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Stratégies de sécurité humanitaires: vers une évolution conceptuelle?

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Dans le contexte des crises humanitaires actuelles, l’ensemble des acteurs présents sur les théâtres d’opérations est aujourd’hui confronté à la nécessité de concevoir une stratégie de sécurité en collaboration avec les forces armées.


Le 22 octobre 2009, un coopérant humanitaire français travaillant pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) était enlevé par des rebelles au Darfour alors qu’il menait une liaison à bord d’un véhicule clairement identifié comme appartenant à cette organisation.

En dépit des efforts déployés par la communauté internationale dans cette province du Soudan, cet incident rappelle la nécessité pour les organisations non gouvernementales (ONG) de préparer, dès la phase d’analyse du contexte de la mission, une stratégie de sécurité propre à garantir la protection de leurs employés et la sauvegarde de leurs biens.

Dès les prémices de la réflexion humanitaire, Henri Dunant préconisait[1] la mise en œuvre, entre les acteurs humanitaires et les garants de la sécurité, d'une coopération, voire d'une collaboration, afin de permettre sans danger l’acheminement de soins et de secours aux nécessiteux.

Mais comment concilier «action humanitaire» et «sécurité» dans un environnement particulièrement complexe où les acteurs se sont démultipliés, créant confusion et incompréhension auprès des populations locales, alors même que les notions de «champ de bataille» et «d’espace humanitaire» tendent à disparaître?

 

Des stratégies de sécurité éprouvées…

Acceptation, protection et dissuasion: ce sont les 3 stratégies adoptées par les organisations à vocation humanitaire.

  • L’acceptation[2] consiste à légitimer la mission auprès de tous les acteurs présents. Elle implique non seulement de faire connaître l’organisation comme acteur humanitaire de terrain, mais aussi à faire reconnaître le mandat pour lequel elle est engagée en vue d’obtenir un consentement politique et social des autorités gouvernementales, des factions rebelles ou de la population cible. Il s’agit, selon l’expression politique et militaire, de «gagner la population à sa cause». Cette stratégie nécessite un important investissement humain en préalable au déploiement de la mission ainsi que tout au long du mandat.

L’acceptation («acceptance») repose avant tout sur la communication, essentiellement orale, avec tous les acteurs de la crise, sans aucun jugement ni a priori au titre des préceptes fondamentaux de l’action humanitaire: impartialité et neutralité. Il s’agit de multiplier les contacts, d’élaborer des réseaux et de sans cesse répéter le discours relatif aux valeurs, au mandat et à la mission de l’organisation humanitaire, et ceci à tous les niveaux impliqués, du décideur politique à l’homme de terrain.

  • La protection vise à réduire l’exposition du personnel aux risques et menaces propres à une zone d’intervention. Elle a également pour objectif d’assurer la sauvegarde des biens de l’organisation humanitaire. Une stratégie de protection sera généralement fondée sur une identification claire de l’organisation humanitaire (apposition de logos sur les véhicules, tenue spécifique du personnel) afin de la dissocier des autres acteurs, notamment des forces de sécurité et de maintien de l’ordre. Cette identification ostentatoire peut parfois se faire au détriment de l’intégration des humanitaires dans la population; aussi certaines ONG préfèrent opter pour plus de discrétion, tout en revendiquant une stratégie de protection, afin de ne pas devenir une «soft target»[3].

Compte tenu de l’intensité de la crise, des risques ou des menaces, les acteurs humanitaires pourront être amenés à adopter une stratégie de protection «sécuritaire» en recourant à des dispositifs physiques de protection: enceintes barbelées, port d’effets pare-balles, regroupement des véhicules en convoi avec protection armée assurée par les forces de sécurité.

  • La stratégie de dissuasion recouvre deux aspects principaux: la prise de sanctions et l’emploi de la force. La prise de sanctions juridiques, économiques voire politiques est assurément une mesure-phare de la diplomatie mondiale, et donc limitée aux organisations internationales (ONU et CICR principalement). Cependant, dans le contexte humanitaire, la question se pose de la portée de telles mesures qui, si elles représentent un moyen de pression vers les autorités gouvernementales, ne font bien souvent qu’empirer la situation sur le terrain.

L’emploi de la force, à usage défensif (sous mandat «casque bleu» onusien, opérations de peace-keaping / maintien de la paix) ou offensif (peace-building) et désormais lutte contre le terrorisme international – constitue le dernier palier de la sécurisation d’un espace d’intervention à but humanitaire.

Avec la multiplication des conflits, et surtout l’enlisement des crises, ces stratégies de sécurité classiques sont amenées à évoluer pour permettre aux humanitaires de mener leurs programmes en toute sérénité.

 

…à adapter aux nouvelles réalités opérationnelles

Car toute la problématique aujourd’hui pour les humanitaires est de s’intégrer légitimement dans un espace particulièrement complexe où les acteurs se sont multipliés. De même, la «militarisation de l’humanitaire» conduit indéniablement à la confusion, donc à la prolifération des menaces envers le personnel de ces organisations humanitaires.

Première difficulté à résoudre, celle d’identifier un «espace humanitaire» dans lequel placer l’action, la zone de combat ayant en effet aujourd’hui migré en zone urbaine. De fait, la population civile, cible prioritaire de l’action humanitaire, se trouve imbriquée entre forces gouvernementales, factions rebelles, troupes d’intervention des contingents de coalition internationale, enfants-soldats, mercenaires, milices et autres société privées de police ou de sécurité.

De même, la nature des menaces s’est considérablement modifiée, en partie par la polarisation et la radicalisation des conflits. Ainsi, le recours à des méthodes non-conventionnelles, comme la multiplication des attentats ou l’existence d’engins explosifs artisanaux et l’imbrication de rebelles au sein de la population, restreint considérablement la liberté d’action des humanitaires, tout en imposant de fait une protection accrue du personnel et des matériels déployés.

Dans ce contexte, et face à l’incapacité d’un État à assurer pleinement ses fonctions régaliennes, en particulier la protection des citoyens, les organisations humanitaires doivent recourir à des sociétés privées de sécurité. Se pose alors la problématique de l’utilisation des fonds récoltés – privés en provenance de donateurs ou publics fournis par les bailleurs des organisations internationales – à cet usage.

Enfin, dans un imbroglio diplomatique, militaire et humanitaire où l’on attend de chaque intervenant qu’il prenne partie, il convient de dissocier l’action humanitaire – neutre, impartiale et indépendante – des stratégies politiques. Or c’est précisément de la nouvelle vision humanitaire des grandes puissances dont il s’agit. Car s’il ne fait aucun doute – même si aucune preuve formelle ne pourra être apportée à ce sujet – que les services secrets ont depuis longtemps investi le champ de l’humanitaire, c’est aujourd’hui une réalité pour les Anglo-Saxons que l’action humanitaire, soutenue par les finances publiques, doit participer de plein droit à l’atteinte des objectifs stratégiques. Ainsi, le Pentagone a récemment créé un bureau pour l’aide humanitaire et la reconstruction visant à intégrer les agences civiles du département d’État et de l’Agence pour le développement international au sein des structures militaires.

À ce titre, l’action des ACM (actions civilo-militaires) ou CIMIC (civilian-military cooperation) est sans doute la plus controversée des missions militaires. Car son action entre pleinement dans le champ d’action des acteurs humanitaires de la réhabilitation et du développement. Et si les opérations de contre-rébellion nécessitent de mener des actions au profit des populations (reconstruction, éducation, enseignement, réponses aux besoins primaires)[4], elles ont également pour effet de profondément complexifier l’environnement dans lequel les ONG exercent leur mandat.

Pour s’intégrer en toute sécurité dans ces nouveaux environnements, les organisations humanitaires ont donc nécessité de s’adapter

Ainsi, des cellules «sécurité» ont été créées dans les directions opérationnelles des principales ONG. Elles doivent permettre d’acquérir une vision globale de la situation et des acteurs en présence. Les humanitaires utilisent donc désormais des outils de veille et d’analyse de situation, et mettent régulièrement à jour leurs bases de données et leurs cartographies d’acteurs. Ce «renseignement» préalable à l’engagement constitue une véritable révolution culturelle.

De plus, les organisations humanitaires, à l’exception de celles intervenant dans l’urgence sur un terrain sécurisé (lors d’une catastrophe naturelle par exemple), ont aujourd’hui recours à une mise en condition opérationnelle où les intervenants sont sensibilisés sur la conduite à tenir en cas d’incident de sécurité.

Des grilles de lecture ont été réalisées par les organisations internationales (ONU et UE) pour permettre une meilleure prise en compte des situations et définir les modalités devant garantir la sécurité des missions. Mais ces grilles, si elles s’intègrent pleinement dans la philosophie anglo-saxonne, ne sont pas toujours appréciées des organisations humanitaires qui leur reprochent une dimension normative et formaliste.

L’alternative vise à recourir à une meilleure gestion décentralisée de la sécurité par les intervenants de terrain. Il s’agit d’utiliser une méthode d’analyse des causes ayant conduit aux incidents, et par retour d’expérience, d’en tirer bénéfice pour le pilotage de la politique de sécurité. Ainsi, les incidents de sécurité doivent faire l’objet d’un «reporting» vers les autorités de tutelle.

L’approche opérationnelle vise désormais à décloisonner les organisations humanitaires des autres acteurs présents sur le terrain. Ainsi, pour se dissocier des forces de sécurité, de nombreuses organisations prônent l’abandon d’une protection sécuritaire et le retour à des stratégies d’acceptance. Afin de lutter contre le vol, parfois avec violences (techniques du car-jacking) de ses véhicules 4X4, une ONG a, par exemple, décidé de s’équiper de véhicules moins puissants peints en couleur rose vif (pink 4X4) pour limiter l’attrait des rebelles. D’autres ont décidé de bannir tout signe extérieur distinctif, y compris vestimentaire, pour se rapprocher au plus près des populations locales.

De plus, la majeure partie des ONG préconise désoarmais de recourir, sous certaines conditions – notamment de représentativité sociale[5] (mutli-ethnique, religieuse, culturelle, multipartite politique) –, à l’emploi majoritaire de ressortissants nationaux pour mener leurs opérations. Car, désormais, il ne s’agit plus d’une simple bataille mais de «crises durables» où réhabilitation et développement humanitaires succèdent à l’urgence. L’action humanitaire, pour être menée en toute sécurité, va donc chercher à mieux s’intégrer dans son environnement en visant à recourir à des solutions locales, en particulier pour l’approvisionnement en matériel et en équipements lorsque ceux-ci sont disponibles.

Dans un contexte international particulièrement instable, compte tenu de la multiplication des acteurs présents sur le terrain et de la versatilité des crises, la notion de «sécurité des intervenants» devient donc primordiale pour garantir la mise en œuvre des programmes d’action humanitaire. Au vu des événements récents dans de nombreux pays en conflit, cette sécurité ne pouvant parfois plus être assurée par les forces de sécurité gouvernementales, il importe que les «stratégies de sécurité» humanitaires, intégrant de facto les relations avec les forces militaires, soient étudiées dans une logique prospective avant tout déploiement opérationnel.

 

[1] Henri DUNANT «Souvenirs de Solferino» - 1863 – disponible auprès du CICR.

[2] Ou acceptance – tiré de l’anglais to accept.

[3] C’est notamment le cas lorsque l’emblème des ONG ou des organismes internationaux humanitaires n’est plus protecteur mais peut constituer une cible.

[4] Voir l’article dans «Armées d’aujourd’hui» n° 344 du mois d’octobre 2009.

[5] Cette représentativité conduira sans doute à privilégier le «politiquement correct» au détriment de la compétence ou de l’égalité des chances.

 

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Titre : Stratégies de sécurité humanitaires: vers une évolution conceptuelle?
Auteur(s) : le Capitaine Nicolas MEYNARD
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