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Que reste-t-il des théories de la contre-insurrection ? 4/4

De la tache d’huile à la mobilité : stratégie et tactiques de la contreinsurrection - Revue militaire n°55
Histoire & stratégie
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La stratégie de la « tache d’huile » chère à Gallieni et Lyautey fait aujourd’hui encore l’unanimité dans les opérations de stabilisation et de contre-insurrection9. Preuve en est son adaptation dans la doctrine anglo-saxonne au sein du quadriptyque « shape, clear, hold, build ».


La stratégie de la tache d’huile consiste à avancer progressivement vers les zones insurgées en ayant au préalable fermement sécurisé toutes les lignes arrières : « ne mettre une jambe en l’air que lorsque l’autre est bien assise »10. Pour cela, les forces loyalistes évoluent au sein des populations. Contrainte mais aussi opportunité : cela permet de convaincre la population de la légitimité de l’opération, notamment lors des patrouilles ou lors des rencontres aux « points de contrôle ». Incidemment, la population se familiarise avec les soldats qui l’environnent et qui forment alors de véritables capteurs de renseignements d’ambiance locale et suscitent au plus vite la confiance des populations11. L’enfermement des troupes otaniennes en Afghanistan dans des Forward Operational Bases (FOB)12 justifié par la grande agressivité des milices talibanes13, n’a ainsi guère aidé à gagner la confiance de la population non-insurgée. Parce qu’elle requiert d’aller au contact de la population, la contre-insurrection est une stratégie risquée militairement, les soldats étant bien plus à découvert14. Elle est également risquée sur le plan politique, l’acceptabilité des pertes humaines étant de plus en plus décroissante dans l’opinion publique occidentale.

Sur le plan tactique, la contre-insurrection dispose également de ses propres caractéristiques dont l’adaptabilité est le maître-mot. En effet, chaque contre-insurrection est unique, a ses propres facteurs, endogènes et exogènes, et doit donc être traitée différemment. Néanmoins, parce que l’insurgé dispose souvent d’un rapport de forces lui étant défavorable (davantage au niveau des moyens et capacités que de la masse) par rapport aux forces loyalistes, il optera généralement pour des tactiques de guérilla ou de terrorisme. Évitant l’affrontement direct ou le limitant à des cadres spatio-temporels lui étant favorables, l’insurgé ne peut être combattu comme le sont des forces classiques. D’ailleurs Gallieni et Lyautey, de même que Templer, en tirent la conclusion qu’il faut rejeter les actions d’ampleur dont la lourdeur permet l’avertissement en amont des insurgés et favorisera leur fuite (de surcroît dans un environnement qu’ils maîtrisent mieux). Le chef militaire d’une contre-insurrection aura donc tout intérêt à prôner la formation de colonnes mobiles grâce auxquelles il pourra pourchasser les insurgés. Ainsi, comme contre tout ennemi (mais peut-être encore davantage pour un insurgé qui refusera des conditions de bataille défavorables), c’est en s’adaptant à lui, au terrain et au milieu humain que le chef créera les conditions de la victoire.

Aujourd’hui, si ces préceptes demeurent, leur application a évolué au gré des évolutions technologiques. Déjà en Malaisie, Templer a massivement recours au Special Air Service, les forces spéciales britanniques. Ces soldats formés au combat de jungle octroient au général Templer une capacité de projection dans la profondeur permettant d’empêcher toute sanctuarisation des insurgés par un harcèlement constant. Aujourd’hui encore, les forces spéciales sont employées pour accomplir ces objectifs. Le recours à la troisième dimension par des opérations aéroterrestres, voire interarmées, apporte encore davantage de mobilité, ainsi et un effet psychologique indéniable sur l’ennemi. Ainsi, les moyens aériens (Atlantique 2, Rafale, Fennec), bien que peu nombreux, ont apporté une grande agilité et une liberté d’action indéniable aux forces françaises de l’opération Sangaris, de même qu’un appui-feu non négligeable. En effectif réduit (2 000 hommes), ces dernières ont dû faire preuve d’une adaptabilité constante et d’une grande réversibilité pour accomplir leurs objectifs15.

Ce propos révèle que les théories de la contre-insurrection subsistent encore au sein des opérations actuelles à travers plusieurs enseignements clefs : l’importance de l’adhésion de la population grâce à des actions militaires et politiques conduites selon une approche intégrée et grâce à une stratégie pérenne, la tache d’huile, ainsi que des tactiques fondées sur l’adaptabilité. Ces enseignements sont les témoins de nos engagements militaires, il est donc primordial de capitaliser sur ces expériences afin de maintenir un contact avec nos savoir-faire et notre histoire.

Au-delà, plusieurs questions demeurent quant à la viabilité des opérations de contre-insurrection. Ces dernières peuvent-elles fonctionner sur le mode d’un engagement occidental réduit, en simple appui des forces loyalistes (concept de « light footprint »)16 ? Cela interroge également la capacité de l’Occident, une fois la sécurité rétablie, à faire du « nation-building » et donc sur « l’exportabilité » de notre modèle de démocratie libérale. Une certitude demeure in fine, comme nombre d’opérations militaires (et certainement davantage pour celles ayant trait à des engagements au milieu des peuples), les opérations de contre-insurrection n’échappent pas à l’extrême importance d’une oeuvre de renseignement bien menée, ainsi qu’à son corollaire en milieu peuplé, la formation à l’inter culturalité.

 

9   Le commandement de l’opération Artemis de l’Union européenne en République démocratique du Congo, ainsi que les contingents britannique et américain en Afghanistan au sein de la FIAS, y ont notamment eu recours.

10 Tiré d’une lettre du maréchal Gallieni expliquant le processus de la tache d’huile à Alfred Grandidier, explorateur malgachophile, cité par le colonel Lyet dans : « Gallieni, Joffre », Revue historique de l’armée, 1963/4, p. 91.

11  Sir Gerald Templer, sceptique quant à la capacité d’immersion et d’ouverture à l’inter culturalité des soldats britanniques, décida d’employer des locaux et des insurgés « retournés » pour l’acquisition de renseignement humain.

12 Certains auteurs avancent, contrairement à un poncif répandu, que les forces américaines ont néanmoins effectué un véritable travail de « nomadisation » pour s’immerger, notam­ment en Kapisa. Ceci d’après : « Gagner les coeurs et les esprits : origine historique du concept, application actuelle en Afghanistan », Lieutenant (R) Bertrand Valeyre, Cahiers de la recherche doctrinale, 2010.

13  Le contingent britannique chargé de la province du Helmand subira ainsi des pertes avec un taux d’exposition supérieur à ce qu’il était au Vietnam et aux Malouines (une chance sur 36 d’être tué en opération). Ibid.

14  L’initiative des Village Stabilization Operations montre d’ailleurs que si dans un premier temps, l’attrition est supérieure à celle de « l’enfermement » dans les FOB, l’immersion des soldats dans le sein des populations leur permet de gagner plus aisément leur confiance et réduit les pertes sur le long terme. Cf. en ce sens l’article du SGT (R) Hugo Queijo, « Les Village Stability Operations / Afghan Local Police » et la « Transition Strategy » en Afghanistan, Brennus 4.0, CDEC, avril 2019, disponible sur www.pensee-militerre.com.

15 « Toute la fonction logistique a […] dû faire preuve d’adaptation afin de permettre à un outil initialement dimensionné pour soutenir un GTIA agissant dans une seule direction, de soutenir simultanément jusqu’à trois GTIA dans trois directions » Rémy Hemez et Aline Leboeuf : « Retours sur Sangaris. Entre stabilisation et protection des civils », Focus stratégique, n° 67, avril 2016, p. 19.

16  La durée moyenne des engagements en contre-insurrection est de quatorze ans.

 

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Titre : Que reste-t-il des théories de la contre-insurrection ? 4/4
Auteur(s) : Monsieur Benjamin HAMM
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