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Primo Bravo: moral de la troupe

cahier de la pensée mili-Terre
Défense & management
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Le moral de la troupe en opérations est un facteur clé dans la réussite d’une mission. À ce titre, sa prise en compte mérite une attention toute particulière de la part du chef qui doit, à l’instar des autres thèmes des paragraphes de son ordre d’opération, l’inclure dans sa réflexion tactique sur la «situation amie». Le commandement est alors confronté à la difficulté d’influer sur un élément à la fois immatériel, intime mais aussi mû par de nombreuses dynamiques collectives. Dès lors, quel rôle le chef peut-il réellement jouer pour s’assurer de l’équilibre moral précaire de son unité au combat?


Le combat et sa préparation exposent les hommes à des épreuves et des succès impactant leur moral, voire leur équilibre psychologique lorsque ces épreuves aboutissent à des chocs post-traumatiques. Si ces derniers font aujourd’hui l’objet de nombreux écrits de la part de spécialistes ou de blessés, la gestion plus classique du moral de la troupe au quotidien lors d’un engagement demeure peu traitée. Elle est pourtant un critère déterminant dans la réussite d’une mission : le moral de la troupe est en effet l’assurance d’une volonté de se battre. À ce titre, sa prise en compte mérite une attention toute particulière de la part du chef qui doit, à l’instar des autres thèmes des paragraphes de son ordre d’opération, l’inclure dans sa réflexion tactique sur la «situation amie». Le commandement est alors confronté à la difficulté d’influer sur un élément à la fois immatériel, intime mais aussi mû par de nombreuses dynamiques collectives.

Dès lors, quel rôle le chef peut-il réellement jouer pour s’assurer de l’équilibre moral précaire de son unité au combat?

 

Questionnement individuel, actions collectives: le chef doit s’astreindre à saisir la complexité des dynamiques morales qui animent son unité

 

Tout militaire ayant connu un engagement au combat sait que le moral de la troupe en opération est une construction instable variant au gré des événements rencontrés, tant individuels que collectifs. Confronté à ce phénomène, le chef doit chercher à comprendre les dynamiques ‒ positives ou négatives ‒ qui peuvent affecter son unité, ses hommes et lui-même en opération.

La complexité de ces dynamiques impose de partir d’une analyse du moral de l’individu, particule élémentaire du moral d’une unité en opérations. Dans le cadre d’un engagement opérationnel, cet individu est extrait de son quotidien. Il se retrouve confronté à des incertitudes, à des questions parfois existentielles comme celles du sacrifice de sa vie ou du droit de donner la mort. L’individu, y compris le chef, peut alors être fragilisé, d’où la nécessité de prendre le temps de mieux se connaître avant et pendant l’engagement en cherchant une réponse à ces questions fondamentales. Le fait que, chez les hommes engagés en opération, la maturation de cette introspection ne suive pas les mêmes règles ou rythmes engendre des fluctuations récurrentes du moral de la troupe. Certains, refusant cette réflexion en amont de la projection, se retrouvent fragilisés durant l’engagement, violemment confrontés à une réalité qu’ils avaient délibérément mise de côté.

Cependant la meilleure des préparations morales avant opération ne peut écarter l’incertitude des réactions individuelles face au feu. De la perte totale de ses moyens à l’acte de bravoure, le spectre des possibilités est en effet très large. L’observation des premiers comportements au combat est ainsi riche d’enseignements pour le chef, qui peut redécouvrir ses hommes, et ce même si elle ne garantit pas forcément une vérité unique pour les engagements ultérieurs. Certains soldats traditionnellement introvertis s’expriment pleinement tandis que d’autres plus bravaches s’effacent. Cette méconnaissance de soi pèse sur le combattant. Aussi n’est-il pas étonnant de voir les hommes pressés de connaître leur baptême du feu, une étape nécessaire à leur construction personnelle et morale.

Le moral de la troupe, s’il repose bien sur celui des individus qui la compose, s’apparente néanmoins à une mécanique beaucoup plus complexe. Il ne se résume pas en effet au produit d'une simple agrégation de caractères individuels; il résulte aussi d'un ensemble d’interactions dynamiques évoluant au fil du contexte des opérations.

Si les contrecoups moraux liés aux engagements sont le plus souvent considérés dans leur acception négative, à l’instar d’une baisse de moral liée à des pertes ou à des échecs opérationnels, il existe également une tendance opposée mais tout aussi dangereuse: l’euphorie. Les succès engendrent en effet chez le combattant un regain de confiance naturel et positif. Mais un excès de confiance est à proscrire en opération pour deux raisons opposées. Comme le souligne l’historien Delbruck mentionnant Frédéric II, «une armée n’est jamais moins bien disposée à combattre immédiatement qu’après la victoire. Chaque homme en est tout retourné de joie, la masse est ravie d’avoir échappé au danger extrême auquel chacun était exposé, et aucun n’est pressé de s’y frotter de sitôt»[1]. Cette euphorie du succès peut également engendrer un sentiment d’invulnérabilité tout aussi néfaste puisqu’il peut affaiblir l’une des qualités les plus utiles au combattant: son instinct de survie.

Il est dès lors nécessaire de tempérer l’ampleur des succès pour écarter ces effets néfastes. Les sensibilisations aux menaces encourues lors des briefings d’avant mission sont, dans cette quête de tempérance, très utiles. Mais là encore, ces rappels doivent se faire avec mesure et optimisme, afin d'éviter toute psychose qui s’avèrerait contre-productive. En effet, les échanges d'informations, voire leur déformation, ne manqueront pas d’avoir lieu au sein du microcosme que représente une unité isolée en opération, terreau particulièrement fertile pour toutes sortes de rumeurs et d’exagérations. Le cas des sensibilisations à la menace des engins explosifs improvisés en Kapisa est révélateur de ce phénomène. Si chacun doit avoir conscience des procédés utilisés par les insurgés, une trop grande focalisation sur cette menace peut paralyser non seulement la manœuvre mais aussi les esprits.

Les dynamiques de groupe jouent donc un rôle clé dans l'évolution morale des unités en opération au gré des événements rencontrés. Il est donc nécessaire pour le chef de repérer les périodes durant lesquelles ces dynamiques se développent. S'il est généralement difficile d'anticiper les coups durs, certaines phases des mandats opérationnels peuvent cependant être identifiées comme particulièrement sensibles pour le moral de la troupe. Outre le premier engagement au feu déjà évoqué, les pauses opérationnelles et l’approche de la fin du mandat sont des périodes clés pour le moral de la troupe. L’influence psychologique de l’approche du retour au foyer est bien connue. Le désir naturel de l'individu de se préserver si près d’un retour auprès des siens se confronte avec la nécessité pour le groupe de poursuivre la mission. L’impact sur le moral de la pause opérationnelle est, lui, plus subtil. Ces périodes d’inactivité sont en effet à double tranchant. Si une pause brève combinée à un changement d’ambiance est généralement bénéfique pour le moral – elle est d’ailleurs parfois appelée welfare (bien être en anglais) – une pause imposée par exemple par les ordres ou les conditions météorologiques est généralement nuisible au moral de l’unité: les esprits restent sous pression, en proie aux rumeurs, sans avoir l’exutoire psychologique que représente la réalisation d’une mission. De plus, l’oisiveté donne le temps au combattant de ressasser certaines situations délicates vécues.

 

Le chef a les moyens d’influer sur la situation morale de son unité par son comportement.

Face à ces interactions complexes, Il est difficile pour le chef en opération de pouvoir prétendre maîtriser le moral de sa troupe. Il a cependant les moyens réels d'influer sur celui-ci.

Certains principes pour favoriser ce moral, notamment en amont de la mission, sont bien connus. Ils consistent à conserver des groupes identiques et à développer la compétence de tous les échelons via un entraînement. Les questionnaires renseignés post-opérations par les unités combattantes de Kapisa en 2010 faisaient ainsi ressortir l’importance sur le moral de la perception de la compétence de chaque échelon de commandement de l’unité.

Mais d'autres actions peuvent être entreprises par le chef. La première d'entre elles n'est pas la plus aisée. Elle repose en effet sur sa capacité à identifier ses propres limites et faiblesses pour adopter un comportement lui permettant de durer. Il ne doit pas chercher à être omniprésent s'il veut éviter de se disperser et de perdre ainsi de son efficacité lors de la période d'engagement. Le chef doit être serein et lucide, ce qui passe par des plages de repos et d'entretien physique lui permettant de prendre du recul. Son efficacité et sa confiance, donc son moral, en dépendent. Si la guerre est avant tout l'opposition des volontés des chefs bâties sur cette force morale, on comprend alors l'influence sur la troupe du moral affiché par le commandement. L'effondrement moral du Général Gamelin en 1940, s'il n'est pas la cause de la défaite militaire, a ainsi joué un rôle de catalyseur sur la débâcle française. L’historien P. Masson souligne l'absence de combativité du généralissime qui, dès le quatrième jour suivant l'offensive allemande de mai 1940, résigné, annonçait au ministre de la Défense nationale et de la Guerre Daladier, lui-même effondré : «oui, c'est la fin de l'armée française»[2].

À ce besoin d'«être et durer» moralement, il est souhaitable pour le commandement d'adjoindre une communication choisie pour influer positivement sur le moral de la troupe. Ainsi le calme du chef rassure ses subordonnés. S’il faut savoir ponctuellement donner de la voix pour dynamiser une manœuvre, il est indispensable de conserver son sang-froid dans les moments de tension. Un ordre transmis calmement permet de diffuser une certaine forme de sérénité aux subordonnés et de leur permettre de prendre du recul par rapport à la situation du moment. De plus, l'affirmation de ce calme relativise la gravité de la situation en donnant un sentiment de maîtrise des événements.

Et pourtant, le chef est conscient qu'il ne peut tout maîtriser au combat. En effet, «il n’y a pas de hasard mais il faut de la chance». Cette phrase prend tout son sens au quotidien en opération. «Pourquoi le véhicule blindé précédent est-il touché et pas le mien? Pourquoi cette balle a-t-elle heurté mon fusil et non ma main?». Autant de questions qui se multiplient au cours d’un mandat et nourrissent des interrogations, voire des états d’âme. Les combattants réalisent que le succès de la mission se bâtit non seulement sur une préparation minutieuse, afin de ne rien laisser au hasard, mais aussi sur une part de réussite, de chance. Le rôle du chef est non seulement de ne pas ignorer cette dernière mais également d'en faire prendre conscience à ses subordonnés. Le «fatalisme serein» qui en résulte est un gage d'efficacité opérationnelle: tout en étant conscient des risques pris, le combattant sait qu’il a mis tous les atouts de son côté pour remplir sa mission et, en paix avec sa conscience ou son âme, part au combat.

 

La manière de concevoir et de conduire la manœuvre: un levier moral pour le chef

 

Le chef peut donc, à partir d'un travail sur lui-même, avoir une action sur le moral de sa troupe. Il peut amplifier ses effets en s'appuyant sur des procédés de conception et de conduite de la manœuvre.

Le processus de déroulement des ordres avant opération s'inscrit dans une mécanique bien identifiée depuis la préparation matérielle au niveau individuel jusqu'au rehearsal, ultime répétition générale. Cette mécanique joue un rôle non négligeable dans la préparation psychologique de la troupe. Elle permet à chaque homme d’intégrer une mission qu’il s’approprie progressivement. La confiance mutuelle construite par les étapes de la préparation collective de la mission et leur vérification par le chef permet à tous de se rassurer. Les hommes prennent conscience des moyens mis en œuvre à leur profit (appuis et soutiens), de la présence des unités amies dans leur environnement immédiat ou encore de leur propre capacité de feu. Le combattant qui se couche à la veille d’une mission est ainsi nourri d’une conscience collective, d’un sentiment d’appartenance à un groupe et de la certitude de pouvoir compter sur l’autre. Il est moralement prêt.

De plus, quelle que soit la mission, il revient au chef de bâtir sa manœuvre. La manière dont il choisit de concevoir celle-ci est un autre signal psychologique fort. La part d'initiative qu'il laisse à ses subordonnés, mais aussi le souci de leur laisser des délais suffisants pour leur permettre de s’approprier la future mission et de l’intellectualiser, sont autant de façons pour lui de mettre en confiance ses hommes et de favoriser ainsi leur stabilité morale.

Au cours du déroulement de l'opération, d'autres aspects du commandement exercent une influence sur le moral des subordonnés sans qu'ils aient fait pour autant l'objet d'études approfondies. Dépassant le seul impératif tactique, la notion de place du chef est ainsi primordiale. Trop présent, le chef peut devenir castrateur pour un subordonné qui pourrait considérer être sous tutelle, donc inutile. À l’opposé, trop absent, il peut faire naître chez ses subordonnés un sentiment d'abandon préjudiciable à leur volonté de s'engager davantage. D'où la nécessité pour le chef de prendre en compte dans l'enchaînement des opérations cet aspect psychologique lorsqu'il conçoit sa manœuvre. La place du chef n'est pas seulement celle d'où il pourra le mieux commander, elle est aussi celle qui lui permettra de rassurer ou de partager, même ponctuellement, le risque physique de la bataille. Dans «L'homme en guerre, de la Marne à Sarajevo», P. Masson insiste sur le cas que faisait le Général Patton du moral de ses hommes et de sa place auprès de ses unités. Conscient de l'impact psychologique de la présence du chef, il veillait ainsi régulièrement à visiter ses troupes au front de manière ostensible et évitait systématiquement d'en repartir au vu de tous.

 

Par le biais de la répartition des missions confiées, le chef possède un autre levier pour agir sur le moral de ses hommes

 

Toutes les missions, malgré leur utilité, n'ont pas la même valeur aux yeux des combattants. Les missions dites «captives» car indispensables, mais dans lesquelles la posture est avant tout défensive, sont peu appréciées. Les défenses de sites ou les escortes de convois sont l'illustration de ces missions durant lesquelles l'initiative est limitée et les risques tout aussi nombreux. Il est donc important de veiller à l'équité entre les unités dans la répartition de ces missions, sous peine de créer des déséquilibres fâcheux pour le moral de la troupe. Une bonne alternance permet à tous les combattants d'être engagés régulièrement sur des missions plus offensives ou apparaissant comme plus utiles et valorisantes. Cette perception que les combattants ont de leurs missions se rattache directement à deux notions clés pour le moral de la troupe: l'initiative et la reconnaissance. Elles doivent donc être encouragées par le commandement.

Dans un combat asymétrique tel que celui rencontré au Mali ou en Afghanistan face à un ennemi souvent invisible, la reprise au plus tôt de l’initiative par le chef est essentielle d’un point de vue tactique et technique. Elle permet de redonner confiance au soldat et de lui faire plus facilement oublier, à la fin de sa mission, la violence endurée. Le combattant se focalisera davantage sur le dernier coup porté, même en réaction. L’observation du moral de la troupe lors des attaques indirectes sur les FOB en KAPISA est révélatrice: lorsque les tirs d'artillerie sur les zones de départ de coup succèdent à l'agression, les troupes affichent un moral supérieur: elles n'ont pas le sentiment de subir le cours des évènements.

La seconde notion, la reconnaissance, ne prend son importance qu'a posteriori. Qu'elle s'incarne dans un regard, un article de presse ou une récompense officielle, elle est essentielle au combattant. Lors de la Première Guerre mondiale, l'absence de médiatisation des affrontements durant les années 1915-1916 a favorisé l'effondrement moral progressif des troupes dont le sacrifice ne semblait pas reconnu. Lorsqu'en 1917, le Général Pétain porta ses efforts sur le moral de la troupe suite à des mutineries, il décida ainsi, parmi ses nombreuses actions au profit direct du Poilu, de renouer avec une communication médiatique officielle permettant une meilleure prise de conscience par l'opinion publique de l'effort consenti par les soldats. Ce fut un succès, comme le prouva la capacité de l'armée française à se relever moralement en l'espace de quelques mois.

 

Parce qu'il est fondateur de la capacité des hommes à endurer la souffrance et à combattre, le moral de la troupe doit être un souci permanent pour le commandement. Le chef, par son comportement et ses actions, a une réelle influence sur sa conservation. Il ne peut pourtant prétendre le maîtriser totalement. En effet, le moral est une notion complexe qui touche à la fois à l'intime et aux dynamiques de groupe. Son aspect non quantifiable est, de surcroît, peu en adéquation avec notre culture actuelle fondée sur le résultat.

D’où une tentation pour le commandement de minimiser cet aspect moral dans les réflexions actuelles sur l’art de la guerre. La multiplication des écrits sur une approche technologique du combat est révélatrice de cette tendance.

Mais chercher refuge dans un combat où le progrès technique viendrait atténuer cette part d'incertitude que représente l'homme est tout à la fois un aveu de faiblesse et une utopie. La guerre est en effet fondamentalement liée à l’homme. Et sans une réelle prise en compte de cette dimension humaine du combat, le chef ne pourra espérer la victoire.

 

 

[1] Cité dans «Tactique théorique», Colonel M. Yakovleff, éditions Économica, p.372

[2] «Histoire de l'armée française de 1914 à nos jours», P. Masson, éditions Perrin, p.215

 

Le Chef de bataillon Vincent MOUSSU est Saint-cyrien de la promotion «Bicentenaire de Saint-Cyr» (1999-2002). Fantassin, il a servi de 2003 à 2010 dans les troupes de montagne, au 13ème bataillon de chasseurs alpins de Chambéry au sein duquel il a participé à quatre opérations extérieures en République de Côte d’Ivoire (2005, 2007), République centrafricaine (2008) et en Afghanistan (2009-2010). Il a ensuite été commandant d’unité d’une promotion de Saint-cyriens (2010-2012).Il appartient à la 126ème promotion du CSEM.

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Titre : Primo Bravo: moral de la troupe
Auteur(s) : le Chef de bataillon Vincent MOUSSU
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