Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

Pertinence du système divisionnaire depuis Bourcet

Cahiers de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

Le système divisionnaire est progressivement né au XVIIIème siècle, résultat de la nécessité d’adapter la conduite de la guerre aux nouvelles ambitions stratégiques et aux problèmes logistiques des armées, nombreuses, de l’époque. Le fractionnement de l’armée en briques élémentaires autonomes divisionnaires a réellement transformé la manœuvre.

 


Alors que le modèle «Au contact!» réintroduit l’échelon division, mais que les effectifs sont sans commune mesure avec ceux des grands conflits passés, force est de constater, pour les auteurs de cet article, que la base du fractionnement reste désormais le GTIA. Cet échelon pourrait ne suivre que partiellement les principes à l’origine du système divisionnaire.

 

Alors que la division avait été abandonnée par l’armée de Terre française en 1999, le modèle «Au contact!» restaure cet échelon pour rendre une cohérence d’ensemble à la structure de commandement. Ce choix peut sembler surprenant. En effet, les ressources financières étant très comptées et le format des armées semblant stabilisé à moyen terme, la création d’un échelon destiné dans le passé à assurer le commandement de masses de manœuvre très supérieures à ce que nous connaissons pose la question de son utilité réelle.

Pour apporter des éléments de compréhension, il est intéressant de revenir à l’origine des divisions: la création d’un système divisionnaire. Ce système divisionnaire consiste à fractionner l’armée en plusieurs modules interarmes autonomes, capables de mener des opérations seuls, mais soutenus en permanence par les autres éléments situés à une distance suffisante pour appuyer dans un temps inferieur aux capacités de résistance de l’un de ces modules. Depuis le corps d’armée napoléonien jusqu’au groupement tactique interarmes (GTIA) actuel, la seule adaptation du principe a consisté à définir cette brique de base, sa constitution et son temps de «résistance».

Plus que l’analyse de la pertinence de la création d’un niveau de commandement tactique supérieur aux brigades, c’est bien l’analyse de la pertinence du système divisionnaire qui sera l’objet de cette étude. En d’autres termes, la question qui se pose est celle de la pertinence du fractionnement des troupes, au vu notamment des engagements contemporains de la France sur les théâtres d’opérations extérieures.

Le système divisionnaire au sens de fractionnement des troupes en opérations conserve toute sa pertinence théorique malgré une application imparfaite. Il doit être décliné à d’autres échelles que celle du corps d’armée à l’origine du système divisionnaire.

Dès sa création, le système divisionnaire a été adopté pour répondre à des difficultés dans la conduite de la guerre. Solution aux problèmes logistiques comme à ceux de commandement du XVIIIème siècle, le fractionnement de l’armée est un principe non remis en cause. Nous verrons par la suite que de nos jours, l’apparition de conflits où sont engagées des brigades seules entraîne une évolution du concept de système divisionnaire. Le fractionnement de l’armée ne se faisant plus à l’échelle de la division d’environ 40.000 hommes, mais de la brigade à 4.000 hommes, voire à celle du GTIA, les fondements du système divisionnaire sont partiellement fragilisés.

 

*

*   *

 

Le système divisionnaire: conséquence et origine d’un changement de l’art de la guerre

 

Le système divisionnaire qui voit le jour au XVIIIème siècle est le fruit de plusieurs facteurs différents ayant demandé une adaptation majeure de la manière de conduire une armée. La modification des objectifs de guerre, l’augmentation considérable des effectifs des armées et les problèmes logistiques qui en ont découlé ont en effet nécessité d’instaurer un fractionnement des troupes.

 

  • L’art de la guerre au XVIIIème siècle: le développement d’une nouvelle pensée militaire

L’apparition du système divisionnaire ne s’est pas faite d’un seul mouvement. Elle a été la conséquence tant de nécessités logistiques que de l’évolution de la pensée militaire au XVIIIème siècle. Ce siècle a été marqué par deux types de réflexions: comment surmonter le blocage tactique de l’ordre mince et comment rendre une armée manœuvrable à grande échelle.

Si le débat sur les limites de l’ordre mince n’a pas débouché sur l’adoption du système divisionnaire, il a néanmoins été à l’origine d’une intense réflexion qui aura amorcé une ébauche de fractionnement des armées.

Le blocage tactique est principalement dû à l’ordre mince, et vient notamment de la puissance de feu des nouvelles armes de l’époque. En 1745, la bataille de Fontenoy marqua l’avènement de la puissance de feu sur les champs de bataille. Alors que la cavalerie, notamment française, régnait en maître depuis la victoire sur les tercios espagnols à Rocroi en 1643, le rôle des armes à poudre a figé pour un temps certain l’art de la guerre des XVIIème et XVIIIème siècles.

L’art de la guerre au début du XVIIIème siècle et le blocage tactique ont été définitivement scellés avec l’adoption de formations permettant le feu continu. Lors de la préparation d’une éventuelle guerre (camp de Douzy, 1727, Meuse, Bombelles) contre Charles VI, l’organisation de camps[1] en 1727 a permis à l’armée mise sur pied de guerre au printemps de s’entraîner pendant l’été et l’automne, et au comte de Belle-Isle d’expérimenter quelques manœuvres originales. Lors d’un exercice de défense du village de Mairy, une formation sur quatre lignes qui tirent successivement en continu est expérimentée par Henri-François, comte de Bombelles, et permet de remporter une large victoire[2].

En somme, l’arrivée du mousquet sur le champ de bataille et ses améliorations successives (allègement et cadence de tir) rendent la disposition traditionnelle des troupes en carré moins efficace. Afin d’opposer à l’ennemi un feu continu, les rangs diminuent, passant de 16 à 3 au profit de lignes permettant aux derniers rangs de faire feu et de profiter de la puissance de ces armes. Cet ordre mince transforme néanmoins les conflits en guerre d’usure. En effet, comme le souligne le Maréchal de Saxe dans ses «Rêveries», les armées ne disposent plus de la force de choc permettant de rompre les lignes. Par ailleurs, les lignes perdant facilement leur cohésion, le seul mouvement ordonné envisageable est la marche en avant. Les combats de Fréderic II en Silésie illustrent parfaitement ce blocage tactique. Les deux armées s’étant formées en lignes parallèles classiques (infanterie au centre, cavalerie sur les ailes), la doctrine de la puissance de feu incite les Prussiens à avancer lentement et à attendre que l’ennemi finisse par perdre sa cohésion ou son moral. L’attrition due à une telle tactique est faible, mais l’exploitation est impossible, le vainqueur sortant trop désorganisé.

Pour répondre aux limites de l’ordre mince, une intense réflexion théorique cherche à trouver une solution pour retrouver une force de choc, pour résister au choc ennemi et pour maintenir un commandement à vue impossible en présence de lignes de soldats. Ainsi, le Chevalier de Folard préconisera de constituer des colonnes profondes pour retrouver une force d’impact. Le Maréchal de Saxe critiquera fortement l’idée que les colonnes suffiraient à donner une force suffisante par un simple principe physique, celle-ci ne valant que pour trois rangs capables de se soutenir, le reste de la colonne perdant son effet en raison de l’espace entre les soldats. En revanche, il développe l’idée de constituer des colonnes opérant en vagues de trois rangs, permettant ainsi de concentrer les efforts en un point, de faciliter la manœuvre et d’obtenir un fort effet psychologique sur l’ennemi.

Le duc de Broglie s’inspirera de ces colonnes, mais les rendra indépendantes afin de simplifier les ordres et accélérer le mouvement pour prendre un ordre de bataille. Comme le confirmera le Maréchal de Saxe, «Les divisions ont pour objet principal de simplifier les ordres de marche et de faciliter […] les mouvements par lesquels l’armée peut prendre un ordre de bataille »[3].

Les prémisses du système divisionnaire étaient posées. Si l’idée du fractionnement ne vient pas des tentatives pour surmonter les limites de l’ordre mince, l’articulation en colonnes indépendantes en jettera les bases. Il est cependant à noter que dans ces réflexions, l’armée est toujours considérée comme un tout, les modules ne devant servir qu’à faciliter la mise en ordre de bataille, à l’image des armées de Frédéric II.

Le système divisionnaire «moderne» viendra du Lieutenant-général Pierre Joseph de Bourcet qui préconisera de fractionner l’armée en éléments constituant un tout. En s’appuyant sur son expérience du combat en montagne et sur les limites de déploiement imposées par ce milieu, il imagine des modules qui pourraient opérer séparément les uns des autres tout en restant en permanence en liaison, mais également coopérer à la conquête d’un objectif commun. Ainsi, il ne s’agit plus d’agir sur un champ de bataille unique, mais bien en plusieurs endroits à la fois, la condition à respecter étant que chaque élément puisse pouvoir être appuyé par les autres en un temps limité.

 

  • Le système divisionnaire, réponse tactique à l’évolution politique de la guerre, ou le glissement du mouvement vers la manœuvre

Le consensus sur la conduite de la guerre au début du XVIIIème siècle, dicté tant par la situation politique que par l’évolution de la puissance de feu sur le champ de bataille, marque fortement la conduite de la guerre. Celle-ci a des ambitions modérées et se limite donc à des objectifs territoriaux. Le droit à l’existence de l’ennemi est reconnu, son anéantissement n’étant pas un objectif des différentes campagnes. Par ailleurs, les conflits se font par consentement mutuel, sans les civils. Il en résulte ainsi des batailles de frontières, marquées par des combats d’usure autour de places fortes difficiles à faire tomber. 

La fin du XVIIIème siècle verra émerger une conception totalement différente de la guerre. Cette dernière, pour satisfaire aux pulsions hégémoniques qui se font jour en Europe, est clairement inscrite dans une finalité politique dont les fins sont quasi-absolues. Ainsi, les buts militaires deviennent non limités et visent, non plus de faibles gains territoriaux, mais un véritable anéantissement des forces armées adverses, notamment grâce à la recherche de la victoire décisive. L’idée forte des années 1743-1758 est que la bataille décisive est l’instrument principal de la stratégie. Fréderic II l’énonçait ainsi: «Les batailles décident du sort des États. Lorsqu’on fait la guerre, il faut bien en venir à des moments décisifs, ou pour se tirer d’embarras, ou pour y mettre votre ennemi, ou pour terminer des querelles qui n’en finiraient jamais»[4].

Le format des armées au début du XVIIIème siècle ne correspondait pas à cette ambition stratégique. Le progrès des réflexions théoriques et la naissance du système divisionnaire ont permis d’envisager une autre manière de conduire les campagnes. Il s’agit en quelque sorte d’un glissement du mouvement vers la manœuvre. En effet, les batailles consistaient auparavant en un déplacement vers des positions favorables, le déploiement en ordre de bataille, puis le combat. Si une plus grande fluidité et une capacité d’adaptation étaient recherchées en permanence pour pouvoir surprendre l’ennemi, il n’était pas envisagé d’action de grande ampleur à l’échelle d’un pays. La création de la division a permis de penser l’amont du champ de bataille. Le déplacement de l’armée en colonnes autonomes a introduit une véritable capacité de manœuvre permettant de définir des objectifs bien au-delà d’une séquence mouvement-déploiement-affrontement.

Il faudra néanmoins attendre Napoléon et la création du corps d’armée pour que l’idée de poursuite soit à nouveau envisagée. Grâce à ce nouvel échelon, il peut répondre à deux impératifs majeurs: la capacité de se concentrer sur un point pour mener la bataille décisive et la conservation d’une force autonome suffisante, capable de contenir une seconde armée coalisée pendant une journée[5]. Utilisé en 1800, il devient la base du système napoléonien en 1803. Chaque corps d’armée comprend un état-major, deux ou trois divisions d’infanterie avec leur artillerie, une division ou une brigade de cavalerie légère et du train. Il s’agit donc d’une véritable armée en réduction qui réunit les trois armes et permet une autonomie et une indépendance plus grandes que pour les armées «monolithiques».

Répondant à l’évolution des objectifs des guerres en Europe au XVIIIème siècle, le système divisionnaire s‘est développé jusqu’à la création du corps d’armée. Il a permis de gagner une réelle capacité de manœuvre sur des zones étendues par la possibilité de couvrir un terrain important et de disposer en tout point de troupes capables de mener une action interarmes isolée en attendant le soutien du reste de l’armée, tout en gardant une capacité de concentration aux points identifiés comme décisifs.

 

  • Le système divisionnaire, réponse logistique à la transformation des armées, ou l’évolution de la conduite de la guerre 

La pertinence du système divisionnaire peut s’évaluer par l’évolution stratégique de la guerre, mais aussi par ses effets sur la logistique.

Comme nous l’avons vu précédemment, la guerre au XVIIème et au début du XVIIIème siècle était une guerre de frontières aux objectifs territoriaux limités, et s’articulait principalement sur la prise de forteresses. Le Maréchal de Saxe y a vu l’origine de la transformation du format des armées. En effet, la guerre de siège demandait une augmentation du nombre de fantassins, et a débouché sur le développement d’une infanterie nationale, à l’image de celle existant en Espagne ou en Suède. Ainsi, Gustave II Adolphe avait constitué une troupe nationale d'une remarquable homogénéité qu’animaient le patriotisme et la ferveur luthérienne.

La France suivra le même mouvement: l'arrivée de Louis XIV au pouvoir renforce la création d’une armée française moderne. Des hommes comme Louvois, Le Tellier, Vauban, Turenne, Condé et Colbert vont créer et commander une formidable machine de guerre. Le règne de Louis XIV verra une croissance exponentielle des effectifs de l’armée: alors que l’armée régulière compte entre 40.000 et 70.000 hommes après les licenciements suivant le traité des Pyrénées, ce chiffre passera à 120.000 hommes en 1672 et jusqu’à 200.000 hommes en 1680, soit une multiplication par cinq des effectifs entre 1660 et 1680[6]. Lors de la guerre de la ligue d’Augsbourg, l’armée royale comptera 350.000 hommes.

La lutte pour la survie impliquée par la nouvelle manière de conduire la guerre au XVIIIème siècle va contribuer à augmenter toujours plus le nombre de soldats.

Ce changement de format des armées et le déploiement en lignes de trois rangs va créer de gros problèmes de logistique et de déploiement. En effet, le volume de soldats se déplaçant crée une congestion des routes défavorable à un déploiement rapide et efficace. Le passage d’une formation de déplacement à une formation de combat devient excessivement difficile, ce qui n’est pas sans rapport d’ailleurs avec le blocage tactique de l’époque. Le passage des formations de marche en colonne aux formations de combat en ligne était si lent et complexe qu’il interdisait tout effet de surprise et subordonnait la bataille à l’accord des belligérants[7]. Un des facteurs expliquant la réussite de Frédéric est bien sa capacité à passer d’un dispositif de déplacement à l’ordre de bataille, puis dans cet ordre de bataille d’un dispositif en ordre mince à profond sans désorganisation. La guerre de succession d’Autriche illustrera parfaitement ces progrès.

L’instauration du système divisionnaire et son perfectionnement ultérieur par Napoléon ont permis de résoudre le problème logistique de la marche à l’ennemi en permettant de progresser sur plusieurs axes bien différenciés. La seconde campagne d’Italie, et notamment le franchissement des Alpes, a illustré les avantages du système divisionnaire.

 

*

*   *

 

Le système divisionnaire, dont l’émergence s’est faite progressivement tant par l’évolution de la théorie que par l’expérience des champs de bataille, s’est révélé la seule solution pertinente aux défis posés par l’évolution de la guerre au XVIIIème siècle. Il a permis notamment d’apporter une réponse à l’inefficacité (relative) de l’ordre mince, aux problèmes logistiques dans le déploiement de masses énormes de soldats, à l’absence de capacité d’exploitation «opérative» des victoires tactiques et aux difficultés de coordination des différentes armes.

Ainsi, le système divisionnaire possède les avantages suivants:

  • Capacité de manœuvrer à l’échelle du théâtre d’opération pour exploiter toute victoire tactique (manœuvre sur les arrières, combat en position centrale);
  • Capacité de concentrer facilement et rapidement en un point un volume de force important grâce à plusieurs axes de progression bien différenciés;
  • Capacité de résistance minimale d’un détachement par la possession de tout l’éventail des capacités interarmes dans chaque module;
  • Capacité de chaque détachement à venir en soutien de ses voisins;
  • Capacité de commandement à vue facilitée et subsidiarité renforcée.

 

*

*   *

 

Le système divisionnaire: concept évolutif ou concept obsolète?

 

Depuis Bourcet et Guibert, la situation géopolitique a évolué tout comme les effectifs et l'armement des armées. Face à la réduction du nombre de soldats et l’augmentation de la portée des armes, le principe divisionnaire nécessite d’être adapté. C’est pourquoi nous expliquerons ce qu'est la division d'aujourd'hui. Cela mettra en lumière les différences avec le système divisionnaire d'autrefois qui, bien que gardant les mêmes principes, s'envisage à une échelle différente dans le cadre des engagements actuels. Nous analyserons notamment dans quelle mesure le GTIA serait devenu la brique élémentaire du système divisionnaire.

 

  • La division française au XXIème siècle: pion de manœuvre ou armée à elle seule?

Au cours des 40 dernières années, l’armée de Terre a connu un mouvement de balancier quant à l’adoption de l’échelon divisionnaire. Parmi les enseignements majeurs des opérations françaises de 1978 à 1991[8], il est souligné que l'organisation de l'époque est encore «verticale (armée, corps d'armée, division et régiment) et repose largement sur le système divisionnaire». En revanche, la physionomie des opérations entre 1991 et 2015 et la professionnalisation de 1995 (amorçant la contraction des effectifs) entraînent notamment le renoncement au système divisionnaire au bénéfice d'un retour aux brigades. En 2016, la disparition des états-majors de force (EMF) et le retour à une organisation de nouveau plus verticale signe le retour de la division.

Dans la doctrine, la division «générique» est une grande unité interarmes capable de mener simultanément des actions de types différents, au contact, dans la profondeur, sur les arrières ou dans toute sa zone de responsabilité dans le cas de la phase de stabilisation[9]. Si la division n’a pas fondamentalement changé, sa constitution est aujourd’hui spécifique à chaque engagement (processus de génération de force), quel que soit le type de force déployée: division «classique» ou division formant Land Composant Command (LCC). Moins que son volume, ce qui la caractérise aujourd’hui est sa capacité à être le 1er échelon pouvant mettre en œuvre la quasi-totalité des fonctions opérationnelles (la brigade ne bénéficie par exemple pas de l’ensemble des appuis feux). En ce sens, le retour de la division «Au contact» renoue avec le principe d’autonomie de la division de Bourcet.

Le principe divisionnaire reste donc étroitement lié à l'énoncé qu'en a fait Guibert. Il est un concept directeur de l’organisation des forces basé initialement sur quelques notions majeures qui sont des constantes depuis le XVIIIème siècle et la création du système divisionnaire, puisqu'on y retrouve la combinaison interarmes de Maurice de Saxe (qui s'est toutefois nettement complexifiée en passant du triptyque infanterie-cavalerie-artillerie à un combat auquel se sont notamment ajoutés la 3ème dimension et le concept de manœuvre aéroterrestre) et l'autonomie logistique de Bourcet (la division est le premier échelon de conception logistique tandis que la brigade effectue du suivi et de l’exécution).

Un cas particulier à l’application de ces principes est le fait que la division organique n’est pas autonome en métropole puisque les renforts de l'aviation légère de l'armée de Terre (ALAT) et son autonomie logistique ne lui appartiennent qu’en opérations.

En revanche, ces constantes sont à mettre en perspective avec des changements majeurs dans la doctrine d'aujourd'hui. En effet, la division peut dorénavant être engagée dans un cadre multinational. Il ne s'agit plus de fragmenter une grande unité pour la rendre plus manœuvrable comme au XVIIIème siècle, mais il s'agit bien d'agréger de «petites» unités pour en former une grande. Le poste de commandement (PC) division sera alors amené à conduire les opérations d’une division de classe OTAN classique au sein d’un corps d’armée (CRR-FR, corps européen ou coalition ad hoc) ou d’une division représentant le niveau LCC aux ordres d’un niveau supérieur.

Alors qu'elle était la fraction de base d’une armée nationale dans les conflits passés, la division française est désormais prévue pour manœuvrer au sein d'une armée multinationale, mais surtout est potentiellement une armée à elle seule avec des composantes ad hoc.

Mais du fait des différences entre batailles de l'époque napoléonienne et opérations extérieures d'aujourd'hui, n'est-ce pas utopique d'envisager qu’une armée si réduite mène une offensive en appliquant le principe divisionnaire?

 

  • Le système divisionnaire dans les engagements contemporains

Capacité à manœuvrer, à exploiter, à se concentrer en un point, capacité de résistance minimale d’un détachement…: quelle place et quelle pertinence pour tous ces avantages du système divisionnaire dans nos engagements actuels? Après avoir analysé la nature des engagements contemporains, le système divisionnaire sera étudié dans le cadre des trois hypothèses d’engagement du contrat opérationnel de l’armée de Terre.

Depuis une quinzaine d’année, la France est engagée dans des combats asymétriques face à des «insurgés» en nombre limité, et les textes indiquent que «les conflits symétriques sont improbables pour les décennies à venir»[10], même s’ils n’ont jamais été écartés par les livres blancs successifs. La notion de bataille décisive voire simplement de bataille paraît reléguée au second plan. L'engagement militaire «napoléonien» de vive force ne permet plus à lui-seul de gagner les guerres; on parle aujourd'hui de manœuvre globale où s'entremêlent politique, tactique, humanitaire… Les dispositifs linéaires ont disparu, les concentrations sont limitées, le front tend à laisser la place aux espaces lacunaires, la précision des systèmes d’armes et les performances des systèmes d’information et de communication permettant un élargissement des intervalles et un étalement plus important des unités. Depuis la Seconde Guerre mondiale, nous avons progressivement assisté à un changement d'échelle dans tous les domaines. À Austerlitz, ce furent 160.000 soldats engagés dans une bataille d’une demi-douzaine d’heures. À Verdun, ce furent plus de 700.000 morts dans une bataille qui dura dix mois. En comparaison, les opérations actuelles se font à l’échelle de deux GTIA, soit environ 2.000 hommes. Alors que le système divisionnaire et sa brique de base – la division – ont été conçus pour faciliter les déplacements d'une armée de masse qui devait ensuite se réunir pour mener bataille face à un ennemi conventionnel, l’échelle des engagements actuels remet en question cette organisation, si ce n’est ses principes.

Pour autant, les menaces conventionnelles existent toujours et le livre blanc de 2014 fixe le contrat opérationnel de nos armées en fonction de menaces identifiées. Quelle place le système divisionnaire a-t-il dans le cadre des trois hypothèses d'engagement (HE) retenues et d'un format d'armée de terre réduit à 100.000 hommes?

 

  • HE1: cette hypothèse d’engagement est la situation opérationnelle de référence (SOR), soit: armer l’échelon national d’urgence (ENU) et le reconstituer, assurer les missions de dissuasion, protection et prévention ainsi que la gestion de crise (deux à trois théâtres, 6.000 à 7.000 hommes).

Cette situation opérationnelle de référence ne prévoit pas l'engagement d'une division. Il se traduit par exemple par un engagement maximum à Barkhane de 3.500 hommes sur le terrain (en 2010, 4.000 hommes en Afghanistan) soit trois GTIA. Face à de tels effectifs, le système divisionnaire n’a que peu de sens. Si le fractionnement reste un principe d’organisation avec une brique de base de niveau GTIA qui possède une capacité de résistance minimale, ces engagements ne semblent pas profiter de certains avantages qu’offre le système divisionnaire de Bourcet. En effet, les systèmes de communications modernes ne favorisent pas la subsidiarité – voire tendent à l'effet inverse –, et les élongations n'offrent pas une capacité de regroupement permettant le soutien d'une unité voisine dans des délais limités.

 

  • HE 2: hypothèse d’engagement en urgence dans le domaine de la protection (HE-PROT). Outre la SOR, elle comprend le renforcement du territoire national sur lequel l’armée de Terre doit pouvoir déployer jusqu’à 10.000 soldats (TN 10.000), et le renforcement de la posture permanente de sécurité et de la dissuasion (TN + DOM COM).

C’est cette hypothèse d’engagement qui a été appliquée par les armées suite aux attentats de janvier 2015. Cette hypothèse est sans doute celle qui est la plus éloignée d'un système divisionnaire: l’absence d'engagement interarmes et un dispositif statique en soutien des forces de sécurité intérieures limitant son autonomie remettent complétement en cause les principes fondamentaux du système divisionnaire.

  • HE 3: cette hypothèse d’engagement majeur en intervention (HE-INTER), outre les missions réalisées dans le cadre de la HE-PROT et moyennant quelques mutualisations d’équipements «échantillonaires», prévoit un engagement en coalition dans un délai de six mois et pour un engagement intensif de six mois, avec un volume de forces de deux brigades ainsi que des moyens de commandement et de soutien associés (jusqu’à 21.000 hommes) afin d’honorer l’exigence d’être nation-cadre.

Cette dernière hypothèse, la plus dimensionnante, prévoit certes l'engagement d'un PC divisionnaire, mais de seulement deux brigades françaises. Rappelons que le premier livre blanc de 1972, écrit au cœur d'une politique basée sur la dissuasion nucléaire, prévoyait encore de mener un combat «résolu et efficace» grâce à la 1ère Armée, désignée parfois sous l'appellation de «corps de bataille», comprenant cinq divisions à trois brigades dont deux mécanisées. C'est lors de l'opération DAGUET que la France a engagé l'équivalent d'une division pour la dernière fois, en flanc-garde de l'offensive. Toutefois, le RETEX démontre que même si ce fut un engagement réussi et le plus important en volume depuis l'Algérie, il montra les limites du modèle tant les difficultés à constituer la division furent nombreuses. Si la manœuvre divisionnaire existe toujours, elle n'est plus à l'échelle nationale, mais multinationale. Par ailleurs, que ce soit lors de ce type d'opération ou lors de coalition de l'OTAN, chaque nation dispose d'une zone et d'une mission propre plus qu'elle ne s'inscrit dans une manœuvre globale. Outre les problématiques d'interopérabilité, la coopération se heurte généralement à des impératifs politiques différents[11] qui empêchent toute réelle manœuvre d'ensemble et donc de «principe divisionnaire multinational». C'était d'ailleurs déjà le cas lors de la Seconde Guerre mondiale, où les alliés eurent des difficultés de coordination. Dans l’hypothèse d’un engagement majeur, le système divisionnaire à grande échelle semble donc avoir vécu, sa brique de base étant particulièrement difficile à générer, et la manœuvre des divisions étant soumise aux contingences nationales.

La division française est devenue synonyme d'armée, et l'usage le plus courant que l'on en a est sans doute plus lié à un niveau de PC (niveau 2) qui planifie, conduit et soutient la manœuvre interarmes, qu'à une unité de 15.000 hommes. Les enseignements majeurs de la période 2007-2015 soulignent que l'armée de Terre repose sur des structures de commandement et des brigades. À ce titre, le niveau 2 est le premier niveau de manœuvre complet, et ce quel que soit le volume de forces engagé[12].

En définitive, la France n'a plus les moyens et/ou l'ambition d'une armée pouvant manœuvrer à plusieurs divisions (1994: neuf divisions; 2015: deux divisions). Mais en a-t-elle besoin? Le changement d'échelle dans les engagements contemporains tendrait à montrer que ce n'est pas nécessaire, le GTIA jouant le rôle de brique élémentaire tenu dans le passé par la division.

 

  • Le GTIA : adaptation du système divisionnaire aux conflits d'aujourd'hui?

Le système divisionnaire repose à l’origine sur le fractionnement d’une armée. Si la brique de base «division» a perdu sa pertinence pour des raisons d’évolution de la conduite de la guerre comme de budgets restreints, le RETEX a confirmé la nécessité de structures plus modulaires. L'art des opérations n'est in fine possible que par le fractionnement. Hier, la division était la plus petite partie de l'armée capable de livrer bataille. Dorénavant, le GTIA est sans doute le seul réel pion de manœuvre que peut s'offrir la France. Il est donc pertinent de s'intéresser à sa doctrine et de la comparer aux principes divisionnaires avant de s'intéresser au GTIA de demain, le GTIA Scorpion.

Aujourd'hui, le GTIA est le module de base d'emploi tactique[13]. S'inscrit-il dans la logique du principe divisionnaire énoncé par Guibert? S'il existe quelques critères pérennes, il y a des différences fondamentales entre l'emploi d'un GTIA en 2015 et d'une division au XVIIIème siècle.

Les principes de base respectent la doctrine du système divisionnaire. Tout d'abord, le GTIA a bien une vocation interarmes, seule combinaison permettant de conduire des opérations tactiques dans leur globalité en combinant les feux au mouvement. De plus, il dispose d'une grande autonomie en termes de soutien. Il est le niveau le plus bas des forces terrestres disposant d'une autonomie logistique assurant à ses unités la capacité de conduire une action sans recomplètements majeurs. Enfin, le principe de soutien mutuel est maintenu, même si l’ancien adage de «réunion à pied» s'efface au profit d'impératifs de liaisons radio et de soutien sanitaire. Si un chef militaire n'eût autrefois pas accepté de placer une division à plus de trois heures de marche pour des raisons tactiques, un COMMANFOR n'accepterait pas aujourd'hui d'envoyer une unité sans liaison radio permanente et surtout sans évacuation sanitaire possible dans des délais raisonnables.

Toutefois, l’application de ces principes diverge des fondements du système divisionnaire.

  • Si, au XVIIIème siècle, l’autonomie existait au niveau division et visait à permettre à une unité plus petite de se nourrir plus aisément dans une zone donnée, le soutien correspond aujourd'hui à une chaîne logistique complexe de la métropole jusqu'à la «ligne de contact». L’autonomie logistique assurée n’est donc que minimale et n’a que peu à voir avec une réelle capacité à manœuvrer seul sans recomplètements.
  • Par ailleurs, le GTIA est devenu une simple unité de circonstance «taillée» pour les besoins d'une opération donnée. Si la combinaison interarmes est effective, il ne possède cependant pas l’ensemble des capacités d’une armée au combat, à la différence du système divisionnaire des origines. Il dépend en effet d’appuis feux artillerie encore centralisés au niveau brigade ainsi que des appuis aériens dépendant du niveau supérieur.
  • Enfin, le GTIA n’est analysé qu’au vu des engagements récents face à un ennemi asymétrique, voire fortement dissymétrique. Face à un ennemi conventionnel, il pourrait s’avérer que le pion GTIA soit trop restreint.

 

Si l'efficience du GTIA de circonstance face à un ennemi asymétrique n'est plus à démontrer, le GTIA Scorpion pourrait-il apporter la force nécessaire pour assurer la pérennité des principes divisionnaires face à un ennemi plus nombreux? 

D’après les premiers documents de doctrine, le GTIA-S s'articulera en quatre échelons tactiques: C2, échelon de découverte, échelon d’assaut et échelon logistique. Fort de sa technologie, son objectif premier est la renonciation rapide de l'ennemi à ses objectifs initiaux et à sa planification, résultant de son effondrement systémique. Mieux renseigné sur les contours de l'ennemi et maîtrisant en temps réel son propre dispositif, il cherche l'obtention d'un effet de fulgurance et d'ubiquité dans le déploiement successif de ses échelons de combat, concentrant dans la profondeur, de manière brutale et quasi simultanée, ses effets sur les points d'articulation de l'adversaire. La capacité à contraindre rapidement la volonté et l'aptitude à poursuivre le combat chez l'adversaire représente un enjeu politique majeur.

Si les travaux préparatoires de doctrine envisagent un ennemi asymétrique, mais également un ennemi symétrique, ils semblent pour l’instant s’être axés sur un GTIA unique, pion de manœuvre isolé qui ne s'inscrirait pas dans une manœuvre d'ensemble avec trois ou quatre GTIA. Avant de pouvoir formuler un avis sur la pertinence du système divisionnaire appliqué au GTIA-S, il est indispensable d’attendre une doctrine officielle complète.

Si cette capacité à combattre seul, sa composition interarmes et son échelon logistique lui donnent toutes les caractéristiques lui permettant de s'inscrire dans le système divisionnaire, il est à craindre que la brique élémentaire du système soit trop petite pour assurer une manœuvre réellement coordonnée.

 

*

*   *

 

En 1945, Winston Churchill, demandant à Staline de respecter les libertés religieuses en Europe centrale occupée par l'Armée rouge, recevait en retour la réponse suivante: «Le Pape, combien de divisions?». Aujourd'hui, face à un changement d'échelle évident, une réponse appropriée aurait sans doute été: «Combien de GTIA» opérationnels pour la France? La France est l'une des seules armées disposant encore de moyens sur l'ensemble du spectre capacitaire. Cet avantage lui permet de planifier des engagements en autonome et une manœuvre d'ensemble du type envisagé par le système divisionnaire. Si la réapparition des divisions réintroduit la capacité à conduire des opérations à grande échelle, elle n'est plus le module de base tactique, mais bien le niveau de commandement de notre armée. La manœuvre s’envisage désormais à l'échelle du GTIA-S comme pion de base du fractionnement d’une armée.

La manœuvre reste au cœur des préoccupations tactiques, mais, depuis l’opération Daguet aucun engagement ne justifie une manœuvre divisionnaire. La France ne s'engage qu'à hauteur d'une brigade, et la division ne garde de sens que dans le cadre d'un niveau de PC. Les engagements asymétriques ne permettent pas d'étudier la pertinence du système divisionnaire de Bourcet à l’échelle d’une manœuvre coordonnée de niveau division ou corps d’armée. Si la nécessité de fractionnement paraît toujours évidente, il est à craindre que les élongations entre unités acceptées au Mali soient déraisonnables sur un théâtre non désertique. Par ailleurs, face à un ennemi conventionnel, les principes directeurs du GTIA Scorpion, visant une manœuvre concentrée sur un objectif très précis, permettront-t-ils réellement de s’adapter aux frictions de la guerre? Rien n’est moins sûr.

 

______________

 

Saint-cyrien de la promotion «Général Vanbremeersch», le Chef d’escadron PIUSSAN a servi aux 12ème et 1er régiments d’artillerie, où il a commandé une batterie de tir LRU. Il a été projeté deux fois en opérations ainsi qu’au Gabon, et a servi deux ans comme chef de section à l’EMIA. À l’issue de son temps de commandement, il a rejoint l’état-major de la 1ère brigade logistique. Il est actuellement stagiaire à l’École de guerre.

 

Saint-cyrien de la promotion «Général Vanbremeersch» (2001-2004), le Commandant GALLAND a servi au 12ème régiment d'artillerie en tant que chef de section maintenance LRM avant d'être officier adjoint puis commandant d'unité de la batterie de maintenance HAWK au 402ème régiment d'artillerie. Projeté en 2007 en Bosnie, il y exerce les fonctions de chef de cabinet du REPFRANCE. Officier gestionnaire approvisionnement des parcs blindés entre 2012 et 2015 à la SIMMT, il est ensuite admis à l'EMS2 et est actuellement stagiaire à l’École de guerre.

 

_____________________

 

[1] Jean Chagniot, Les camps de 1727 en Lorraine sous le comte de Belle-Isle, compte-rendu de colloques sur les camps de manœuvre de Compiègne et Verberie, pp. 65-68

[2] Henri-François comte de Bombelles , «Traité des Evolutions militaires», J.-T. Herissant, 1754.

[3] Maurice de Saxe, «Mes rêveries», Paris, Économica, 2002, p153.

[4] http://new-wab.forumactif.org/t253-l-art-de-la-guerre-de-frederic-ii-le-grand

[5] Pour une description plus détaillée de l’adoption du corps d’armée, le lecteur pourra se référer à l’article du Chef de bataillon Taleu

[6] Lebrun François, «Le XVIIème siècle», Paris, Armand Colin, 2007, p.252.

[7] «Impact de l'art de la guerre napoléonien dans la seconde moitié du XIXème siècle», Eugène Chalvardjian, p49;

[8] Cahier du RETEX : «L’armée de Terre française 1978-2015, bilan de 37 années d'opérations ininterrompues» – 2015

[9] TTA 903 – EMP 32.201 – Manuel d'emploi de la division – Édition 2010

[10] FT01 – Gagner la bataille, conduire à la paix – 2007

[11] FT03 – L'emploi des forces terrestres dans les opérations interarmées – 2015

[12] FT04 – Les fondamentaux de la manœuvre interarmes – 2011

[13] EMP 24.201- Doctrine d'emploi du groupement tactique interarmes générique - 2012

Séparateur
Titre : Pertinence du système divisionnaire depuis Bourcet
Auteur(s) : Chef d’escadron François PIUSSAN et le Commandant Cyril GALLAND
Séparateur


Armée