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Volonté et Capacités

Cahiers de la pensée mili-Terre
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Après nous avoir rappelé quelles ont été dans l’histoire les grandes évolutions de la pensée éthique face au fait guerrier et au progrès des capacités militaires, et nous avoir montré comment la notion de droit international humanitaire est apparue, l’auteur nous fait réfléchir à ce que sont devenues aujourd’hui ces notions, en particulier celle de « guerre ». En cela, cette étude est d’une brûlante actualité.


Le nouveau contexte géostratégique et technologique nous impose de réfléchir aux questions de volonté et de capacités dans le cadre des guerres non conventionnelles, celles qui peuvent être qualifiées d’hybrides, de dissymétriques ou d’asymétriques.

Les réflexions éthiques sur l’utilisation des armes au cours des siècles ont abouti à un ensemble de règles qui ont donné naissance au corpus du droit international humanitaire. Or, le droit international est valable seulement entre les États. Face à un ennemi qui n’est pas un État-nation et qui donc n’a pas les mêmes limites à l’utilisation de la violence, l’État-nation doit trouver des stratégies d’action afin de survivre tout en maintenant sa légitimité.

Cet article vise à donner quelques éléments historiques sur l’évolution de la pensée éthique qui a amené au développement du droit international humanitaire.

 

À l’origine de la réflexion éthique

 

Depuis toujours, l’homme a essayé de donner une valeur éthique à la guerre, et les philosophes de tous les continents ont réfléchi à la guerre et au rôle du guerrier.

Pour des raisons d’espace, cet article se limitera à la philosophie occidentale à partir de la pensée chrétienne. En effet, le terme «éthique» vient du grec, et «morale» a une étymologie latine.

Platon déjà appelait les Grecs à la modération dans leurs luttes entre cités tandis que, pour ce qui concerne les Barbares, ennemis par nature des Grecs, la guerre menée contre eux était naturelle et n'appelait aucune modération particulière. En effet, il était important de distinguer si l’ennemi était «comme nous» ou s’il était «différent de nous» car les limites à l’utilisation de la violence s’appliquaient seulement au premier cas.

Pour le Romain, la guerre était juste seulement s’elle était précédée d’une «déclaration de guerre» qui suivait un certain processus juridique. Le latrocinium[1] justifiait l’extermination de l’adversaire, considérant qu’il était en tort s’il n’avait pas suivi la procédure juridique de déclaration de guerre.

La réflexion sur les limites à l’utilisation des capacités militaires est particulièrement intéressante dans la pensée chrétienne, car il faut justifier la violence et l’assassinat (le pêché le plus grave dans l’absolu) quand le message du Christ est essentiellement contraire à la violence dans toutes ses formes.

Dans l’éthique chrétienne, la violence est condamnée ainsi que la guerre: la paix est un acte de vertu et la guerre est un péché. Or, lorsque les chrétiens étaient une minorité, la défense de l’unité politique était assurée par d’autres. Cependant, petit à petit, la majorité des sujets de l’Empire devinrent chrétien et le problème de survie de l'Empire menacé par les Barbares se posa. Dès lors, les évêques autorisèrent officiellement les chrétiens à servir dans les armées.

Saint Ambroise (évêque de Milan) est le premier à rédiger un traité de morale chrétienne. Ouvertement disciple de Cicéron, il intitule son traité De Officiis[2] et il s’adresse aux prêtres, magistrats de l'Église. Il n'apporte aucune nouveauté à la doctrine de la guerre juste de Cicéron, mais il tente de la justifier à l'aide d'arguments évangéliques et fonde le droit à partir en guerre sur le devoir de secourir son prochain.

Saint Augustin (évêque d’Hippone), qui était avocat et très lié à Saint Ambroise, poursuit dans ses ouvrages la réflexion sur l’éthique chrétienne et la protection de l’unité politique. Sur un plan juridique, il affirme la rectitude morale du principe qui permet la condamnation à mort par le magistrat (même si, en tant qu’avocat, il a toujours intercédé auprès des autorités séculières afin d'obtenir la grâce pour les condamnés). De ce principe, il découle que le soldat a un rôle de juge et de bourreau contre les ennemis extérieurs. Il en découle que, comme c’est la loi qui justifie le fait de tuer, il n’y a pas de péché car la loi existe pour la défense du peuple et pour sauvegarder des intérêts supérieurs.

Si Augustin n'admet pas l'autodéfense personnelle, car le chrétien doit accepter de se laisser tuer plutôt que de tuer son assaillant, il considère que la défense de l'autre, et notamment du faible (la veuve, l'orphelin, le vieillard) est non seulement possible mais nécessaire. Sur ce point, il rejoint Saint Ambroise qui, dans le De Officis, affirme qu’il y a deux manières de pécher contre la justice: l'une est de commettre un acte injuste et l'autre est de ne pas défendre une victime contre un injuste agresseur.

Dans le cas de la guerre, il considère donc que la finalité de la violence qui n’est pas un pêché est de rétablir l’ordre qui a été troublé par un crime contre Dieu ou les hommes.

Suivant cette même logique, Saint Bernard de Clairvaux, au XIIème siècle, justifie les croisades en les considérant comme un «malicide», soit le fait de tuer le mal représenté par les Sarrasins qui occupaient les lieux saints. Donc, tous les moyens pouvaient être utilisés pour éradiquer le mal. Au XIIIème siècle, Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, justifie la guerre en exigeant trois conditions: la guerre ne peut relever que de la puissance publique sinon elle est un crime, la juste cause (même s’il est difficile de définir de façon objective quand une cause est juste), et une intention droite (le fait que l’objectif de la violence est de faire triompher le bien commun). Au XVIème siècle, Francisco de Vitoria prolonge cette pensée en donnant au prince le droit naturel de défendre l’univers contre l’injustice et lui permet donc d’intervenir s’il est avéré que des sujets souffrent à cause d’injustices d’un autre souverain.

Enfin, il convient de distinguer le latrocinium (la guerre sans juste cause ou la piraterie) du iustum[3] bellum (la guerre justifié par la morale car son objectif est la paix et la justice) et du bellum justum[4], qui est lié au rétablissement d’un ordre supérieur dans un cadre juridique. Dans les faits, les causes matérielles de guerre s’articulent autour de quatre catégories (défense, reprise d’un bien, poursuite d’une créance et châtiment); dans les autres cas, il s’agit de latrocinium, qui est un pêché mortel.

Enfin, aucune de ces réflexions n’aborde la question capacitaire, mais il était généralement admis que certaines armes n’étaient pas honorables et dignes d’un guerrier, comme par exemple l’arbalète.

 

Des lumières a la modernité

 

Au XVIIème siècle, Huig Van Groot pose les fondements du droit international public. Selon lui, l’exercice des droits souverains de l’État sur le plan international comprend le droit de guerre encadré par des normes qui n’autorisent que les guerres justes, c’est-à-dire des guerres défensives destinées à protéger d'une agression la population et le patrimoine de l'État et des guerres coercitives pour punir ceux qui violent le droit, à condition que la violation soit grave.

Tout au long des XVIIème et XVIIIème siècles, la doctrine de la guerre juste perd du terrain au profit de la compétence discrétionnaire de faire la guerre, de l’usage de celle-ci comme moyen de haute politique nationale suite à la création de l’État-nation (Bodin), de la théorie du Léviathan (Hobbes), du contrat social (Rousseau) et du développement de la notion de la raison d’État.

De même, face à de nouvelles civilisations, on assiste à une évolution de la pensée allant du «malicide» à la colonisation pour apporter la civilisation.

Avec le rationalisme illuministe et le développement du concept de raison d’État, la notion de guerre évolue et prévaut sur une conception de la guerre comme situation de fait intellectuellement neutre. Désormais, ce n’est plus la légitimité subjective de procéder à la guerre qui est au cœur des préoccupations juridiques, mais les droits et devoirs régissant les hostilités en tant que fait (ius durante bello[5]).

En d’autres termes, d’un système axé sur la licéité matérielle de la guerre (guerre-sanction), on va vers un système axé sur sa régularité formelle (réglementation de l’ouverture et des effets de la guerre).

Cette évolution, amorcée déjà chez Vitoria, qui distingue les motifs de guerre licites des justes limites du droit de guerre, est promue par Wolff qui, le premier, émancipe les droits et obligations durante bello de la cause de guerre sous-jacente, et ensuite par Vattel qui ancre dans le droit des gens une série de règles fixant des limites aux moyens licites de guerre.

Désormais, l’époque du bellum justum est révolue, et débute celle du liberium jus ad bellum[6] où les États mènent indépendamment leur politique, tant intérieure qu’extérieure du fait de leur souveraineté.

Au cours du XXème siècle, suite aux guerres mondiales et au développement de capacités capables de détruire la planète, la réflexion éthique devient de plus en plus juridique avec le développement du droit international humanitaire, qui non seulement traite du droit de la guerre, mais aussi du droit de la maîtrise des armements qui vise à limiter certaines capacités en termes de développement, diffusion (prolifération et vente) et utilisation à travers la signature de plusieurs traités et conventions tels que les conventions de Genève, les traités d’interdiction des armes particulièrement inhumaines (mines, armes à sous-munitions ou armes chimiques), de désarmement nucléaire, de non-prolifération, etc.

Aujourd’hui, la guerre est en train d’évoluer vers une dimension de plus en plus asymétrique et hybride de par les acteurs (États et non-États), et on revient à la notion de latrocinium car le droit international s’applique seulement aux États. Par conséquent, la réflexion éthique sur les limites de l’utilisation de la violence est de plus en plus d’actualité face à des adversaires de plus en plus violents qui n’hésitent pas à transformer l’horreur en spectacle public et à une violence de plus en plus diffuse dans la société. De même, les sciences et les technologies jouent un rôle de plus en plus important dans un processus de changement rapide qui amène de nouvelles questions de nature éthique et juridique et une dématérialisation des processus et donc de la violence.

 

Conclusion

 

Aujourd’hui, la France se trouve prise entre sa nature d’État-nation et la nécessité de faire face à des adversaires hétérogènes. Elle ne peut pas se permettre de déroger à ses limites éthiques, juridiques et politiques qui légitiment son monopole de la violence car, dans le cas contraire, les institutions viendraient à rompre le contrat social vis-à-vis de la nation.

Le monde occidental est dans une impasse éthique et juridique car les ennemis jouent avec les règles du droit international et poussent les États à sortir du cadre juridique. Dans ce cadre, il n’existe pas une seule et unique solution; par conséquent, une réflexion éthique est nécessaire et pourrait inclure d’autres visions du monde que la vision occidentale. Par exemple, il conviendrait de réfléchir sur la notion de latrocinium à la lumière de l’éthique bouddhiste et musulmane, par exemple, car le vrai jihad est la lutte contre le mal à l’intérieur de l’homme et non pas la lutte contre les gens qui ont des croyances différentes. De même, on pourrait réfléchir à la notion de guerre à l’aide de la philosophie hindoue, civilisation qui a une longue histoire dans le domaine de la stratégie militaire, etc.

De même, la réflexion éthique sur les capacités scientifiques et techniques modernes devient de plus en plus importante, car des hybridations homme-machine ou des systèmes d’armes totalement autonomes sont désormais réalisables. Il est donc nécessaire de se pencher sur ces questions et sur la notion de combattant (ex. qui est responsable d’une machine capable de tuer en prenant la décision de façon autonome?)

En conclusion, nous vivons un moment important de l’histoire, car non seulement le système politique État-nation est en train d’évoluer et avec lui la notion de nation, mais, en parallèle, la technologie nous apporte une nouvelle forme d’intelligence ‒ l’intelligence artificielle ‒ qui révolutionnera la façon de concevoir la guerre.

 

 

[1] NDR: au sens premier, service militaire. Mais c’est le deuxième sens, acte de brigandage ou de piraterie, agression illégale, qui est utilisé ici.

[2] NDR: «Des devoirs»

[3] NDR: le i et le j peuvent être utilisés indifféremment, le j n’ayant été introduit dans l’alphabet latin qu’au XVIème siècle (iustum ou justum).

[4] NDR: la différence évoquée par l’auteur entre iustum bellum (guerre justifiée) et bellum justum (guerre juste) est subtile et apparaît chez certains historiens comme différence entre guerre de défense d’une cause juste et guerre de profit, mais juste au regard des avantages procurés.

[5] NDR: littéralement, droit pendant la guerre.

[6] NDR: liberté du droit de faire la guerre, juste ou non.

 

 

 

 

Le Lieutenant DE ANGELIS est titulaire d’un doctorat en géopolitique et technologie sur les conflits asymétriques, d’un DESS en analyse de systèmes stratégiques et du Master of Space Studies de l’International Space University. En service à la DGA, elle y a travaillé sur les questions liées à la maîtrise des armements conventionnels, dans le contrôle des exportations ainsi que dans la prospective opérationnelle et capacitaire. Elle est actuellement à la direction de la communication chargée de la «stratégie de contenus»

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Titre : Volonté et Capacités
Auteur(s) : le Lieutenant (Air) Yole DE ANGELIS
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