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« Commander à l’avant : une opportunité tactique renouvelée par les nouvelles technologies »…

cahier de la pensée mili-Terre
Sciences & technologies
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En 2011, une photo fait le tour du monde : il s’agit du président des États-Unis d’Amérique, Barack Obama, assistant en direct depuis la Maison-Blanche à l’opération « Neptune Spears » de neutralisation du chef terroriste Oussama Ben Laden. Illustrant la capacité du niveau politique et stratégique à ordonner une opération en « boucle courte », au niveau tactique, elle incarne également le risque majeur d’ingérence des niveaux supérieurs dans la conduite tactique des opérations.

La rupture technologique provoquée aujourd’hui par les NBIC[1] présente-t-elle des risques pour le commandement traditionnel, remettant en cause son efficacité ?

Si cette rupture peut sembler menaçante pour l’exercice du métier de chef militaire, elle représente en réalité une véritable opportunité pour faciliter le retour du commandement à l’avant, rendue possible par la probable et nécessaire évolution des structures traditionnelles de commandement.

Au regard des évolutions en cours et à venir du contexte de la guerre, et des inquiétudes engendrées par les avancées majeures promises par les NBIC, la rupture technologique contemporaine apparaît donc pour le chef militaire comme une nouvelle façon de commander à l’avant, qui aurait pu paraître dépassée.

 

[1] Nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives.


Dans le cadre des mutations des formes de la guerre, la rupture provoquée par les NBIC semble menacer les structures de commandement actuelles.

Principalement déterminées par l’impossibilité de dissimuler les forces aux nouveaux moyens de détection, les mutations du contexte de la guerre concernent l’ennemi, le champ de bataille et la manœuvre.

Les armées de demain pourraient être confrontées à des adversaires aux caractéristiques différentes, sommairement classables en trois catégories, non exclusives les unes des autres, optimisant leurs atouts respectifs :

  • des unités puissantes, appuyées par une artillerie efficace (saturation, précision, portée) et des capacités cyber. Fortes d’environ 2 000 hommes, ces unités repérables et coûteuses sont employées comme éléments de rupture ;
  • des unités professionnelles légères, de 100 à 500 hommes maximum, à l’empreinte logistique faible, capables d’agir en partie en civil et utilisant des technologies duales ;
  • des unités paramilitaires ultralégères, de 30 combattants maximum, facilement dissimulables dans la population, utilisant les IED[1] et concentrées sur la défense de zones sanctuaires et les opérations de harcèlement.

 

Les champs de bataille traditionnels pourraient ainsi se transformer : les zones de regroupement et d’attente, les bases logistiques, les grandes unités, et à plus forte raison les postes de commandement (PC) y seront systématiquement harcelés et ciblés, par des drones, des équipes de force spéciales, des missiles de précision.

Pour les mêmes raisons, les notions de front et de début ou cessation des hostilités n’existeront plus, laissant la place à de nouvelles « zones à tenir (ZAT) », zones urbaines ou zones confinées où l’avantage appartiendra à la force capable de basculer effort et volume d’une ZAT à l’autre.

 

Dans ce cadre, trois facteurs de combat méritent d’être examinés avec soin :

  • la mobilité, qui semble encore importante, est en réalité en phase de déclin en raison des IED, des armes de précision, des drones et de l’imbrication dans la population civile. Un effort doit être fait pour la reconquérir et redonner davantage de liberté d’action aux chefs tactiques ;
  • la puissance de feu, dont l’enjeu repose sur l’équilibre à trouver entre prix et précision des munitions des effecteurs indirects, l’objectif étant bien de détruire tactiquement l’ennemi d’emblée et de n’engager l’élément d’assaut-destruction qu’ensuite ;
  • la protection, enfin, qui, au regard de la menace létale permanente, doit être régénérée afin de redonner de la mobilité.

 

La rupture provoquée par les NBIC, dans son expression actuelle, fait peser plusieurs risques au commandement.

Le danger de la perte d’initiative des subordonnés ou « micro-management » ne doit pas être négligé, même s’il est désormais connu.

Modifiant le modèle de coordination et tendant vers une supervision directe, la numérisation introduit une menace de contournement ou d’écrasement des échelons hiérarchiques par entrisme dans la « bulle d’action » du chef subordonné.

Accaparés par les demandes incessantes de l’échelon supérieur, les échelons subordonnés verraient leur capacité d’action et leur autonomie simultanément réduites.

De même, en conduite, les échelons supérieurs pourraient courir le risque de s’auto-paralyser, en attendant la dernière information dans le but de restreindre au maximum la part de subjectivité dans leur prise de décision.

Alors que les nouveaux outils technologiques sont supposés faciliter les échanges, ils pourraient être employés dans l’objectif premier de contrôler la situation, ou du moins d’en avoir l’illusion.

Plus globalement, le risque de saturation inhérent à la numérisation, avec le phénomène de « déluge informationnel » interroge sur la capacité future de nos structures de commandement à pouvoir gérer, traiter et transmettre, en un laps de temps contraint, un flux massif de données.

La multiplication de la quantité de données échangées entre les capteurs, à tous les échelons, contribue en effet à noyer l’identification de données-clefs au sein de la masse de données.

 

La rupture provoquée par les NBIC pourrait cependant se révéler  une opportunité pour le renforcement du commandement de l’avant, à l’instar de l’apparition de la radiophonie dans les années 1930.

Une structure plus souple permettrait aux armées d’optimiser le bénéfice de la révolution numérique. Car on peut raisonnablement se demander si les structures actuelles ne sont pas en réalité imparfaitement adaptées aux engagements futurs.

Héritage d’une époque où la masse était le facteur de supériorité principale, les structures pyramidales des armées occidentales pourraient se révéler inadaptées aux engagements à venir, en raison notamment du volume de combattants à commander par chef et des milieux d’engagement plus cloisonnés.

Les unités actuelles, constituées de volumes de force de plusieurs milliers de combattants, dont l’articulation reste figée après les premiers engagements, pourraient ne pas être adaptées aux combats futurs.

Les unités classiques n’ayant plus la possibilité de se camoufler physiquement, elles devront dissimuler leurs intentions en pratiquant l’art de la déception (tactique, électromagnétique, hologramme, réalité augmentée, robots, …).

Comme le prévoit déjà la doctrine exploratoire « Scorpion[2] », les nouvelles unités pourront être organisées en trois composantes, autonomes dans leurs déplacements et leur protection : échelon de commandement, d’avant-garde et d’assaut-destruction. Au moment opportun, les unités de combat de l’élément d’assaut pourront alors se « plugger » à l’élément de commandement autonome, sorte de « task-force mère », puis engager le combat sur un ennemi modelé préalablement par l’échelon d’avant-garde.

 

Dès lors, un changement d’échelle des unités pourrait s’imposer.

Dans ce cadre, nos modèles d’armées occidentaux, confrontés à la crise des effectifs et au danger de l’empreinte logistique, soumis aux repérages et aux frappes ennemies, recherchant impérativement à conserver leur capacité de manœuvre, devront nécessairement réduire la taille de leurs unités de manœuvre, afin de les multiplier pour augmenter leur capacité de manœuvre, diminuer leur vulnérabilité, et en même temps compenser cette diminution de taille par la capacité à se « plugger » rapidement avec d’autres unités. Car malgré tout, la quantité reste une qualité. Non pas moins nombreux, ce qui serait aberrant au regard des retex actuels, mais plus divisés pour mieux se regrouper.

Plus facilement décrites comme « équipes d’équipes »[3], ces unités formeraient un réseau capable de se réarticuler au gré des besoins.

Les PC de niveau LCC[4], division et peut-être même de brigade pourraient disparaître à terme sous la forme que nous leur connaissons aujourd’hui. Nativement interarmées, ils devraient être protégés dans les « zones à tenir (ZAT) » et laisser la conduite de terrain à des PC moins volumineux, plus discrets et surtout plus mobiles.

De grandes unités d’un volume maximum de 2 000 hommes, « task-force mère » pour les unités de niveau inférieur, comparables aux Marine Expeditionnary Units (MEU) ou de gros GTIA pourraient commander la bataille tactique en prenant sous leur commandement d’autres unités plus petites. Des sortes de bataillons d’environ 300 hommes et 30 véhicules seraient un des échelons subordonnés. Ces nouveaux bataillons pourraient alors englober à leur tour des unités d’environ quatre-vingt combattants, regroupés autour d’une spécialité et commandés par un capitaine.

D’autres équipes encore plus petites formeraient des équipes de combat de base. Cinq à trente combattants formant un groupe primaire de cohésion, commandés par un lieutenant ou un aspirant, voire un sous-officier ancien.

Ce système particulièrement souple de commandement et d’agrégation par strates d’unités permettrait aux chefs de gagner en autonomie et de commander davantage à l’avant. Il nécessite cependant de doter les PC, les chefs et les unités de systèmes d’information et de communication que les nouvelles technologies nous autorisent aujourd’hui.

 

Dans le cadre de cette structure rénovée, la rupture provoquée par les NBIC permettrait de raccourcir pleinement la boucle décisionnelle. Interconnectant tous les niveaux de commandement entre eux, jusqu’au niveau des DTCIA, chaque chef posséderait ainsi une maîtrise accrue de l’information et une pleine capacité à la gérer efficacement.

 

Des subordonnés plus autonomes

La délégation que rend indispensable la numérisation n’est possible que par la confiance accordée par un supérieur à ses subordonnés, en leur capacité à intégrer le spectre croissant des technologies et des contraintes qui s’imposent à eux. La rénovation des structures de commandement, en rehaussant le niveau de maîtrise de chaque échelon hiérarchique, renforcerait ainsi cette confiance et limiterait l’écueil de la supervision directe.

 

Une aptitude au commandement renforcée

Par ailleurs, la menace que représente « l’infobésité[5] » pour nos systèmes de commandement impose une maîtrise accrue de l’information. Cet accroissement exponentiel d’informations, à la fois permis et imposé par la numérisation, n’est soutenable pour nos systèmes de commandement que par une adaptation de ces derniers.

Dans cette optique, la constitution de postes de commandement de taille plus restreinte apparaît opportune. De même que la décentralisation et la dispersion des unités évoluant dans un espace contesté deviendraient des nécessités, la mobilité permanente et le camouflage deviendraient la règle, obligeant les postes de commandement à commander en déplacement.

Cette nécessaire atrophie des postes de commandement intégrerait paradoxalement, à l’instar de l’armée israélienne, la mise à demeure de véritables adjoints en doublure permanente auprès des chefs tactiques et opératifs, rendant possible la gestion du « déluge informationnel ».

 

Des outils permettant au chef de commander à l’avant

Les systèmes actuels de géolocalisation et de transmission de données permettent au chef de voir ses unités sur le champ de bataille. En corollaire, le rôle des PC tactiques est déterminant et la présence du chef à l’avant, rendue nécessaire par des combats plus violents, plus brefs et plus compartimentés, sera rendue possible par ces nouvelles technologies.

Dans un futur proche, les progrès des NTIC rendent plausibles le renforcement d’un commandement de l’avant.

  • Information :

Face au défi représenté par la bonne gestion de l’information, l’emploi croissant de l’intelligence artificielle permettrait au chef de mieux cibler ses interventions et décisions. L’établissement d’algorithmes, par des codeurs dont le rôle sera déterminant, intégrerait aussi bien les facteurs de succès de différents conflits passés que l’identification des moments clefs où la présence du chef s’avère nécessaire.

Couplée à l’amélioration de la présentation de la situation tactique, opérative voire stratégique, cet accroissement de la capacité cognitive des systèmes de commandement renforcerait l’efficacité menacée de ces derniers.

  • Communication :

Le renforcement nécessaire du lien primordial de confiance entre tout chef et ses subordonnés s’affranchirait alors des contraintes physiques actuelles et s’exprimerait alors sous des formes nouvelles (hologramme). L’isolement physique des soldats, lié à la dispersion des forces sur de plus vastes étendues géographiques, augmentera le besoin de visibilité du chef par ses hommes.

En parallèle, le chef ressentira toujours la nécessité de « sentir le terrain » afin d’affiner sa décision. Il utilisera donc les nouveaux moyens de mobilité mis à sa disposition, qui lui permettront de s’affranchir de la distance (taxi volant) pour pallier le risque de dé-corrélation avec la réalité guerrière.

 

Ainsi, l’impact des nouvelles technologies sur le monde de la guerre peut-il légitimement inquiéter, au regard des risques qu’induirait un éloignement des chefs. Cependant, l’évolution probable des structures des unités et de leur niveau de commandement, associée à une utilisation raisonnée et ambitieuse des NBIC, constitue davantage une opportunité, pour les armées, de consolider la position des chefs tactiques à la place où ils peuvent le mieux commander : à l’avant.

Si cette double possibilité n’était pas saisie, les nouvelles technologies ne suffiraient probablement pas à compenser l’éloignement, tant la figure du chef nécessite d’être près de ses hommes pour commander efficacement.

 

[1] Improvised explosive device ou engin explosif improvisé (EEI).

[2] RFT 3.2.2.1/4 (DR - SF), approuvé le 11 juin 2017

[3] Cf. Mc Chrystal (Général Stanley), Team of teams: New Rules of Engagement for a Complex World.  2015. Penguin Publishing.

[4] Land component command.

[5] Ou surcharge informationnelle (information overload) popularisée en 1970 par le futurologue américain A. Toffler.

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Titre : « Commander à l’avant : une opportunité tactique renouvelée par les nouvelles technologies »…
Auteur(s) : le Colonel Pierre SANTONI
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