incompris et jamais employé en raison d’une définition vague et paradoxale (1) ; le tactical control, autorité simple, de bon sens, et sans conséquences politiques, attachée à la responsabilité exercée sur une zone ou sur une mission, et nécessitant une coordination détaillée de l’action de tous les acteurs.  


En principe, l’existence de prérogatives automatiquement associées à des niveaux d’autorités internationalement reconnus (STANAGs) répond au besoin de compréhension, de confiance, de discipline et garantit la liberté d’action du chef au moins en lui disant ce qu’il peut légitimement demander.  


La pratique interalliée ne retient en réalité que l’OPCON et le TACON, et ce à n’importe quel niveau de commandement. L’OPCON résulte d’une décision de nature politico-militaire (2), exprimant la liberté d’action qu’un haut commandement national veut bien donner à un commandant allié sur l’emploi de forces qu’on lui prête. Il serait incohérent de donner une autorité moins importante que l’OPCON ou imposer des limites plus étroites à la liberté d’action d’un chef auquel on confie des forces. L’OPCOM n’est jamais conféré sauf lorsque la chaîne de commandement interalliée passe à chaque échelon par un chef de la nation contributrice (3). Le TACON n’est que la délégation, étroitement circonscrite dans le temps, dans l’espace, et dans la mission, du devoir de coordonner manœuvres et mouvements afin que les unités appartenant à différents commandements mais faisant mouvement dans la même zone ou participant à la même action ne se contrarient pas. Il résulte d’une décision locale, prise par n’importe quel chef tactique.  


Deux évolutions poussèrent le commandement français à appliquer ces définitions au commandement d’opérations nationales : l’adoption du principe de modularité par lequel on renonçait à la continuité entre l’organisation du temps de paix et celle du temps de guerre ; et le retour dans la structure intégrée de l’Alliance qui fut à l’origine de nombreuses modes.  Il n’y avait en réalité ni avantage ni nécessité à imposer ces définitions : si on s’en tient aux termes classiques, les unités entrant dans la composition d’un commandement pour la durée d’une campagne ou d’un « mandat » sont dites affectées, et celles que le commandement prête pour la durée d’une mission particulière à tel ou tel subordonné en les empruntant à celui auquel elles sont affectées sont dites détachées et attachées. Et pour exprimer les limites de ce prêt, les exprimer en toutes lettres est plus efficace que l’usage d’un vocabulaire étranger notoirement incompris. Et ce d’autant qu’une doctrine française incohérente n’allait pas tarder à aggraver l’incompréhension…


Renonçant à percer le sens d’expressions étrangères aussi incompréhensibles que operational opposé à tactical, transfer à delegate, command à control, mission à task, les rédacteurs (4) du centre de doctrine interarmées eurent l’idée lumineuse d’attribuer chaque degré d’autorité à un niveau de grade de la chaîne opérationnelle française : le CEMA fut donc censé exercer seul, le FULCOM au motif qu’il est le plus gradé ou le primus inter pares, et l’OPCOM, au motif que l’exercice du « commandement opérationnel » est sa raison d’être selon les décrets en vigueur ; le commandant de force se vit réserver l’OPCON puisqu’on ne pouvait lui concéder moins et que le reste était déjà attribué ; les commandants de composantes se virent attribuer le TACOM au motif qu’ils commandent et qu’ils sont le premier niveau « tactique » ; aux autres ne restait que le TACON, seule mention qu’on retrouve donc dans tous les organigrammes terrestres français ! 

Cette logique de « tranche napolitaine » est fondée sur la mécompréhension de faux amis et l’ignorance des réalités des opérations.  


Le CEMA ne saurait exercer le full command, lequel désigne au contraire l’autorité organique exercée par les chefs d’état-major d’armée, par opposition à la notion de « commandement opérationnel », attribution essentielle et raison d’être du CEMA.

Le « commandement opérationnel » tel que le comprend le règlement français recouvre l’autorité sur les opérations des armées françaises et sur les forces françaises participant aux opérations, par comparaison avec le commandement organique ou hiérarchique. Cette acception n’a aucun rapport avec la notion d’OPCOM telle que la comprend l’OTAN qui le distingue avant tout du commandement national (5). L’autorité du commandant de force ne saurait se limiter à l’OPCON puisque, dans les faits, personne ne conteste l’autorité de ce dernier à confier des missions à ses subordonnés ou à réarticuler leurs éléments.

Le commandant de composante, au moins pour ce qui concerne marins et terriens, a évidemment autorité pour articuler et réarticuler ses moyens, leur attribuer des missions aussi bien que des « tâches », leur imposer des contraintes, toutes choses que seul permet l’OPCOM.  


Tout chef de corps désigné pour constituer un GTIA continue de facto sur le théâtre à exercer son commandement organique ou hiérarchique sur les unités  et personnels de son régiment attribuées à son GTIA, ce qui lui confère une autorité supérieure à celle que le CEMA exerce réellement sur lui. On espère vivement que personne ne contestera le droit (ou le devoir) de ce commandant de bataillon à rédiger un ordre initial pour sa mission de quelques jours, ordre dans lequel il imposera une idée de manœuvre, articulera ses moyens en allégeant l’un pour renforcer l’autre, donnera éventuellement une mission autonome à tel chef de détachement de deux ou trois niveaux subalterne, etc. toutes responsabilités qui appartiennent en réalité uniquement au FULCOM et à l’OPCOM.  


Ce chef de GTIA, toujours de facto, exerce au moins l’OPCOM sur tous les éléments affectés à son GTIA pour la durée du mandat puisqu’il ne note ni n’administre leurs personnels mais qu’il peut leur donner n’importe quel ordre, au quotidien comme en opérations. On ne peut lui concéder moins que l’OPCON sur les éléments qu’on lui attache pour la durée d’une mission ponctuelle et, toujours en réalité, on lui concède l’OPCOM avec des réserves. Il exerce obligatoirement le TACON sur tout élément transitant ou stationnant dans la zone d’action dont il est responsable, et il peut se voir déléguer le TACON pour la durée de l’action, sur une unité d’un commandement voisin participant à une action commune de part et d’autre de sa limite.  


En d’autres termes, la réalité contredit absolument la doctrine en vigueur, laquelle est du même coup incompréhensible. Les faux-sens et contre-sens sont légion : Operational comman n’est pas synonyme de « commandement opérationnel ». Operational signifie à la fois « relatif aux opérations », « limité aux opérations » et « opératif » ! Le mot « mission » ne recouvre pas le sens que les alliés donnent à mission et serait mieux traduit par task. Le verbe deploy désigne exclusivement le fait de déplacer une unité de sa garnison vers un théâtre d’opération.  


Tout ceci constitue une doctrine inopérante parce qu’inapplicable et inappliquée, sans conséquences tant qu’il n’y a ni crises ni combat. Ces formules contredisent absolument des principes affirmés avec la dernière vigueur comme celui d’unité de commandement ou de liberté d’action. Elles favorisent les crispations, justifient les « guerres de chapelle » au détriment de l’intérêt commun, autorisent les médiocres à se couvrir en bridant les plus capables. Il est urgent de mettre fins à ces errements  avant qu’ils n’engendrent conflits d’autorité, rigidités, et gaspillages, dès qu’il faudra de nouveau affronter les vraies rigueurs du combat.  

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 1 Le TACOM est défini comme une « autorité déléguée » - alors que le commandement ne se délègue pas et qu’aucune autre définition ne donne autorité pour le déléguer - « permettant de confier des tâches pour remplir la mission », alors qu’on ne sait pas si « la mission » est celle du délégataire ou de l’unité « déléguée ». En pratique, cette notion n’est presque jamais employée en interallié, en raison même de sa définition confuse. 

2 OPCOM et OPCON seuls font l’objet d’un transfer of authority (TOA) à travers l’émission d’un message formalisé de niveau politico-militaire, dénommé ORBATTOA. 

3 On trouve ainsi systématiquement l’OPCOM dans tous les cas où une unité américaine se trouve sous l’autorité de commandeurs américains à tous les échelons. Les Britanniques ont la même pratique. 

4 Plusieurs indices conduisent à penser que ces rédacteurs étaient des aviateurs. Seul un aviateur pouvait imaginer que le guidage des avions dans la zone de contrôle d’un aéroport ou d’un porte-avion relevait du contrôle tactique alors qu’une telle action serait mieux dénommée « contrôle technique » ; seul un aviateur pouvait imaginer que le commandant de composantes ne pouvait pas avoir plusieurs échelons de commandement subordonnés ; et seul un aviateur enfin pouvait oublier que le commandant de composante pouvait avoir besoin de réarticuler les moyens qui lui seraient affectés.

5 L’OPCOM, c’est le full command sans les droits du propriétaire et sans la responsabilité de l’administration et du soutien, lesquels demeurent, dans l’Alliance, une responsabilité nationale. Cette distinction du soutien ne s’applique pas, par exemple, dans l’ONU, parce que l’organisation finance sa propre organisation de soutien et paie les forces qui lui sont attribuées, ce qui lui confère une souplesse et une liberté d’action bien plus grande, en théorie au moins. Quant à l’autorité du CEMA, elle serait bien plus pertinemment comparée au COCOM ou combatant command, autorité attribuée aux grands commandants de théâtres américains.  
 

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Titre : OPCON, TACON… COMME LA LUNE ?
Auteur(s) : Colonel Christophe de LAJUDIE
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