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Le syndrome du Titanic ou Du management en temps de crise

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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L’exercice du commandement, quand il s’exerce au feu, touche aux situations extrêmes de l’existence humaine. Le décideur militaire doit donc maîtriser les techniques d’analyse du risque: analyser les besoins de ses hommes, s’assurer de leur préparation opérationnelle et de leur formation à leurs postes de travail pour qu’ils respectent en toutes situations les procédures établies. Les compétences effectives du point de vue du management des hommes, de la gestion et de l’identification de l’information pertinente prennent alors une importance cruciale. Ces situations peuvent être rapprochées des situations de crise que l’on rencontre dans les grandes catastrophes. L’étude de ces grandes tragédies est donc pleine d’enseignements pour le responsable militaire. Le Lieutenant (Air) Jean-Marc BOSC nous livre ici une nouvelle version légèrement réactualisée d’un article publié en 2012 dans la revue TACTICAL magazine des Editions Crépin Leblond[1]. Celui-ci fait l’analyse d’une des catastrophes les plus célèbres du XXème siècle, le naufrage du paquebot Titanic. À la lecture de ce texte, on peut se demander si toutes les leçons de cette tragédie ont bien été tirées. Espérons que ces réflexions autour du management pourront être utiles aux lecteurs de cahier de la pensée mili-Terre. Nous en profitons pour remercier ici la rédactrice en chef de TACTICAL pour son aimable autorisation de faire ainsi profiter nos lecteurs de cet article.

 

[1] TACTICAL Magazine n° 5, Editions Crépin Leblond, juin 2012.


L’histoire ne se répète jamais, dit-on!

Pourtant, 100 ans après la catastrophe du Titanic, le naufrage du Costa Concordia vient cruellement nous rappeler que les réalisations de l’homme, aussi puissantes et performantes soient-elles, sont peu de chose face aux éléments. Comment expliquer qu’à 100 ans d’écart deux machines emblématiques de la technologie de leur époque ont été réduites en quelques heures à l’état d’épave ? Quelle comparaison et quels enseignements peut-on tirer de ces deux événements ? Plongeons donc au cœur du “syndrome du Titanic”.

 

Un cas d’école!

Sujet idéal dans le cadre de l’enseignement de la maîtrise des risques, le Titanic nous a montré qu’une confiance aveugle dans les performances technologiques du célèbre navire a conduit son équipage à négliger l’environnement du paquebot et les précautions élémentaires en matière de navigation. C’est ce que certains auteurs appellent le “syndrome du Titanic[1]. Hélas, l’aveuglement, le sentiment d’invulnérabilité, l’orgueil démesuré dans sa supériorité technologique, la minimisation de la difficulté, l’incapacité à discerner à temps l’information importante, surtout si elle dérange, sont bien, pour une part importante, dans l’origine du désastre. À bien y regarder, le facteur humain, le management des hommes, l’organisation des tâches sont également, pour une part non négligeable, à l’origine de la catastrophe. Le cas Titanic n’est qu’un prétexte pour poser une seule question: avons-nous bien tiré parti de toutes les leçons de cette catastrophe et sommes-nous bien à l’abri de tels accidents? La tragédie du Concordia nous prouve, malheureusement, que non. L’histoire du naufrage du Titanic[2], immortalisée récemment par le film éponyme de James Cameron, est bien connue, mais le naufrage du Titanic cache aussi des manquements, dont nos organisations modernes ne sont pas toujours exemptes.

 

Une croisière de «rêves»!

Le RMS Titanic a été conçu par les chantiers navals Harland & Wolff à Belfast entre 1909 et 1912. Il avait deux sister ships, l’Olympic et le Britannic. Le lancement de ce programme avait pour origine la guerre commerciale que se livraient les grandes compagnies maritimes européennes pour garder ou acquérir le leadership du trafic de passagers entre le vieux et le nouveau monde.

Le Titanic, le plus luxueux et le plus grand paquebot alors jamais construit, était censé être l’arme ultime de la White Star Line dans cet affrontement. Une communication massive fut menée autour du luxe et du confort, mais également sur sa sécurité: Le Titanic était, en effet, pourvu de seize compartiments étanches servant à protéger le navire d’avaries importantes. Une réputation de navire insubmersible se développa alors autour du Titanic.

Lancé le 31 mai 1911, en présence de 100.000 personnes, le Titanic appareille le 10 avril 1912 de Southampton en Angleterre pour sa croisière inaugurale. Celle-ci doit le mener, le mercredi suivant, à New York, avec une lourde pression sur les épaules. Bruce Ismay, président de la White Star Line et également passager, avait précisé au commandant que si «par un heureux concours de circonstance le Titanic arrivait à New York la veille, la White Star bénéficierait de la presse du lendemain». Les pressions d’Ismay sur le capitaine Smith ne seront pas prouvées par les deux commissions d’enquête réunies pour statuer sur le drame du Titanic. Cependant, ce qui est sûr, c’est que la vitesse du paquebot ne cessa d’augmenter tout au long du voyage, avec l’allumage de deux chaudières supplémentaires en cette funeste journée du 14 avril 1912.

À près de 22,5 nœuds soit 41,7 km/h, le Titanic file sur les eaux glaciales de l’Atlantique Nord. La vitesse aurait-elle dû être réduite? Très certainement. D’autant qu’au cours de la journée du dimanche, le Titanic a reçu au moins cinq messages indiquant la présence de glace sur sa route. Certains n’ont provoqué aucun émoi parmi les officiers. La glace n’est-elle pas un phénomène naturel à cette époque de l’année? Quant aux autres, ils ont purement et simplement été oubliés. Si la présence d’icebergs a était évoquée par le Commandant Smith avec son équipe, aucune mesure n’a été prise, mis à part recommander la vigilance aux guetteurs, qui n’avaient pas de jumelles!

Puis, il est 23 h 40. C’est l’heure de l’accrochage. Le Titanic heurte l’iceberg malgré les tentatives d’évitement. Entre l’ordre de stopper ou de faire arrière toute, les versions divergent. Dernière manœuvre, ô combien controversée. Les 37 secondes qui séparent la détection de l’iceberg de l’impact paraissent interminables tant la vitesse de réaction du navire est lente. Enfin, le Titanic commence, pour son malheur, à virer de bord. Le choc, au lieu d’être frontal, est tangentiel. Le bateau défile le long de l’iceberg qu’il racle. Au lieu de la déchirure de 75 mètres de long sous la ligne de flottaison évoquée en 1912, l’échographie de la zone fracturée pratiquée sur l’épave à travers 15 mètres de vase montre, au contraire, «six entailles bien délimitées, linéaires et étroites, semblant suivre l’alignement des rives des tôles de bordé»[3]. La théorie, maintenant admise, est que la déformation relativement progressive imposée aux tôles par le contact avec l’iceberg aurait provoqué la rupture de rivets métallurgiquement défectueux induisant des voies d’eau, loin d’être énormes, mais suffisamment réparties le long du premier tiers avant de la coque du navire pour que le cloisonnement du bâtiment soit inefficace. Dans ces conditions, les compartiments se remplissant inexorablement les uns après les autres, le Titanic sombrera en se brisant en deux.

Le naufrage aura duré, en tout et pour tout, deux heures quarante. Durant ce laps de temps, l’évacuation se déroule dans des conditions chaotiques. Ni l’équipage, ni les passagers ne savent comment se comporter. Si le rassemblement des passagers de première classe, et de deuxième classe dans une moindre mesure, s’est fait relativement bien, le cas de la troisième classe est catastrophique. Le taux de survie de cette classe l’atteste. Les canaux seront mis à l’eau, bien difficilement, avec 1.178 places disponibles à bord pour seulement 711 personnes qui y trouveront place, alors que 2.200 personnes sont à évacuer. Un bilan terrible, plus de 1.500 victimes, pour l’une des plus grandes catastrophes maritimes de temps de paix.

 

Conception du produit et analyse des risques

La conception du Titanic est-elle optimale? A-t-on fait une analyse suffisante des risques? Une chose est de ne pas avoir un produit totalement optimal. Cependant, lorsque celui-ci est bien connu, il est possible d’adapter les procédures d’emploi afin de sauvegarder les marges de sécurité. Par exemple, imposer une réduction de la vitesse maximale autorisée de nuit dans les zones susceptibles d’abriter des obstacles. Mais pour cela, il faut pratiquer des essais dignes de ce nom. Dans le cas du Titanic, les essais se sont déroulés sur une seule journée et de jour. A-t-on bien testé toute les circonstances de navigation? On peut ici en douter et se demander si l’objet de cette journée de test n’était pas de donner rapidement au Titanic son certificat de navigabilité afin de lui permettre de réaliser sa croisière inaugurale à la date prévue. Toutefois, ce qui ressort de ces essais est que le navire était en mesure de s’arrêter sur une distance de trois fois sa longueur (environ 800 mètres) et que la maniabilité n’était pas son fort, ce qui peut être confirmé par les abordages que connaîtra l’Olympic, le sister ship du Titanic, notamment en 1911 alors qu’il est aux mains du Capitaine Smith. En termes de manœuvrabilité, de nombreux éléments indiquent que le Mauritania avait des qualités évolutives et des réactions à la barre rapides, supérieures à celle du Titanic. Une question récurrente fut de savoir si le gouvernail du Titanic était d’une taille suffisante. Des calculs récents montrent que celui-ci, selon les normes actuelles de conception, avait une surface inférieure de 15 à 30% à ce qui aurait été nécessaire. Cependant, vis-à-vis des règles de conception de l’époque, le gouvernail du Titanic était dans la moyenne acceptable. Ceci pointe du doigt la difficulté d’apprécier un événement ancien à la lumière des connaissances actuelles.

Les 20 canots disponibles représentaient un potentiel bien trop faible pour évacuer le nombre de passagers à bord. Pire, il ne faut pas oublier que le Titanic pouvait au maximum embarquer 3.320 personnes. Ce qui signifie que dans ce cas, seulement 30% des vies humaines pouvaient être sauvées. Mais à l’époque, la réglementation précisait que les bateaux de plus 15.000 tonnes devaient avoir au moins 16 canots. Le Titanic, jaugeant plus de 46.000 tonnes et possédant 20 canots, était donc parfaitement en règle. Le progrès technique en marche avait rendu cette réglementation obsolète; malheureusement, le bon sens n’avait pas joué. Les règlements étant rarement en avance sur l’événement, le principe de précaution doit jouer à plein. Il semble inconcevable, aujourd’hui, de procéder différemment, d’où le développement grandissant du domaine de la maîtrise du risque.

 

Analyse du besoin

Les besoins au niveau des postes de travail sont un élément particulièrement étudié lors d’un audit. Le cas des vigies du Titanic, qui ne sont pas équipées de jumelles, est flagrant. Celles-ci semblent avoir été oubliées à terre. Cependant, aucun officier, pourtant également équipé, ne daignera prêter ses jumelles, signe de son statut. Cela aurait-il évité le pire, compte tenu de la nuit sans lune et de l’absence de vagues et donc d’écume à la base de l’iceberg ? Là aussi, aucune certitude. Mais posons-nous la question. Nos collaborateurs, en ce début de XXIème siècle, sont-ils bien équipés pour accomplir leurs misions. J’ai le souvenir d’un collaborateur d’une grande entreprise, en perpétuel déplacement à l’étranger, devant utiliser son propre téléphone pour joindre sa maison mère et avoir du support dans ses prises de décision alors que son chef de service, doté d’un téléphone mobile de société, ne quittait jamais son bureau. Des exemples comme celui du Titanic montrent combien il est dangereux de confondre nécessité opérationnelle et signe extérieur de pouvoir.

 

Formation aux postes de travail

Autre paramètre fondamental, la formation professionnelle. Celle-ci est manifestement déficiente à bord du Titanic. Le Capitaine Smith, plus ancien et glorieux commandant de la compagnie dont les passagers se disputaient la compagnie, avouait lui-même: «je n’ai jamais eu à faire face à un danger vrai, ou à une situation dramatique». Dans ces conditions, était-il le plus qualifié pour mener le destin du navire? Que dire de son comportement pour avoir maintenu une vitesse très élevée dans une mer infestée de glace? Un mystère. Quel poids pouvaient avoir les pressions supposées faites par l’armateur Ismay, que risquait un commandant pratiquement à la retraite sinon écorner son amour propre? Naviguer ainsi à pleine vitesse au milieu des glaces, sans précautions, comme le fit le Capitaine Smith, est la preuve d’une belle inconscience. Choisir des manageurs à l’expérience vraie est donc un impératif absolu[4]. Le facteur humain reste donc primordial quelle que soit la technologie mise en œuvre.

L’officier Murdoch, de quart au moment de la collision, ne connaît pas bien la capacité de manœuvre du bâtiment. Il va tenter d’éviter l’iceberg au lieu de préférer le choc frontal qu’aurait pu «théoriquement» supporter le Titanic. À titre d’anecdote[5], deux ans plus tard, en mai 1914, le Capitaine Wotton, commandant le Royal Edward, est confronté au même dilemme: alors qu’il navigue dans l’Atlantique Nord vers Montréal, il fait face à un iceberg détecté à seulement une distance de deux fois la longueur de son bateau. Il n’a qu’une minute avant la collision. Se rappelant le naufrage du Titanic, il décide de mettre les machines en marche arrière, mais de ne pas changer de cap. L’impact avec l’obstacle se fait donc de face. Le Royal Edward s’en sort avec des dommages relativement modérés. Le retour d’expérience a donc, dans ce cas, été payant. Même si l’on peut comprendre la décision d’évitement prise par Murdoch, ce qui est plus incompréhensible, c’est l’ordre de mettre machine arrière ou de les stopper selon d’autres témoignages. En effet, ralentir lors d’une manœuvre d’évitement, c’est réduire l’efficacité de celle-ci. Cet ordre sera considéré comme une véritable faute professionnelle. En continuant d’examiner la hiérarchie du Titanic, on note que les marins, qui ont été triés sur le volet, restent prisonniers de leur expérience par manque de formation sur leur nouvel outil de travail. Ils perdront beaucoup de temps à manier les bossoirs du navire dont ils ne connaissent pas le maniement, et ignorent manifestement que les canots peuvent être désormais chargés au maximum de leur capacité. Tragiquement, la plupart des canots partiront sans avoir fait le plein de passagers. Les marins se montreront incapables d’utiliser les canots au mieux de leurs possibilités. Seul le canot n° 14 de l’efficace officier Lowe, le seul qui aura l’initiative de revenir sur les lieux du drame à la recherche de survivants, sera en mesure de hisser sa voile.

 

Management des hommes et des informations

Si l’on en croit les témoignages, l’ambiance au sein de l’équipe de direction du Titanic était loin d’être au beau fixe[6]. À tel point que durant l’évacuation, certains officiers souhaitaient l’arbitrage du Capitaine Smith au lieu de suivre les directives de leur supérieur direct dont ils ne reconnaissaient pas l’autorité. Ainsi, Wilde, le second, n’est pas motivé par sa nomination sur le Titanic; Murdoch, quant à lui premier lieutenant, espérait la place de second; Lightoller, deuxième officier, souhaitait la place de Murdoch. Si les officiers composant le staff du Titanic, prélevés sur les autres navires de la White Star, étaient considérés comme les meilleurs, la réunion de talents, telles les grandes équipes de football aux multiples stars mais aux nombreuses défaites, était loin d’être une équipe homogène. Il semble qu’à aucun moment le management du Titanic ne s’appropriera vraiment la situation. La maîtrise de l’information au sein du Titanic, et en particulier celle du travail des opérateurs radio, nous donne, ici, l’occasion de parler de la problématique du management des sous-traitants et/ou des partenaires extérieurs. Si la journée du dimanche 14 avril 1912 fut paisible pour la plupart des passagers, ce ne fut guère le cas pour les deux opérateurs radio, Phillips et Bride, qui durent traiter un flot important de messages personnels des passagers à destination de la terre. Le dernier chic en ces temps-là. N’oublions pas que les deux opérateurs, appartenant à la compagnie Marconi, ne faisaient pas à proprement parler partie de l’équipage du navire, et leur objectif était donc de faire du «chiffre». Cet élément pèsera lourd dans le traitement des informations venant des autres navires sur zone et fera notamment que nombre de messages arrivant pour prévenir de la présence des icebergs seront non traités, ignorés et, pire, oubliés dans une poche.

 

Respect des procédures

Enfin, en ce qui concerne le respect des procédures, fondement même des démarches qualité, le management du Titanic a également été déficient. Aucun exercice d’évacuation préalable n’a été effectué bien que celui-ci aurait dû être organisé le dimanche, comme le veut le règlement de la White Star. Mais le Capitaine Smith l’a annulé! Des libertés avec le règlement, semble-t-il. Même chose au niveau de l’émission des signaux de détresse. Les procédures de détresse, qui venaient d’être récemment changées au niveau international, n’ont pas été suivies. En effet, les opérateurs ont utilisé l’ancien code “CQD”, en lieu et place du fameux SOS qui finalement sera lancé, plus tard dans la nuit, pour la première fois de l’histoire.

 

Les suites de la catastrophe

La portée internationale de la catastrophe du Titanic a induit une forte volonté politique sécuritaire qui s’est traduite par la signature en 1914 de la convention SOLAS, un traité international visant à définir différentes règles relatives à la sécurité, la sûreté et l’exploitation des navires. Celle-ci est toujours en vigueur dans sa version de 1974.

Une conception non optimisée, un management déficient mêlant désinvolture, arrogance et incompétence, formation professionnelle insuffisante ou encore manque de moyens: difficile de trouver une seule cause à cette catastrophe. Le drame du Titanic reste donc d’actualité en tant que référence en maîtrise des risques. L’accident du Costa Concordia est là pour nous le rappeler.

Que s’est-il passé sur le Costa Concordia?

L’accident du Costa Concordia étant trop récent, la prudence du commentateur est donc de mise. Mais comment ne pas établir de parallèle entre les deux affaires. Le Costa Concordia, mis en service en 2006 et pouvant transporter plus de 4.800 personnes, réalise une croisière en Méditerranée. Au large de la Toscane, le 13 janvier 2012, le navire, sous le commandement de Francesco Schettino, arrive à proximité de l’île de Giglio. Sa vitesse est de 15,5 nœuds, «ce qui est assez rapide», selon le Commandant John Konrad dans ses commentaires sur le site de référence américain GCaptain. Le but de la manœuvre est de prendre une route frôlant l’île afin de réaliser l’ «Inchino», une révérence destinée à saluer les habitants et dans le même temps montrer la majesté du paquebot. Si la compagnie semble indiquer que cette manœuvre n’était pas prévue le 13 janvier, il semble établi que celle-ci avait déjà été réalisée de manière officielle le 18 août 2011. Cette navigation si près des côtes est intrinsèquement dangereuse; cependant elle se pratique apparemment couramment. Mais, pour une raison indéterminée, le point prédéfini où le navire doit changer de cap pour faire route parallèlement à l’île, à une distance de sécurité, a été manqué.

Une première erreur fatale, mais qui ne peut être imputable au seul fait du capitaine qui donne des ordres, le personnel de la passerelle ayant pour attribution de vérifier si la manœuvre se déroule correctement. Défaut de commandement et/ou formation déficiente de l’équipage ? La seconde erreur fut, une fois le point tournant dépassé, de ne pas réagir immédiatement par une manœuvre énergique pour ralentir le navire et reprendre le bon cap, même au prix de quelques désagréments pour les passagers. Rien de tout cela ne semble avoir été fait. Dans ces conditions, le bateau, malgré les efforts tardifs du commandant pour s’éloigner de la côte, ne pourra éviter la collision avec un récif de l’îlot Le Scole, situé au large de l’île de Giglio. La brèche ainsi créée sur le flanc gauche du Concordia, estimée entre 70m et 100m de long, provoquera une voie d’eau importante. Pour éviter le naufrage, après un blackout provoqué par la collision, le commandant va prendre une troisième décision contestée: échouer le navire sur la côte au plus près du port de Giglio. Le paquebot blessé à mort va se coucher progressivement sur son flanc droit. Une manœuvre critiquée, car les opérations d’évacuation à partir d’un bâtiment en train de se coucher sur le côté sont plus que périlleuses. Une explication probable aux 32 victimes, sur les 4.229 personnes à bord, malgré la proximité du rivage. Néanmoins, beaucoup de vies ont été épargnées grâce, semble-t-il, à l’entraînement de l’équipage, aux équipements de sauvetage et aux procédures d’évacuation de la compagnie qui se sont, finalement, révélés efficaces malgré les conditions particulièrement difficiles. Le Commandant Konrad tente enfin de justifier quelque peu le retard du capitaine à demander de l’aide par le besoin d’évaluer préalablement l’étendue des dégâts et éviter la panique. Sur ce point, Viviane Seigneur expliquait pour Le Monde que le Commandant Schettino était tombé dans tous les pièges de l’humain confronté à une catastrophe. L’esquive, puis la tentation de rassurer en minimisant la gravité de la situation. Une attitude qui retardera considérablement le début de l’évacuation[7].

 

Titanic et Costa Concordia

Une vitesse excessive semble être à l’initialisation des drames. La gestion déficiente du problème est dans les deux cas liée à des défauts de commandement et de communication entre le personnel de la passerelle et/ou à des lacunes de formation. Heureusement, dans le cas du Concordia, les conditions environnementales étant meilleures, les canots en nombre suffisant et l’équipage globalement mieux entraîné que sur le Titanic; l’évacuation s’est donc mieux déroulée, ayant ainsi permis d’éviter une hécatombe. Pour autant, l’histoire du Costa Concordia est la preuve que malgré les apports du traité SOLAS, la pénétration des sciences du risque dans les cultures professionnelles reste difficile.

Le management et la formation aux postes de travail semblent, à un siècle d’intervalle, demeurer la clé de la maîtrise du risque, et l’orgueil son talon d’Achille. Titanic ou Costa Concordia, le désir d’impressionner son contemporain est une des causes racines des deux accidents.

 

 

[1] Landier H., Le Titanic, une leçon pour nos entreprises?, septembre 1986.

[2] Pour tout savoir sur les circonstances du naufrage du Titanic, M. François Codet «Le dictionnaire du Titanic», chez Marines Éditions, avril 2012.

[3] Olivier C. A. Bisanti, «Titanic, une autopsie métallurgique», 16 octobre 2001.

[4] Henry Lang, «Le Management du Titanic», Éditions d’Organisation, avril 1999.

[5] http://www.encyclopedia-titanica.org/

[6] Michel Berry, «Vigilance et organisation, les leçons du Titanic», Dossier de la revue des mines, sept-octobre 2008.

[7] L’approche prudente adoptée lors de l’écriture de l’article initial semble pertinente. En effet, depuis l’écriture de l’article en 2012, le commandant du Costa Concordia, dans diverses interviews, attribue l’origine du drame à des erreurs d’exécution faites par certains membres de son équipage. Le commandant affirme s’appuyer sur les données de la boite noire du navire. Attendons donc les résultats de l’enquête avant d’avoir un jugement définitif. De toutes façons, ce qui nous importait ici, c’était d’étudier les similitudes entre les deux accidents afin d’en tirer des enseignements réutilisables pour les professionnels de la maîtrise des risques.

 

 

Le Lieutenant (ESR) Jean-Marc BOSC, ingénieur diplômé de l’École nationale de l’aviation civile, possède une habilitation à diriger des recherches (HDR) de l’institut polytechnique de Toulouse et un doctorat de l’INSA de Toulouse. Il est par ailleurs titulaire d’un DESS de gestion et d’administration des entreprises de l’IAE de Toulouse et d’une maîtrise de droit de l’Université Toulouse I Capitole. Réserviste au sein du Centre d’expériences aériennes militaires (CEAM) de Mont de Marsan, le Lieutenant Jean-Marc BOSC est actuellement cadre dans une grande entreprise du secteur aéronautique. Il a conduit, pendant une quinzaine d’année, une activité de recherche dans le domaine de la «sureté de fonctionnement en conception». De plus, il intervient, depuis 1995, dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur, dans les domaines de la maîtrise des risques et de la maîtrise statistique des procédés (MSP). Il a suivi le CSORSEM et obtenu le DORSEM en 2010.

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Titre : Le syndrome du Titanic ou Du management en temps de crise
Auteur(s) : le Lieutenant (Air) Jean-Marc BOSC
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