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Relire De la guerre de Clausewitz

Réflexion Libre
Tactique générale
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Etonnant de richesse mais paradoxalement mal connu, « De la guerre » propose une description, et non une prescription de la guerre par Clausewitz pour qui la théorie est bien une observation, et non une doctrine. La modernité de l’ouvrage et sa prégnance dans le débat stratégique actuel en fait naturellement le ferment possible et souhaitable d’une doctrine de défense européenne.


1/  L’AUTEUR :


 Comme beaucoup d’officiers de sa génération, le lieutenant-colonel Benoît Durieux possède une bonne expérience opérationnelle, mais sa carrière se distingue également par les études qu’il a suivies et qui sont autant de périodes propices à la réflexion sur les affaires militaires et la défense en général.
 
Saint-cyrien et fantassin, il a effectué le début de sa carrière à la Légion étrangère, au sein de laquelle il a participé à plusieurs opérations dans les Balkans et en Afrique. Un temps affecté à la Direction générale de l’armement, où il prépare le concours de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique, il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’université de Georgetown (Etats-Unis). Il est actuellement chargé d’études à la cellule études/prospectives de l’instance de coordination-anticipation-pilotage de l’armée de Terre (ICAP).
 
Même s’il peut s’en défendre par modestie, il est très proche de Clausewitz dont il souligne lui-même que la carrière « alterne d’amples périodes de réflexions, des moments d’actions intenses et des phases d’observation privilégiée auprès des dirigeants d’un monde politique et militaire en pleine mutation ».
 
 
2/  L’ŒUVRE :


 Naturellement marqué par Carl von Clausewitz dont la pensée imprègne fortement la pensée stratégique américaine, Benoît Durieux propose dans son livre de restituer l’essentiel de l’œuvre majeur du général prussien, de « témoigner de sa fécondité ». Plus qu’une étude supplémentaire sur un traité maintes fois décortiqué, il cherche à mettre à la portée de tous, et en particulier dans l’institution de défense, les clés clausewitziennes de la compréhension du phénomène-guerre, afin de décrypter systématiquement les débats actuels sur le sens et la conduite des conflits modernes. Enfin, soucieux de rester à la fois concret et prospectif, il montre en quoi son auteur fétiche propose les ferments possibles d’une doctrine stratégique européenne.
 
Le livre est donc une synthèse appliquée tout autant qu’un résumé commenté du traité « De la guerre ». Il comporte une longue introduction dans laquelle l’auteur nous donne sa compréhension de l’œuvre et surtout de son esprit en démontrant sa modernité et son utilité dans une communauté de défense européenne à fonder. Il s’articule ensuite en trois grandes parties regroupant un résumé-synthèse des huit livres du texte original du penseur allemand. L’index thématique qui clôt l’ouvrage en fait par ailleurs un document pratique dans lequel on trouve des éléments précis de compréhension et de réflexion sur le métier des armes.

Sans vouloir négliger l’imposant travail de relecture et de synthèse de l’auteur, cette fiche s’attache surtout à présenter l’esprit de l’introduction du livre. Car c’est dans celle-ci que le lieutenant-colonel Durieux nous fait partager les fruits de sa profonde réflexion sur ce « monument de l’histoire de l’intelligence » dont le rayonnement s’étend bien au-delà des affaires militaires.
 
 
3/  RESUME DE L’OUVRAGE  


 Etonnant de richesse mais paradoxalement mal connu, « De la guerre » propose une description, et non une prescription de la guerre par Clausewitz pour qui la théorie est bien une observation, et non une doctrine. La modernité de l’ouvrage et sa prégnance dans le débat stratégique actuel en fait naturellement le ferment possible et souhaitable d’une doctrine de défense européenne.
 
Modernité de Clausewitz
 
Loin de se limiter à quelques citations-clés, le Traité offre une description pérenne de la guerre, tout en montrant une portée bien supérieure, dans le domaine de la stratégie, et de la philosophie pure. Tout d’abord parce que Clausewitz est le témoin privilégié d’une époque troublé marqué par la guerre et ses évolutions. Ensuite parce qu’il est le penseur de la complexité et en cela qu’il décrit tout à fait le même phénomène que notre époque observe, caractérisé par la diversité, l’éparpillement et l’asymétrie.
 
Comme Guibert à la même époque, il observe que la science de la guerre est devenue plus vaste et plus difficile. Néanmoins, il ajoute que cette complexité est moins liée à la nature même de la guerre qu’au manque de moyens d’analyse et de compréhension. Le livre doit donc être considéré comme un outil d’analyse, particulièrement adapté à la compréhension des périodes de changements majeurs.
 
Ouvrage inachevé et publié après la mort du général prussien, « De la guerre » comporte huit livres. Dans le premier, le plus achevé, il définit tout d’abord l’essence même de la guerre. Il développe ainsi quelques notions majeures ; celle de limitation, contrairement à ce que certains commentaires de l’œuvre ont souvent fait croire en affirmant que Clausewitz a conceptualisé la guerre totale, et celle importante de la friction. Il pose le paradigme de la « paradoxale trinité », peuple, armée, gouvernement. Il place enfin l’homme au centre du phénomène en analysant les interactions de la guerre avec les comportements humains.
 
L’ouvrage expose ensuite les principaux outils méthodologiques que Clausewitz a utilisé dans son étude. Il définit en particulier la critique historique qui doit permettre d’apprécier les décisions des grands chefs historiques et d’en déduire une méthode de raisonnement tactique.
 
Enfin, dans les livres suivants, l’auteur traite des principales composantes de la guerre, dont les facteurs dimensionnant une campagne, de l’engagement, sa décision, la façon dont il amène la victoire, de l’attaque et de la défense en général. Revenant en final sur l’ensemble du sujet, il précise que la réalité ne doit pas s’enfermer dans des schémas trop pointilleux, et que la théorie a moins pour but de trouver la bonne solution que d’écarter les mauvaises.
 
Tout au long de son œuvre, Clausewitz fait montre d’une précieuse pédagogie, en bon professeur qu’il fut. Alliant réalité et théorie dans un processus de va-et-vient permanent, il montre que l’étude est nécessaire parce qu’elle permet de passer de la forme objective d’un savoir à la forme subjective d’un pouvoir : « la théorie…est destinée à éduquer l’esprit du futur chef de guerre, disons plutôt à guider son auto-éducation et non à l’accompagner sur le champ de bataille… ».
 
Clausewitz dans le débat stratégique
 
La modernité de son ouvrage explique le bouillonnement d’idées dont il est aujourd’hui l’initiateur, en particulier aux Etats-Unis.
 
Les Américains l’ont véritablement redécouvert à la fin de la guerre du Viêt-nam. Après une période marquée par la limitation de l’emploi de la puissance du fait de la guerre froide, ils ont cherché à comprendre leur revers vietnamien par l’utilisation d’une grille de lecture clausewitzienne. Des années 80 à aujourd’hui, l’influence du traité s’est étendue aussi bien à la doctrine stratégique, avec l’affirmation de la doctrine Powell (1), qu’au domaine technico-opérationnel où elle est à la base des théories de la guerre de l’information.
 
Pour autant, la réflexion stratégique et opérationnelle américaine ne peut être considérée comme la réincarnation de la théorie de Clausewitz. Partant du principe édicté par le général prussien que dans la guerre réelle, il faut chercher à approcher les conditions de la guerre idéale, c’est-à-dire à une décharge intense et autonome de violence, elle en arrive à une certaine indépendance (2) du militaire face au politique, une fois les opérations commencées.
 
Cette autonomie de l’action militaire a entraîné plusieurs tendances lourdes, et relativement opposées aux thèses clausewitziennes, tendant à amener la guerre au plus proche de son concept idéal. Il s’agit d’abord de limiter, voire d’éliminer les contraintes imposées par le temps en le compressant. Par le développement des concepts de parallel warfare et de rapid dominance, les opérations doivent être les plus brèves et les plus décisives possibles, alors que le Traité définit l’attente comme une partie fondamentale de l’action militaire.
 
Cette première tendance débouche ensuite sur celle de la nécessaire destruction de l’adversaire et de son centre de gravité. Cette notion et celle de la primauté de la destruction des forces adverses, développées dans l’ouvrage, sont prises à la lettre par la pensée militaire américaine, qui rapproche ainsi fortement les buts politiques et militaires des opérations, et qui écarte corollairement les opérations de guerre limitée. Or Clausewitz précise qu’il s’agit plus de tuer le courage de l’ennemi que ses guerriers.
 
Enfin, cherchant à maîtriser le brouillard et la friction de la guerre, par le développement technologique de la guerre de l’information (la numérisation du champ de bataille), les Américains nient la nature même de la guerre selon le philosophe allemand.  

Dans sa thèse, les deux concepts résultent de l’opposition de deux volontés dans un phénomène non-linéaire relevant davantage de la théorie du chaos que d’un processus rationnel.
 
En définitive, Clausewitz et ses théories auraient joué un triple rôle pour la pensée militaire américaine. Celui de ferment de renouveau, de réservoir de concept et de référence doctrinale. Ce rôle pourrait être le même pour une stratégie européenne naissante.
 
Clausewitz, ferment d’une doctrine stratégique européenne
 
Façonnées par les conflits, les Nations européennes ont appris que la guerre n’était qu’un moment de leurs relations politiques et qu’il convenait de la limiter au maximum, en particulier en la restreignant si possible au champ militaire. Distinguant dans l’œuvre de Clausewitz ce qui relève de la description et de la prescription du phénomène, une politique de défense commune à l’Union européenne devrait y trouver le ferment d’une véritable doctrine stratégique.
 
Quand l’auteur énonce que la guerre est un instrument politique, une poursuite des relations politiques, il rappelle qu’elle ne rompt pas les relations avec l’adversaire, qui reste le partenaire d’un dialogue politique (entre les trois sphères de la paradoxale trinité) qui prend en l’occurrence une forme violente et armée. Dans cette confrontation de deux volontés, il s’agit bien d’épuiser celle de l’adversaire-partenaire en lui faisant sentir l’improbabilité du succès ou son coût exorbitant.
 
Par ailleurs, le système complexe de la paradoxale trinité organise les relations entre ses trois sphères de manière à leur garantir une certaine liberté d’action contrôlée. Contrairement à la doctrine Warden qui conçoit l’ennemi comme un système aux cinq cercles concentriques (3) qu’il faut frapper simultanément, cette trinité conditionne la limitation de la guerre garantie par une triple séparation.
 
La première est celle du politique et du militaire. Elle permet au politique d’être protégé de la logique militaire et d’exercer sa prééminence pour limiter la violence. La deuxième tend à cantonner les effets de la violence guerrière dans la sphère militaire. Outre la protection de la population, elle permet aux belligérants de conserver intact leur système politique, seul à même d’exercer un rôle de négociateur. Enfin, la troisième séparation délimite clairement le temps de la guerre du temps de la paix, par l’usage de la déclaration de guerre et du traité de paix.
 
Mais cette vision clausewitzienne peut sembler aujourd’hui dépassée face au terrorisme. Difficile à appréhender, ce phénomène peut se concevoir comme une extension de la guerre à toute la société, s’attaquant à la cohésion de la société et se rapprochant ainsi de la guerre absolue. Face à cette menace asymétrique, la réponse pourrait être de ramener l’expression de cette violence dans le champ militaire. En marge de réponses politiques, économiques et policières, le militaire dans sa sphère devrait alors accepter de limiter sa puissance et donc les rapports de force, afin de ne pas pousser la volonté adverse à la solution asymétrique.
 
Pour le moins délicate à appliquer cette approche doit cependant conduire à édicter un certain nombre de principes inspirant une stratégie européenne commune. Le premier d’entre eux doit être de préserver les séparations propres à l’exercice de la violence, par la  distinstion des enceintes militaires et politiques d’une part et le maintien strict du monopole de la violence armée à la corporation militaire d’autre part. Ceci impliquerait par ailleurs de trouver une alternative à la déclaration de guerre dont l’usage n’est plus adapté à la géopolitique moderne.
 
Le deuxième principe doit être de privilégier le facteur humain dans les modes d’action et d’organisation. C’est à dire préférer la projection de forces aux frappes à longue distance, afin d’affirmer sa présence tout en maintenant le contact avec l’adversaire. Ou encore d’accorder une importance affirmée aux structures de commandement préservant la liberté d’action du subordonné.
 
Enfin, parallèlement au rappel de sa primauté, le politique doit garder sa capacité et sa volonté de pouvoir décider d’opérations de haute intensité, prêt à risquer l’ascension aux extrêmes pour promouvoir et défendre les valeurs portées par l’Europe. Clausewitz à cet égard est à même d’éviter à l’Europe de succomber à la tentation de la stratégie d’anéantissement de l’adversaire, sans pour autant tomber dans un angélisme irénique prônant la fin de « l’ordre militaire ».
 
 
 
4/  ANALYSE – AVIS DU REDACTEUR :


 « Relire de la guerre de Clausewitz », du lieutenant-colonel Durieux, a pour vocation première de proposer une lecture commentée du fameux traité, à l’instar de plusieurs autres ouvrages de stratégie dans la collection Stratégies et doctrines aux éditons Economica (4). Clair et concis, il permet de prendre connaissance facilement mais distinctement de cette œuvre dont le format original peut dissuader un lecteur potentiel. En préambule, l’introduction permet de vite comprendre le cœur de la pensée de Clausewitz, et de saisir sa fécondité et sa modernité. A cet égard, l’objectif de cet ouvrage semble parfaitement atteint.
 
Mais au-delà de la présentation même du texte du général prussien, Benoît Durieux propose une analyse des aboutissants de sa pensée. Sans chercher à en imposer une vision figée, il ouvre de nombreuses pistes de réflexion sur la base des théories de son sujet.
 
Ainsi, son analyse de l’influence clausewitzienne sur la pensée militaire américaine montre comment et combien le traité a profondément modifié la doctrine en vigueur outreatlantique au cours des trente dernières années. Ce faisant, il donne une grille de lecture des choix stratégiques et opérationnels récents des Etats-Unis. Il démontre également le caractère visionnaire de Clausewitz, qui décrit dans son traité les principes animant cette évolution, et en particulier la tendance du militaire à s’affranchir du politique pour mener une guerre se rapprochant du modèle idéal.
 
Menant son étude de manière rigoureuse, l’auteur n’en perd pas moins le contact avec les réalités de son époque. Conscient que la réponse au problème n’est absolument pas restreinte au militaire, il propose ainsi une application possible des principes clausewitziens pour contrer la forme moderne la plus prégnante de la menace, le terrorisme. Cependant, il reste trop succinct sur ce sujet, et bien que ce ne soit pas l’objet de son ouvrage, le lecteur aimerait bien voir cette réflexion poussée plus loin.


Enfin, le lieutenant-colonel Durieux sait aussi tirer des leçons pratiques d’un ouvrage dont il vante la pédagogie et la capacité à promouvoir la réflexion. Ainsi, soulignant l’insistance de Clausewitz sur la place centrale de l’homme et de sa volonté au sein des organisations militaires, il rappelle que l’organisation de ces systèmes et en particulier des systèmes de commandement doit rester fidèle à ce principe. A l’heure où l’armée de Terre se dote de postes de commandements de type OTAN, aux procédures standardisées lourdes et très mécaniques, cette réflexion est loin d’être déplacée.
 
En se basant sur un texte majeur – voire fondateur- dans le domaine de la guerre et de la chose militaire en général, le livre du lieutenant-colonel Durieux effectue d’évidence la synthèse de réflexions profondes et nombreuses sur le sujet. Par une langue claire et précise, il procure au lecteur la possibilité de le suivre aisément dans ses réflexions. Mais au-delà, il lui donne l’opportunité de poursuivre ses observations en donnant des clés efficaces de compréhension des problèmes actuels et des outils de réflexion efficaces.

 

 

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(1) Elle définit les conditions pour que les Etats-Unis s’engagent dans un conflit : les intérêts vitaux du pays menacés, l’option militaire en dernier recours, le volume de force suffisant pour que la victoire soit certaine ; enfin, l’objectif politique doit être clair et l’engagement doit recueillir le soutien de l’opinion publique.

(2) Soulignée par Zbigniew Brzezinski dans une interview à l’Express en 2001, pour qui les militaires américains « ne sont en rien adeptes de Clausewitz ; pour eux les moyens militaires doivent obéir, avant tout à des décisions militaires ».

(3) Le commandement stratégique central, les fonctions organiques, les infrastructures, la population, les forces armées.

(4) Dont Le pince de Machiavel et L’art de la guerre de Sun-Tzu.

 

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Titre : Relire De la guerre de Clausewitz
Auteur(s) : Chef de bataillon Valéry Putz – 118e promotion du CSEM
Éditeur : Benoît Durieux
Collection : Economica 2005
ISBN :
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