OPTIMISER ET DOMINER LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
La numérisation de l’espace de bataille (NEB), et l’accès aujourd’hui généralisé aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), donnent à l’exercice du commandement une nouvelle forme. La haute technologie instille tous les conflits quelle qu’en soit la nature, symétrique, dissymétrique ou asymétrique. La NEB constitue pour l’action militaire une révolution comparable à celle d’internet dans le fonctionnement et la vie des sociétés. La numérisation s’accompagne de la nécessité d’adapter les méthodes, ce qui suppose un effort soutenu de formation, entretenu tout au long du cursus. Le principal défi à relever est celui de la résistance au changement, inhérente à tout progrès technologique.
La numérisation raccourcit considérablement le cycle du processus décisionnel. Les progrès majeurs à en attendre se feront essentiellement sentir en termes de normes d’engagement et d’emploi des appuis et du soutien.
La numérisation implique à la fois une formation spécifique et continue de l’état-major, et un positionnement particulier du chef par rapport à cet outil. La NEB permet une meilleure visualisation de la situation et un meilleur partage de l’information. Elle doit favoriser le dialogue de commandement dans l’élaboration des ordres. Outil de l’état-major, elle constitue une aide à la décision pour le chef. Il doit néanmoins bien mesurer les limites de la numérisation. Ainsi, le pion virtuellement « absent » de la situation tactique de référence, risque d’être réellement oublié, avec le risque d’être soumis à des tirs fratricides. De même, la visualisation du dispositif subordonné présente des risques comme celui de l’interventionnisme jusqu’aux plus bas échelons. Ce risque d’entrisme est à proscrire formel- lement, tandis que la connaissance précise et pointue de la situation amie doit au contraire favoriser la subsidiarité. L’intelligence de situation du chef, son intuition et sa capacité à faire des choix demeurent au cœur du processus décisionnel.
La numérisation doit donc permettre de prendre la décision au bon moment, sans se laisser paralyser par l’attente d’une information que l’on voudrait toujours plus complète. Toutefois, une connaissance précise et juste du dispositif ami (subordonnés et voisins), ainsi que celle des bilans logistiques remontant automatiquement ne remplacent pas pour autant la perception par le chef de l’aptitude du subordonné à remplir sa mission (moral, compréhension de la mission). Ainsi, la NEB devient un multiplicateur d’efficacité en opération, parmi d’autres. Elle ne supprime pas, mais a contrario renforce l’importance et la nécessité du dialogue de commandement.
L’accès à la haute technologie n’est pas l’apanage des forces militaires « conventionnelles ». L’adversaire irrégulier adapte sans cesse ses tactiques, techniques et procédures en se servant de toutes les opportunités offertes par les technologies d’aujourd’hui. Dans cette course à la sophistication technique, les armées occidentales sont victimes de la lourdeur de leurs procédures de développement et d’acquisition des équipements. C’est pourquoi contre un adversaire irrégulier, la clé du succès ne reposera pas uniquement sur la technologie. Face à un ennemi insaisissable, aux modes d’action et techniques aléatoires, il conviendra d’adapter ses propres modes opératoires et procédures, sans tout attendre de la technologie laquelle ne constitue qu’une réponse partielle au problème posé. Ainsi, dans la lutte contre les engins explosifs improvisés, on peut dire, à l’instar de l’expérience alliée en Afghanistan, que le succès repose sur 60 % de procédures, 30 % de technologie et ... 10 % de chance. On perçoit bien avec cet exemple emblématique toute l’importance des ordres donnés, c’est-à-dire du commandement.
Le chef militaire doit savoir tirer profit de l’outil numérique, sans en subir le diktat. S’appuyant sur son expérience et son intelligence de situation, et tout en tirant le maximum de rendement de son système d’aide au commandement, il doit savoir estimer quand et où sa présence physique, et même sa voix s’avèrent indispensables. En conséquence, la maîtrise de l’information induite par la numérisation l’aidera à décider mieux et plus vite.
En conclusion à cette présentation de l’impact du contexte d’engagement sur le commandement :
Le caractère des opérations, notamment leur nature, leur durée, la prise en compte de facteurs d’environnements multiples ainsi que la prégnance croissante du droit amènent une complexité croissante du contexte opérationnel. Ces nouvelles contraintes élargissent le champ d’action du chef militaire, à la nécessité de comprendre et de maîtriser l’environnement. Un des objectifs du chef sera de prendre en compte, à son niveau, cette complexité pour la transformer en ordres simples pour ses subordonnés.
Cet environnement impacte directement le style de commandement du chef en opérations : il impose une juste compréhension de l’esprit et de la lettre des ordres.