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La révolution de la puissance de feu

Revue de tactique générale - Le feu
Tactique générale
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L'espace dans lequel ont évolué les armées est longtemps resté très réduit du fait de la faible portée des armes – quelques centaines de mètres au maximum, de la faible mobilité des troupes, limitée à la marche ou au transport à cheval, mais aussi des procédés de commandement. Il en était de même des capacités restreintes des transports et de la logistique. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, il était presque toujours possible de voir l’ennemi avant de subir les effets de ses armes et donc toujours possible de manoeuvrer et de s’organiser avant le combat. Celui-ci est concentré sur un point précis de façon à rester dans le « rayon de commandement » qui correspond sensiblement à l’espace où un aller-retour d’informations (comptes rendus, décisions, ordres) circule plus vite que les hommes. C’est ainsi que l’on retrouve la Grande Armée le 18 juin 1815 à Waterloo avec six corps d’armée, vingt et une divisions, une centaine de régiments d’infanterie (d’environ 1 000 hommes chacun) et de cavalerie (400 hommes) distribués sur un rectangle de trois kilomètres de front et deux kilomètres de profondeur. La révolution militaire industrielle qui débute au milieu du XIXe siècle et se déroule sur un siècle bouleverse cet agencement.


 

 

La révolution militaire industrielle


Cette révolution militaire industrielle est d’abord celle de la puissance de feu. Le fusil à silex est l’arme de base de l’infanterie européenne pendant deux siècles jusqu’à ce qu’il soit remplacé à partir de la première moitié du XIXe siècle par le fusil moderne qui regroupe plusieurs inventions de l’époque : armement par la culasse, cartouche à amorce et canon rayé. Le « fantassin industriel » peut ainsi tirer plus vite, beaucoup plus loin et avec une plus grande précision que tous ses prédécesseurs. Ce fusil moderne est perfectionné ensuite avec les poudres de munitions plus puissantes et sans fumée ou les lames chargeurs permettant le chargement automatique en actionnant simplement un levier. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, on voit apparaître et se développer aussi les mitrailleuses. En 1914, les principales armées disposent toutes de modèles permettant d’envoyer 500 cartouches par minute.

 

Au bilan de ces évolutions, en 1815 un bataillon d’infanterie pouvait tirer 2 000 coups à 100 mètres de profondeur en une minute ; en 1850, équipé de fusils rayés armés par la culasse, il peut en envoyer 4 000 à 400 m ; en 1915, on passe à 21 000 cartouches sur 600 m1. Mais, entre ces dates, l’artillerie a aussi considérablement évolué, adoptant sensiblement les mêmes principes que les fusils (âmes rayées, chargement par la culasse, tir automatique) dans des canons en acier. En 1914, une simple batterie de quatre canons de 75 mm peut envoyer 80 obus par minute jusqu’à quatre kilomètres. C’est donc un mur de feux de plus en plus denses et profonds qui se présente face aux unités de combat, alors que par ailleurs la mobilité sur le champ de bataille, la protection et le commandement n’ont pas évolué depuis Waterloo.

 

Dans Race to the Swift, Richard Simpkin évoque la notion de force réellement utilisable (FRU) sur un espace donné. La FRU correspond à une densité optimale au contact de l’ennemi. En deçà de cette FRU, la maitrise de l’espace et les effets sur l’ennemi deviennent trop faibles2. Au-delà la FRU, l’emploi de forces supplémentaires accroît plus les pertes que les résultats. Les attaques au-delà de 2 contre 1 sont ainsi historiquement rares et ne donnent pas de résultats supérieurs. Cette force réellement utilisable évolue beaucoup pendant le siècle de la révolution militaire industrielle. Devant les nouvelles telles densités de feux, il n’est plus possible de conserver les mêmes densités de force, sous peine de massacres comme lors de la bataille de Shiloh, aux États-Unis, les 6 et 7 avril 1862 où davantage de soldats américains tombent en deux jours que pendant toute la guerre de 1812-1814 contre l’Angleterre. La dispersion s’impose. En 1815, la Grande Armée alignait six corps d’armée sur trois kilomètres ; un siècle plus tard, on n’y place plus qu’une seule division.

 

Dans le même temps, le nombre d’unités de combat ne cesse d’augmenter grâce à l’accroissement démographique, la conscription universelle et la capacité des économies modernes à soutenir des armées énormes. Avec la conscription universelle le coût du Travail militaire est réduit et les soldats plus nombreux. Le coût du Capital technique (les équipements n’est pas non plus très important, au moins dans les forces terrestres constituées en 1914 à presque 70 % de fantassins armés d’un fusil et d’une baïonnette. Pendant la Grande Guerre, la France est ainsi capable de constituer une division d’infanterie pour 350 000 habitants. La combinaison de la moindre densité sur le front et de l’augmentation de leur nombre total entraîne mécaniquement une augmentation de la largeur des fronts.

 

On peut vaincre sur le champ de bataille de manière limitée, en infligeant plus de pertes à son ennemi que l’on en subit soi-même alors que les deux armées restent cohérentes et organisées. On peut vaincre aussi de manière décisive en disloquant le dispositif de l’ennemi et faire en sorte qu’il ne puisse plus combattre de manière organisée. Le rapport des pertes est alors généralement beaucoup plus déséquilibré en faveur de l’attaquant par la présence de nombreux prisonniers ennemis. Or pour disloquer, il faut soit pénétrer dans le dispositif adverse, soit l’encercler. La première possibilité est rendue très difficile par la croissance soudaine de la puissance de feu qui crée une solide barrière « anti-accès ».

 

Elle est rendue encore plus difficile parce qu’il est désormais impossible pour un chef d’armée de voir l’armée ennemie avant la rencontre. Non seulement il ne voit plus l’ennemi, mais la majeure partie de ses troupes lui échappe aussi. Les messagers à cheval, trop vulnérables, disparaissent du paysage, remplacés par des coureurs à pied ce qui ralentit encore la circulation de l’information. La puissance de feu moderne par sa puissance, sa portée et la dispersion qu’elle impose ralentissent la circulation des informations entre le sommet et les unités. Pour pouvoir fonctionner quand même, il n’y a pas d’autre solution que de décentraliser la conception des ordres. Au fur et à mesure que les dispositifs se diluent, les échelons subalternes – jusqu’au chef de section au début de la Première Guerre mondiale –, gagnent en autonomie. Un lieutenant de 1914 a la même responsabilité qu’un chef de bataillon de Napoléon. Tout cela induit un effort proportionnel de formation des cadres.

 

Les troupes sont difficiles à commander et elles ont les plus grandes difficultés à pénétrer dans les dispositifs ennemis. Les combats deviennent donc plus indécis. Dans le même temps, grâce au chemin de fer et au télégraphe, une doctrine générale et des états-majors modernes, il devient possible de manier à distance plusieurs armées avant d’arriver sur les champs de bataille. Les campagnes de la fin du XIXe siècle sont larges et consistent surtout en batailles qui sont des séries de coups. Tout l’art consiste alors à encercler l’ennemi par une manoeuvre de lignes extérieures, comme les Prussiens enfermant les armées françaises à Metz et à Sedan en 1870 après plusieurs séquences de combats confus visant surtout à pousser l’ennemi vers l’intérieur. Avec l’augmentation des volumes de forces au tournant du siècle, les champs de bataille se dilatent jusqu’à couvrir des dizaines de milliers de kilomètres carrés et peuvent durer des semaines comme en Prusse orientale et en France en août-septembre 1914. Ils finissent même par former des fronts continus entourant des nations entières et qui empêchent même ces grandes manoeuvres. On ne peut plus échapper à la nécessité de pénétrer en profondeur dans le dispositif ennemi.

 

 

Les usines à feux : la Grande Guerre

 

Non seulement les feux défensifs et notamment ceux des mitrailleuses présentent un mur de projectiles difficiles à franchir, mais ils sont encore valorisés par les retranchements qui les protègent. Pénétrer un dispositif ennemi consiste à franchir un terrain tourmenté, à travers des réseaux de barbelés sous le feu d’un échiquier de nids de mitrailleuses et sous les tirs de barrage de l’artillerie, un exercice difficile pour des soldats guère différents de ceux du Second Empire.

 

La solution réside toujours dans la combinaison de feux et du choc, mais à une échelle que l’on ne soupçonnait pas. La neutralisation de la défense, préalable ou en marchant (barrages roulants) est d’abord le fait de l’artillerie lourde, la grande création française de la Grande Guerre, avec plus de 4 000 pièces en 1918 et 1 500 avions d’observation. On dote aussi l’infanterie de toute une gamme d’armes « entre le fusil et le canon ». Les plus lourdes, mitrailleuses, mortiers, canons légers, sont regroupées dans de nouvelles cellules dites « d’accompagnement » ou « d’appui », nouvelle version de l’infanterie « de projectiles » qui, depuis l’Antiquité, prépare et accompagne les combats avec l’infanterie de choc. En 1917, la section d’infanterie devient l’unité tactique de base qui combine l’action de plusieurs groupes de combat. Le commandement est décentralisé jusqu’à cet échelon d’une dizaine d’hommes qui intègre plusieurs armes différentes, mitrailleuse légère ou fusil-mitrailleur, fusil lance-grenades, parfois fusil de précision, grenade à main, fusil et baïonnette, là où en 1914 il n’y avait que ces deux dernières. On ne combat plus en ligne à un pas d’intervalle comme le prévoyait le règlement de 1914, mais par petites cellules autonomes s’adaptant au terrain, ce qui résout en grande partie le problème de l’arbitrage entre le besoin de contrôle et la nécessaire dispersion qui animait les débats depuis le milieu du siècle précédent. La configuration moderne du combat des petites unités d’infanterie est née.

 

Les deux cavaleries traditionnelles, lourde et légère, sont ainsi reconstituées avec l’emploi du moteur à explosion. La cavalerie lourde, ce sont les chars dont la première unité française est formée à la fin de 1916.

Ce sont alors des engins peu fiables, lents et d’une autonomie qui dépasse rarement une journée d’emploi. Ils servent en accompagnement de l’infanterie et leur rôle est essentiel dans les derniers mois de la guerre. La cavalerie légère, ce sont un peu les centaines d’automitrailleuses-autocanons qui voient le jour, mais surtout la multitude d’aéronefs qui apparaissent et dont certains sont destinés à l’attaque au sol, au-delà de l’artillerie dans des missions d’interdiction, ou, en 1918 en avant des troupes en les appuyant à la mitrailleuse. Toutes les fonctions modernes de l’aviation et des hélicoptères, reconnaissance, chasse, appui au sol, interdiction, bombardement à longue distance, transport, sont alors en place.

 

Pendant la Grande Guerre, la FRU sur 3 km de front est alors la division d’infanterie. En 1914, cette division peut déployer au contact jusqu’à douze bataillons. En 1918, elle n’en possède plus que neuf et d’un effectif plus réduit, mais chacun d’eux dispose de 120 armes collectives (contre 2 en 1914) et bénéficie en moyenne de l’appui de 21 canons et mortiers (contre 3) et même de six avions et trois chars légers, choses impossibles quatre ans plus tôt. En théorie, si le bataillon de 1918 devait combattre celui de 1914, il l’emporterait de manière écrasante. Eh théorie seulement, car pour fonctionner efficacement le bataillon de 1918 demande obligatoirement de posséder aussi un capital de compétences très supérieur à ce qui était nécessaire en 1914. On est obligé de reformer une structure d’apprentissage, de camps et de centres de formation en arrière du front. Les coûts de coordination nécessaires pour gérer les moyens augmentent exponentiellement avec leur diversité. On y fait face en densifiant et en diversifiant également le réseau de circulation de l’information (machines à écrire, TSF, téléphone, fanions, fusées, etc.). Plus de la moitié des avions utilisés ne servent qu’à transmettre de l’information (renseignement, réglage des tirs, transmission des ordres, guidage des troupes). Les états-majors sont augmentés, les personnels mieux formés et les procédures améliorées jusqu’aux plus bas échelons. Les besoins logistiques explosent aussi. Une division d’infanterie au combat consomme sept fois plus de ressources en 1918 qu’en 1914, essentiellement du fait du volume de munitions désormais nécessaires. La nouvelle logistique accroît encore la complexité du commandement.

 

On parvient ainsi dans la dernière année de la guerre à dépasser le combat d’usure pour retrouver une capacité de dislocation, mais sur un espace encore très limité par la vitesse de marche et la portée des obus. On peut détruire des régiments, mais simplement obliger les divisions du front à être retirées du front et refouler les armées. Pour pénétrer plus en profon­deur, il faut des innovations de rupture.

 

 

Porter le feu plus vite et plus loin

 

Ces innovations ne viennent pas de l’armement des troupes à terre qui atteint des limites. À côté des fusils, qui évoluent peu hormis par le tir complètement automatique, on voit se développer les pistolets-mitrailleurs et surtout les fusils-mitrailleurs, autour desquels s’organise le combat d’infanterie. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la constatation que les combats au sol ne dépassent que rarement 400 mètres permet d’envisager l’emploi de munitions moins puissantes et l’invention d’armes baptisées fusils d’assaut qui peuvent tirer au coup par coup ou en rafales jusqu’à cette portée pratique. La configuration de l’infanterie « à terre » est alors établie, hormis les missiles. Les sections les mieux équipées de 1945 pourraient tenir tête à des sections d’infanterie contemporaines, au moins de jour, et écraseraient celles de 1870, preuve d’une phase de rendement décroissant de la puissance de feu.

 

Pour obtenir un surcroît de puissance, il a fallu passer par les véhicules à moteur seuls à même de porter une puissance de feu plus lourde et surtout de manoeuvrer hors et dans le dispositif ennemi. Dans les airs, la cavalerie du ciel est en place. Elle se perfectionne très vite. Au sol, les progrès mécaniques (moteurs, transmissions, suspension) permettent de créer une grande diversité d’engins, motocyclettes et side-cars, voitures, half-tracks, chenillettes, chars légers, moyens, lourds, automitrailleuses, canons d’assaut, pièces antichars ou antiaériennes tractées ou portées, canons automoteurs. Plus encore que dans les airs, ces engins peuvent porter des armes lourdes, mitrailleuses, des canons à haute vélocité de 30 à 50 mm destinés à perforer des véhicules, canons canon de gros calibre d’abord à courte portée pour lutter contre l’infanterie puis à longue portée et polyvalent sur les « chars de bataille » comme le T-34 ou le Sherman. Hormis ce canon long de char dont le calibre, la portée et la précision ne vont cesser de croître jusqu’aux années 1980, la grande nouveauté de l’armement est le canon mitrailleur polyvalent que l’on retrouve sur de nombreuses plates-formes. À cette diversité d’engins correspond une nouvelle diversité d’unités à moteur, régiments ou brigades de chars, d’infanterie motorisée ou mécanisée sur half-tracks, de reconnaissance, antichars, antiaériennes, génie. Ces unités nouvelles ne peuvent cependant fonctionner que par le développement technique des moyens de communication, la TSF en premier lieu qui se modernise, se miniaturise et se « démocratise » jusqu’à apparaître dans la plupart des véhicules de combat, aériens ou au sol, et même dans les sections d’infanterie pendant la guerre.

 

La supériorité de ces unités nouvelles sur celle de la génération prémotorisée est très nette. Défensivement, il est plus facile de se soustraire aux tirs par une plus grande dispersion sachant qu’il est possible de se reconfigurer rapidement pour l’attaque. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, une force motorisée de 100 000 hommes occupe en moyenne un espace douze fois plus important qu’en 1918 pour le même volume. Pour autant, une unité en réserve en arrière du dispositif y mettra deux fois moins de temps pour atteindre n’importe quel point de la zone d’action3. Offensivement, il est inversement plus facile aussi de se concentrer pour attaquer, avec une protection accrue. La probabilité d’obtenir la surprise s’accroît, augmentant encore la puissance de choc. Une division motori­sée à l’attaque progresse deux fois plus vite dans le dispositif adverse en 1945 qu’en 1918 et le rapport de pertes tend également à basculer beaucoup plus nettement en faveur de l’attaquant, signe que le point de dislocation est beaucoup plus souvent atteint avec les unités motorisées qu’avec celles qui ne le sont pas4.

 

Le succès des unités de chars au début de la Seconde Guerre mondiale est cependant tel qu’il suscite des réactions et adaptations. On développe tout un arsenal anti-véhicules, pièces antichars plus performantes, lance-roquettes individuels, mines, aviation d’attaque, qui renforce à nouveau la défense « anti-accès » et ralentit les opérations dans la deuxième partie de la guerre. Pour résoudre le problème, il apparaît à nouveau nécessaire de disposer d’appuis importants, l’artillerie en particulier reprend de l’importance, et il faut à nouveau densifier la puissance de choc, ce qui passe par la coopération interarmes5. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’US Army fixe le nouveau modèle de l’armée moderne, entièrement motorisée, avec des divisions organisées en deux ou trois groupements tactiques interarmes de niveau brigade, eux-mêmes subdivisés en sous-groupements de niveau bataillon, coopérant avec une aviation d’attaque disponible rapidement à la demande.

 

Fondamentalement, les choses n’ont pas changé depuis sauf, en partie, dans le ciel avec une série de tentatives d’hybridations aéroterrestres : les Chindits britanniques aérotransportés en Birmanie et appuyés par air, les unités parachutistes puis les unités aéromobiles. En 1965, forte de 15 800 hommes et de 450 hélicoptères de tous types, soit plus que tout ce dont l’armée française disposait en Algérie, la 1re division de cavalerie américaine est la première grande unité héliportée à être engagée au combat. Les unités aéromobiles américaines restent cependant encore surtout des unités d’infanterie légère pouvant sauter par bonds de point en point, mais se déplaçant à pied une fois à terre. Elles sont dépassées dans les années 1970 par les unités aéromécanisées soviétiques, des unités blindées-mécanisées qui peuvent être déposées au sol par avions ou hélicoptères lourds. À la même époque, le développement de la missilerie autorise celui d’hélicoptères antichars particulièrement redoutables. On développe donc des unités spécifiques, bataillons/régiments et brigades d’hélicoptères d’attaque. À la fin des années 1980, tous les emplois possibles des aéronefs pour le combat aéroterrestre ont été conceptualisés, et les équipements, les structures et les compétences nécessaires pour leur mise en oeuvre ont été mis en place.

 

 

Le problème du coût du capital

 

La révolution militaire industrielle trouve ainsi ses limites dans les années 1970. Depuis, on est soumis au phénomène de rendements décroissants des armées industrielles. Les armées motorisées de la fin de la Seconde Guerre mondiale déployaient beaucoup moins d’unités de combat que les armées prémotorisées ou mixtes. Le capital technique d’une division blindée ou d’infanterie mécanisée de 1944 est infiniment plus important que celui d’une division d’infanterie à peine trente ans plus tôt et son remplacement par des moyens plus modernes est au minimum deux fois plus coûteux. À moins d’injecter des ressources parallèles, le nombre d’unités dont on pourra disposer aura donc mécaniquement tendance à diminuer d’autant plus que leur « coût d’emploi », par la logistique et la maintenance, ne cesse aussi de croître.

 

On a bien essayé dans les années 1950 de donner un nouveau souffle avec l’artillerie atomique. En l’espace de quelques années grâce à la miniaturisation des têtes nucléaires, Américains et Soviétiques ont ainsi déployé des milliers de munitions atomiques, depuis, pour les Américains et Alliés, les Honest-John, capables d’envoyer une munition de classe Hiroshima à 48 km jusqu’aux roquettes M-28 Davy Crockett lancées à deux kilomètres et même les Special Atomic Demolition Munition portables dans un sac à dos. C’était de la folie, la puissance de feu du « champ de bataille atomique » aurait ravagé l’Europe, tout en étant probablement incontrôlable. Les armes nucléaires du champ de bataille ont été progressivement retirées après avoir coûté fort cher.

 

L’emploi des nouvelles technologies de l’information a été une autre manière d’augmenter la puissance de feu, par une plus grande précision des tirs, depuis les canons de chars jusqu’aux lance-roquettes à longue portée et un emploi plus optimisé des moyens. Le résultat de ce pari que l’on attendait comme une nouvelle révolution est toutefois mitigé, les gains d’efficacité étant compensés par des coûts élevés et ne venant pas contrebalancer les deux piliers qui rendaient le modèle soutenable : la conscription, qui réduisait les coûts de fonctionnement, et la croissance économique des Trente glorieuses qui rendaient les dépenses soutenables. À tout le moins, la tension de la menace pouvait inciter à un effort particulier.

 

À la fin de la guerre froide, tous ces éléments ont disparu, et le modèle industriel s’est graduellement affaissé. L’armée de Terre française se trouve donc encore très majoritairement équipée pour affronter l’Union soviétique trente ans après la disparition de celle-ci, comme si on était encore équipé en 1944 comme en 1914. Dans le même temps, les finances accordées si elles ont permis une modernisation partielle ont été insuffisantes pour empêcher la perte de masse. Jamais on n’a tiré avec autant de précision, mais jamais on n’a pas pu tirer aussi peu. Si, renforcée de ses réserves, l’armée de Terre de 2020 était alignée sur un grand champ de tir avec ses engins réellement en état de fonctionner, elle mettrait sans aucun doute deux à quatre moins fois de coups au but en une heure que l’armée de Terre de 1990. Face à des armées qui ont poursuivi leur modernisation cette perte de puissance peut être compensée avantageusement par le surcroît de qualité, face à des organisations armées qui sont équipées de matériels d’avant 1990, c’est peut-être un inconvénient. La quantité est aussi une qualité.

 

En résumé, au terme de cette évolution. Le style de combat moderne a produit des unités toujours moins nombreuses, mais toujours plus mobiles et puissantes. La réduction de la densité des forces a rendu par ailleurs indispensable d’intégrer les différentes armes à un échelon toujours plus bas. Là où on plaçait une division en 1918, on plaçait une brigade/régiment en 1945 et désormais un groupement tactique interarmes. Ce GTIA est le pion de la conduite des batailles. Il a un poids tactique, mais aussi désormais opérationnel et stratégique bien plus important que ne pouvait avoir un bataillon de la Grande Armée. Il y a désormais des batailles qui ne se mènent plus qu’avec un seul groupement tactique et des campagnes complètes avec trois ou quatre. Pour reprendre la formule du général de Gaulle, « l’épée de la France est bien courte », trop courte certainement.

 

                                                    

 

1 Christian P. Potholm, Winning at War, Rowman & Littlefield Publishers, 2010, p. 41.

2 Richard Simpkin, Race to the Swift, Potomac Books Inc, 1985.

3 Major William G. Stewart, « Interaction of Firepower, Mobility and Dispersion », Military Review, vol XL, n° 3, n° 12, march 1960.

4 Christian P. Potholm, Winning at War, Rowman & Littlefield Publishers, 2010, p. 169.

5 Bruce I. Gudmundsson, On Armor, chapitre 10 Breakthrough, Praeger, 2004.

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Titre : La révolution de la puissance de feu
Auteur(s) : Colonel (er) Michel GOYA
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Armée