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Battre

Revue militaire générale n°54
Histoire & stratégie
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On avait initialement envisagé de deviser ici sur le mot « bataille » et ses dérivés mais il nous est apparu que « battre », d’où est issu  « bataille », avait rang de préséance. C’est pourquoi on reparlera de bataille, de combat, et de bataillon, dans une prochaine livraison de votre revue.

Battre nous vient du latin battuere qui signifie frapper, et le plus souvent de façon répétée, comme fait le maréchal qui bat le fer tant qu’il est chaud mais le bat froid à qui ne lui revient pas. C’est le principe même de la guerre et d’une bonne partie du vocabulaire guerrier à la fois, ce qui lui donne la préséance.


Le verbe battre est le principe de la guerre en tant qu’il désigne son origine, son aboutissement et son but. Car frapper un adversaire, constitue l’acte originel qui fait basculer tout conflit contrôlé dans la violence par nature incontrôlée. C’est aussi la plus petite activité véritablement guerrière, l’action la plus élémentaire de la bataille, et la représentation ultime de la guerre. On songe à la furieuse mêlée des cuirassiers allemands et français à Rezonville dans le tableau de Morot (en voilà qui se le battent froid dans les deux sens du terme…).

 

Battre, dans un sens second, désigne aussi l’objectif poursuivi par chaque belligérant et l’acte ultime par lequel toujours se conclut l’affrontement, quand un des protagonistes doit reconnaître qu’ayant reçu plus de coups qu’il n’a pu en férir, il est indiscutablement battu, c’est­à­dire vaincu. D’éminents orientalistes n’auront pas manqué d’observer d’ailleurs tout ce que dit cette dérive du sens, de frapper à vaincre, de notre culture guerrière, stratégique ou tactique : dans le parler d’Occident, vaincre consiste à repousser ou renverser l’ennemi en le rouant de coups, à le bouter à lance rompue, affaire de boxeur et non de judoka. D’autres termes ont d’ailleurs connu la même évolution sémantique comme rosser, qui du sens premier de frapper d’une gaule (du latin rustia qui désigne la gaule) en vint à signifier frapper en général et finalement vaincre, ainsi que l’on traduit le mot de sa Grâce le duc de Wellington s’adressant à quelque officier d’ordonnance le matin de Waterloo alors qu’il déployait son armée, les derrières aux défilés de la forêt de Soignes : « Sans doute on dira à Londres que nous avons été rossés… ».

 

Mais battre est aussi le principe du vocabulaire guerrier en ce qu’il a donné combat, combattre, rabattre, bataille et batailler, batterie, bataillon, et toutes les expressions qui en découlent, et une quantité d’expressions et de locutions guerrières ou d’inspiration guerrière : battre la charge ; battre la chamade ; battre en retraite ; battre en brèche ; battre les bois, le fourré, l’estrade ou la campagne, et on en passe.

 

Il arrive qu’un des protagonistes ait nettement le dessous et soit battu à plates coutures comme un costume épais battu et rebattu par le tailleur afin d’en aplatir les coutures, ou qu’il soit battu comme plâtre comme fait le plâtrier pour gâcher son enduit. On notera ce que ces expressions impliquent d’inertie de la part du vaincu, soit qu’il ne soit pas de force à affronter son adversaire, soit que les premiers coups l’aient désemparé. Mais comme l’homme de guerre, contrairement au fer, aux coutures, au plâtre ou à la terre, se laisse rarement battre sans réagir, le battre implique presque toujours d’accepter d’être soi­même battu, d’encaisser des coups en retour, d’échanger avec lui force horions, en un mot de se battre mutuellement. Et il est évident que se battre ne se comprend pas dans un sens réfléchi, sauf dans le cas de la sentinelle de la troisième veille qui se gifle vigoureusement pour échapper à l’engourdissement tout en battant la semelle dans l’espoir de se réchauffer les pieds.

Les Anciens n’avaient pas plus que nous une haute considération pour la violence, même s’ils la rangeaient au chapitre des maux nécessaires, ce qu’indiquent les mots batterie (comme chamaillerie, rouerie, fâche­ rie, coucherie, etc.) qui signifie originellement le fait, voire la manie, de se battre, ou bataille, qui vient de l’italien battaglia mais dont la terminai­ son prend en français une coloration légèrement péjorative (comme dans valetaille, marmaille, piétaille, boustifaille, etc.).

 

Comme les chasseurs battaient les buissons à coups de bâtons pour en débusquer le gibier, on en vint à dire battre pour fouiller un lieu et rabattre pour désigner l’action de pousser quelqu’un à grand bruit dans une dir­ ection opposée. On envoya l’infanterie légère battre le bois, le fourré, ou la lisière (et comme on prit l’habitude de recruter ces hommes parmi les braconniers, on les appela chasseurs). La cavalerie légère reçut mission de battre l’estrade c’est­à­dire courir les routes (de l’italien strada) ou de battre la campagne, afin de découvrir l’ennemi et d’intercepter ses cou­ reurs et ses porteurs de dépêches. Comme les allées et venues des patrouilles de cavalerie évoquent les mouvements apparemment erra­ tiques du limier cherchant la voie, battre la campagne et battre l’estrade finirent par signifier errer sans fins ni but ou vagabonder. Et de même, sans doute parce que les éclaireurs bien souvent ne trouvent rien et passent à côté de l’ennemi, on en vint à dire du tireur maladroit qu’il battait la campagne.

 

Le sens du terme évolua encore avec le progrès des armes de jet puis des armes à feu. Puisque battre un adversaire signifiait lui porter des coups, ce qui revient à dire que les coups doivent atteindre un but déterminé, on en vint à dire d’une arme dont les projectiles – qu’on finit par appeler eux­mêmes coups – atteignaient effectivement un but ou un objectif, qu’elle battait l’objectif. Puis par une nouvelle extension, la possibilité même de toucher l’objectif détermina le sens du terme et un terrain fut considéré comme battu dès lors que des armes étaient positivement en mesure de le battre. C’est ainsi qu’un terrain, un passage, un obstacle, furent dits battus alors qu’aucun coureur ne les parcourait et qu’aucune arme n’y tirait, par la seule magie de la volonté du chef qui avait adroitement placé des tireurs susceptibles de battre effectivement tout ennemi qui s’y présenterait.

Chacun entend bien, en effet, que le principe selon lequel tout obstacle doit être battu par le feu, ne suppose pas qu’on soit en permanence en train de tirer sur ledit obstacle.

 

Battre en vint à ne s’appliquer quasiment qu’aux bouches­à­feu de gros calibres qu’on qualifie d’armes lourdes. De là l’habitude de dénommer à son tour batterie le groupement de canons, puis le lieu même qu’on devait aménager pour installer ces canons. On creusait donc la batterie après avoir ouvert la tranchée, on entrait en batterie et on en sortait, opérations aussi difficiles que périlleuses du temps où il fallait 8 à 12 chevaux pour tirer une pièce de siège. Comme personne n’accepte sans réagir de se faire battre, on imagina bientôt le moyen de battre la batterie ennemie pour l’empêcher de battre son objectif, ce qui donna contrebattre et contre- batterie  : et on observera que contrebatterie retrouve le sens d’action qui était originellement celui de batterie.

 

En raison de la modicité des portées et de la forme des trajectoires, l’emplacement des premières batteries était directement déterminé par la nature ou le but des tirs qu’on voulait appliquer et les batteries étaient désignées par leur mission : on eut donc des batteries à ricochet, de revers, d’écharpe, d’enfilade, de brèche… Cette dernière avait pour mission de battre en brèche une courtine ou plus souvent encore la face d’un bastion, ce qui au XVII e siècle revenait à envoyer un millier de boulets au pied de l’escarpe pour provoquer l’effondrement de la maçonnerie, permettant à l’infanterie de franchir le fossé et couronner la brèche, opération qui conduisait habituellement le gouverneur à rendre la place, donc à faire battre la chamade dont il est question un peu plus loin.

 

Abattre, qui signifiait d’abord frapper jusqu’à terre ou à mort, finit par signi­ fier simplement tuer ou faire tomber, d’où le verbe dériva vers le prono­ minal dans le sens d’une chute volontaire et nettement agressive : ainsi le faucon s’abattit sur sa proie et les cosaques sur les traînards de la Grande Armée (au sens figuré parce que les cosaques sortent des bois et ne tombent pas du ciel), avant que, dans le ciel moderne, les bombardiers en piqués ne s’abattent sirènes hurlantes sur les défenseurs des ponts de la Meuse.

 

Les instruments de musique à percussion jouant un rôle aussi éminent qu’universel dans la psychologie (voire la neurologie ?) guerrière, et battre étant synonyme de percuter, on battit bientôt tambour puis, du tambour, on en vint à appliquer directement le verbe aux musiques qu’on exécutait et qui servaient à animer l’armée. On battait donc aux champs pour annoncer l’arrivée d’un général. On battait la charge pour déclencher et encourager une marche rapide en avant jusqu’au corps­à­corps. On battait la chamade pour annoncer l’intention de rendre la place ou d’amener son pavillon et, soit que la rapidité de la mesure évoquât les battements du cœur amou­ reux, soit que la reddition de la place évoquât la fin de la résistance de la personne aimée, l’expression passa dans le registre de la séduction. On battait la diane à l’aube pour éveiller le bivouac et la retraite le soir pour rappeler les patrouilles et les corvées envoyées en dehors du camp. On battait en retraite durant le combat pour ordonner à l’armée d’aban­ donner le champ de bataille et, contrairement à Larousse, nous ne pensons pas que l’expression signifiait « combattre en retraite » parce qu’il fallut attendre la fin du XVIII e siècle pour qu’on puisse effectivement livrer combat tout en reculant. Batterie signifiant le fait même de battre, on appela bientôt batteries les morceaux et signaux exécutés par les tam­ bours et de là le mot finit par désigner ceux­là même qui battaient, et le corps des tambours devint la batterie. Et comme on battait les œufs très vivement pour faire une omelette et qu’il y fallait une certaine dextérité, les soldats baptisèrent « omelette » une batterie très rapide et d’exécution difficile et le surnom resta au célèbre Rigaudon d’honneur, batterie pour virtuoses composée sur l’ordre de l’Empereur pour distraire les grognards lors du long séjour au camp de Boulogne.  On observera pour clore ce chapitre que les instruments de musique sont doués de personnalité, qu’on donne le nom de l’instrument à celui qui en joue. C’est ainsi qu’on dit que les invincibles Mayençais sortirent de la place tambours battants et mèches allumées comme si, en quelque sorte, leurs tambours avaient battu tous seuls.

 

Nous clorons cette rubrique avec le battage et le verbe rabattre qui, comme les tambours, ramènent aux considérations sur le bruit et la transmission des ordres. Le battage désigne toujours l’action de battre les épis mais faire du battage revient à faire de la publicité ou de la réclame. Or, le battage a aussi désigné autrefois la capacité d’un canon à tirer sans obstacle, donnant le secteur de battage, angle à l’intérieur duquel aucun obstacle n’empêche de pointer ou de tirer. On ne manque pas de s’interroger sur le rapport qu’il peut y avoir entre le tir du canon et la publicité. Rabattre pourrait nous fournir un indice. Après avoir été employé dans le sens de parer un coup, rabattre en vint à signifier pousser ou repousser dans une autre direction. Et comme les rabatteurs battent à grand bruit les taillis afin de pousser le gibier vers la ligne de battue, il arrive qu’une troupe se fasse voir ou entendre dans le seul but d’attirer l’attention de l’ennemi ou de le pousser dans une direction opposée. Il arrivait souvent au XVIIe  et au XVIIIe  siècle que la cavalerie reçoive mission d’aller faire du bruit. Et une frégate envoyée en reconnaissance devait virer de bord à la vue de l’ennemi et se rabattre sur son escadre en annonçant à coups de canon l’arrivée de l’ennemi. Ce détail nous aide d’ailleurs à comprendre que les canons attachés aux détachements d’arrière ou d’avant­garde dans les guerres du XIX e siècle n’avaient peut­être pas pour fonction essen­ tielle de ralentir l’ennemi ou de le tenir à distance mais bien d’informer le commandement sur la position de l’ennemi bien mieux et plus vite que n’aurait pu faire un agent de liaison. En ce temps­là, marcher au canon n’était pas seulement une façon de parler mais un acte élémentaire, et faire du battage revenait peut­être à donner l’alerte à coup de canon.

 

Où l’on voit que le fracas des armes est non seulement l’effet du combat et de la bataille mais bien souvent un de ses buts essentiels quand il n’en est pas le but unique, ce qui nous renvoie à la question de la publicité d’une part, de la nature de la bataille d’autre part.


 

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Titre : Battre
Auteur(s) : Colonel Christophe de LAJUDIE
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Armée