Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

Transition démocratique en Irak

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 44
Relations internationales
Saut de ligne
Saut de ligne

En dépit de l’éviction du dictateur Saddam Hussein du pouvoir irakien en 2003, la démocratie peine à s’imposer dans cette partie du Moyen-Orient en proie à un désarroi économique, politique et social considérable. L’auteur souhaite présenter les raisons endogènes de cette situation, en particulier les facteurs ethniques et confessionnels particulièrement prégnants dans la société irakienne.


L’Irak entre tentation communautaire et tentative démocratique

 

L’Irak a vécu de 1968 à 2003 sous le joug de Saddam Hussein. Depuis, en dépit d’un engagement militaire et financier sans précédent des États-Unis[1], le pays s’enfonce dans un marasme économique, social et politique. Cette situation semble montrer que tenter d’imposer la démocratie est une démarche vaine. En effet, en Irak, la «débaassification», destinée à écarter du pouvoir les acteurs de l’ancien régime, a abouti à la mise à bas de l’État.

Néanmoins, les cas de l’Allemagne et du Japon après la Deuxième Guerre mondiale montrent qu’une puissance étrangère peut contraindre un État à une transition démocratique[2].

Dans ce cas, pourquoi la démocratie peine-t-elle à s’imposer en Irak?

Plusieurs facteurs pourraient expliquer ces difficultés irakiennes, à commencer par le temps long ou le rôle des États-Unis. Nous souhaitons, pour l’heure, mettre de côté ces deux facteurs et en approfondir un troisième en examinant les causes internes de la situation irakienne. En effet, la «débaassification», insufflée par les États-Unis, a été menée par les instances irakiennes avec des rancœurs et des considérations ethniques et confessionnelles. Aussi, certaines raisons endogènes, en particulier ethnico-religieuses, expliquent les difficultés de l’Irak à reconstruire sa structure sociale et étatique.

Pour s’en convaincre, nous analyserons tout d’abord les racines historiques et culturelles du trouble irakien, puis jugerons de l’état de décomposition du tissu social en Irak pour terminer par les enjeux auxquels est confrontée la société irakienne.

Les racines historiques et culturelles de la déchirure sociale en Irak

Le délitement de la société irakienne depuis 2003 trouve en partie ses origines dans l’histoire du pays depuis la fin de l’Empire ottoman et dans le substrat historique régional.

  • L’Irak malade depuis 1920?

Arrivés le 6 novembre 1914 à l’extrémité méridionale de l’Irak, les Britanniques fondent l’État irakien en 1920. Ils rompent alors avec le passé islamique du pays en mettant en avant l’identité ethnique, celles des Arabes[3]. Pour stabiliser l'Irak, les Britanniques choisissent le roi Hachémite Fayçal, fils du Shérif Hussein de la Mecque. Descendant du Prophète, il est supposé avoir un ascendant sur les sunnites et les chiites. Suivant le modèle européen de l’État-nation, le projet politique des Britanniques trouve un accueil favorable auprès de certaines élites arabes sunnites, les relais locaux de l’Empire ottoman. La remise en question de la légitimité de ces élites explique une bonne part des luttes internes propres à l’État irakien.

Ethnies et tribus en Irak

Les facteurs religieux et tribaux jouent un rôle de premier plan en Irak et fournissent une explication endogène sérieuse à l’enlisement démocratique. De nature anthropologique, cette explication est liée à une société dite segmentaire. Les tribus, dont certaines remontent à l’ère préislamique, ont été instrumentalisées par le régime de Saddam Hussein. Il les a mises en avant à partir de 1991 car, «en tant que groupe social de référence pour l’individu»[4], les tribus retrouvaient toute leur pertinence dans le contexte social et économique de l’embargo.

 

Sur le plan ethnique, la question kurde occupe une place à part en Irak. L’arabisme de l’État irakien créé en 1920 ne fut pas remis en question par l’incorporation des Kurdes en 1925. Depuis, l’Irak compose avec une «rébellion kurde endémique»[5] dont l’objectif est l’indépendance du Kurdistan irakien.

Les antagonismes religieux

L’accès au pouvoir, depuis les années 1920, d’une minorité arabe sunnite citadine a eu pour conséquence le mécontentement régulier des croyants des autres confessions, à commencer par les chiites. Le quotidien de ces oppositions interconfessionnelles revient régulièrement dans la littérature irakienne[6]. Ces antagonismes sont tels que certains considèrent le régime de Saddam Hussein comme «le dernier avatar d’un système politique de discrimination confessionnelle et ethnique»[7]. Pour nuancer, précisons que le baasisme dictatorial à géométrie variable de Saddam Hussein est resté plutôt protecteur des chrétiens, comme l’illustre la nomination de Tarik Aziz ministre des affaires étrangères. La constante laïque, même si elle a subi de notables variations, n'a donc pas disparu. En revanche, sous la dictature, la domination sunnite par rapport aux chiites, et arabe par rapport aux kurdes, est indéniable.

 Un tissu social en décomposition?

Les facteurs ethniques et religieux participent directement à la déstructuration de la société irakienne qui était unifiée artificiellement par la main de fer d’un régime autoritaire. Depuis la chute de la dictature, quelques rares signes de transition démocratique sont apparus. Une gouvernance politique balbutiante est née en juillet 2003 avec un conseil de gouvernement d’Irak représentant les différentes composantes de la population[8]. Cependant, elle apparaît comme une imposition brutale d’une recomposition politique à l’Irak[9].

La débaassification, ou l’élimination des élites

Fondé au début des années 1950, le parti Baas irakien parvient véritablement au pouvoir lors du coup d’État de juillet 1968. Saddam Hussein succède en 1979 au Général baassiste Ahmed Hassan el-Bakr. Le parti Baas se composait de membres arabes, sunnites (minorité religieuse qui représentait entre 32 et 37% de la population irakienne en 2014[10]) et politiquement nationalistes et socialistes à tendance laïque. Mais au-delà de ces catégories, la plupart des fonctionnaires devait adhérer au parti et lui vouer une fidélité absolue.

Dans ce contexte, la débaassification légitimée par les expériences allemande et japonaise d’après la Deuxième Guerre mondiale était prévue par les Américains comme «l’interdiction faite aux anciens cadres du parti d’exercer une fonction publique»[11]. Elle a pris la tournure d’une chasse menée par les dirigeants chiites aux ex-membres du parti Baas, d’une revanche sur le «triangle sunnite» (voir la carte ci-dessus) et sur le nationalisme arabe[12]. Ainsi, à la purge des administrations s’est ajouté le «démantèlement brutal de l’armée et de l’appareil sécuritaire, dont beaucoup des membres ont ensuite rejoint les rangs du soulèvement armé»[13].

La permanence de l’autoritarisme: ni pardon ni justice?

Démis en 2004, Saddam Hussein est exécuté le 30 décembre 2006 dans des conditions indignes, sa pendaison étant accompagnée de cris de vengeance. Son régime a alors laissé la place à une situation de dictatures plurielles, décentralisées[14]. Finalement, le démantèlement de l'État a abouti à l’expression «démocratique» des vengeances communautaires et des appétits conflictuels.

De plus, les divisions sont telles qu’une réconciliation semble impossible. Le déséquilibre dans la répartition sociale des biens se combine à un clientélisme effréné. Le manque d’autorité de l’État s’observe jusque dans le domaine judiciaire puisque aucune juridiction n’est prête à juger la barbarie quotidienne.

Une société confrontée à des enjeux majeurs

Une situation sécuritaire fortement dégradée et d’une complexité extrême

L’opposition entre les sunnites et les chiites devient plus complexe encore en Irak car chacune des deux branches se subdivise en courants ennemis ou rivaux.

 Du côté des chiites, certains se sentent Irakiens avant d’être chiites, et inversement. Aboutissant à des luttes d’influence, cette situation a conduit à l’assassinat de hauts dignitaires chiites[15] retournés en Irak après l’éviction de Saddam Hussein, et dont le projet semblait trop nationaliste aux hommes proches de Téhéran

Les sunnites se subdivisent eux en une élite laïcisée dans les grandes villes et des croyants plus fervents dans les campagnes. On peut alors parler de communautarisation ou de «déchirure identitaire» des sunnites, caractérisée par l’articulation, sinon la confrontation, de «répertoires pluriels»[16].

Cette complexité se retrouve dans l’hétérogénéité de ce que l’on nomme la «résistance» irakienne, qui regroupe une large palette d’acteurs, imbroglio que souligne Henry Laurens[17].

Le risque de l’éclatement communautaire de l’Irak: Facteur internes… sous influence étrangère

La société irakienne se retrouve divisée et communautarisée à outrance. Elle subit l’influence forte d’acteurs étrangers, en particulier de l’Iran qui soutient les chiites, comme l’illustre la présence en Irak depuis au moins 2014 de «gardiens de la révolution» iraniens dont la mission est de soutenir le pouvoir chiite irakien.

D’un autre côté, la fin du régime autoritaire de Saddam Hussein, qui réprimait les islamistes chiites, a permis la recrudescence de l’islamisme radical et l’apparition en 2003 des attentats suicides qui ont fortement marqué la société irakienne[18]. Dans ce contexte, l’État islamique ne souhaite-t-il pas mettre fin à «l’occupation chiite iranienne» de l’Irak?

État islamique (EI): entre espoir et chaos

Pour l’EI, l’État irakien est «l’État safavide», en référence à celui situé sur l’Iran actuel entre 1501 et 1736 et ennemi de l’Empire ottoman sunnite. Annoncé le 13 octobre 2006 en réaction au projet d'un État fédéral en Irak, «l’État islamique d’Irak» est le fruit d’insurgés sunnites proches d’al-Qaʿida. Abou Bakr al-Baghdadi s’autoproclame calife (terme inusité depuis 1924) le 29 juin 2014, prône une renaissance spirituelle et impose son projet politique: recréer un califat à partir du bilad al-cham, la grande Syrie. Les populations sunnites, mises à mal par le nouveau régime irakien, accèdent grâce à l’EI à l’eau, à l’électricité et à la nourriture. Pour eux, le califat signifie donc une vie meilleure.

Cependant, al-Baghdadi impose le sunnisme et un ordre totalitaire aux minorités religieuses comme les yézidis et les chrétiens. Contrôlant environ 40% de l'Irak, l’EI se finance en exploitant le pétrole irakien (et syrien), lève différents impôts, vend au marché noir des antiquités volées et presque la moitié de la production irakienne de blé et d’orge. Sur le plan humain, en plus des enlèvements et de l’utilisation d’enfants soldats, l’EI réduit à l’esclavage les femmes et les enfants yézidis qui n’ont pu fuir, sans parler des massacres qu’il perpétue. L’EI participe ainsi à entretenir le chaos social, politique et économique qui règne en Irak.

 

Pour conclure, l’enlisement de la transition démocratique en Irak tient à une multiplicité de facteurs internes, à la fois politiques, économiques et sociaux. Il se traduit entre autres par l’exaspération de la population devant l’insécurité, l’absence du rétablissement des services de bases et la faible alphabétisation. Cette situation est fortement liée à la confrontation ethnico-confessionnelle. Lutte entre chiites, majoritaires mais dominés jusqu’en 2003, et sunnites. Ces derniers constituaient l’élite traditionnelle du pays depuis les empires abbasides et ottoman, puis sous le mandat britannique et jusqu’à la chute de Saddam Hussein.

Ce facteur ethnico-religieux maintenant approfondi, il est possible de compléter cette étude en analysant d’autres facteurs comme la longue durée, c’est-à-dire le temps culturel, social et religieux de la région, qui ne permet pas à la démocratie de s'installer rapidement comme par magie. Les autres facteurs considérables sont la politique menée par les États-Unis[19] et la communauté internationale, les conséquences de l’embargo de 1991 à 2003, etc.

Ces autres données montreraient probablement qu’en Irak, comme dans le reste du Moyen-Orient, la démocratie «ne peut naître comme Aphrodite de l’écume de la mer»[20].

Les enjeux sociaux et la portée géopolitique de la terrible leçon irakienne sont tels que les gouvernants occidentaux ne semblent pas en avoir pris la pleine mesure. Le traitement des questions libyenne et syrienne, devenues maintenant indissociables de celle de l'Irak, semble malheureusement le prouver.

 

[1] Henry Laurens précise que «le coût de l’occupation s’élève à 3,9 milliards de dollars par mois» dans «L’Orient arabe à l’heure américaine, de la guerre du Golfe à la guerre d’Irak», Hachette Littératures, Paris, 2008, p. 261.

[2] Laurence Whitehead, «International Aspects of Democratization» dans Guillermo O’Donnell, Philippe Schmitter, Laurence Whitehead (eds), «Transitions from Authoritarian Rules. Comparative Perspectives», Baltimore Md, The Johns Hopkins University Press, 1986.

[3] Pierre-Jean Luizard, «Comment est né l’Irak moderne», CNRS Éditions, Paris, 2009, p. 5.

[4] David Baran, «Vivre la tyrannie et lui survivre. L'Irak en transition», Mille et une nuits, Paris, 2004, p. 344.

[5] Pierre-Jean Luizard, op. cit, p. 7.

[6] Samuel Shimon, «Un Irakien à Paris», Actes Sud, Arles, 2008. L’auteur souligne en particulier les violences subies par les chrétiens assyriens.

[7] Pierre-Jean Luizard, op. cit, p. 6.

[8] Henry Laurens, op. cit, p. 260.

[9] Cette thèse est défendue en particulier par Myriam Benraad, «La transition irakienne a-t-elle eu lieu?», La vie des idées, février 2012, http: www.ceri-sciences-po.org

[10] Données de France diplomatie, Ministère des Affaires étrangères et du Développement international.

[11] Henry Laurens, op. cit, p. 252.

[12] Hazem Saghieh, «The Life and Death of de-Baathification», dans «L’Irak en perspective», Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 117-118, juillet 2007, pp. 203-223, mis en ligne le 27 juillet 2007, consulté le 29 octobre 2015. URL : http://remmm.revues.org/3451

[13] Myriam Benraad, op. cit.

[14] Loulouwa Al-Rachid (International Crisis Group), «Enquêter en régime autoritaire: le cas de l’Irak». Compte-rendu du séminaire «Les sciences sociales en question: controverses épistémologiques et méthodologiques», 15/12/2011. http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/cr_15122011.pdf

[15] Abdul Majid al-Khoei assassiné le 03 avril 2003 dans le mausolée d’Ali à Najaf.

[16] Myriam Benraad «L'Irak au miroir de l'occupation, récit d'une déchirure identitaire: un examen critique de l'expérience collective arabe sunnite (2003-2009)», thèse rédigée sous la direction de Gilles KEPEL et soutenue à Paris, Institut d'études politiques en 2011.

[17] Henry Laurens op. cit, p. 262, en particulier la note 8.

[18] Inaam Kachachi, «Si je t’oublie, Bagdad», Liana Levi, Paris, 2008.

[19] «Près d’une décennie d’occupation désastreuse», selon Myriam Benraad, op cit. «L’échec de l’aventure américaine en Irak a de nombreuses raisons, et démontre avant tout que la démocratie ne peut être ni un produit importé, ni le fruit d’une occupation aux motifs profondément idéologiques, improvisée et plus encore meurtrière».

[20] Bernard Lewis dans Larry Diamond, Marc F. Plattner et Daniel Brumberg (eds), «Islam and Democracy in the Middle Est», Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 2003, p. 218.

 Saint-cyrien de la promotion «Général Vanbremeersch», le Chef de bataillon TRÉGUIER a servi au 1er régiment d’infanterie puis à l’ENSOA. Commandant d’unité au 110ème régiment d’infanterie il a servi ensuite comme officier traitant à l’état-major de la 2ème brigade blindée. Lauréat du concours 2013 de l’École de guerre, il a débuté sa scolarité en arabe à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) en septembre 2014.

 

 

Séparateur
Titre : Transition démocratique en Irak
Auteur(s) : le Chef de bataillon TRÉGUIER
Séparateur


Armée