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L’entraînement de l’armée française avant 1914

BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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Lorsque l’on évoque l’entraînement des unités de l’armée française avant 1914, un stéréotype s’impose à l’esprit, les « grandes manoeuvres ». L’idée de leur inadaptation est bien ancrée, et partant de cette image d’Epinal, on en est venu à considérer que l’armée française n’était pas entraînée à la veille de la guerre. La vérité est bien éloignée de cette image devenue caricature. En fait, en considérant les années d’avant-guerre, on ne peut que constater que l’armée était entrainée. Comment d’ailleurs, les grandes unités auraient-elles pu, non seulement conserver leur cohésion, mais également repartir à l’attaque, au terme d’une retraite de plusieurs centaines de kilomètres, si elles n’avaient pas été entraînées à la manœuvre ?


En fait, les grandes unités de l’armée française, comme les régiments et les bataillons, étaient entraînés à la manœuvre, mais pas du tout à une guerre du type d’une guerre de siège, comme leurs chefs auraient à la conduire. C’est ce que va s’efforcer de démontrer cet article.

Que recouvre l’expression « grandes manœuvres » ? En fait, il s’agissait, à l’automne, d’entraîner deux corps d’armée dans un exercice en terrain libre à double action, sous la direction d’un général membre du Conseil supérieur de la guerre, donc commandant désigné d’une armée à la mobilisation, disposant d’une forte cellule d’arbitrage.

 

Certes, ces exercices intégraient un aspect de grand spectacle, avec un aéropage de spectateurs constitué à la fois des attachés militaires en poste à Paris et de délégations d’armées étrangères amies et alliées, ce qui imposait la mise en place d’un protocole assez lourd, de nature à nuire au réalisme de l’exercice. D’autant plus que, souvent, pour des contraintes de temps de paix, le réalisme du thème d’exercice pouvait être mis à mal. Enfin, il faut bien avouer, qu’au bout de plusieurs décennies de temps de paix, l’enthousiasme, ou même seulement l’intérêt de certains généraux de haut rang pour participer à ces exercices s’était largement émoussé. C’est ce qui ressort des souvenirs rapportés par Messimy, alors qu’il était amené à prendre part à ces « grandes manœuvres, comme stagiaire à l’École de guerre [1] :

 

« (...) Par une journée torride, j’avais exploré minutieusement le terrain pour déterminer l’emplacement de mes batteries. Après avoir galopé au travers des plaines crayeuses, je vins, avec la fierté joyeuse d’avoir rempli ma mission en conscience, rendre compte de celle-ci à notre chef. Et lui, de me répondre d’un ton goguenard, et de son plus pur accent gascon : C’est très bien mon petit, mais vous êtes en retard pour le déjeuner et vous avez bien chaud. Vous mettrez votre travail sur un papier, que personne du reste n’aura le temps de lire. Mais pourquoi prendre tant de peine ? Mettez-vous bien dans la tête, qu’en manœuvre d’état-major, la seule chose qui compte, c’est de boire frais, et de bien déjeuner, à l’heure ! ».

 

Il va sans dire que cette approche des manœuvres, n’est pas du tout celle du général Joffre, lorsqu’il parvient au commandement suprême en 1911. Il est un chaud partisan du maintien de ces exercices en terrain libre, car ils lui permettent d’évaluer le commandement. A cet égard, il n’est pas innocent que quatre commandants de corps d’armée, dont un ancien ministre de la Guerre, se soient fait relever de leur commandement pour insuffisance à la suite des « grandes manœuvres » de 1912 et de 1913, ce qui tendrait à démontrer que les « limogeages » du début de la guerre avaient été « initialisés » dès le temps de paix. Il faut bien reconnaitre qu’il n’y ait rien d’étonnant à cela avec des idées sur ces exercices, comme ceux évoqués plus haut.

 

Outre cette fonction d’évaluation du haut-commandement, ces exercices donnaient également aux divisionnaires l’occasion d’apprécier l’aptitude au commandement de leurs chefs de corps, en « grandeur réelle », puisqu’il s’agissait de la seule occasion qui leur était offerte de pouvoir contrôler leurs colonels dans l’exercice de leur commandement, en intégrant tout l’environnement du champ de bataille, dont les élongations, ce qui n’est pas possible lors d’exercices sur cartes, qui peuvent permettre à des esprits « malins » de briller beaucoup plus aisément que sur le terrain. C’est ce que rappelle le général Zeller dans ses Souvenirs lorsqu’il servait, comme commandant de groupe d’artillerie, dans la division commandée par Foch, dans les années 1910 - 1911 [2] :

 

« Le premier jour de ces manœuvres, au lever du soleil, alors que je chevauchais au pas, en dehors de la route, sur le flanc de mon groupe, en colonne de marche, le général Foch, au franc galop de son élégante monture, et suivi de son fanion et de son état-major, me dépassait, dans un champ voisin, sans crier gare, sans un mot, ni un geste d’accueil, et me lançait au passage, sur un ton irrité : « Derrière cette colonne d’artillerie, une colonne de vétérinaires en désordre ! …. ». Savoir si la figure « allégorique » du grand chef était justifiée ou non, (je n’avais qu’un seul vétérinaire sous mes ordres), et si elle s’appliquait ou non à mes subordonnés n’a pas d’intérêt. Sa forme n’avait rien qui pût me surprendre, mais cet abordage dénué de toute amabilité a été vivement commenté par mes officiers. »

 

Bref, les « grandes manœuvres » ne méritent aucunement d’avoir été décriées comme elles l’ont été, car elles ont tout à fait tenu leur rôle, d’entraîner la troupe, les cadres de contact ainsi que la couche haute du commandement au rôle qui serait le leur en temps de guerre. Quelles qu’aient pu être les critiques à leur égard, parfois fondées, parfois beaucoup moins, force est de reconnaître, qu’il n’existait aucune autre solution pour placer chefs et exécutants en situation. Il est d’ailleurs significatif de constater que l’armée française ne détenait aucunement l’exclusive de cette forme d’entrainement, mais que toutes les grandes armées européennes, allemande, autrichienne et russe, pratiquaient, au même rythme annuel, cette forme d’exercices en terrain libre. En outre, avec un chef d’état-major de la trempe de Joffre, elles remplissaient un autre rôle, également capital, celui de servir d’outil de sélection du haut-commandement.

 

Cet aspect d’évaluation, donc de sélection, du commandement a quasiment disparu de nos jours. Or, il y a fort peu de chances pour qu’un chef défaillant à l’entraînement, se révèle au combat. C’est pourquoi, les exercices de simulation « Aurige », joués au CPF, en se limitant à l’évaluation du seul fonctionnement des états-majors, ne jouent pas tout le rôle qui pourrait être attendu d’eux.

Mais, évidemment, ces « grandes manœuvres » ne constituaient pas le seul outil d’entraînement. Joffre a lancé avant-guerre un grand programme de camps d’instruction, car pour l’entraînement, il faut des moyens [3].

Deux programmes successifs avaient été adoptés en matière de camps d’entraînement : le premier en 1897, et le second en 1908, mais la planification budgétaire qui lui était adaptée ne prévoyait son achèvement qu’en … 1930 ! Si bien qu’en 1911, lorsque Joffre prit le commandement des armées françaises, celles-ci ne disposaient que de huit camps inachevés, si bien que le tiers à peine des unités d’active pouvait effectuer un séjour annuel d’une quinzaine de jours en camp, alors que l’armée allemande n’était pas loin d’avoir bouclé son programme d’un camp divisionnaire par corps d’armée.

 

Aussi, dès novembre 1911, Joffre fit lancer un programme d’acquisition et d’aménagement des camps sur les bases suivantes : un camp devait permettre le déploiement d’une division et des manoeuvres mettant en jeu toutes ses armes, en combinaison étroite entre elles (infanterie – artillerie et infanterie-cavalerie, que l’on a un peu tendance à perdre de vue), soit avoir une superficie de 5 500 à 6 000 hectares. Ensuite, pour des raisons d’économie, les camps doivent être répartis de façon à disposer d’un camp pour l’entraînement de deux corps d’armée.

 

Les études aboutirent aux prévisions suivantes :

Deux camps de corps d’armée (Châlons agrandi) et Mailly.

Dix camps divisionnaires : La Courtine (existant), Coëtquidan (en transformation), Sissonne et le Valdahon (agrandis) et six camps à créer.

Les camps du Larzac et de Souge, défectueux, ne seront utilisés que dans leurs dimensions actuelles.

La réalisation de ce plan, étalé sur six ans à compter de 1913 a été, bien évidemment interrompue par la guerre.

 

Après avoir exposé les modalités ainsi que les moyens de l’entrainement de l’armée française avant 1914, il reste à étudier son contenu, et c’est ici que le bât peut blesser.

D’emblée, écartons la polémique de l’offensive dite « à outrance », car il s’agit à l’évidence d’un faux problème, d’une réécriture de l’après-guerre. Il est évident que lorsqu’une armée s’engage, c’est pour gagner. Or, pour gagner, il faut toujours attaquer. Personne n’a jamais vu une armée remporter une victoire en demeurant sur la défensive ! Castelnau, qui avait quelques idées dans le domaine tactique avait coutume de dire « des offensives à objectifs limités, ne peuvent que déboucher sur des résultats limités ». C’est l’évidence même. Et, en matière d’offensive, il n’y a pas plus d’offensive « à outrance » qu’il n’y a d’offensive « retenue » [4]. On attaque quand on peut, là où on peut, et autant que possible, à fond. D’ailleurs, il est patent de constater que toutes les autres grandes armées européennes, (allemande, autrichienne et russe) avaient toutes conçu une planification offensive de leurs opérations dès l’entrée en guerre.

Dans le cas français, là où le bât blesse, c’est quand même bien sur la forme de cette attaque. En fait, pour beaucoup trop d’esprits, ce retour des idées offensives signifiait un retour aux modes d’actions offensifs de l’Empire ! C’est-à-dire, en rangs serrés. L’erreur ne vient nullement de la nature même de recourir à un mode d’action offensif, mais de vouloir réhabiliter un mode d’action, dans une forme vieille d’un siècle, c’est-à-dire largement dépassée par les systèmes d’armes alors en dotation, notamment chez l’ennemi potentiel, c’est-à-dire dans l’armée allemande.

 

Et le drame a voulu que l’entraînement des petits niveaux tactiques, régiments et bataillons, fût conduit selon ces errements. Evidemment, il y avait des personnalités militaires et non des moindres, qui ont osé crier « casse-cou ! ». Mais, ils ont souvent prêché dans le désert. Ce fut le cas notamment du colonel Pétain, et surtout du général Lanrezac. Pétain, chef de corps du 33e R.I., l’anecdote est archi connue, assistait à une démonstration d’une attaque selon ces errements, effectuée par son commandant de brigade. Ce dernier fit déployer un régiment en bataille, et, en rangs serrés, comme lors de l’assaut sur Pratzen, fit partir le régiment à l’attaque de son objectif. La position, objectif de l’attaque, fut selon l’arbitrage, enlevée …… Vint l’heure de la critique, durant laquelle la parole fut donnée par son divisionnaire, au colonel Pétain : celui-ci fut laconique et bref, comme à son habitude : « Messieurs, vous savez tous, qu’en matière d’instruction, il existe deux méthodes : celle où il est montré ce que l’on doit faire, et celle où on montre ce qu’il ne faut surtout pas faire. Assurément, la démonstration d’aujourd’hui appartient à cette dernière catégorie ».

 

Le taux de pertes exorbitant du 22 août trouve son origine ici. Les différents échelons de la hiérarchie, en dépit des ordres formels donnés par Lanrezac à la Ve armée, manœuvrèrent comme ils l’avaient fait à l’entraînement.

Dernier point, l’entraînement des grandes unités de l’armée française, comme des unités subordonnées, ne prit pas suffisamment en compte les enseignements des conflits qui avaient alors cours. Sans remonter à la guerre de Sécession (qui avait démontré la fin de l’utilité de la cavalerie sur le champ de bataille, comme arme de décision devant « créer l’évènement », les enseignements de la guerre de Mandchourie entre Russes (nos alliés) et Japonais, ou des guerres balkaniques entre la Serbie et La Sublime Porte, furent occultés. Et pourtant, il n’y eut, dans un cas comme dans l’autre, aucune manoeuvre décisive de type napoléonien, mais une guerre d’usure, sous la forme d’une guerre de siège, depuis le fond de tranchées. Au bilan, l’infanterie française ne s’est pas entraînée à creuser des positions ou des fortifications de campagne, comme son homologue allemande. C’est ce qui fait écrire à Fayolle [5] :

 

« De la difficulté de faire travailler le fantassin. Il faut que les sapeurs fassent leurs tranchées de tir et les territoriaux leurs parallèles. »

 

Plus loin, le même Fayolle est encore plus sévère. Il écrit que les fantassins préfèrent encore se faire tuer plutôt que de creuser et de remuer la terre.

Typiquement, ici, on se trouve en face d’un défaut d’entrainement en temps de paix.

Alors, que conclure ? Assurément, contrairement à 1870, l’armée française était entraînée en 1914, et nulle impasse n’avait été faite en ce domaine, et même, à compter de 1911, Joffre avait relancé l’entraînement avec vigueur. La question qui se pose est de savoir si l’entraînement était adapté aux formes de la guerre moderne. Assurément, la tyrannie du feu avait été mal appréhendée (et pas seulement sous l’angle de l’entrainement, la très grave pénurie en munitions d’artillerie qui a entravé le bon déroulement des opérations au cours de l’hiver 1914 était également due à une mauvaise appréciation de l’effort qui serait demandé à cette arme) et la forme de l’entrainement allait très rapidement montrer ses limites, ce qui devait se traduire par l’hécatombe des premières semaines de la guerre.

Mais ce constat est un bilan qui ne peut être établi qu’a posteriori, quand on connait la suite de l’histoire ! Ce n’est que l’épreuve du feu qui permet de déterminer avec certitude si les efforts consentis préalablement en temps de paix étaient suffisants, bénéfiques, adaptés ou non, et ceci, hier, comme aujourd’hui.

                                       

 

[1] Messimy, général, Souvenirs, Paris, 1935, Plon, p.7.

[2] Zeller, général, Souvenirs sur les maréchaux Foch et Pétain, présentés et annotés par Claude Franc, Economica, Paris, 2018, p.52.

[3] Ce paragraphe a été rédigé d’après les Mémoires du maréchal Joffre. Joffre, maréchal, Mémoires, Tome 1, Pais, Plon, 1932, pp. 79 et suivantes.

[4] Si, de nos jours, il est fait un distinguo entre une attaque en force et une attaque en souplesse, c’est eu égard à la nature des équipements mis en oeuvre ; une attaque à base d’unités blindées mécanisées sera du genre « en force », tandis qu’une attaque conduite par des unités d’infanterie débarquée, sera, quant à elle du genre « en souplesse ». Mais, dans les deux cas, il s’agit de détruire le maximum de potentiel ennemi.

[5] Fayolle, maréchal, Carnets secrets de la Grande Guerre, présentés

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Titre : L’entraînement de l’armée française avant 1914
Auteur(s) : le colonel (H) Claude Franc, du CDEC
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