Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

Combat collaboratif : rupture ou illusion ? 2/2

Revue de doctrine des forces terrestres
Sciences & technologies
Saut de ligne
Saut de ligne

Accélération, agressivité, plasticité
L’accélération de la manoeuvre et une agressivité accrue devraient être les principaux apports du combat collaboratif. L’aspect novateur ne réside pas tant dans la combinaison des effets interarmes que dans l’accélération de la boucle détection/compréhension-analyse/frappe.


La concentration des effets d’unités dispersées sur le terrain pourra ainsi être obtenue. Nourri par une connaissance quasi-parfaite de la situation amie et guidé par des systèmes d’aide à la décision, le chef tactique pourra se concentrer sur sa manoeuvre, devenant plus fluide et moins sujette à la friction. La mise en commun des capacités de frappes, notamment dans la profondeur, permet d’envisager une capacité de destruction accrue des unités tactiques. La notion d’appui indirect devrait ainsi être totalement renouvelée par son intégration croissante avec les fonctions de contact.

 

Par ailleurs, la réduction de l’incertitude19 autorisera une plus grande souplesse des dispositifs tactiques et une amélioration des capacités de manoeuvre. L’espace de bataille sera ainsi moins cloisonné : un degré supérieur d’imbrication avec les unités voisines et l’ennemi sera envisageable, offrant ainsi l’opportunité de mener un combat non-linéaire, dans la profondeur. L’objectif du partage de l’information est, entre autres, d’autoriser des manoeuvres de concentration-déconcentration rapides permettant de masquer ses intentions à l’ennemi tout en préservant la sûreté des dispositifs.


Enfin les organisations tactiques devraient faire preuve d’une plasticité renouvelée. La connaissance fine des situations amies et la souplesse des organisations autoriseront des reconfigurations rapides, en cours d’action, de l’articulation des unités20. La capacité d’adaptation, l’efficience au combat seront ainsi largement optimisées.


Si les caractéristiques attendues du combat collaboratif sont séduisantes, il semble néanmoins important de ne pas se laisser griser par ses promesses. Il s’agira plutôt d’une « évolution », à défaut d’une rupture, du combat terrestre correspondant à l’adaptation à une nouvelle phase de la conflictualité, marquée par la perte du « confort opératif »21 et le retour d’une menace symétrique.


Des conséquences à maîtriser


Si la nécessité de se réapproprier les fondamentaux du combat de haute intensité est évidente, la mise en oeuvre du combat collaboratif est porteuse de défis et de questions qu’il convient d’appréhender dès aujourd’hui pour en maîtriser les conséquences et garantir son efficacité opérationnelle.


Un défi humain


Paradoxalement, si la dorsale du combat collaboratif est en premier lieu technologique, le principal défi à surmonter est humain. Les capacités cognitives du soldat et notamment des chefs pourraient en effet se révéler être le facteur limitant de son efficacité.

 

L’agilité des structures, offrant la possibilité d’agréger aisément des modules à une unité au contact ou d’appuyer sa manoeuvre par la coordination de nombreux effets22, est un facteur significatif de complexification de la tactique dont il convient d’appréhender les effets induits.


Le plus évident est lié au risque de surcharge cognitive du combattant. Quelle sera la capacité d’un chef de section de mener un combat tout en prenant en compte la mise en oeuvre de l’ensemble des effets mis à sa disposition parfois pour quelques heures seulement ? Sera-t-il capable d’utiliser l’ensemble des informations nécessaires à la conduite d’une manoeuvre plus efficace ? Transitant au sein de structures hiérarchisées pyramidales, la convergence d’un afflux massif d’informations et de sollicitations vers les chefs tactiques pourrait conduire à une saturation de leurs capacités d’analyse et conduire à l’effet inverse de celui recherché : la paralysie.


Une autre interrogation porte sur l’isolement du combattant et la perte du «lien tactique»23. Comment préserver l’interopérabilité d’entités opérant au sein de communautés d’intérêt ad hoc sans se connaître ni se voir ? La plasticité des organisations oblige à repenser la nature du lien unissant les formations amenées à interagir sur le champ de bataille. Par ailleurs, la dispersion physique sur le champ de bataille, et par corollaire la prédominance des échanges au travers de systèmes de communication numérisés, est susceptible de distendre un peu plus le lien humain et d’affecter la résilience des dispositifs. En effet, la combativité, l’esprit guerrier d’une unité de combat sont nourris par la fraternité d’armes unissant les soldats et sur le sens donné à l’action. Si le soldat du combat collaboratif bénéficiera d’un niveau d’information inégalé dans l’histoire, a contrario, il sera souvent loin de ses chefs et agira au sein de dispositifs de faible densité humaine.


La prise en compte de ces risques impose des adaptations dans de nombreux domaines. Sur le plan de la formation, l’enjeu sera de disposer de soldats et de cadres capables d’appréhender des situations plus complexes et de s’accommoder d’une grande autonomie. Parallèlement, la technologie sera mise à contribution pour alléger le « poids cognitif » du soldat grâceà l’emploi d’interfaces hommes-machines et de systèmes d’aide à la décision. L’organisation du commandement devra probablement être repensée pour rééquilibrer le poids reposant sur les différents niveaux. Surtout, un effort devra être consenti pour améliorer l’interopérabilité entre les différentes fonctions opérationnelles, à travers la mise en oeuvre de procédures communes et standardisées. L’expérience des forces spéciales, dont les opérations présentent de nombreuses similitudes avec le combat collaboratif, pourrait servir à ce titre de laboratoire pour les forces terrestres24.


Un défi technique : allier maîtrise de l’information et simplicité


La maîtrise des flux de données générés par le combat collaboratif sera le principal défi technique à relever. Cela suppose la définition d’un système préservant de la surinformation, établissant un partage raisonné de l’information et obéissant au principe de simplicité. Tout l’enjeu sera de ne diffuser que l’essentiel, en évitant de saturer les combattants, les chefs tactiques et les postes de commandement.


Cependant l’accumulation de connaissances ne sera pas suffisante. Seule la supériorité décisionnelle étant gage de supériorité au combat, il sera nécessaire de se prémunir de l’illusion de la supériorité informationnelle. Dans un combat où le chef tactique se référera de plus en plus à une situation de référence alimentée de manière collaborative, la confiance excessive dans les systèmes d’information pourrait exposer les unités à la surprise. Comme l’affirmait le général de Gaulle, « croire que l’on est en possession d’un moyen d’éviter les surprises des circonstances, c’est seulement procurer à l’esprit l’illusion de pouvoir négliger le mystère de l’inconnu »25.


La simplicité et la clarté des interfaces, notamment au niveau tactique, seront indispensables pour éviter de retomber dans les limites de la numérisation de l’espace de bataille (NEB)26 et garantir un emploi optimaldes informations mises à la disposition des combattants. Le recours à l’intelligence artificielle, à l’internet des objets, ne doit pas faire oublier l’essentiel : dans un environnement dégradé et sous le feu, un combat collaboratif ne pourra être mené qu’à la condition de mettre à la disposition du soldat des données restreintes et essentielles au travers d’interfaces aisément compréhensibles.


Un défi organisationnel : quelle structure de commandement pour conduire un combat collaboratif ?


La mise en oeuvre d’une forme de combat collaborative ne reposera pas uniquement sur des moyens techniques de communication. Le combat collaboratif ne pourra être efficace qu’à la condition d’être associé à une organisation du commandement adaptée. En effet deux écueils semblent se dessiner : le « chaos tactique » et la tentation de la « centralisation à outrance ». La connaissance partagée offre aux unités au contact une connaissance de leur environnement et une capacité d’initiative inédites. Il est impératif d’encadrer cette initiative au risque de perdre toute cohérence de la manoeuvre d’ensemble. À l’opposé la tentation d’écrasement des niveaux hiérarchiques et de centralisation à l’extrême est accentuée. La conservation de structures hiérarchisées classiques limiterait la portée des promesses d’un combat collaboratif. L’organisation de la chaîne de commandement, la subsidiarité devront être repensées. La définition d’un niveau de commandement chargé de la gestion de l’espace de bataille, de la ré-articulation des dispositifs tactiques, de la conduite de la manoeuvre décentralisée revêtira une importance cruciale. Fidèle à la pensée du général Mc Chrystal « Eyes on. Hands off»27, ce niveau de commandement sera chargé d’apporter un surcroît d’agilité à la manoeuvre sans entraver la liberté d’action et la capacité d’initiative des niveaux subordonnés.

 

Au-delà des effets d’annonce et des modes, la volonté de créer un outil de combat terrestre apte à mener un combat plus collaboratif, reposant sur une manoeuvre décentralisée et non linéaire, est une nécessité. Elle répond à la fois à la volonté de conserver une avance technologique sur nos adversaires et à l’impératif de s’adapter aux nouvelles formes de conflictualités.


Pourtant, le combat collaboratif ne sera pas uniquement le fruit d’une démarche technologique et capacitaire. Une forme de combat efficace ne pourra naître que d’une réflexion profonde dans les domaines de la doctrine, de l’organisation du commandement, de la formation, de l’entraînement. Cette réflexion doit permettre le développement d’une force terrestre équilibrée, se gardant de choix « tout technologiques » et mettant l’accent sur la capacité d’adaptation. Les formes futures de la guerre sont par nature difficilement prédictibles. Face à un ennemi qui cherchera toujours à contourner la puissance de son adversaire, il est indispensable de développer un outil de combat capable de s’adapter. S’il doit être plus « collaboratif », le combat interarmes de demain devra être avant tout «adaptatif », au risque de subir de cruelles surprises tactiques.

 

 

19 Général Michel Yakovlev, Tactique Théorique, 3e éd broché, 2016.
20 Cette notion d’agilité des organisations capable de reconfigurations permanentes se traduit notamment par l’apparition de la notion d’« échelon » dans la doctrine exploratoire du combat SCORPION. L’échelon permet de dépasser l’articulation rigide des unités. Une des conditions d’efficacité de ces échelons sera leur capacité à évoluer, à agréger des capacités pour s’adapter à leurs missions.
21 Action terrestre future, État-major de l’armée de Terre, 2016.

22 Tirs indirects, appui feu hélicoptère, appui air-sol par exemple.
23 Guy Hubin aborde ce constat sous le concept de « lisibilité du champ de bataille ». Guy Hubin, Perspectives tactiques, 3e édition, Économica, 2009, p. 92-93. « […] nous allons devoir remettre en cause ce qui faisait jusqu’à présent la continuité et donc la solidité du lien tactique. Cette continuité s’appuyait à la fois sur la proximité physique et psychologique réalisée au sein de structures bien formatées […] ».

24 La répartition des responsabilités entre le chef tactique, les différents modules déployés (terrestres, aéromobiles, aéronefs, drones... ) et l’échelon de conduite situé parfois à plusieurs centaines de kilomètres en charge de la coordination des différents vecteurs pourrait offrir des bases de réflexion pertinentes au même titre que la gestion de l’isolement des unités et du développement de procédures opérationnelles robustes.
25 Charles de Gaulle, Le fil de l’Épée et autres écrits, Plon, Paris, 1994.
26 Cahier du Retex, Des électrons dans la brousse, CDEF, 2007. Dès 2006, l’expérimentation opérationnelle de la 6e BLB en Côte d’Ivoire, en dépit d’apports significatifs, avait mis en lumière les vulnérabilités de la NEB : gestion et hiérarchisation de la masse d’informations, complexité de mise en oeuvre des systèmes, « pression cognitive » sur les décideurs avaient notamment été identifiées.

27 General Stanley Mc Chrystal, Team of Teams, New rules of engagement for a complex world, Portfolio Penguin, 2015, p. 218.

Séparateur
Titre : Combat collaboratif : rupture ou illusion ? 2/2
Auteur(s) : Chef de bataillon Julien ARNAUD École de Guerre-Terre, stagiaire de la 132e promotion
Séparateur


Armée