Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

Opération « Nickel grass », Le transport aérien militaire vecteur de la diplomatie aérienne et de la résolution des conflits

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

Le pont aérien réalisé par les alliés sur Berlin entre 1948 et 1949 a souligné l’importance du transport aérien dans la résolution des conflits. L’effet militaire à obtenir, même si il n’a dans ce cas rien d’offensif, s’inscrit dans une double logique de projection de force et de projection de puissance. Il est en effet cohérent avec l’objectif politique définit au préalable, destiné à faire reculer l’adversaire ou à rétablir une situation militaire dégradée.

Moins connue que l’opération « Vittles »[1], l’opération « Nickel grass », réalisée en 1973 par le MAC (Military airlift command) américain en soutien des opérations menées par les israéliens pour contrecarrer l’offensive syro-égyptienne d’octobre 1973, s’inscrit dans la même logique.

À l’heure où, dans le domaine du transport aérien militaire, la France et un certain nombre de nos partenaires européens se préparent à l’arrivée de l’A400M, et où une réflexion commune est engagée sur la mise en place d’une structure de commandement multinationale, l’EATC[2], les enseignements de l’opération « Nickel grass » sont loin d’être négligeables.

On peut en effet s’interroger, de façon légitime, sur l’usage de la capacité de transport offerte par ce nouvel aéronef, de l’opportunité de le doter d’une perche de ravitaillement en vol, sur le partage du contrôle opérationnel au sein d’une entité supranationale.

Un rappel des faits permettra de comprendre l’implication et le rôle joué par le transport aérien militaire américain dans la guerre du Kippour et permettra d’ouvrir quelques axes de réflexion sur l’arrivée de l’A400M dans les forces.

 

[1] Nom donné au pont aérien sur Berlin entre 1948 et 1949

[2] EATC : European air transport command,


Les faits

Octobre 1973. Le monde entier a une fois de plus les yeux rivés sur le proche-orient. Six ans après leur humiliante défaite de la guerre des 6 jours, l’Egypte et la Syrie prennent l’initiative d’une attaque sur Israël.

Surprise dans le camp occidental, même si l’implication de l’administration américaine dans cette affaire fait encore l’objet d’analyses divergentes[1]. L’intensité et la violence des combats épuisent rapidement les stocks de munitions des différents belligérants.

Dès les premières heures du conflit, les soviétiques mettent en place un pont aérien, pour soutenir la coalition syro-égyptienne. Un ballet d’Antonov 12 et d’Antonov 22 lui assure un approvisionnement en munitions et pièces de rechange.

De leur coté, les États-Unis vont dans un premier temps privilégier la voie diplomatique, espérant une fin rapide des hostilités. Mais très vite, il apparaît qu’une issue honorable pour Israël ne peut être envisagée, compte tenu du rapport de force militaire qui lui est défavorable dans les premiers jours du conflit.

Compte tenu de l’urgence de la situation, un ravitaillement par voie maritime, trop lent, est exclu. Seule l’aviation de transport peut garantir la livraison rapide des matériels militaires d’origine américaine dont Israël a besoin pour lancer sa contre offensive, prévue le 10 octobre. Ce même jour, des rotations réalisées par les avions de ligne de la compagnie nationale israélienne El Al amènent un premier ravitaillement en munitions mais soulignent dans le même temps l’inadaptation de ces aéronefs, dédiés au transport de passagers, au chargement et au transport de matériel militaire.

Dès le 6 octobre, le MAC planifie l’organisation d’un pont aérien entre les États-Unis et l’État hébreux, mais c’est seulement le 13, soit une semaine après le début des combats, que le Président Nixon approuve sa réalisation.

Le lendemain 14 octobre, un C5 Galaxy se pose à Tel Aviv, l’opération « Nickel grass » vient de débuter.

« Send everything that can fly » (Président Richard Nixon)

Une semaine avait donc été nécessaire à l’administration américaine pour se décider, hésitant à engager ses avions de transport, craignant qu’un soutien trop visible n’ait des conséquences sur ses relations avec les autres pays de la région, en particulier les pétro-monarchies du Golfe.

Cette même logique conduisait l’ensemble des pays européens à interdire le survol de leurs territoires aux avions américains engagés dans l’opération. Seul le Portugal, après maintes tractations, autorisait l’utilisation de l’aérodrome de Lajès, dans l’archipel des Açores.

La planification d’une telle opération de transport, menée dans des délais excessivement réduits, devait relever plusieurs défis. Identifier et rassembler le matériel au départ des États-Unis et de dépôts situés en Europe, assurer la sécurité des aéronefs lors de leur survol de la Méditerranée et garantir la livraison dans les délais les plus courts possibles.

Dans le domaine du transit aérien la solution retenue consistait à utiliser les Açores comme escale intermédiaire. Au plus fort des opérations, 1.300 militaires américains y furent déployés pour assurer le soutien nécessaire aux 30 à 40 rotations quotidiennes de gros porteurs C5 et C141.

Six heures de vol séparaient la côte Est des États-Unis de l’aérodrome de Lajès ; sept heures de vol étaient ensuite nécessaires pour rejoindre Tel-Aviv.

Le survol de la Méditerranée ne pouvait emprunter les voies aériennes classiques, compte tenu de l’hostilité évidente des pays arabes, et du refus d’autoriser leur survol des pays européens. Le trajet retenu empruntait le détroit de Gibraltar et suivait une route directe vers le sud de la Crête avant d’obliquer vers Tel-Aviv. La sécurité sur cette partie critique du trajet était assurée par la 6ème flotte américaine et ses chasseurs embarqués. La route empruntée par les aéronefs était ainsi jalonnée par les bâtiments de guerre de l’US Navy, à concurrence de 150 nautiques des côtes de l’État hébreu, où les chasseurs israéliens prenaient le relais.

Le déchargement, sur des aérodromes situés, au plus fort des hostilités, à moins de 200 kilomètres des combats, était assuré par des réservistes et des civils israéliens. Faute de moyens adaptés, près de 4 heures furent nécessaires pour débarquer manuellement les 56 tonnes de munitions acheminées par le premier C5 le 14 octobre. Des moyens de déchargement furent ensuite mis en place, réduisant ce délai à une trentaine de minutes.

14 octobre 1973, ouverture du pont aérien par un C5 Galaxy sur l’aérodrome de Lodd, Tel Aviv

Une fois le dispositif bien rodé, un matériel pouvait être utilisé sur le front par un soldat israélien moins de 4 heures après son atterrissage dans un avion américain [2].

 « la guerre est une opération de transport. Le meilleur transporteur en sortira vainqueur » (Winston Churchill)

Le pont aérien ainsi mis en œuvre dura 32 jours. Les 421 missions assurées par les C141 permirent l’acheminement de 11.632 tonnes de fret soit une moyenne de 28 tonnes par rotation. Les C5 réalisèrent 145 missions, assurant la livraison de 10.673 tonnes soit une moyenne de 73 tonnes par rotation.

Qualifié 5 ans plus tôt de projet pharaonique, souvent décrié par ses détracteurs, le C5 Galaxy achemina la moitié du fret total, en réalisant seulement le quart des missions, révélant au monde la supériorité de l’aviation de transport des USA. Madame Golda Meir, Premier Ministre israélien, témoignera quelques semaines plus tard  au peuple américain la reconnaissance des futures générations envers ces avions immenses dont les cargaisons avaient sauvé Israël.

Bilan comparatif des ponts aériens américain et soviétique durant la guerre du Kippour[3]

Face à l’organisation américaine, la réplique soviétique fait pâle figure. Les 935 missions d’Antonov 12 et 22 recensées par les services de renseignement américains permettent d’estimer à 15.000 tonnes l’aide apportée à la coalition syro-égyptienne, sur une période de 40 jours (l’aide soviétique débute dés le 6 octobre 1973). Bénéficiant pourtant d’un environnement plus favorable, seuls 1.700 nautiques séparaient l’URSS du théâtre des opérations, les russes ne disposaient pas d’une capacité de transport comparable à celle offerte par les C5 et C141 américains.

 

Quels enseignements ?

Cette opération va durablement marquer de son empreinte le fonctionnement du transport aérien militaire américain, tant dans ses structures, que ses matériels et l’évolution de sa doctrine.

Le MAC qui jusqu’à ces évènements consacrait ses moyens au soutien des opérations menées au Vietnam bénéficiait d’un solide réseau de bases support dans l’océan Pacifique (Hickam, Wake, Kwajalein), au Japon et aux Philippines. À l’inverse, l’absence de base américaine dans l’océan Atlantique a révélé la dépendance des États-Unis vis à vis de leurs alliés sur ces trajets océaniques.

Le C141 (version A, à cette époque), n’était pas en mesure de rallier directement Israël depuis le territoire US. Le C5 était en mesure d’acheminer 33 tonnes en direct, ce qui ramené au volume transporté aurait nécessité 659 rotations. Sans l’accès aux installations portugaises de Lajès, le pont aérien n’aurait pu assurer dans des délais identiques le même volume de ravitaillement à Israël et l’issue de la guerre du Kippour aurait pu être tout autre.

Conscient de ces lacunes, et de la nécessité de disposer de moyens de projection autonomes, les américains vont développer la capacité de ravitaillement en vol de leur flotte d’avions stratégiques, et adapter le volume de leur flotte de ravitailleurs en conséquence. Une étude américaine de 1975 montre qu’un recours systématique au ravitaillement en vol lors de l’opération « Nickel grass » aurait permis de réduire de façon conséquente le nombre de rotations (près d’une centaine), au prix certes d’une flotte d’avions ravitailleurs adaptée.

Le C141 va ainsi faire l’objet d’un retrofit qui concernera l’ensemble de la flotte. Disponible à compter de 1979, le C141B au fuselage rallongé sera doté de la capacité de ravitaillement en vol.

Mis en service en 1969 le C5 était doté de série de la capacité de ravitaillement en vol. Une fatigue structurelle anormale sur les emplantures d’aile en avait condamné l’utilisation. Une nouvelle voilure allait être développée et mise en service à compter du début des années 80 sur cet aéronef.

Les soviétiques surent également tirer les leçons de la démonstration américaine. Le développement d’avions stratégiques de classes équivalentes au C141 et C5 date de cette époque. L’Iliouchine 76 termina ses essais en 1976 pour entrer en service dans l’Aéroflot en 1978. L’Antonov 124 quant à lui effectuera son premier vol en 1982.

 

Quels enseignements pour l’Europe et l’A400M ?

Le futur Airbus A400M présente de par ses performances prévues certaines similitudes avec le C141A, notamment en termes de charge offerte. Doter ou non ce nouvel aéronef d’une perche de ravitaillement en vol relève avant tout de l’ambition politique qui l’accompagne.

Au début des années 60, l’autonomie et les performances du projet qui allait donner naissance au C160 Transall le destinait à un théâtre centre Europe et méditerranéen, en cohérence avec nos centres d’intérêts de cette époque.

Cinquante ans plus tard, les rapports de forces ont changé. Notre défense se joue désormais loin de nos frontières comme en témoigne notre engagement en Afghanistan. À l’heure de la mondialisation, c’est l’œkoumène qui attend désormais les futurs équipages de transport.

Il importe donc de donner à l’A400M les moyens de s’affranchir des océans ou des espaces aériens dont le survol lui serait interdit. Le ravitaillement en vol est le moyen permettant de garantir cette allonge nécessaire. Nos décideurs doivent prendre en compte cette dimension, et les conséquences d’une remise en question de cette capacité. Il doit en outre s’accompagner du développement simultané de flottes d’avions ravitailleurs dont la mise en commun au niveau européen devra être envisagée au-delà du protocole ATARES[4] en vigueur depuis quelques années.

L’acquisition par de nombreux pays européens de l’A400M, et leur mise en commun au sein d’un commandement multinational, tel que se dessine l’EATC, impliquent à terme une capacité de transport remarquable. Seuls les États-Unis disposeront d’une capacité de transport instantanée plus importante. Le transport aérien deviendra alors un moyen pour l’Europe d’afficher ses ambitions de politique étrangère, qu’il s’agisse d’aide humanitaire, de réponse à une situation d’urgence (Tsunami, tremblement de terre..) ou d’action purement militaire.

Cet atout contribuera de facto à renforcer la cohérence de la PESD, politique européenne de sécurité et de défense, dont l’Europe communautaire peine à tracer les contours.

 

Conclusion

L’opération « Nickel grass » a montré la capacité de l’aviation de transport américaine à supporter dans des délais extrêmement réduits l’effort de guerre d’un pays distant de près de 13.000 kilomètres. Soulignant l’indispensable besoin de doter les flottes d’avions stratégiques de la capacité de ravitaillement en vol, il s’inscrit dans la logique de puissance et d’intervention des États-Unis.

Le MAC, orienté à l’époque sur l’effort de guerre au Vietnam, devenait en quelques semaines avec ses emblématiques C5 et C141 le vecteur de la politique étrangère américaine.

La France et certains de ses alliés européens s’apprêtent à accueillir l’A400M, et vont offrir à l’Europe de la défense une capacité de transport remarquable. La capacité de ravitaillement en vol permettrait d’accroître son rayon d’action et conforterait notre indépendance vis à vis des autres puissances.

Si les indécis peuvent mettre en avant la difficulté de rentabiliser demain au quotidien une telle capacité de transport, il importe désormais de dépasser les logiques nationales pour s’inscrire dans une logique européenne. L’A400M donnera ses ailes à l’Europe de la défense, lui assurant dans le domaine du transport aérien les moyens de son ambition.

 

 

[1] Voir à ce sujet «  Penser les ailes françaises, Hors série du 26 septembre 2006, intervention du Général Pierre Gallois », page 18.

[2] Source : operation Nickel grass, Airlift in support of national policy, Capt Chris Krisinger, USAF, Airpower journal, 1989

[3] source : Airlift doctrine, Lt Col Charles MILLER, Airpower research institute, mars 1988, page 344

[4] ATARES : air transport and air refueling and other exchange of service, protocole signé en février 2001

Séparateur
Titre : Opération « Nickel grass », Le transport aérien militaire vecteur de la diplomatie aérienne et de la résolution des conflits
Auteur(s) : le lieutenant-colonel Éric LE BRAS
Séparateur


Armée