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Retour Sommaire Pour une approche managériale de l’esprit LECLERC

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Exemple pour des générations d’officiers, le Général Leclerc peut également prétendre à servir de référence à l’action managériale. En appliquant une grille de lecture managériale à l’action de cette figure emblématique, l’auteur invite à reconsidérer les relations existantes ou supposées, voire honnies, entre les champs du commandement et du management.


Confronter les concepts du management et l’exercice du commandement dans les armées est de plus en plus fréquent. Cela aboutit souvent à une opposition entre des militaires qui estiment que le management se résume à la mise en place de processes niant l’aspect humain des organisations, et des managers pour qui le commandement s’inscrit dans un mode de fonctionnement coercitif qui détruit l’initiative.

Pourtant, dès 1917, le commandant en chef des armées françaises n'hésitait pas à se présenter lui-même comme «un capitaine d'industrie» et, en 1921, le Maréchal Lyautey fera distribuer aux officiers servant au Maroc une brochure, inspirée des travaux d’Henri Fayol, intitulée «Des méthodes modernes d’administration et d’organisation du travail». Ainsi, le management, qui se comprend comme l’art de transformer le travail des autres en performance, ne semble pas avoir toujours été voué aux gémonies par les chefs militaires.

Parmi ces chefs, l’un des plus prestigieux est sans aucun doute le Général Leclerc. Sa capacité à obtenir le meilleur de ses hommes, en faisant abstraction des divergences, est souvent mise en évidence comme l’une des caractéristiques principales de «l’esprit Leclerc», qui animera les unités placées sous ses ordres de Koufra à Hanoi en passant par Strasbourg et Berchtesgaden. Mise en évidence par la Seconde Guerre mondiale, cette capacité s’est construite tout au long de ses affections: au Maroc comme chef de goum, à Saint-Cyr comme instructeur, puis à l’École de guerre. Le futur Général Leclerc y fait à chaque fois preuve de ses qualités de chef mais montre également sa volonté d’améliorer la structure (organisation) qui lui est confiée pour en accroître la performance. À bien des égards, le futur général se comporte comme un manager, au sens moderne du terme, ce qui n’est pas commun pour un officier de cavalerie de l’entre-deux guerres.

Ainsi, «transformer le travail des autres en performance» et «obtenir le meilleur de ses hommes» ne semblent pas des objectifs si éloignés. Appliquer une grille de lecture managériale à l’action du Général Leclerc paraît alors moins iconoclaste et permet de la mettre en perspective avec des concepts plus modernes et peut être plus significatifs pour les générations actuelles.

 

Trois mois pour Koufra

«Quand il arriva pour la première fois au Tchad, le 2 décembre 1940, jour anniversaire d’Austerlitz, le Colonel Leclerc ne connaissait du pays et des hommes que ce que peuvent en apprendre les cartes et les rapports. Le 3 décembre pourtant, il parlait déjà d’attaquer Koufra»[1].

La nomination de Leclerc comme commandant du territoire militaire du Tchad a été perçue par le principal intéressé comme une sanction. De leur coté, les militaires présents sur place l’attendent avec appréhension. Il s’agit essentiellement de soldats appartenant aux troupes coloniales, jugées indolentes par Leclerc, qui est, lui, perçu comme une caricature de l’officier de cavalerie, étrangement jeune pour son grade, à la réputation d’austérité.

La prise de fonction commence mal. La personnalité de Leclerc tranche avec l’état des troupes placées sous ses ordres. Certains officiers prédisent au nouveau colonel un échec retentissant. Ainsi l’un d’entre eux écrit: «Leclerc risque de manquer un peu de doigté dans le commandement»[2] tandis que le Capitaine Massu déclare: «le fossé est profond entre nos deux armes, je me demande comment va s’opérer l’osmose… Va-t-il vouloir faire de nous des cavaliers (…), parviendrons-nous à le transformer en colonial?». Pourtant, Leclerc va s’imposer grâce à son charisme et sa capacité à prendre la mesure de son poste, mais aussi parce qu’il indique à ses subordonnés un but à atteindre: prendre Koufra[3].

Si, «en quelques jours, la présence du Colonel Leclerc métamorphosa le territoire du Tchad», cela procède de sa capacité à évaluer le contexte et à jouer tant sur les ressentiments (avoir assisté impuissants à la bataille de France) que sur les espoirs de ses nouveaux subordonnés afin qu’ils deviennent «impatients de se battre» et déclarent que «cette entreprise héroïque exalte leur imagination». Koufra semble impossible à conquérir, mais Leclerc va s’employer à rendre ses troupes performantes et à concrétiser l’impulsion opérationnelle. Pour y parvenir, il va planifier, organiser, diriger et contrôler: il va mettre en œuvre un processus de management conforme à celui élaboré par l’industriel Henri Fayol.

  • Planifier: Leclerc prend le temps d’étudier son adversaire italien et le terrain. Puis, avec son état-major, il fixe les objectifs intermédiaires et établit les mesures de coordination.
  • Organiser: pour atteindre son objectif, il compare les faibles moyens dont il dispose à l’importance de l’objectif à conquérir et en déduit une organisation. Celle-ci prend la forme d’une colonne très mobile où la rapidité d’exécution est préférée à la puissance de feu. Il utilise au mieux l’unité britannique[4] présente dans la zone des opérations et n’hésite pas à s’inspirer de ses adversaires. Ainsi, son organisation est proche de celle de la Saharianna, unité italienne ad-hoc utilisée par les Italiens pour contrôler leur territoire. Le manager des années 2010 retiendra ce principe fondamental chez Leclerc: ce n’est pas la fin qui est subordonnée aux moyens, mais l’inverse.
  • Diriger: Leclerc est toujours présent sur l’action principale et impose son leadership en démontrant ses qualités militaires (légitimité) et son sens psychologique du commandement. Alors qu’une unité italienne contre-attaque, ses subordonnés le décrivent comme «présent partout là et quand le besoin s’en fait sentir, galvanisant par son calme et son dynamisme sa poignée de soldats»[5].
  • Contrôler: en langage militaire, on emploierait plutôt le mot «conduire». Leclerc suit l’exécution de son plan et prend systématiquement les mesures nécessaires pour faire face à un événement imprévu. Exigeant de ses subordonnées des comptes-rendus précis, il reste en permanence capable d’évaluer la situation et de procéder à une nouvelle répartition des moyens afin d’être fort là où l’ennemi est faible. Cette capacité à concevoir puis à diriger tout en fédérant les énergies de ses subordonnés permet à Leclerc de remporter la première bataille de la France Libre. Il a su s’imposer avec doigté en multipliant les déplacements et les rencontres sur le terrain et, surtout, il a respecté à la lettre ces principes de bon sens managérial: afficher vite ses premiers succès[6] et savoir les exploiter en terme de communication... (serment de Koufra).

 

Leclerc, agent du changement: la force L devient 2ème DB

Lors des opérations en Tunisie en 1943, ce n’est pas une, mais deux armées françaises qui combattent aux cotés des alliés: l’armée d’Afrique, se réclamant du Général Giraud, participe aux opérations sous commandement américain, tandis que la force L du Général Leclerc est intégrée à la VIIIème armée britannique de Montgomery. Fidèle au Général de Gaulle, Leclerc refuse le contact avec ceux qu’il appelle encore les «vichyssois». L’évolution de la situation politique va pourtant conduire de Gaulle à faire du Général Leclerc un des principaux leviers du changement, qui consiste en la création d’une armée française amalgamée et rénovée.

Leclerc va donc prendre en charge la modification des processus et des comportements qui vont permettre de transformer «des troupes aguerries, rompues au combat saharien, mais peu nombreuses, disposant d’un matériel hétéroclite et à bout de souffle» en «une grande unité, composée de nombreux régiments, équipée d’un matériel blindé nécessitant une multitude de spécialistes et de techniciens»[7]. Pour créer la 2ème DB, il dispose de cinq mois pendant lesquels il va donc lui falloir: changer la structure, changer la technologie, changer les personnes.

Le changement de structure s’incarne par l’adoption contrainte du système divisionnaire américain qui impose d’organiser la division en groupements tactiques[8]. Il importe donc de revoir les processes de coordination puisque les groupements tactiques combinent armes de mêlée et armes d’appui, mais aussi de redéfinir les relations d’autorité car les trois chefs de groupement disposent désormais d’une autonomie accrue. Leclerc multiplie les exercices et met l’accent sur la formation des cadres pour accompagner ce changement et s’assurer de son efficacité à très court terme, car il faut également prendre en compte l’impérieuse nécessité d’adaptation au nouveau matériel.

Comme c’est souvent le cas pendant les périodes de conflits, la technologie a évolué rapidement. Le matériel rustique, mais obsolète, de la force L est peu à peu remplacé par du matériel neuf, dont l’impact sur l’organisation est non seulement mis en évidence par le changement de structure mais aussi par le besoin en formation du personnel et la réorganisation de la fonction logistique. À cette fin, Leclerc crée un centre d’instruction divisionnaire placé à proximité du lieu de perception à Casablanca. La mise en condition des matériels et l’instruction du personnel font alors l’objet de soins attentifs de la part de Leclerc et sont sanctionnés par une inspection américaine minutieuse passée avec succès.

Le changement le plus difficile à conduire est sans aucun doute celui du personnel. D’une part, les statuts de l’armée américaine empêchent de conserver les indigènes africains dans les grandes unités destinées à participer à l’opération Overlord, obligeant Leclerc à se séparer d’hommes qui le suivent depuis deux ans, et d’autre part il faut faire admettre:

  • aux unités FFL[9] qu’elles vont être amalgamées avec celles qu’elles appellent encore communément «vichystes»
  • aux unités d’Afrique du Nord qu’elles vont être placées sous les ordres d’un des premiers «dissidents».

Leclerc lui-même a souvent fait preuve d’intransigeance, préférant défiler avec les Britanniques plutôt qu’avec les Français lors de la prise de Tunis, mais il va faire preuve de réalisme et mettre en place une stratégie de lutte contre la résistance au changement. Cette stratégie repose sur cinq tactiques:

  • Éducation et communication permettent de rassembler en indiquant le but commun et la logique du changement, en jouant parfois sur le registre émotionnel. «La 2ème division blindée est la première grande unité dans laquelle se trouvent réunis des Français qui, depuis trois ans, étaient séparés par les circonstances. Je vous demande de réfléchir à l’importance de cette réunion. Notre pays ne peut plus se payer le luxe de divisions intestines. L’union est plus nécessaire que jamais pour rendre à la France sa grandeur nationale», déclare Leclerc à ses officiers, leur demandant de diffuser ce message qu’il n’aura de cesse de porter lui-même lors de ses nombreuses visites aux unités qui composent la division.
  • La participation, qui s’incarne dans l’intégration d’officiers «vichystes» dans le command- group, que Leclerc associe au processus décisionnel. Cette tactique lui permet également d’attirer vers lui des compétences dont il ne disposait pas encore jusque-là.
  • La négociation, qui équivaut ici à un marché conclu: des attentes sont satisfaites (assurance de participer au débarquement) en échange de l’engagement de loyauté envers le Général de Gaulle.
  • la coercition, que Leclerc emploie également, comme l’illustre l’épisode qui conduira à la rupture avec le Colonel Malagutti qui s’oppose au principe des groupements tactiques. Cette vive opposition doctrinale, avivée par des conflits d’éthique personnelle, conduira Leclerc à demander à de Gaulle le rappel du Colonel Malagutti, à la veille du débarquement en Normandie.

 

Les sources du leadership

Les auteurs contemporains spécialisés dans le management définissent le leader comme une personne disposant d’une autorité formelle de manager et se montrant capable d’influencer autrui et de mobiliser une collectivité. Hanté à la fois par l’efficacité et par le souci de ses hommes, le Général Leclerc, qui s’est imposé comme un grand chef entre 1940 et 1947, est bien celui qui, mieux que les autres, sait non seulement où il veut aller mais aussi où il faut aller. Il est aussi celui qui sait communiquer sa confiance à ses hommes et surtout, il parvient à obtenir l’adhésion active, intelligente et ardente de tous pour la réalisation des objectifs de l’entreprise.

Pour situer Leclerc dans la typologie des leaders, il paraît approprié d’utiliser les travaux de R.R Blake et J.A. Mouton sur les différents types de leadership en fonction de l’«intérêt pour la production» et l’«intérêt pour les personnes». Blake et Mouton partent des ces deux dimensions pour construire une grille sur laquelle ils positionnent cinq styles de management

À travers les exemples déjà étudiés, nous avons vu émerger un Leclerc planificateur, dirigeant et contrôlant l’exécution de ses ordres en vue d’atteindre son objectif. C’est le Leclerc parfois autocrate qui décide de s’emparer de Koufra. Cependant, nous avons également observé un officier capable de susciter l’adhésion en créant un climat de confiance et en promouvant l’initiative. Ce qui ne signifie pas que Leclerc est un leader social, car sa bienveillance demeure en permanence limitée par sa volonté d’atteindre ses objectifs et de satisfaire l’intérêt général sans compromis possible avec la satisfaction des intérêts individuels. Pour Leclerc, chacun des hommes de la division est là pour «servir» et non pas «se servir». Grâce à la confiance et au respect qu’il inspire, il parvient à convaincre des hommes, aux parcours très différents, de combattre ensemble. L’exemple des anciens républicains espagnols (la fameuse compagnie Nueve qui sera une des premières unités à entrer dans Paris), combattant dans une division commandée par un général catholique, aux positions plutôt conservatrices, et pour un pays qui n’est pas le leur, est assez révélateur. Ainsi, Leclerc est définitivement un leader intégrateur.

Le Général Leclerc se distingue aussi par sa capacité à concevoir une vision (la libération de la France par une armée française libre réorganisée), à l’incarner par son comportement et à la transmettre. Lorsqu’il matérialise cette vision en prononçant le serment de Koufra, il capte l’énergie et l’émotion de ses hommes grâce à une imagerie puissante. Il se sert ensuite de ce serment comme «fil rouge» jusqu’à son accomplissement. Il illustre ainsi parfaitement les travaux de Bennis et Nanus[10] sur les meilleurs leaders, en particulier ce qu’ils nomment l’auto-déploiement, c’est à dire la gestion de soi-même par le leader, et l’effet «Wallenda»[11]. L’importance de cette gestion de soi-même, il en a très vite conscience puisqu’il adopte pour devise personnelle «Se commander à soi-même», conscient des risques que peuvent lui faire courir son caractère parfois trop autoritaire, mais aussi parce qu’il veut capitaliser sur ses points forts et sait comment les exploiter pour entraîner ses hommes («Nous avions déjà confiance en nous avant de partir, mais maintenant nous savions qu’avec un tel chef il n’était pas de mission que nous ne puissions remplir»). Enfin, il n’est pas homme à chercher des excuses et sait comment utiliser l’échec ponctuel pour construire la victoire du lendemain. Optimiste même dans les situations difficiles, Leclerc est un homme qui croit à la chance et sait la provoquer…

Exemple pour des générations d’officiers, Leclerc peut à juste titre servir également de référence à l’action managériale.

Par ailleurs, cette mise en perspective d’un officier emblématique avec les concepts du management invite à redéfinir les relations entre commandement et management. À un moment où la logique économique, de plus en plus prégnante dans les armées, impose de substituer à la notion d’efficacité celle d’efficience, et où les ordres sont de plus en plus objectifs sous l’effet de la standardisation et des nouvelles technologies, il apparaît que le commandement est de plus en plus un management. Cependant, il y aura toujours des situations exceptionnelles où le manager s’effacera derrière le chef de guerre.

 

 

 

[1] «Le Général Leclerc vu par ses compagnons de combat», édition Alsatia, Paris 1949, p 91.

[2]  Cité par Jean-Christophe Notin dans «Leclerc», édition Perrin, 2005.

[3] Il s’agit d’une opération de petite envergure (400 hommes dont 112 européens, 162 véhicules), mais de grande difficulté en raison de la profondeur de l’objectif en territoire italien (450 km) et des brefs délais laissés par le climat pour le montage.

[4] Le Long Range Desert Group du Major Clayton, qui sera utilisé par Leclerc pour éclairer sa progression.

[5] «Le Général Leclerc vu par ses compagnons de combat», Op cit,  p.109.

[6] Avant qu’elle ne soit théorisée par Michael Waltkins, Leclerc a compris et mis en œuvre la règle des 90 jours.

[7] «Le Général Leclerc vu par ses compagnons de combat», Op cit, p 173

[8] Les fameux GTV, GTL et GTD identifiés par l’initial de leurs chefs respectifs en 1943: V pour Warabiot, L pour Langlade, D pour Dio.

[9] Forces françaises libres.

[10]  Op. cit.

[11] effet Wallenda:capacité à poursuivre des objectifs positifs, de verser toute son énergie dans la tâche à accomplir, sans regarder derrière ni exhumer des excuses pour les évènements passés

 

Officier saint-cyrien, issu de l’arme du génie, le Chef de bataillon CARLIER est lauréat du concours de l’École de guerre 2008. Il a été sélectionné pour suivre une formation spécialisée à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe) où, depuis septembre 2011, il effectue un mastère spécialisé en «management des hommes et des organisations»

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Titre : Retour Sommaire Pour une approche managériale de l’esprit LECLERC
Auteur(s) : le Chef de bataillon Damien CARLIER
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