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Un principe d’externalisation: ni monopole ni monopsone

cahier de la pensée mili-Terre
Défense & management
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 Le choix de l’externalisation demeure toujours fondamentalement guidé par une logique au moins de maîtrise des coûts, sinon de diminution de ceux-ci: en quoi serait-il pertinent d’externaliser une fonction plus économique lorsqu’elle est conservée en interne? Dans ce cadre, cet article se propose d’énoncer un principe simple, mais bien sûr non exhaustif et sans vocation dogmatique: pour en maîtriser les coûts, l’externalisation ne doit se faire ni en situation de monopole ni en situation de monopsone


«Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent», disait Pierre Mendès-France. Face à des contraintes budgétaires de plus en plus marquées, le recours à l’externalisation a pu paraître comme une panacée pour remettre de l’ordre dans les comptes publics.

 

Pourtant, l’externalisation n’est pas un phénomène nouveau. Elle résulte simplement d’une question que peut être amenée à se poser n’importe quelle organisation – publique, privée ou mixte: est-il plus pertinent de confier une activité à un tiers ou de la conserver en activité propre? Ainsi, à la fin du Bas-Empire, Rome confiait-elle la surveillance d’une partie de ses frontières à des tribus barbares tandis que, mille cinq cents ans plus tard, Napoléon préférait internaliser sa logistique en créant l’arme du Train pour mettre fin à l’inadaptation et la corruption des acteurs privés chargés des missions d’intendance.

Le choix de l’externalisation peut s’appuyer sur différentes réflexions telles que le recentrage sur le «cœur de métier» (avec toute la difficulté qu’il peut y avoir à définir ce concept), la notion de service public, la stratégie organisationnelle de l’entreprise ou encore le partage des risques. Mais, in fine, ce choix demeure toujours fondamentalement guidé par une logique au moins de maîtrise des coûts, sinon de diminution de ceux-ci: en quoi serait-il pertinent d’externaliser une fonction plus économique lorsqu’elle est conservée en interne? Dans ce cadre, cet article se propose d’énoncer un principe simple, mais bien sûr non exhaustif et sans vocation dogmatique: pour en maîtriser les coûts, l’externalisation ne doit se faire ni en situation de monopole ni en situation de monopsone.

 

Pas de monopole

L’assertion pourrait relever du truisme. Il est effectivement évident qu’en situation de monopole, le vendeur se trouve en situation de dicter ses conditions à l’acheteur. Mais la situation de monopole n’est pas forcément si flagrante à distinguer.

Les cas les plus classiques de monopoles se retrouvent dans les secteurs de service public ou assimilés nécessitant des investissements massifs comme dans la distribution d’eau ou d’électricité ou encore dans le transport ferroviaire. Si l’on peut effectivement mettre en concurrence la commercialisation de l’eau, de l’électricité ou du transport par train, il paraîtrait aberrant de dépenser massivement (que ce soit par la dépense publique ou l’investissement privé) pour construire des réseaux électriques, ferroviaires et de distribution d’eau parallèles[1]. Au final, les opérateurs de distribution, qui peuvent effectivement se trouver en compétition, se trouvent tous dépendants de l’unique propriétaire du réseau, de fait en situation de monopole. D’où l’importance soit de conserver celui-ci dans le giron de l’État, soit de le soumettre à une réglementation particulièrement contraignante (qui en conséquence risque d’être peu attractive pour l’investisseur privé).

Mais la situation de monopole n’est pas toujours aussi manifeste et peut résulter de la mise en œuvre de l’externalisation elle-même. Il peut ainsi paraître attirant de confier une activité nécessitant des investissements massifs à un opérateur extérieur qui répercutera ensuite l’amortissement de ces investissements dans la durée du contrat sur la facturation de l’activité ainsi externalisée. Mais, à l’échéance du contrat, il se trouvera en situation de quasi-monopole: ayant amorti son investissement initial, il pourra proposer le renouvellement du contrat à un coût bien plus faible qu’un nouvel entrant qui devra pour sa part réaliser cet investissement. Imaginons ainsi que l’État, ou une entreprise de très grande taille, confie la gestion de l’ensemble de son parc informatique (non seulement la maintenance mais aussi l’achat du matériel) à un opérateur extérieur sur un contrat de longue durée. À la fin du contrat, l’opérateur a amorti l’investissement initial massif qui consistait à acheter l’ensemble du matériel informatique. Il pourra donc proposer un nouveau contrat basé uniquement sur la maintenance de ce matériel et les prestations de service associées sans amortissement. A contrario, tout nouvel entrant se devra de racheter le parc informatique et ne pourra donc se montrer réellement compétitif.

Ainsi, pour s’affranchir des monopoles, l’armée allemande a su se montrer pragmatique en créant, notamment dans le cadre de l’externalisation de ses soutiens, des sociétés mixtes dans lesquelles l’État conserve une participation importante et ne se trouve pas ainsi en situation de complète dépendance vis-à-vis d’un opérateur privé. Plutôt que d’externalisation à proprement parler, il s’agit ici plutôt «d’externalisation interne». De même, en France, l’État conserve une forte emprise sur l’industrie d’armement, domaine à tendance monopolistique par nature[2].

 

Pas de monopsone

Ce point pourrait paraître moins évident. Il s’agit ici de s’interroger sur l’origine d’une baisse de coûts induite par l’externalisation.

Dans le cas de l’État, un raisonnement un peu simplificateur tend à imaginer que l’opérateur bénéficiant de l’externalisation, n’étant pas soumis aux statuts protecteurs de la fonction publique, pourra s’appuyer sur une masse salariale plus flexible et donc moins chère. Cette hypothèse n’est pas évidente. D’une part, pour ne pas favoriser une précarisation de l’emploi et des délocalisations qu’il entend combattre par ailleurs, le pouvoir politique impose fréquemment des critères sociaux (par exemple, reprise en emploi et sous le même statut des employés de l’activité externalisée) qui amoindrissent cette flexibilité. D’autre part, dans le cas du personnel militaire, ces économies de masses salariales sont beaucoup moins manifestes: si les revenus et charges sociales (RCS) d’un militaire sont généralement plus importants que ceux d’un employé civil à qualifications égales, le premier n’est pas soumis aux 35 heures et ne perçoit pas de revenus supplémentaires en cas de travail de nuit ou le week-end.

 

Un autre lieu commun relativement contestable tend à affirmer que les méthodes managériales du privé parviennent de par elles-mêmes à rationnaliser une activité auparavant soumise aux méthodes du public. Mais s’il s’agit simplement de modifier une organisation, il conviendra, avant de passer au stade de l’externalisation, de penser la réalisation de cette rationalisation en interne. En outre, et dans le même registre, il est également nécessaire de clairement définir les périmètres qui sont comparés: si la rationalisation de l’activité après externalisation consiste simplement à en réduire le périmètre (par exemple par diminution de la qualité de service), alors il ne s’agit pas réellement de rationalisation mais plutôt d’une adaptation de la prestation au besoin réel, ce qui aurait également pu être fait en interne.

On le voit bien: des baisses de coûts liées à l’externalisation par le biais d’économies sur les RCS et/ou sur la rationalisation sont amplement discutables. A contrario, si l’opérateur bénéficiant de l’externalisation dispose de plusieurs clients, il pourra réaliser des économies d’échelles que l’activité, lorsqu’elle était conservée en interne, ne pouvait précédemment obtenir. L’amortissement des investissements (de même que des marges de profit) sera ainsi réparti sur plusieurs clients, ou encore l’achat de matériels en nombre plus important permettra de faire diminuer les coûts unitaires supportés par les clients. C’est ainsi le sens de l’externalisation réalisée par l’école de l’aviation légère de l’armée de Terre, qui confie la fourniture d’heures de vol pour la formation de ses pilotes d’hélicoptères à la société Hélidax, qui elle-même loue les même hélicoptères et fournit des prestations de maintenance à d’autres clients, ce qui lui permet de faire diminuer les tarifs unitaires (à l’heure de vol) de ses prestations.

Il apparaît au final que, bien plus que des considérations sur les coûts en RCS et les rationalisations (qui doivent avant tout être menées en interne), l’absence de position de monopsone est bien plus pertinente pour envisager une externalisation.

 

Pour réaliser une externalisation bénéfique en termes de coûts, il est donc nécessaire de trouver un opérateur qui soit en réelle situation concurrentielle, tout en veillant à ce qu’il puisse réaliser ses amortissements sur plusieurs clients. Ni monopole, ni monopsone: ce peut donc être un principe élémentaire pour entamer une réflexion sur l’externalisation.

Bien évidemment, et tout particulièrement pour les armées, cette réflexion ne saurait se limiter à une approche par les coûts. Comme l’affirmait récemment le ministre de la Défense (Le Monde, 06 juin 2012), les réflexions sur la défense ne peuvent s’inscrire dans une simple logique comptable, car il est avant tout nécessaire de s’interroger sur l’autonomie opérationnelle des forces armées dans le cadre des missions qui leur sont confiées ainsi que sur leur capacité à réagir – voire à «pro-agir» – à d’éventuelles surprises stratégiques, ces deux points pouvant potentiellement être très fortement impactés par des externalisations.

«Seul l’imbécile confond prix et valeur», affirmait le poète espagnol Antonio Machado. Si un comptable peut toujours évaluer le prix de l’outil militaire chargé de la protection de nos concitoyens, la défense de nos intérêts mais aussi, et sans doute surtout, la préservation de nos idéaux ont une valeur inestimable.

 

[1] Sur ce sujet, les opérateurs de téléphonie mobile s’interrogent d’ailleurs sur la pertinence de conserver plusieurs réseaux séparés, cf. Cécile Ducourtieux, Vers une mutualisation des réseaux, Le Monde, 13/06/2012.

[2] Le fabricant de véhicules de combat (chars Leclerc, VBCI, CAESAR, etc.) est entièrement dans les mains de l’État. À l’intérieur de Safran (aéronautique, aérospatial), Thales (aérospatial, technologies de l’information), DCNS (armement naval), il est actionnaire de respectivement 30%, 27%, 64%. Même dans le groupe européen EADS, la France pèse indirectement 22,5% du capital via la Sogeade (société de gestion de l’aéronautique, de la défense et de l’espace) dont elle est actionnaire majoritaire. Dans les grands groupes français, seul Dassault échappe à un actionnariat étatique.

 

Saint-Cyrien de la promotion «de la France Combattante» (1997-2000), le Commandant Alain MESSAGER est issu de l’arme du Matériel. Breveté de l’École de guerre en 2012, il suit actuellement une formation de master spécialisé «management de la maintenance» à l’École nationale supérieure des Arts & Métiers dans le cadre de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique.

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Titre : Un principe d’externalisation: ni monopole ni monopsone
Auteur(s) : le Commandant Alain MESSAGER
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