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L’appréhension des soldats de Daguet face à l’imprévisibilité des armes chimiques irakiennes

Soldats de France numéro spécial Guerre du Golfe
Histoire & stratégie
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S’il est aujourd’hui indéniable que la guerre du Golfe a été un succès opérationnel en n’entraînant que de faibles pertes humaines (du côté de la coalition), il ne faut pas pour autant considérer que la victoire était gagnée d’avance1 ou que les risques encourus n’étaient pas réels. Engagés au sein d’une guerre présentée comme de la haute intensité, les soldats doivent quotidiennement faire face au risque insidieux et permanent que représentent alors les armes chimiques détenues par l’Irak.

 


Une inquiétante et permanente incertitude

 

Comme bon nombre de ses pairs, le général Yves Derville, à l’époque chef de corps du 2e REI, raconte qu’ils « étaient sur leurs gardes 24h sur 24, en attendant l’attaque [chimique] d’une division irakienne2». Au sein du 1er Régiment de Spahis, le chef de peloton Patrice ajoute que, même lors des séances de sport, « derrière les vingt bonhommes qui couraient, il y en avait toujours un qui conduisait la jeep avec, à l’arrière, les combinaisons de protection en cas d’alerte3». Cette toile de fond du risque chimique ainsi que son imprévisibilité sont les dénominateurs communs de l’ensemble des témoignages des combattants. Elle rend ainsi compte de la prégnance et de l’imprévisibilité de cette menace sur le terrain : les Irakiens oseraient-ils recourir à une arme NBC et enfreindre le Protocole de Genève de 1925 prohibant l’emploi des gaz de combat ainsi qu’ils l’ont effectué auparavant face à l’Iran ? À quel moment du jour ou de la nuit choisiraient-ils de passer à l’action pour obtenir le meilleur effet de surprise ? Contre quelles unités ? Avec quel type de gaz ? Combien de fois et en quelle quantité ? Personne ne sait alors à quoi s’attendre. Cela plonge les soldats dans un climat d’incertitude totale, lui-même vecteur d’inquiétude et de crainte, et ce à l’avantage de l’Irak.

 

Souvenir traumatisant des armes chimiques

 

Si les armes chimiques suscitent un tel effet psychologique, c’est en grande partie en raison de la crainte de revivre une guerre sale telle qu’il y en a eu dans le passé. Les expériences historiques d’utilisation de ces armes, et l’horreur qui en résulte, laissent un souvenir traumatisant ainsi qu’un imaginaire de crainte. Les attaques chimiques de la Première Guerre mondiale, et notamment l’utilisation du « gaz moutarde », marquent un tournant dans la conduite de la guerre. Les séquelles physiques et psychologiques des survivants qui peuvent perdurer longtemps après la fin du conflit, ainsi que le fort taux de létalité, ont convaincu la scène internationale de l’immoralité et de l’atrocité de ces armes. Cependant, le Protocole de 1925 n’a pas suffi à empêcher l’Irak de se forger une réputation de « bourreau » chimique, notamment lors de la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988. « Ali le chimique », cousin de Saddam Hussein, n’a en effet pas hésité à ordonner le bombardement aux gaz (ypérite, phosgène, neurotoxiques tabun et sarin) du village kurde de Halabja le 16 mars 1988, faisant autour de 5 000 morts civils et 10 000 blessés en l’espace de quelques heures. Ce massacre, loin d’être un cas isolé, a déjà été opéré, par exemple, le 28 juin 1987 à Sardasht sur des civils iraniens. Ces attaques chimiques, récentes et dramatiques, demeurent bien ancrées dans les consciences des soldats français au moment de l’opération Daguet. 

 

La menace des missiles Al-Hussein

 

Une chose est alors certaine, l’armée irakienne est en mesure d’effectuer une telle attaque. Elle possède en effet la capacité de production de charges utiles – grâce à sa production de produits chimiques – mais aussi, celle de la faire acheminer vers sa cible par un vecteur. Pour cela, l’Irak dispose de missiles sol-sol Al-Hussein, pouvant emporter une grande variété de charges (nucléaire, conventionnelle, chimique). Ces engins sont directement issus du Programme 144 modifiant les missiles Scud-B, livrés par Moscou entre 1985 et 1988, de manière à doubler leur portée, qui atteint dès lors 650 kilomètres. Cette modification réalisée par l’association de scientifiques irakiens et russes permet, parmi les quelques 800 missiles tirés par les Irakiens sur leurs rivaux, d’atteindre des pays comme Israël, Bahreïn, le Qatar ou encore l’Arabie saoudite. Le général Tanneguy Le Pichon, à l’époque chef d’état-major des forces françaises dans le pays, se souvient : « Les Irakiens ont envoyé sur Riyad [capitale du royaume d’Arabie saoudite] 19 Scuds. […]. On était prévenu environ 2 à 3 minutes avant que le Scud n’arrive. […] La grande terreur était qu’il y ait des têtes chimiques sur ces Scuds »4.

 

L’entraînement pour tenter de réduire l’imprévisibilité

 

Pour tenter de palier l’incertitude planant autour de la menace chimique, les forces coalisées mutualisent leurs équipements et leurs connaissances sur le sujet afin d’être préparées au mieux. Ainsi, les soldats français de Daguet s’entraînent à combattre en atmosphère viciée dès leur arrivée dans la région. Enchaînant les entraînements de jour comme de nuit, ils se préparent notamment à enfiler le plus rapidement possible la tenue S3P (survêtement de protection NBC à port permanent) ainsi que les masques à gaz. Le général Janvier, alors chef du soutien logistique puis commandant de la division Daguet (février 1991), se souvient du stress quotidien subi par les unités confrontées à ces risques : « Voici un exemple de la vie d’un régiment : le 2 décembre, alerte niveau 2 (port de la tenue complète, des chaussettes carbonées, des gants de protection, du masque à gaz) ; 6 et 7 décembre, manœuvre d’ensemble face à la menace chimique ; 26 décembre, alerte ; 28 décembre, idem, niveau 1 ; [etc.] »5. Cette menace chimique semble d’autant plus proche et envisageable lors de l’offensive terrestre de février 1991. En effet, les troupes françaises ont face à elles la 45e division d’infanterie irakienne, laquelle a notamment utilisé sa capacité chimique durant la guerre Iran-Irak.

 

Et pour les guerres de demain ?

 

De nos jours, le risque chimique demeure une réalité face à laquelle la France doit se préparer. De fait, la probabilité croissante d’être engagée dans un conflit de haute intensité, ainsi que le développement accru des technologies NBC (nommées aujourd’hui NRBC), rendent cette menace plus que plausible. Cependant, du fait de la diminution des pertes militaires ces dernières décennies, le seuil d’acceptabilité du risque a drastiquement chuté en comparaison des guerres mondiales du siècle dernier. Ainsi, comment réagiraient les militaires et l’opinion publique si un conflit de haute intensité se déclenchait, qui plus est face à un État ne respectant pas les engagements internationaux ? Comment aborderaient-ils l’imprévisibilité liées aux armes chimiques, et in fine à la mort de masse ?

 

 

 

Lexique

Neurotoxique : Poison qui agit sur le système nerveux

 

Abréviations

REI : Régiment étranger d’infanterie

S3P : Survêtement de protection NBC à port permanent

 

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1 - Voir article Thème : « La Guerre du Golfe : quelques réflexions sur l'imprévisibilité », Benoit Beucher, page 16.

2 - Bouquet Frédéric, La conquête d’As Salman. La grande aventure de la division Daguet, webdocumentaire de l’Ecpad, 2012.

3 - Leroux Hubert et Sabbagh Antoine, Paroles de soldats. Les Français en guerre 1983-2015, Paris, Tallandier, 2015, p. 75.

4 - Frédéric Bouquet, ibidem. 

5 - Cochet François, « Les OPEX, engagements internationaux et nouvelles formes de guerre », in Les Français en guerres. De 1870 à nos jours, Paris, Perrin, 2017, p. 406.

 

 

 

 

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Titre : L’appréhension des soldats de Daguet face à l’imprévisibilité des armes chimiques irakiennes
Auteur(s) : Ornella Junet 
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Portrait de l'ancien chef de corps du 2e REI lors de son témoignage sur l'opération Daguet. © Peschel Yohann ECPAD/Défense
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Exercice d'alerte NBC sur l'héliport de CRK (camp du roi Khaled) : les soldats, groupés autour d'un hélicoptère Puma SA 330, ont enfilé la tenue 63.© Le Jamtel Yann/ECPAD/Défense.
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