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Pourquoi confier aux armées l’encadrement du service national universel n’est pas opportun

Cercle de réflexion G2S - n°21
L’Armée de Terre dans la société
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S’il n’est plus question de renouer avec le service militaire obligatoire, puisque la France ne se connait plus d’ennemi depuis la disparition de la menace soviétique4, le projet de confier aux armées l’encadrement du futur Service national universel relève d’une certaine confusion des esprits devant le défi posé à la société par la situation d’une part non négligeable de sa jeunesse.


Non seulement, ce projet a pour conséquence – si ce n’est pour but inavoué – de dispenser la société dans son ensemble et nos élites plus particulièrement de l’indispensable réflexion sur les causes de cette situation, mais il repose sur des principes – on devrait même dire, en réalité, sur une absence de principes – erronés et viciés, autant sur le rôle de l’État que sur celui des armées. Il pourrait même dériver vers une forme d’autoritarisme par lequel il reviendrait à l’État, avant tous les corps intermédiaires et la société civile, de pourvoir à l’éducation de la jeunesse.

Sur le plan des principes, est-ce vraiment à l’État par le canal de l’institution militaire d’élever et d’éduquer la jeunesse pour lui permettre de trouver sa juste place dans la société civile et la communauté nationale ? Si, au cours de l’Histoire, certains États se sont lancés dans une telle entreprise, la plupart du temps l’expérience s’est soldée, pour le prétendu bien de la société, par des échecs retentissants. De fait, cette volonté de maîtriser les esprits et les comportements individuels relève essentiellement de régimes d’essence totalitaire. On pourra objecter que le contexte du jour est fondamentalement différent ; encore faudrait-il analyser avec justesse les causes d’une telle situation avant de prétendre en corriger les effets.

À partir du constat d’une jeunesse sans formation et sans but, désorientée, désocialisée, voire radicalisée par endroit, l’immense tâche de la remettre à sa place dans la société ne ressortit pas d’une mission militaire et ne répond nullement à la finalité des armées. Elle en constitue même un dévoiement préjudiciable à l’accomplissement de leurs vraies missions. De plus, s’atteler à corriger les effets de l’absence d’autorité, conjuguée à une carence d’éducation et de sens civique de la part des familles et de l’école, ne permet en rien de traiter les causes de la situation regrettable dans laquelle, aujourd’hui, une grande part de la jeunesse se trouve plongée.

On pourrait ajouter que prétendre corriger l’état d’esprit et les comportements de jeunes de dix-huit ans et plus par un « brassage social » de quatre semaines, même encadré par des militaires, participe d’un angélisme étonnant et d’une méconnaissance profonde des ressorts humains et de la psychologie la plus élémentaire. À l’époque du vrai service militaire – qui était d’ailleurs dénigré par une certaine classe politique et dont la finalité répondait alors à l’obligation de protéger et de défendre la Nation contre des agressions extérieures – les cadres des armées savaient bien que la mentalité d’un jeune n’évoluait favorablement – quand c’était le cas – qu’à partir d’une période de plusieurs mois bien au-delà d’un semestre…

Ce service national serait mis en œuvre dans un cadre interministériel pour sa direction générale, la mise à disposition de formateurs, le contenu des programmes et, pour une part indéterminée, la délivrance des moyens matériels. On voit bien que la charge la plus lourde, compte tenu de sa permanence et de ses exigences, reviendra aux armées pour la vie courante (actes de gestion individuelle, hébergement, alimentation, etc.), les règles de vie communautaire (discipline) et la restauration du lien social ; toutes choses que les cadres militaires maîtrisent, – on le redécouvre présentement – grâce en grande partie à la perspective, présentée au soldat, de l’engagement opérationnel qui n’admet pas l’à-peu-près. Cette finalité militaire n’existera pas ici pour des jeunes dont on peut craindre que certains d’entre eux peineront à trouver du sens et de la légitimité à ce passage obligé dans des mains militaires.

Sur l’aspect interministériel, l’expérience montre qu’un tel niveau de gouvernance fonctionne mal en France ; il dilue les responsabilités, laisse des pans d’attributions en déshérence, d’autant que les administrations civiles, hormis en principe celle de l’éducation nationale ou de l’intérieur, n’ont aucune expertise de la « gestion de masse » et manquent totalement de moyens matériels adaptés à cette nouvelle mission. Sans parler de la gestion financière et budgétaire de cet ensemble que d’aucuns s’empresseront de rejeter sur le voisin.

Concernant les armées, les obstacles sur la voie d’une telle entreprise sont nombreux après le détournement de leur finalité. L’institution militaire se trouve réduite à sa plus simple expression par la volonté politique, que des événements dramatiques récents ont illustré comme largement insuffisante pour accomplir ses missions pérennes. Les effectifs des armées, leurs moyens, y compris financiers, sont contestés au sein même de l’appareil d’État, par Bercy essentiellement. On peut douter alors que la priorité en la matière soit accordée à cette tâche pour assoir la viabilité d’un nouveau service à portée universelle. Il ne s’agit pas ici d’un procès d’intention, mais d’une vision réaliste justifiée par l’expérience… encore récente.

Par ailleurs, concernant cette nouvelle mission dévolue aux armées, il est à craindre plusieurs phénomènes tels que l’usure morale et physique de cadres à l’effectif compté, obligés de répéter inlassablement tous les mois, les mêmes efforts de persuasion et de formation morale qui ne répondent pas strictement à leur vocation. Pourrait s’ensuivre une crise de recrutement par effet de lassitude chez les officiers et les sous-officiers devant une perspective d’emploi hors de leur vocation qui vient s’ajouter à leurs missions naturelles. Alors que d’un autre côté, les mêmes efforts ne seraient pas exigés de ceux dont c’est la raison d’être, à savoir les familles et l’école ; cette dernière devrait demeurer le lieu légitime et prioritaire du brassage social et de l’apprentissage de la vie en société.

Ne faudrait-il pas plutôt, dans ces conditions, commencer par restaurer le sens de l’autorité partout où il se montre défaillant, rétablir le sens et le rôle de la famille - avec les aides appropriées, dont une part revient à l’État, mais pas seulement – et redonner à l’éducation nationale et au million de fonctionnaires qu’elle abrite les moyens et l’envie de répondre, après la famille, à sa vocation d’instruction d’abord et de formation civique ensuite ?

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Titre : Pourquoi confier aux armées l’encadrement du service national universel n’est pas opportun
Auteur(s) : Général d’armée (2S) Jean-Marie FAUGÈRE
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