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Pour un «ministère des Armées» et une politique de défense globale

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Le chef d’escadron Thierry Pern plaide pour la fin de l’appellation «ministère de la Défense» et un retour à l’appellation originelle de la Vème République: le ministère des Armées. Une illustration de cette opinion personnelle est proposée en fin de propos au travers de l'exemple de la problématique des questions nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC).


«La guerre, c’est une chose trop grave pour être confiée aux seuls militaires…»

Cette fameuse boutade de Clemenceau est restée dans les mémoires et, paradoxalement, elle semble plus que jamais pertinente. La Vème République voulait en effet instituer une défense globale (économique, industrielle, technologique, diplomatique…) avec l’ordonnance du 7 janvier 1959. Cette volonté initiale ne semble malheureusement pas s’être réellement ancrée dans notre culture et notre philosophie politique. Certes, le rapprochement des notions de sécurité intérieure et de défense et, en particulier, l’émergence de la notion de résilience ont contribué à faire avancer une prise de conscience collective de l’impératif d’une coordination plus large de compétences diverses. Dans la même veine, le vote par le parlement des engagements militaires, tout comme la révision périodique des livres blancs sont, théoriquement, de nature à favoriser l’esprit de défense. L’ensemble de ce processus a d’ailleurs abouti à l’élaboration d’un nouveau code de la défense, avec la loi du 29 juillet 2009 qui instaure une stratégie de sécurité nationale. Ce texte spécifie explicitement que l’ensemble des politiques publiques concourent à la sécurité nationale. Hélas, une erreur, voire une faute, s’est établie depuis longtemps dans notre vocabulaire: la défense est en effet l’appellation d’un ministère alors qu’elle relève pourtant de la responsabilité du Premier ministre d’après la constitution (articles 9 et 21), soit donc un enjeu éminemment interministériel. La fin du service national n’a fait qu’exacerber cette désastreuse perception collective selon laquelle la défense du pays est l’affaire des militaires.

 

Le nom est un présage

Historiquement, la raison de cette appellation est simple. En 1969, Michel Debré, ancien Premier ministre, consent à entrer dans le gouvernement lorsque Georges Pompidou devient le chef de l’État. Le principal rédacteur de la constitution n’entend cependant pas se contenter du simple titre de ministre des Armées précisément mis en place par la Vème République. Il obtient donc l’appellation, plus régalienne, de ministre (d’État) chargé de la Défense nationale. Michel Debré reçut ainsi une délégation de pouvoirs normalement dévolus au Premier ministre et aura, par exemple, le secrétariat général pour la défense nationale (SGDN) sous son autorité. Il pilotera d’ailleurs la rédaction du premier livre blanc pour définir la stratégie de notre pays alors que s'achevait la mise en place de la dissuasion nucléaire. Notons au passage que le qualificatif de national ne restera pas attaché à l'appellation du ministère après le départ de Michel Debré. Enfin, le rang protocolaire du ministère dépendra rapidement du rayonnement politique du détenteur du portefeuille et ne sera donc plus une notion ès-qualités… alors que la loi définit pourtant une fonction à ce rang protocolaire, notamment pour régler la vacance des pouvoirs.

 

La défense: un cache-sexe politiquement correct de l’ultima ratio

Cette appellation de Défense n’est cependant pas uniquement française. Elle tend même à devenir la norme vers laquelle convergent bon nombre de pays très divers dont l’ensemble de nos alliés. En France même, ce terme n'est pas vraiment nouveau puisqu'il est adopté dès 1932, brièvement puis de façon constante par la IIIème République juste avant la seconde guerre mondiale. L'adoption de cette appellation de «Défense nationale et des forces armées» dans les années 30 répond alors à un objectif de coordination des efforts entre les armées, qui conservent chacune un département ministériel ou un secrétariat d'État.

Les objectifs recherchés à l'époque de cette réorganisation sont donc bien différents de nos soucis contemporains. Il s'agit en effet de maîtriser la complexité d'une mobilisation générale de millions d'hommes, d'administrer d'immenses arsenaux étatiques tout en s'occupant de nos colonies et territoires associés. En conséquence, le regroupement des ministères de la Guerre, de la Marine, de l'Air, de l'Armement et des Anciens combattants au sein d'un immense ministère de la Défense nationale et des forces armées faisait alors sens. Le vice principal de cette organisation tenait dans une absence d'unité dans la direction politique et une dilution des responsabilités, choses que le Général de Gaulle s'attachera à résoudre avec la Vème République.

 

Les problématiques sont bien différentes aujourd'hui et nous autres, Européens du XXIème siècle, vivons dans des sociétés où la guerre est devenue impensable. En conséquence, ce doux vocable de défense préserve nos oreilles d'un vocabulaire plus martial. Ainsi, le terme de défense, souvent associé à la notion de légitimité pour le grand public (légitime défense) est-il peut-être une présentation sémantique permettant de justifier une mission traditionnelle de l'État parmi bien d'autres? À l'opposé, ce terme de défense s'explique peut-être plus réalistement ailleurs dans le monde. Ainsi, des pays n'ayant pas le même rapport avec l'usage de la force, citons pour être bref la Corée du Nord ou la Syrie, ont également un intérêt réaliste à afficher un pudique ministère de la Défense. Machiavel disait bien «qu'il n'est pas besoin que le Prince soit vertueux, il suffit qu'il passe pour l'être»!

 

Mais si, comme le Général de Gaulle le rappelait, une armée, cela sert d'abord à faire la guerre et, en attendant, à s’y préparer, n'oublions pas qu'une guerre ou un conflit armé se gagne d'abord et avant tout grâce à la volonté d’un peuple, d'un pays, de sa société et de ses pouvoirs publics… ce que Clausewitz théorisera avec sa fameuse trinité entre le peuple, son gouvernement et l'armée. En conséquence, réduire, ne serait-ce que dans les représentations, la défense à la seule affaire des militaires est une faute aussi bien institutionnelle que stratégique. En somme, l'esprit de défense de notre pays gagnerait donc à ne plus être monopolisé par un seul ministère dans les représentations de l'opinion publique.

 

L’armée, un des moyens au service d’une fin: la défense et la sécurité nationale

Il convient également de souligner que ce terme de défense est en outre trop réducteur pour qualifier l’ensemble des actions conduites par ce ministère. En effet, l’armée de la République définie dans les textes (article L4111-1 du code de la défense) comme étant au service de la nation, mène quotidiennement bon nombre d’actions qui ne relèvent pas stricto-sensu de la défense comme, par exemple, des missions de service public, de soutien des forces de sécurité, d’action de l’État en mer ou d’aide aux populations. En conséquence, ce terme de défense ne traduit pas correctement la vocation interministérielle des armées, tout comme il laisse croire à tort que la défense pourrait n’être assurée que par les seuls militaires. Ces derniers sont pourtant démunis face à nombre de problématiques essentielles pour la défense d’un pays: le terrorisme, la cyberdéfense, la politique industrielle en matière d’armement, les questions énergétiques et de matières premières, les problématiques liées aux transports ou aux télécommunications, les questions d’intelligence économique...

 

Il ressort donc que la défense de la nation est réellement une question globale qui doit être coordonnée au niveau de l’ensemble du gouvernement. Heureusement, la France s'est dotée depuis longtemps[1] du secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN) afin d'assurer cette coordination interministérielle. Cependant, cette instance administrative rattachée au Premier ministre ne peut pas assurer la conduite politique de cette coordination interministérielle. L’appellation de ministère de la Défense entretient la fausse croyance selon laquelle le titulaire de ce poste exerce le pilotage politique de la Défense du pays, ce qui n’est absolument pas le cas puisque ses seuls leviers d'action sont les forces armées.

 

L'exemple de la défense NRBC-E: une affaire éminemment interministérielle

L'enjeu des problématiques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), et en particulier du risque terroriste associé, est aujourd'hui majeur pour nos sociétés. Les attentats au gaz sarin de Matsumoto (1994) et du métro de Tokyo (1995) par la secte Aun Shiriko ont montré qu'il était possible de réaliser un attentat de ce type même par une organisation non-étatique disposant de moyens limités. Il va également sans dire que la menace NRBC est une préoccupation centrale eu égard à la prolifération balistique et au risque de retour du terrorisme étatique. La réponse institutionnelle de notre pays à cette problématique est heureusement globale et non pas seulement l'affaire des seuls militaires. Un plan gouvernemental NRBC, issu de la fusion des plans Biotox, Piratox et Piratome, a par exemple été rédigé afin de développer les capacités de protection et de réponse de notre pays face à ces menaces. De l'amont, par un travail de prévention des actes (contrôle du commerce de produits sensibles, veille sanitaire, contrôle de la chaîne alimentaire et de l'eau, travail de renseignement pour ne citer que quelques exemples...) jusqu'à l'aval avec le retour à la vie normale, de nombreux ministères sont impliqués dans la prise en compte des problématiques NRBC.

Pour autant, il n’est pas certain que cette implication des différents départements ministériels soit totale et entière faute d’une prise de conscience ou d’une sensibilisation de tous les intervenants. Dans beaucoup d’esprits malheureusement, la défense, c’est l’affaire de la défense et des militaires. Le cartésianisme et les juristes ont donné du poids au sens des mots dans nos représentations. Il ne s’agit pas ici de juger axiologiquement cette structuration mentale mais de constater simplement un effet pervers particulier. En l’occurrence, une réelle approche globale des questions de défense a été dégradée dès lors que le ministère des Armées a pris l’appellation excessivement large de ministère de la Défense.

 

Pour conclure, soulignons que reprendre l’appellation de «ministère des Armées», appellation choisie par le Général de Gaulle lors de l’instauration de la Vème République, ce serait faire un acte, symbolique certes, mais soulignant que la défense et la sécurité nationale, c’est l’affaire de tous! Ce serait donc œuvrer à un développement de l'esprit de défense de notre pays en suscitant le soutien ou la participation de la collectivité à cette entreprise.

Enfin, cette évolution serait peut-être également en phase avec un lent mouvement de l'histoire vers la disparition de menaces armées directes d'autres États envers notre pays. Or cette fin de la conflictualité interétatique accroît la complexité des réponses à apporter aux nouvelles menaces plus diffuses et insidieuses (terrorisme, cyberespace, NRBC...). Face à de tels défis, oui, la défense doit bien être l'affaire de tous!

 

[1] 1921 création du SGDN; le Général de Gaulle y sert d’ailleurs de 1931 à 1937. En janvier 2010, il absorbe le secrétariat de la sécurité intérieure (SGCI) et devient le SGDSN.

 

Officier breveté de l’École de Guerre (promotion «Maréchal Juin» 2011-2012), le Chef d’escadron Thierry PERN a terminé en juillet 2013 une formation spécialisée en master 2 «NRBC» au Val-de-Grâce.

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Titre : Pour un «ministère des Armées» et une politique de défense globale
Auteur(s) : le Chef d’escadron Thierry PERN
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