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Après l’assassinat d’Anna Politkovskaia… mafias russes et cie

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L’assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaia a donné lieu à d’innombrables commentaires, débats et articles dont le point le plus commun a été de dénoncer pêle-mêle, successivement ou simultanément, un crime politique, une action des services secrets, un geste d’intimidation de la mafia, et plus généralement l’emprise de celle-ci sur l’ensemble de la vie politique, économique et sociale de ce pays.

 

 


Les amalgames permettent des dénonciations éloquentes et des effets de plume percutants, mais contribuent rarement à une bonne compréhension des évènements. Le terme de mafia, qui n’a probablement jamais été autant galvaudé qu’en Russie, est particulièrement commode à cet égard : malléable et plastique à souhait, il permet de désigner d’un seul mot des phénomènes d’une grande diversité, et dispense son utilisateur d’une caractérisation précise de ce qu’il désigne.

 

En Russie, ce terme peut être appliqué avec plus ou moins de bonheur à quatre réalités bien distinctes :

  • la criminalité organisée au sens strict. Des groupes criminels existent depuis l’ère soviétique. Ils ont prospéré sous Brejnev avec la complicité de dirigeants locaux (le cas de l’Ouzbékistan étant le plus emblématique) et sous l’œil du KGB[1], mais en observant une relative discrétion. Leur activité centrée sur les trafics classiques a connu un développement exponentiel et a gagné en visibilité (affrontements entre bandes) à la faveur du chaos des années 1990-1995 ;[2]
  • la criminalisation de l’activité économique légale. En l’absence de droit foncier, commercial ou financier applicable à l’entreprise privée, le recours à l’intimidation, voire à la violence pour obtenir un marché, assurer l’exécution d’un contrat, supprimer un intermédiaire ou spolier un co-actionnaire (surtout s’il est étranger) s’est généralisé[3]. Dans ce cadre, les groupes évoqués plus haut peuvent servir de prestataires de services, mais ils sont loin d’être les seuls ;
  • la corruption. Dans un contexte de stagnation des salaires de la fonction publique et d’explosion des profits dans le monde des affaires, ce phénomène s’est universellement répandu à tous les niveaux et dans tous les domaines de la hiérarchie administrative ou politique (ainsi que des forces armées et de sécurité). Il contribue au climat criminogène en ce qu’il alimente une défiance généralisée envers toute forme d’autorité publique ;
  • le détournement généralisé de moyens publics à des fins privées ou claniques. Ce principe est quasiment inscrit dans la constitution puisqu’un président élu peut sans contestation disposer de tous les moyens que l’Etat met normalement à sa disposition pour mener sa campagne de réélection ou pour faire élire le successeur qu’il s’est choisi. Il peut aussi utiliser l’appareil coercitif de l’Etat pour exercer une vengeance privée… Cette pratique, elle aussi diffusée à tous les niveaux, fausse le jeu normal de la démocratie, et donne à ce terme une connotation très spécifique pour le citoyen russe.

 

Ces différents phénomènes peuvent évidemment se combiner. Ils nécessitent tous un degré plus ou moins élevé de participation du pouvoir politique et des organes chargés normalement du maintien de l’ordre, en remontant parfois jusqu’au plus haut niveau. Ils bénéficient surtout d’un terrain favorable, hérité de l’époque soviétique, mais plongent leurs racines bien plus loin dans la tradition russe de l’autocratie :

  • absence de justice indépendante, et plus généralement de séparation des pouvoirs,
  • normes juridiques beaucoup plus soucieuses de l’ordre social que de la protection de l’individu,
  • système de juridiction interne pour tout ce qui touche aux forces armées et de sécurité.

 

D’un point de vue occidental, les conséquences en sont bien évidemment négatives, qu’il s’agisse du discrédit jeté sur la notion même de démocratie, de la tolérance par l’ensemble du corps social de l’arbitraire du pouvoir, d’un climat de violence civile latente, et plus généralement du blocage, voire de la régression, de l’évolution de la société initiée, de manière partiellement spontanée, au cours des dernières années de l’Union soviétique[4]. Pour autant on ne saurait les confondre, ni par leur nature ni par leur gravité : si les comportements de type mafieux sont fréquents, l’idée d’une mafia-groupe criminel qui tiendrait le pays entre ses mains n’a pas de sens… à moins de considérer que partant du Kremlin elle englobe par capillarité 90 % de l’élite politique, économique et militaire.

 

 Quels que soient ses mobiles exacts et ses auteurs, la responsabilité de l’assassinat d’Anna Politkovskaia (la dernière d’une série de dizaines de journalistes, pour ne parler que d’eux, au cours des 15 dernières années), est diluée dans la haine qu’elle inspirait, notamment de par son implication dans les affaires tchétchènes, à nombre de décideurs politiques, d’ « hommes d’affaires », de chefs militaires ou de grands criminels. Mais sera-t-elle attribuée en définitive à un membre particulier de cette nébuleuse ? A cet égard le mode opératif de son assassin, qui a agi seul, à visage découvert et à pied en plein Moscou, laisse peu de doute sur son sentiment d’impunité : pratiquement aucune des affaires comparables n’a jamais été élucidée…

 

 

[1] Services de sécurité intérieure sous l’Union soviétique, ancêtre de l’actuel FSB.

[2] Il ne semble pas qu’il existe d’organe de coordination type « Coupole » sicilienne, ce qui est assez compréhensible compte tenu de la spécificité géographique de la Russie.

[3] Cela constitue l’une des explications de la faiblesse de l’investissement direct étranger en Russie.

[4] Dans les années1990, les Russes considéraient la liberté d’expression comme l’un des principaux acquis de la perestroïka, mais étaient pessimistes quant à sa pérennité…

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Titre : Après l’assassinat d’Anna Politkovskaia… mafias russes et cie
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel GERVAIS
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