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Innovation et armée de Terre: remettre l’homme au cœur des initiatives

cahier de la pensée mili-Terre
Tactique générale
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L’innovation ne peut pas se décréter, et comme tout mot aux définitions nombreuses et changeantes, la principale menace pesant sur l’innovation serait de la réduire à une simple déclaration d’intention. Pour paraphraser le Général de Gaulle, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant «L’innovation! L’innovation! L’innovation!», mais cela n’aboutit à rien et ne signifie rien. Le Chef de bataillon Jean Michelin pousse la réflexion plus loin sur ce que pourrait impliquer l’innovation, concrètement, et dans l’armée de Terre en particulier.

 

«Un bon lieutenant, c’est quelqu’un qui a cinquante idées à la seconde et qu’on doit freiner. Pas quelqu’un qu’on doit pousser».


L’innovation est à tel point omniprésente dans les réflexions militaires, stratégiques et même politiques du moment que le simple fait de souligner son omniprésence est devenu un cliché en soi. Comme pour bien d’autres mots «à la mode» auparavant, ce suremploi du mot «innovation» dans le discours est accueilli de façon croissante avec des haussements de sourcils, voire des commentaires sarcastiques. L’auteur sait pertinemment qu’après nombre de discours prononcés au plus haut niveau de l’État, après maints rapports parlementaires ou indépendants, après maints articles – souvent de très bonne facture – dans de nombreuses publications de renom, s’attaquer à la question de l’innovation dans l’armée de Terre est un exercice difficile, voire périlleux. Les réflexions s’accordent pourtant à dire que l’innovation ne peut pas se décréter, ou au moins pas seulement se décréter, et que comme tout mot aux définitions nombreuses et changeantes, selon que l’on va les chercher dans les sciences économiques, les sciences humaines, ou simplement dans le dictionnaire, la principale menace pesant sur l’innovation serait de la réduire à une simple déclaration d’intention.

Pour paraphraser le Général de Gaulle, bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant «L’innovation! L’innovation! L’innovation!», mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. Tâchons donc de pousser la réflexion plus loin sur ce que pourrait impliquer l’innovation, concrètement, dans l’armée de Terre en particulier. Et pour cela, il semble important de repartir de la définition du mot.

 

Définir l’innovation appliquée à l’armée de Terre

À ce titre, le Larousse est particulièrement éclairant, puisqu’il qualifie l’innovation comme «l’ensemble du processus qui se déroule depuis la naissance d’une idée jusqu’à sa matérialisation». Chaque mot compte dans cette courte phrase: l’innovation est à la fois un processus, une idée, et la matérialisation de l’idée. Si l’on poursuit la lecture de la définition, toujours dans le Larousse, on note également que l’innovation est aussi «un processus d’influence qui conduit au changement social et dont l’effet consiste à rejeter les normes sociales existantes et à en proposer de nouvelles» En omettant le qualificatif social, on constate donc également que l’innovation comporte un aspect d’influence, de rejet et de remplacement de la norme1.

L’innovation serait donc réductible à l’équation suivante: un processus d’influence, qui doit permettre l’émergence d’une idée venant remettre en question les normes existantes et en proposer de nouvelles, et la matérialisation de cette idée.

Au vu des évolutions fréquentes et souvent imprévisibles de l’environnement stratégique mondial, il n’est donc pas absurde d’associer un impératif d’innovation au monde de la défense, et à l’armée de Terre en particulier. D’abord, parce que dans un contexte sécuritaire incertain, l’accroissement du rythme des ruptures technologiques est à même de modifier considérablement la façon dont les armées opèreront dans un futur proche. Ensuite, parce que l’identification et la diffusion d’idées et la capacité à expérimenter en boucle courte sont des prérequis essentiels pour une armée capable de s’adapter au même rythme que ses adversaires potentiels. Enfin, parce que pour permettre le processus de matérialisation d’une idée, le facteur humain est indispensable. Il n’y a rien dans cette approche qui soit véritablement nouveau: processus itératif, l’innovation existe dans les armées depuis le remplacement de la fronde par l’arc, de l’arc par l’arbalète, de l’arbalète par le mousquet, etc.

 

Des résistances culturelles tenaces

Il existe cependant des résistances culturelles au développement de l’innovation dans les armées. La première tient en leur nature: développer une culture de l’innovation implique d’accepter la possibilité d’un échec, lorsqu’une idée, une fois expérimentée, ne s’avère pas adaptée à résoudre un problème. Dans le cas des armées, si l’erreur est possible, l’échec, critique, massif, celui qui remet en cause la survie de l’institution et donc de la nation qu’elle défend, est inacceptable. Tout est affaire de nuance mais, sur le plan culturel, il s’agit d’un facteur à prendre en compte.

La deuxième résistance tient dans l’organisation militaire, qui repose sur une hiérarchie centralisée et verticale peu propice à la diffusion des idées par la base. Quand une innovation se fait jour dans les processus opérationnels, il est intéressant de constater que celle-ci émane souvent des unités et se diffuse en dépit de la «résistance» que peut opposer la hiérarchie – un phénomène notamment démontré dans «La Chair et l’Acier», du Colonel Michel Goya2.

La troisième résistance est plus spécifiquement française: on a vu que l’innovation est un processus. Or le système éducatif et intellectuel français est intrinsèquement méfiant du processus, considéré comme un faible substrat de la pensée ou une liste de tâches, quand la France demeure le pays des grandes idées. Les Américains, en comparaison, ont érigé le processus organisationnel au rang de pilier de leur système éducatif et même culturel, au point que les ouvrages traitant de mise en œuvre – dans tous les domaines – y sont souvent bien plus nombreux que ceux traitant de théorie. Dans cette spécificité tient sans doute l’une des raisons pour laquelle on semble accueillir avec méfiance les discours sur l’innovation en France: parce que l’innovation, pour être enseignée, nécessite de s’attacher davantage au «comment faire» plutôt qu’au «quoi faire».

Comment, dans ce cas, promouvoir et diffuser l’innovation dans une institution souvent réputée – pas toujours à raison – pour sa réticence au changement? Une piste de réflexion possible est de s’appuyer sur le capital humain, de développer une culture de l’innovation par la base plutôt que par le sommet de la hiérarchie. C’est particulièrement important pour l’armée de Terre, qui rappelle régulièrement et à juste titre que sa force première tient dans les hommes et femmes qui y servent. On limite en effet trop souvent l’innovation à ses aspects technologiques, notamment dans le cadre du développement capacitaire. Innover, ce n’est pourtant pas seulement imaginer les capacités du futur, les véhicules de combat, drones, blindés ou hélicoptères de demain, c’est également concevoir comment seront organisées les forces servant ces capacités, comment elles seront éduquées, entraînées, et comment leurs processus opérationnels s’adapteront aux changements technologiques. L’innovation, pour l’armée de Terre, tient donc surtout en sa capacité à construire un ensemble cohérent autour de capacités matérielles nouvelles: si une technologie de rupture se suffisait à elle-même, les chars français n’auraient en théorie eu aucun mal à arrêter leurs homologues allemands moins nombreux et moins performants en 1940.3

 

L’humain au centre de l’innovation

Rendre l’ensemble d’une organisation compatible à l’innovation implique donc de prendre des initiatives concrètes pour en permettre la diffusion par la base. Cela commence par l’éducation et l’entraînement. Sans se lancer dans une longue réflexion sur la nature du système hiérarchique des armées, on peut rappeler que sa verticalité et sa centralisation ont des vertus, notamment en situation de combat, et qu’il permet aussi de préserver un principe de subsidiarité précieux. Cependant, indépendamment de l’impératif de discipline, l’armée de Terre, parce que son modèle de commandement permet et encourage l’expression des subordonnés, est un terreau propice pour le développement d’un état d’esprit collectif innovant. Cela implique à ne pas brider la réflexion des subordonnés, et surtout, à permettre à cette réflexion de s’exprimer, dans des cadres définis. Quiconque a commandé des hommes et femmes de l’armée de Terre sait que les idées existent aux plus bas échelons. Cela peut-être, par exemple, un système pour transporter un brancard souple ou installer un moyen de signalisation sur les équipements de combat. Cela peut-être un système d’identification des subordonnés pour ne pas avoir à donner leurs noms en clair à la radio. Mais quand ces initiatives demeurent localisées à l’échelle d’une compagnie, il ne s’agit pas d’innovation. Développer l’innovation, c’est mettre en place un système permettant d’identifier ces idées, de les expérimenter à une plus grande échelle, et quand elles sont pertinentes, de les généraliser – au sein d’un régiment, puis d’une brigade, et au- delà. Des initiatives existent déjà au sein du Ministère des Armées pour favoriser la diffusion de ces idées et leur mise en œuvre4, il faut désormais les étendre.

Toujours dans le domaine de l’éducation et de l’entraînement, l’innovation a besoin de relais intermédiaires, de «champions» pour se développer au sein d’une institution. Le premier frein à l’innovation est un chef intermédiaire qui n’a pas le temps de s’intéresser à une idée nouvelle. Pour cela, il faut multiplier les initiatives permettant aux cadres d’élargir leur horizon professionnel en multipliant les interactions avec la société civile. C’est déjà le cas dans l’enseignement militaire supérieur5, et il serait intéressant de l’étendre aux écoles de formations initiales de façon plus large. L’ouverture d’esprit qui résulte d’échanges réguliers en dehors des murs de l’institution est un gage de succès et d’équilibre pour les cadres de demain – et elle permet aussi d’établir des liens plus soutenus avec la société civile.

Outre la formation des cadres, la circulation des idées, et leur mise en œuvre, il est important de communiquer sur les résultats, et tout particulièrement en interne. C’est une chose de favoriser le développement d’idées innovantes, de s’autoriser à les expérimenter, de les diffuser, mais il est important de faire connaître les résultats, faute de quoi la volonté de prendre l’initiative se tarit. Des initiatives telles que les hackathons ou les Innovation Challenges6 organisés par les armées et ouverts au monde civil sont un moyen efficace d’alimenter la réflexion sur des problématiques opérationnelles concrètes: encore faut-il que les résultats soient suivis d’effets concrets, et que l’information circule.

 

Vers une culture de l’innovation propre à l’armée de Terre

Si les résistances culturelles et institutionnelles existent encore, et s’il est légitime de se méfier d’un mot que l’on a tendance à accorder à tous les temps au point de risquer de le vider de sa substance, il ne faut pas pour autant ranger l’innovation au rang des concepts à la mode que l’on oubliera rapidement. Particulièrement, parce qu’il s’agit d’une nécessité pour nos armées, à l’heure où nos adversaires – actuels et potentiels - innovent en s’appuyant sur la démocratisation des accès à la technologie.

Pour que l’armée de Terre innove, il faudra qu’elle accepte d’apprendre en marchant, en développant des initiatives de portée réduite, en acceptant l’idée d’un processus plutôt qu’une simple fondation théorique. Il faudra aussi que les intentions annoncées et déclinées à partir du sommet de la hiérarchie soient traduites en actions concrètes dans les unités. Et surtout, il faudra qu’elle accepte d’aller au-delà de ses murs davantage qu’elle ne le fait aujourd’hui, et ce en dépit d’une activité opérationnelle extrêmement dense. C’est en s’appuyant sur ce qui fait sa spécificité et sa force que l’armée de Terre développera une culture favorable à l’innovation: les hommes et les femmes qui y servent.

 

 

  1. Larousse, Définitions: innovation [en ligne], https://www.larofr/dictionnaires/francais/innovation/43196 (page consultée le 7 juin 2018)
  2. Michel Goya, «La Chair et l’Acier: l’invention de la guerre moderne 1914-1918», Paris, Taillandier,
  3. Berthold Seewald, Der Mythos von den überlegenen deutschen Panzern, Die Welt [en ligne], https://www.welt.de/geschichte/zweiter-weltkrieg/article141245922/Der-Mythos-von-den- ueberlegenen-deutschen-Panzern.html (page consultée le 8 juin 2018)
  4. On peut citer en particulier le Prix de l’Audace, organisé tous les deux ans par la Mission Innovation Participative de la Direction Générale de l’Armement: https://www.defensgouv.fr/dga/liens/mission-innovation-participative/le-prix-de-l-audace (page consultée le 8 juin 2018)
  5. Armée de Terre, Le CEMAT ouvre la scolarité des officiers du CSIA, Site officiel du Ministère des Armées [en ligne], https://www.defense.gouv.fr/terre/actu-du-cemat/le-cemat-ouvre-la- scolarite-des-officiers-du-csia (page consultée le 8 juin 2018)
  6. Allied Command Transformation Public Affairs, Allied Command Transformation hosts innovation challenge in France, Site officiel du Commandement Allié pour la Transformation [en ligne], http://www.act.nato.int/allied-command-transformation-hosts-innovation-challenge-in- france (page consultée le 8 juin 2018)



Le Chef de bataillon Jean MICHELIN est saint cyrien, fantassin, breveté de l’US Army Command and General Staff College. Après avoir tenu les fonctions de plume du général commandant la transformation de l’OTAN, il sert actuellement au pôle rayonnement de l’armée de Terre
 

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Titre : Innovation et armée de Terre: remettre l’homme au cœur des initiatives
Auteur(s) : le Chef de bataillon Jean MICHELIN
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