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Sortie de guerre en terre d’empire : la démobilisation des tirailleurs sénégalais en AOF

Soldats de France n° 17
Histoire & stratégie
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Du point de vue de la France, la Grande Guerre a plus que jamais été d’envergure mondiale. Car celle-ci n’était alors pas seulement une république, mais aussi un empire disposant de colonies dans presque tous les continents. Au sein de ce domaine impérial, l’Afrique occidentale française (AOF) a certainement payé le plus lourd tribut à l’effort de guerre. Plus de 160.000 soldats, la plupart engagés au sein d’unités de Tirailleurs sénégalais, ont été levés, de gré ou de force. Près de 30.000 d’entre eux sont tués ou portés disparus.

 


La guerre marquant de la loyauté des populations

 

 

Rapportés aux 8 millions de mobilisés métropolitains, ces chiffres paraissent faibles, mais ils ne sont pas négligeables pour autant. En effet, l'AOF compte à peine plus de 12 millions d'habitants et la présence française y est, dans bien des cas, encore très récente et fragile. En outre, la plupart des sociétés qui composent cet ensemble géographique ne sont placées au sein de l'aire d'influence française qu'une petite vingtaine d'années au mieux avant le déclenchement du conflit. Cela donne lieu à des formes de résistance plus ou moins frontales dont certaines, renforcées par le départ pour le front de nombreux fonctionnaires français1, se prolongent ou sont réactivées pendant la guerre. Ainsi, la circulation de rumeurs annonçant le départ prochain des « Blancs » est récurrente jusqu'en 1918.

 

De fait, la guerre, mieux que la rentrée de l'impôt, devient le marqueur ultime du degré de loyauté et de discipline des sociétés colonisées. Dans le contexte de conscription partielle, le volontariat est un peu partout très en-dessous des attentes officielles. Fréquemment, comme au moment de la conquête, des villages entiers se vident à l'arrivée des colonnes de recrutement. Des chefs dits « traditionnels » sont alors sommés de trouver les sujets manquant à l'appel ou, à défaut, des remplaçants2. Ceux qui sont finalement retenus et acheminés (à pied) vers les centres administratifs sont parfois très nombreux à déserter, comme ces groupes de Mossi (de l'actuel Burkina Faso), retrouvés à la fin de l'année 1915 avec leur modeste provision de haricots sur la route censée les conduire dans la colonie britannique de la Gold Coast (actuel Ghana)3

 

Une démobilisation destabilisatrice

 

Pour autant, après avoir endossé l'uniforme, ils deviennent pour la grande majorité d'entre eux de valeureux Tirailleurs sénégalais dont l'ardeur au combat et la discipline sont particulièrement remarquées4. En dépit de leurs hauts faits d'armes, notamment lors de la tragique offensive du Chemin des Dames (avril 1917), et du prolongement du service en Europe pour certaines unités, notamment celles chargées d'occuper la Ruhr après 1918, la démobilisation n'en est pas moins épineuse. Le retour des hommes mobilisés est d'autant plus sensible qu'il porte en lui un potentiel de déstabilisation de la société coloniale en cours de formation, et donc d'un ordre social et politique garant de l'influence d'une poignée d'Européens rapportée à des centaines de milliers d'Africains sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés. Or, qu'allait-il se produire lors du retour d'hommes auréolés du prestige de l'uniforme, parfois plus décorés que leurs rois, princes, chefs et administrateurs coloniaux restés en Afrique pendant toute la durée du conflit ? Ajoutons à cela que, si la démobilisation est générale dès 1918, les moyens de transport naval et routier ne permettent pas de rapatrier facilement des dizaines de milliers d'hommes jusque dans leur foyer. Marc Michel rapporte ainsi qu'en février 1920, 40.000 de ces soldats n'ont toujours pas regagné l'Afrique. Sur place, le retour des soldats mobilise fortement les autorités coloniales. Un réseau de surveillance se développe autour d'une partie d'entre eux, de même que sont suivis de près les agissements des marabouts avant et pendant la guerre. Cependant, contre toute attente, aucun soulèvement majeur ne se produit dans le courant de l'année 1919 et ce en dépit des frustrations prévisibles liées au relatif non-respect de quelques promesses plus ou moins officielles, notamment distillées en 1918 lors de la grande tournée de recrutement du député sénégalais Blaise Diagne en AOF.

 

Surévaluation démographique et faiblesse des récompenses

 

En versant le même sang, les sujets impériaux sont en effet loin d'avoir reçu les mêmes droits : peu de promotions à des grades d'officier ; quelques emplois réservés, mais sans suppression généralisée du régime de l'indigénat et des peines spéciales qu'il prévoit, pas plus que de l'inique impôt de capitation ; très peu d'accessions à la citoyenneté française ; des lenteurs dans le versement des primes de démobilisation. C'est pourtant dans ce climat que sont poursuivis avec succès les recrutements dès 1919, année qui voit le réexamen des modes de recrutement, ainsi que l'adoption par le président du Conseil, Georges Clemenceau, du principe de la conscription universelle en temps de paix en AOF. Pour autant, tous les enseignements des ratés de la mobilisation de 1914-1918 ne sont pas tirés. La classique surévaluation du potentiel démographique de l'Afrique française conduit les autorités militaires à prévoir le doublement du nombre de conscrits entre 1920 et 1925, et de le faire passer ainsi de 55 à 110.000 hommes5. De plus, malgré les dispositions prévues en 1919, les soldats appelés sous les drapeaux sont loin d'être tous volontaires. Il est vrai qu'après avoir été reconnus « bons pour le service » par une commission dédiée, rien ne les oblige à répondre favorablement à l'appel des armes. En effet, les incompréhensions sont encore importantes : un certain nombre de jeunes Africains pense que le succès de la visite médicale entraîne automatiquement leur engagement… Quoi qu'il en soit, cette loi de 1919 crée un nouveau rapport à la conscription car elle fait progressivement partie intégrante de la vie sociale dans les colonies.

 

Lors de la Seconde Guerre mondiale, la France peut à nouveau compter sur ses soldats venus de l'AOF. Entre septembre 1939 et juin 1940, ils sont alors 100 000 à se ranger derrière elle, et près du double tout au long d'un second conflit mondial qui, aux yeux de la France libre, fut plus que jamais une guerre africaine.

 

 

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1 - Saul Mahir, Royer Patrick, West African Challenge to Empire: culture and history in the Volta-Bani anticolonial war, Ohio University Press/James Currey, Athens/Oxford, 2001.

2 - Beucher Benoit, Manger le pouvoir au Burkina Faso. La noblesse mossi à l'épreuve de l'Histoire, Paris, Karthala, 2017.

3 - Lettre du résident de Ouagadougou au commandant de cercle du Mossi, 14 décembre 1915, Archives nationales de Côte d'Ivoire (ANCI) EE 6987.  

4 - Deroo Éric, Champeaux Antoine, La Force Noire : gloire et infortune d’une légende coloniale, Paris, Tallandier, 2006 ; Michel Marc, Les Africains et la Grande Guerre. L’appel à l’Afrique, Paris, Karthala, 2003.

5 - Echenberg Myron J., Les Tirailleurs sénégalais en Afrique occidentale française, 1857-1960, Paris, Karthala, 2009, p. 94.    

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Titre : Sortie de guerre en terre d’empire : la démobilisation des tirailleurs sénégalais en AOF
Auteur(s) : Benoit Beucher (CDEC/CTGHM)
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