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Technologie: l’atout trompeur?

cahier de la pensée mili-Terre
Sciences & technologies
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Si l’on se contente de l’opinion la plus répandue, la technologie constituerait l’atout décisif dans le combat. Les victoires seraient le fruit d’une précieuse découverte, laquelle rendrait ainsi inéluctables les victoires. Le coup décisif, le renversement sont attribués à telle prouesse technologique. Les commentateurs n’hésitent pas à invoquer la supériorité de tel armement, quitte à énumérer au grand public ces armes au nom mythique (les Patriots, les Tomahawks…). Dans la course au progrès, la technologie est devenue un lieu commun dont on se garde de faire l’exégèse. Parfois, la cause du «bien» triomphante est associée à son expression technologique. Pourtant, il convient de relativiser, sous peine de tomber dans une sorte de crédulité à l’égard de la science. Le scientisme a ses limites. Y compris dans l’histoire militaire.

 


Ne pas faire l’impasse sur la situation géostratégique

On doit s’insurger contre certaines perspectives en s’inspirant de l’exemple des deux guerres mondiales, notamment de la défaite allemande. Non, les Allemands n’ont pas perdu en raison d’une supériorité technologique des Alliés. Non, l’Allemagne nazie ne s’est pas écroulée parce qu’elle était en retard sur des inventions qui ont permis aux Occidentaux ou aux Soviétiques de la vaincre. Non, l’écroulement n’est nullement lié au fait que l’Allemagne n’est plus en mesure de se renouveler en termes d’armes. Dans les deux guerres, la défaite doit s’expliquer par une impasse géostratégique face à des adversaires qui jouissent d’un potentiel humain et matériel plus important. L’Allemagne perd tout simplement parce que le rapport des forces lui est défavorable.

Dans la Première Guerre, l’Allemagne perd à cause d’un blocus, alors même qu’elle peut rivaliser avec les Alliés sur le plan technologique. De ce blocus, il résulte un effondrement du moral de la population qui finit par toucher le front. Enfin, l’apport américain de 1917 crée un rapport de forces défavorable aux empires centraux. Pourtant, au printemps 1918, l’Allemagne menait encore des offensives rappelant celles de l’année 1914. Ce n’est donc pas à l’aune de la technologie que la défaite doit être pesée. Elle doit être imputée à cette impasse qui n’a fait que rappeler un rapport de forces défavorable.

La Deuxième Guerre est perdue parce que l’Allemagne s’enferme dans une guerre sur deux fronts, au grand dam d’une tradition militaire prussienne. Les potentiels humains et matériels des États-Unis et de l’URSS sont supérieurs aux siens. L’Amérique et ses usines étaient aussi hors de portée de l’Allemagne. Quant à l’URSS, son immense territoire ne pouvait plus être couvert intégralement par la Wehrmacht. Il demeurait naïf de croire que le géant soviétique s’écroulerait. L’Allemagne est rappelée à sa géographie et à sa consistance réelle que la fuite en avant des premières conquêtes militaires fit facilement oublier. Cette impasse révèle l’Allemagne dans un rapport de forces défavorable. Pourtant, les Allemands avaient bénéficié d’armes nouvelles (missiles V2, avions à réaction, nouveaux chars). Elles n’ont pas retourné la situation, devenant de pieuses légendes destinées à rassurer les masses. Enfin, le mépris idéologique des adversaires n’a guère aidé les dirigeants nazis à comprendre qu’ils pouvaient perdre la guerre.

On pourra toujours apporter le bémol du feu nucléaire de la Seconde Guerre mondiale. En effet, les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki conduisent le Japon impérial à capituler. Mais il serait plus juste de constater que Tokyo était déjà sur un chemin qui poussait à arrêter le combat. Enfin, la comparaison entre le Japon et les États-Unis est sans appel. L’asymétrie est parfaite entre un continent inatteignable pour les Japonais (à l’exception de deux bombardements par hydravion en 1942, et de quelques ballons à bombe qui ne firent que cinq victimes) et un Japon à la merci quotidienne des B 29.

La prouesse technologique devient seconde, pour ne pas dire secondaire. Les meilleures inventions ne peuvent jouer un rôle qu’associées à d’autres éléments. En réalité, elles ne peuvent remplacer les décisions ou gommer les situations réelles.

 

Relativiser les prouesses technologiques

L’art militaire complété par des armes efficaces est le bienvenu, mais il ne suffit pas. En 1940, les Allemands l’emportent grâce à la «guerre éclair». À la différence des Français, ils saisissent la spécificité du char et savent coordonner infanterie, blindés et aviation. Dans une configuration «gagnante», on pardonne tout au vainqueur. Mais cette coordination ne saurait résorber les erreurs stratégiques et les incapacités objectives qui se révèlent après la Bataille de France. L’Allemagne s’enferme dans une guerre sur deux fronts et ses réserves ‒ notamment pétrolières ‒ s’épuisent. Il est intéressant de voir que la même association ne permet plus la victoire quatre ans plus tard. Le miracle des Ardennes n’est pas réédité.

Les Américains s’enlisent en Irak. Mais aussi en Afghanistan, comme les Soviétiques vingt ans auparavant. Pourtant, des armées puissantes et équipées affrontent des troupes parfois en sandales ou en baskets, dont les capacités à se sacrifier sont plus fortes. La technologie rend possible beaucoup de choses, mais pas tout. On peut citer le cas de l’arme nucléaire qui, certes, évite à son détenteur une invasion militaire. Français, Américains, Russes et Israéliens peuvent se targuer d’avoir évité une invasion terrestre sur leur sol. Mais encore l’arme ne joue-t-elle que sur certains terrains. Contre une invasion militaire étrangère, on soulignera son effet dissuasif. Mais pas dans des situations de conflit asymétrique. On comprend alors que les pays mieux équipés soient obligés de recourir aux bombardements massifs pour ne pas sacrifier la vie de leurs hommes. C’est un paradoxe pour des pays qualitativement avancés que de recourir au quantitatif pur.

En effet, il arrive que les atouts deviennent impuissants. Des armes performantes ont été incapables d’empêcher des actes de terrorisme, lequel a cet avantage de ne pas jouer sur le terrain du conflit conventionnel. Les terroristes du 11 septembre 2001 n’avaient que des cutters et un certain culot pour détruire deux immeubles new-yorkais en détournant des avions. La supériorité technologique n’a pas effrayé un fanatisme qui répugne aux Occidentaux. Les terroristes du Bataclan n’avaient juste que des kalachnikovs obtenues à bas prix, pas des armes de dernier cri. En réalité, pour reprendre une tournure familière, la vérité est ailleurs.

 

Croyances et convictions: l’élément différenciateur

Cette vérité doit être trouvée dans les croyances, terme qui doit être pris au sens large, bien au-delà de son acception religieuse. Il s’agit de cette doxa qui peut imprégner une société, de ces convictions qui font la différence. Le futurologue Alvin Toffler avait prophétisé, dans l’un de ses plus célèbres ouvrages, «le choc du futur»[1]. Régis Debray lui rétorqua que «ce sera le choc du passé, avec les armes du futur»[2], faisant ainsi allusion aux terroristes qui se revendiquent de croyances que nous jugerions dépassées par la modernité. Or cette dernière n’a pas effacé l’archaïsme et les préjugés qui peuvent fanatiser, qui peuvent aider des hommes à combattre (et à mourir) et des sociétés à tenir.

Le militaire doit convenir qu’une armée ne tient pas sans le moral. Et il concerne toute une société. Les exemples a contrario le démontrent bien. Affectés par une société en crise, les soldats américains de la guerre du Vietnam sont touchés par l’hédonisme et le défaitisme de la jeunesse américaine… Le napalm et l’hélicoptère n’ont pas empêché les États-Unis de se retirer. La différence avec le Viêt-Cong, qui vivait une guerre de libération nationale, était flagrante. On saisit la différence des univers mentaux. Bref, pour combattre, il faut des convictions. Le ressort de la «force de conviction» (Jean-Claude Guillebaud) peut mettre en échec les technologies les plus performantes. L’instinct guerrier des foules dans les démocraties modernes reste fragile et ambigu. Vient un enlisement, et les opinions peuvent devenir pacifistes. C’est le cas de l’Irak envahi par Georges W. Bush, mais abandonné ensuite par Obama. En 2008, lors de l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan, qui coûta la vie à dix militaires, les sondages révélèrent que 55% des Français souhaitaient le départ de leur armée.

En effet, l’Occident peut se trouver pénalisé pour des raisons qui tiennent à la conception de l’individu. La folle journée du 22 août 1914 serait inimaginable. Aujourd’hui, certaines insurrections utilisent l’arme de l’attentat-suicide. Le suicide est inconvenable en Occident, fussent ses soldats altruistes. Mourir les armes à la main n’équivaudra jamais à faire de sa personne une arme au sens propre. Certains procédés paraissent totalement inimaginables parce qu’ils sont, tout simplement, foncièrement inadmissibles.

La technologie ne fait pas tout. Mais ne pensons pas que les Occidentaux seraient toujours désavantagés. En effet, ils ont aussi pu tourner cette insuffisance de la seule technologie à leur avantage. Ainsi, certains pays arabes étaient équipés d’armes performantes, notamment d’origine soviétique ou russe. Pourtant, ils n’ont pas été en mesure de faire reculer Israël. Comment l’expliquer? La technologie n’est pas neutre anthropologiquement et philosophiquement. Elle est aussi un prolongement de l'individu, dont on présuppose le libre-arbitre, donc une capacité à manier une arme. Elle suppose une société qui n’étouffe pas complètement l’individu. Or, dans les sociétés holistes, il est difficile de saisir correctement une arme si on fait l’impasse sur l’idée d’autonomie qu’elle présuppose. La technologie devient alors un élément purement exotique dans des armées dépourvues de culture stratégique. En réalité, technologie et croyances, c’est tout un.

 

 

 

[1] «Le choc du futur», trad. Denoël, Paris, 1971.

[2] «Le passage à l’infini», Les cahiers de médiologie, 2002, n°13, p. 13.

 

 

Docteur en droit public, Monsieur Henri JOZEFOWICZ est actuellement assistant parlementaire. Il a suivi plusieurs séminaires «collaborateurs parlementaires» de l’Institut des hautes études de défense nationale (2014 et 2016). Auteur de plusieurs publications, il est également chargé de cours à l’Institut supérieur du management public et politique (ISMaPP) et à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne.

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Titre : Technologie: l’atout trompeur?
Auteur(s) : Monsieur Henri JOZEFOWICZ
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