Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

Quelques remarques et leçons sur la campagne de 1918 en orient

PARTIE 4/5 : SUR LA NATURE DU COMMANDEMENT OPERATIF
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

SUR LA NATURE DU COMMANDEMENT OPERATIF

Bien que la notion de commandement opératif n’existât pas encore clairement à l’époque, le CAA d’Orient  cumule  les  caractéristiques  des  commandements  de  groupes  d’armées  qui  naissent durant la guerre et ceux des commandements interarmées et interalliés de théâtre qui définissent aujourd’hui ce niveau. On peut donc tirer de l’étude de ce commandement d’intéressantes réflexions pour la compréhension de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler « le niveau opératif », une notion caractérisée avant tout par l’incapacité de ses descripteurs à la rendre intelligible (y compris au commun des officiers brevetés d’état-major) (12) et par l’incapacité de ses états-majors à produire quoi que ce soit de concret et d’utile pour le combat des forces subordonnées.


Le CAA peut être qualifié d’opératif d’abord par le volume des forces engagées, la durée des opérations,  l’étendue  et  l’éloignement  de  son  théâtre  d’opérations,  caractéristiques  rappelant celles qui, dès après la guerre russo-japonaise, avaient conduit les penseurs russes à imaginer un nouveau niveau de commandement des opérations, en raison de la difficulté de commander, à partir d’un seul point, des armées de plusieurs centaines de milliers d’hommes, sur des fronts et des profondeurs de plusieurs centaines de kilomètres.(13)  

Mais il l’est encore plus, au sens où on l’entend désormais, par :

-  l’isolement  et  l’autonomie  du  théâtre  et  la  multi-nationalité  des  forces,  impliquant l’interaction constante entre les facteurs politiques et militaires, et obligeant le commandant en chef à concevoir et conduire sa propre action diplomatique.

-  le caractère interarmées des forces commandées ou contrôlées, même si les forces aériennes ne sont pas encore considérées comme une composante autonome et si la subordination de la flotte ancrée à Salonique au commandant du CAA n’a jamais été formellement prononcée ;

- la poursuite d’objectifs stratégiques par la mise en œuvre des moyens tactiques ;

- le poids prépondérant des fonctions logistiques.

 

Comme le montre Gérard Fassy, le commandement du général Sarrail a été marqué dès le départ par la contrainte constante de facteurs politiques, influant sur les décisions militaires, notamment en  raison  de  la  position  compliquée  du  gouvernement  grec  et  des  intérêts  divergents  des puissances alliées. Le commandant du CAA, éloigné de son gouvernement, doit en pratique développer une action politique et diplomatique propre, vis-à-vis des contingents alliés et vis-à- vis de ce que nous appellerions aujourd’hui « la nation hôte ». Il faudra, par exemple, plusieurs années et l’arrivée de Guillaumat pour clarifier les rôles respectifs de la mission de liaison française à Athènes et du commandant du théâtre. Et l’échec personnel de Sarrail à emporter la confiance des uns et des autres, échec de nature politique, est à l’origine de son remplacement.

 

Commandant six contingents de volumes et de valeurs disparates (depuis le Tabor albanais d’Essad Pacha, jusqu’aux armées serbes commandées directement par le Prince régent), appartenant à des nations aux ambitions souvent opposées, et sur lesquels il exerce un degré d’autorité très variable (depuis une sorte d’OPCOM élargi pour les Serbes et les Grecs que le CAA et l’AFO doivent soutenir, jusqu’à une liaison de voisinage sans autorité pour le corps italien), le commandant du CAA doit composer en permanence y compris dans le domaine tactique. Le succès final devra beaucoup aux efforts de Guillaumat pour faire de son état-major purement français un organisme interallié (création au sein du 3ème  bureau d’une section britannique, d’une section serbe, d’une section grecque, et d’une liaison italienne). Dans ce contexte confus, le rôle du commandant opératif semble être essentiellement d’inspirer confiance aux chefs militaires et aux cabinets alliés et de rendre le mode d’action envisagé réalisable en dépit des contraintes politiques, grâce à un jeu de donnant-donnant et au prix d’une action diplomatique permanente. L’attitude de l’armée anglaise du général Milne, qui s’émancipe totalement de l’autorité du CAA dès la capitulation bulgare pour marcher sur Constantinople est exemplaire des problèmes rencontrés à ce niveau et d’une différence de perception caractéristique entre chefs français et britanniques, les premiers tendant à focaliser leurs efforts sur l’objectif militaire préalable aux effets stratégiques, les seconds concentrant tous leurs efforts sur l’objectif stratégique et montrant par conséquent une propension constante à faire porter l’effort militaire sur les autres.

 

En  termes  de  conception et  de conduite,  « l’art  opératif » semble  se  caractériser ici  par  un équilibre paradoxal entre l’initiative laissée aux subordonnés dans la conduite et l’entrisme du commandant en chef jusque dans les détails d’apparence les plus infimes pour ce qui concerne la conception. Le commandant en chef ne se contente pas de définir une manœuvre d’ensemble et un rôle général des subordonnés et des composantes : son plan fixe de façon détaillée certaines dispositions des niveaux subordonnés (travaux du génie, échelonnement des unités, manœuvre et déploiements de l’artillerie, camouflage et maintien du secret, etc.). C’est Franchet d’Espérey lui- même qui impose au commandant de la 2ème  armée serbe de déployer son artillerie à l’avant (jusque dans la tranchée de départ) et de déployer ses divisions d’exploitation à moins d’un kilomètre de la tranchée de départ, sous le nez des observateurs et batteries bulgares. C’est lui encore qui impose à l’AFO les détails d’articulation (formation des réserves et du groupement Tranié, rôle de la brigade de cavalerie et dispositions de tous ordres pour son action, etc.) C’est toujours lui qui ordonne à l’aviation de la 2ème  armée serbe d’appuyer directement l’attaque de rupture au Dobropolje, en superposition avec l’infanterie. Mais une fois la rupture effectuée, son commandement brille par une conduite « rênes longues » fondée sur des consignes générales et un  effet  à  obtenir.  Ce  qui  n’exclut  pas  parfois  le  commandement  de  l’avant  comme  le  23 septembre matin, lorsque le commandant en chef se rend en personne au PC de la brigade de cavalerie de l’AFO, près de Dobruševo, et lance directement au colonel commandant le 1er Chasseurs d’Afrique l’ordre de marcher, dans des termes qui laissent clairement transparaître l’effet majeur de son plan : « Bournazel, je veux que vous soyez à Prilep ce soir : je veux y déjeuner demain et, ensuite : vite à Uskub ! Je veux que toute la XIème  armée allemande soit prisonnière ou aille mourir de faim en Albanie. (14) ». Un style qui n’est pas sans rappeler le mission command, l’Auftragstaktik et, plus généralement, le style des grands chefs allemands de 1870 et de 1940-45.

Caractéristique  du  niveau  opératif,  le  lien  entre  l’objectif  tactique  ou  militaire  et  l’effet stratégique  est  ici  évident  puisqu’il  constitue  l’idée  maîtresse  du  plan.  Il  s’agit,  Franchet d’Espérey l’écrit noir sur blanc, de couper en deux le front de Macédoine pour, dans un premier temps, éliminer la Bulgarie du conflit, dans un deuxième temps, s’ouvrir la route de Vienne et de Berlin, objectifs évidemment stratégiques. La manœuvre tactique, le choix des points d’efforts, sont évidemment subordonnés à ces effets recherchés, lesquels excèdent de loin, il faut le souligner, la lettre de la mission reçue par le commandement de théâtre.

Dernier point mais non le moindre, le CAA offre un bon exemple de ce qui pourrait être une des principales caractéristiques (sinon la seule justification) du commandement opératif : le primat absolu de la logistique. Gérard Fassy insiste à plusieurs reprises sur le poids prépondérant des questions logistiques à tous les niveaux : stratégique ou diplomatique (les accords entre Français et Britanniques sur la fourniture de viande, le soutien des contingents Serbes et Grecs par les Français même lorsque ceux-ci sont placés sous commandement britannique, les problèmes de fourniture de blés grecs, etc.) comme tactique (ponction permanente d’effectifs considérables pour l’entretien des potagers de régiment, de division, et d’armée, nécessaires à l’alimentation des troupes dans un pays dépourvu de ressources, emploi de la cavalerie sur l’arrière à la garde des chemins de fer ou à la surveillance des moissons, création à l’état-major du CAA par Guillaumat de services spécialisés forestiers, maraîchers, etc.) On notera que, avant Napoléon qui parlera à ce sujet des « parties supérieures de la tactique » ou de « grande tactique », l’art de mouvoir et ravitailler  l’armée  avant la  bataille fut  appelé  « logistique » par  Pierre  de  Bourcet  dans  ses

« Principes de la guerre des montagnes », ouvrage dans lequel il proposait de partager l’armée en

« divisions » pour des raisons que nous pourrions considérer comme d’ordre « opératif » tenant à l’impossibilité de déplacer et de nourrir l’armée entière dans une seule vallée. Peut-être pourrait- on tout simplement se demander si l’art opératif ne se confond pas avec la logistique : en effet, comment un commandant de théâtre marque-t-il et bascule-t-il les efforts sinon par des priorités logistiques ?

 

fin de la quatrième partie ...

----------------------------------

(12) Lire à ce sujet H. Couteau-Bégarie, Contre l’opératique, in Objectif Doctrine n° 39

(13)  Richard W. HARRISON, The Russian Way of War, Operational art, 1904-1940, Kansas University Press,2001

(14) Médecin major Millet, A travers la Serbie libérée, Paris, Lavauzelle, 1923, cité par Louis Cordier, Op. cit. p.235.

 

Séparateur
Titre : Quelques remarques et leçons sur la campagne de 1918 en orient
Auteur(s) : Colonel Christophe de LAJUDIE
Séparateur


Armée