Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

La conception du combat urbain par l'armée française de 1936 à 1996

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

Dans l’avenir, 80% des conflits auront pour cadre les villes. Si l'armée française n'a réfléchi que tardivement à la prise en compte du milieu urbain au sein de sa doctrine, M. Ronan Hill considère qu’il convient de corriger ce point de vue. Cette réflexion a bel et bien existé, d'abord théoriquement entre les années 1955 et 1970, puis physiquement dans les décennies 1980-1990.


Pour l'horizon 2040, la prévision communément admise est ue 80% des conflits auront pour cadre les villes. Si l'armée française n'a réfléchi que tardivement à la prise en compte du milieu urbain au sein de sa doctrine, cet intérêt s'est néanmoins concrétisé à la fin des années 1990 par la conception et la création du Centre d'entraînement en zone urbaine, le CENZUB. Dans ce cadre, toute unité en passe d'être déployée en opération doit être formée et évaluée à l'emploi des armes en zone urbaine pendant deux semaines. Ces enseignements constituent près d'un tiers des acquis nécessaires à la projection. Si l’acquisition et l’entretien de ces savoir-faire ne sont aujourd'hui plus à justifier, il est intéressant d'étudier la manière dont l'armée française a d’abord pris conscience de la nécessité d’acculturer ses unitésce milieu. Pendant longtemps, la guerre urbaine a été en grande partie occultée, même avec la présence de cas concrets nationaux et internationaux. Lorsque le terrain et les nouvelles formes de conflits ont imposé ce milieu à l’armée française, dans les années 1990, celle-ci a donc dû rattraper un retard considérable.

Cet article a un but bien déterminé: rééquilibrer le point de vue, trop répandu dans le corps des officiers de l'armée de Terre, selon lequel il n’y aurait jamais eu de doctrine française sur le combat urbain pendant la guerre froide. Pourtant, cette réflexion a bel et bien existé, d'abord théoriquement entre les années 1955 à 1970, puis physiquement dans les décennies 1980-1990.

 

Les premières remarques et les omissions volontaires d'après-guerre: l'émergence du syndrome NUWA

 

La première réflexion historique d'un officier de l'armée de Terre française sur un conflit urbain moderne revient au Général Duval suite à la guerre d'Espagne, et plus particulièrement à la bataille de Madrid. Dans son ouvrage «Les leçons de la guerre d’Espagne» il note qu'«une troupe, insurgée ou régulière, est perdue si elle se laisse enfermer dans un quartier de la ville. [...] Dans une rue une colonne de canons, de chars d’assaut, de mitrailleuses est à la merci de quelques douzaines de grenades lancées des fenêtres; il n’y a pour elle aucune réplique possible»[1]. C'est dans cet état d'esprit pessimiste que l'armée française aborde le conflit mondial à venir.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la confrontation armée en ville, dans un cadre symétrique ou insurrectionnel, n'a lieu que dans deux cas: soit lorsque qu’elle constitue l'objectif stratégique d’une armée conventionnelle – c'est le cas de Stalingrad ou de Berlin, respectivement en 1942-1943 et 1945 –, soit lorsque la population se soulève, créant un contexte insurrectionnel délicat pour l’armée d’occupation – c'est le cas de Paris en 1944 ou de Varsovie en 1945. Pour autant, ces conflits remettent parfois en question les notions établies de conflictualité symétrique et asymétrique. En effet, la libération de Paris, mettant à contribution Forces françaises de l'Intérieur, Forces françaises libres et simples civils, constitue-t-elle à proprement dit un conflit conventionnel? Et que dire de la bataille de Berlin, avec ses effectifs allemands composés à 70% du Volkssturm, civils sommairement habillés en soldats, hâtivement formés et mal équipés?[2]. Ce débat mériterait d’être ouvert.

Contextuellement, pour l’armée française, de la Grande Guerre à la Libération, la ville constitue un aléa dans la manœuvre et ne suscite pas de réflexions doctrinales. L'exemple le plus représentatif reste la réaction du président Paul Raynaud le 14 juin 1940, déclarant, après le contournement de la ligne Maginot, «ville ouverte» tout ensemble urbain de plus de 20.000 habitants[3]. Dans ce continuum, lors de la libération du territoire à partir de juin 1944, les Alliés éviteront soigneusement les ensembles urbains. Les dernières poches de résistance allemandes, la Rochelle, Lorient, Saint-Nazaire, etc. tombent après Berlin, et donnent leur reddition le 9 mai 1945.

Paradoxalement, les rares batailles urbaines de la Seconde Guerre mondiale ont, par leur violence, choqué. Sur la même période, la guerre a fait systématiquement plus de morts en ville qu’en rase campagne. La ville est alors considérée par les décideurs militaires comme le théâtre le plus stressant pour le combattant, où la majorité des contacts se produisent à moins de cent mètres, où la planimétrie tridimensionnelle (étages, rues et métros…) dilue la notion de front, facilite le contournement, la surprise et le piégeage. Par conséquent, la menace devient multidirectionnelle et la consommation de munitions élevée. Enfin, les échelons de commandement se réduisent du fait des distances de vues, mais également en raison de l'efficacité moindre des systèmes de communications radio. Cette somme de contraintes fait de la ville un terrain qui, après la bataille de Berlin, est volontairement «oublié» par les états-majors. La guerre est une affaire de manœuvres et d'unités à grande échelle. Malgré quelques singularités d’après-guerre en Asie, comme les combats français d'Hanoï (1946-1947) ou américains à Séoul (1950), la conception militaire de l'opération urbaine reste marginalisée.

C'est l'émergence d'une forme de syndrome incapacitant, que nous nommons le NUWA (No Urban War Anymore), qui gèle la doctrine d'emploi des forces en milieu urbain jusqu'aux années 1955-1960.

 

Les années 1955-1970: un intérêt limité par le contexte de la guerre

 

Avec l'émergence du risque soviétique à l'est, la doctrine militaire française se tourne majoritairement vers la gestion des grands ensembles d'appelés dans le cadre d'un possible conflit ouvert. Pour cause, le théâtre ouest-européen est composé majoritairement de vastes plaines facilitant le combat blindé et l'usage d'armements à longue portée. Il est entrecoupé de coupures humides, nécessitant entre autres des moyens de franchissement lourds déployés dans le cadre de véritables manœuvres interarmes. En conséquence, pour la France, les réflexions portent principalement sur ces sujets.

Cette période voit pourtant apparaître de nouvelles batailles urbaines, comme à Alger en 1957 ou à Hué en 1968. Ces confrontations invitent déjà certains cercles d'officiers à s'interroger sur l’usage de la violence et de la gestion des populations dans un cadre contre-insurrectionnel urbain[4]. C'est aussi à partir de ces affrontements que l'École supérieure de guerre (ESG) réfléchit à la pertinence d’unensertion de la ville dans la doctrine conventionnelle. Elle constituera le sujet de la «grande commission» de L’ESG en 1966 sous le nom de «Guérilla et contre-guérilla en milieu urbain»[5].

Sur le plan conventionnel et dans sa position défensive, la France ne juge la ville utile qu’à des fins de manœuvres d'arrêt ou de retardement. Celles-ci consistent, dans un premier temps, en l'évacuation du plus grand nombre de civils en amont des combats, puis par la canalisation sur quelques axes de circulation du premier échelon du Pacte et sa concentration sur des lignes d’arrêt aménagées. Pour ce faire, des unités du génie sont chargées au préalable de réduire les possibilités de traversées par l'écroulement contrôlé de bâtiments ou par des bouchons de mines. Enfin, l’emploi de l’arme nucléaire tactique est envisagée. Le tir nucléaire serait précédé d’une phase de blocage préalable par des unités réduites, compétentes et mobiles[6]. Il est à noter qu'à la fin des années 1960, les Soviétiques prennent pleinement conscience du maillage routier croissant en l’Europe de l’Ouest, dont les villes sont les points de convergence. Par conséquent, le Pacte sait que ses impératifs de rapidité l’obligeront à diriger ses axes d’effort à minima dans certaines périphéries urbaines[7]. Du déni, l'École de guerre se convainc peu à peu de l'importance de la maîtrise de ce milieu.

Une autre hypothèse de conflictualité en zone urbaine pour la France concerne Berlin. À partir de 1970, la prise du secteur occidental par le Pacte constitue le risque le plus probable de guerre limitée. Elle maintiendrait en effet les puissances nucléaires sous le seuil d’emploi de leurs armements de destruction massive. Les régiments prépositionnés à Berlin sont donc par nature dédiés au combat urbain. Les Français ont d'ailleurs à disposition un village de combat amélioré. Pour le secteur français, l’étude des plans de défense de Berlin prévus pendant la guerre froide montre l’évolution des comportements à adopter pour les unités en garnison, à savoir le 46ème bataillon d’infanterie[8] et le 11ème régiment de chasseurs[9]. La conduite à tenir en cas d’attaque est relativement passive. Elle recommande seulement la défense des points d’intérêt dans le quartier, c’est-à-dire les emprises régimentaires et les carrefours. Des points d’appui, contenant lance-roquettes et fusils mitrailleurs sont installés sur le pourtour du quartier régimentaire, et les compagnies mortier se positionnent sur les places d’armes, lieu le plus ouvert d’un régiment. Un plan de feu pour les armes à tir courbe est préalablement établi et les coordonnées de pointage des pièces pour tirer aux alentours sont déjà calculées. Les chars AMX 30 B2, quant à eux, restent curieusement cantonnés aux hangars.

Cette émergence d’un concept d’emploi en zone urbaine va évoluer vers la formalisation de la notion «d’action en zone urbaine» dans les années 1970, notamment suite aux opérations étrangères comme la bataille de Hué.

 

Des réflexions théoriques encourageantes et de plus en plus nombreuses à partir des années 1970

 

Si l'urbanisation croissante et les exemples opérationnels font progressivement prendre conscience que le combat en ville devient obligatoire, c'est aussi à partir des années 1970 que certains stagiaires de l'École de guerre réfléchissent sur les possibilités de prise en considération du milieu urbain par la doctrine et sur la nécessité de former les forces à ce type de combat. Il a été choisi ici quelques exemples d'allocutions et de travaux de l'ESG pour illustrer le propos. En parallèle, la diversification des missions de l'armée française, essentiellement en Afrique (dont l'évacuation de ressortissants, la sécurisation de zones, l’action humanitaire, etc.), l'amène à s'intéresser aussi au milieu urbanisé.

En 1974, chose exceptionnelle, la «grande commission» de l’ESG marque pour la première fois un intérêt particulier pour le combat urbain sur le théâtre centre européen. Dans son introduction, celle-ci imprime un élan et une orientation doctrinale aujourd’hui vérifiés dans les faits: «La manœuvre en rase campagne, à l'horizon 2000, ne peut être dissociée de celle en milieu urbain»[10]. Ces termes, aujourd’hui évidents, amènent à penser qu’à partir de 1974 le combat en ville est appelé à prendre une part prépondérante dans les réflexions tactiques et, à terme, s’inscrire dans la doctrine.

En 1977, suite aux conclusions de la commission de 1974, un tournant s'impose véritablement lorsque le Général de division A. Laurier, commandant l'École supérieure de guerre, avance qu'«en effet, à notre époque, même à l’ère nucléaire, il est non seulement raisonnable mais nécessaire de préparer nos troupes à affronter les combats dans les localités. (...) Tout affrontement entre des armées antagonistes en Europe englobera inéluctablement un grand nombre de villes, de villages et d'agglomérations. Il me paraît donc souhaitable, sinon indispensable, qu'un effort d'instruction soit consenti au niveau des unités, tant au niveau dans l'apprentissage que dans la maîtrise des procédés de combat relatifs à l'attaque et à la défense des localités. Cet effort d'instruction doit également s'inscrire sans le cadre de l'enseignement militaire supérieur. Les localités doivent être intégrées dans les thèmes de manœuvre, tant au niveau de la réflexion qu'au niveau de l'action théorique du temps de paix»[11]. Cette allocution ouvre une série de travaux sur le sujet (environ une fois tous les trois ans) par l'ESG et l’état-major des armées, notamment en 1977-1982[12], en 1985 et 1987. Auxquels s’ajoutent quelques manœuvres de grande ampleur, cependant exceptionnelles (DELLE 80[13]).

Enfin, en 1980, la nouvelle version du carnet d'infanterie contient un passage éclairant sur la meilleure prise en compte de ces sujets: «Il faut aujourd'hui compléter les orientations précédentes en insistant sur des formes de combat que nous ne maîtrisons que partiellement et que cependant nous aurions sans doute à mener lors d'un conflit armé. […] Le stade de l'engagement dans les seuls villages est dépassé. Ce qu'il convient de préparer, c'est le combat dans les villes ou leur périphérie, c'est à dire des surfaces étendues comportant de fortes densités de constructions, généralement favorables à la défense, et dans lesquelles le contrôle de points clés soigneusement déterminés demeure un gage essentiel de réussite»[14].

Il est intéressant de noter que ces réflexions se font également par le biais d’études et de rapports d’observation sur des interventions urbaines à l'étranger, comme l'opération Banner en Irlande du Nord par la British Army en 1969. Ces retour d’expérience (RETEX) seront renforcés par d’autres, notamment à Beyrouth en 1982.

Des mises en situation opérationnelles contraignant l'armée à une prise de conscience

 

Pour la France, la période entre 1982 et 1996 est le révélateuroncret de l'intérêt pour le milieu urbain[15]. Dans un premier temps, par l'opération «Paix en Galilée» au sud Liban, où les forces françaises de la FINUL suivent les innovations tactiques israéliennes et l’adaptation de l’emploi des armes dans la partie ouest de la capitale libanaise (utilisation d’obusiers en tir tendu, canon antiaérien, etc.)[16]. Puis, quatorze ans plus tard, ces observations sont renforcées par les RETEX du conflit en ex-Yougoslavie. L'armée française est alors directement engagée au sein de la ville.

Conclusion

 

Le combat urbain a donc fait l'objet en France de réflexions depuis le précédent conflit mondial. Si elles ont été, dans un premier temps, boudées par les armées à cause du traumatisme qu'elles ont créé dans les consciences militaires, elles reviennent entre les années 1960 à 1980, certes en second plan, dans les réflexions militaires par le biais «d'indices» opérationnels étrangers et nationaux. L'École supérieure de guerre considérera progressivement le fait urbain comme sujet de réflexion à part entière. Théoriquement d’abord, entre 1974 et 1980, puis à partir de 1982 avec l'opération «Paix en Galilée», qui marque un virage matériellement identifiable, dans la mesure où l'armée française est témoin des actions de Tsahal dans Beyrouth avant se retrouver dans des situations similairement complexes à Sarajevo en 1993.

Sarajevo, mais aussi Falloujah, Bagdad, Grosny, Bangui ou Mogadiscio, autant de noms de villes qui sont aujourd'hui les seuls faits de guerre à être précédés du mot de «bataille». Le terme est évocateur, car il montre bien finalement que le combat dans des espaces urbanisés reste chronologiquement délimitable et psychologiquement marquant pour les esprits, tant civils que militaires. La ville est ce lieu qui a modifié les doctrines militaires et le rôle des soldats, à tel point que depuis quarante ans, gagner la paix est synonyme d’opération urbaine. C’est dans ce contexte et avec ces leçons que l’Armée française, consciente du phénomène, entame réflexions et projets dans son processus doctrinal dans les années 2000.

 

[1] Général A. Duval, «Les leçons de la guerre d’Espagne», Plon, Paris, 1938.

[2] A. Beevor, «La chute de Berlin», Livre de Poche, Paris, 2004.

[3] J.-P. Guichard, «Paul Reynaud: un homme d'État dans la tourmente Septembre 1939-Juin 1940», L'Harmattan, Paris, 16 juin 2008.

[4] Chef de bataillon Delpit, Dossier Le phénomène urbain et la défense, Paris, 1967.

[5] Grande commission de l’ESG, Guérilla et contre-guérilla en milieu urbain, numéro 9, Paris, 1966.

[6] Bulletin de documentation du génie, numéro 29, collection privée Général (2S) R. Ancelin, octobre 1964.

[7] École interarmes du renseignement et des études linguistiques, L’ennemi attaque en zone urbanisée, collection privée Général (2S) R. Ancelin, octobre 1987.

[8] 46ème bataillon d’infanterie à partir du 11 janvier 1945 puis, en 1965, 46ème régiment d’infanterie.

[9] Carton 3U 281 2 et 3, Plan de défense et d’alerte centrale, secteur occidental, Berlin, Service historique de la défense, 1950.

[10] 86e promotion de l'Ecole supérieure de guerre, Rapport de la grande commission « combat en zone urbaine », Paris, 1974.

[11] Interview télévisée du général de division A. Laurier en juillet 1977 sur le combat de Killstett en janvier 1945, 22 minutes.

[12] Commandants COUSIN, GOURMENT et FIOLET, Cours d’histoire de la 91ème promotion de l’Ecole de guerre. La bataille et les combats de rues, Partie II, Pièce N21, Ecole supérieure de guerre, Paris, 1977-1982.

[13] L’exercice DELLE 80 est un exercice d’importance capitale, c’est le seul exercice physique en milieu urbain trouvé sur l’ensemble de la guerre froide. Dans la ville de Delle, à vingt kilomètres au sud de Belfort, il met en relation les 1er et 35ème régiments d’infanterie. Le 1er RI est chargé de boucler la ville, puis d’y exercer un raid multidirectionnel par l’ensemble des grands axes de circulation, le 35ème RI pratique simultanément un enveloppement vertical par hélicoptère des points d’importance de la ville.

[14] EMAT, Carnet d’infanterie sur le combat en zone urbanisée, Paris, 1980.

[15] F. Chamaud et P. Santoni, «L’ultime champ de bataille: combattre et vaincre en ville», Pierre de Taillac, Paris, 2016.

[16] Capitaine M. Raffray, CDEF/DREX, Le cèdre et le soldat, la présence militaire française au Liban entre 1978 et 1984, Cahiers de la réflexion doctrinale, Paris, 1984.

 

Monsieur Ronan HILL est étudiant en master II «sécurité et défense», Université de Panthéon-Assas

Séparateur
Titre : La conception du combat urbain par l'armée française de 1936 à 1996
Auteur(s) : Monsieur Ronan HILL
Séparateur


Armée